Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Marseille


Jusqu’au 2 juin 2024, la Friche la Belle de Mai présente « Astèr Atèrla », une indispensable exposition collective imaginée par Julie Crenn, commissaire indépendante, sur une initiative de Béatrice Binoche, la directrice du Frac Réunion. « Astèr Atèrla » est une coproduction de la Friche et du Centre de création contemporaine Olivier-Debré (CCCOD) de Tours où elle a été présentée au second semestre 2023.

Avec l’exposition « Des grains de poussière sur la mer » accueillie par Fræme, « Astèr Atèrla » s’inscrit dans le programme Un champ d’îles, que la Friche dédie aux artistes des territoires ultramarins.

On lira avec attention de texte de Julie Crenn, historienne de l’art et commissaire indépendante pour l’exposition au CCCOD de Tours que l’on reproduit ci-dessous. Elle y relate les origines du projet « Astèr Atèrla » (« ici et maintenant », en créole) ainsi que les limites et les enjeux qui l’ont orientée pour la conception de cette exposition remarquée par la critique et notamment par Emmanuelle Jardonnet dans Le Monde et par Léo Guy-Denarcy dans AOC.

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

De ce texte de la commissaire, la Friche a extrait cette note d’intention qui résume ainsi son propos :

« L’exposition Astèr Atèrla invite à une rencontre avec les œuvres d’artistes actifs et actives à La Réunion. Ici et maintenant, la trentaine d’artistes réuni·es fouillent des temporalités qui s’étirent du passé jusqu’au futur pour raconter une histoire commune, un vivant partagé. Des entrailles de l’île vers l’océan dans lequel elle s’inscrit, en passant par ses rues bétonnées, ses ravines et ses champs de canne à sucre, les artistes agissent au sein d’une géographie et d’une histoire nécessairement plurielles.

À travers un ensemble de problématiques liées et entremêlées, ce sont les corps visibles et invisibles, humains et non humains qui sont placés au cœur d’une réflexion collective. Les corps nous mènent ainsi vers le territoire de l’histoire, de la mémoire, de la transmission, du rituel, de l’insularité, de la créolité, de la langue, de la mythologie et du vivant. Dans une perspective résolument politique, l’exposition devient le lieu de conversations avec l’île de La Réunion envisagée dans ses réalités complexes, denses et multiples. »

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

À la Friche la Belle de Mai, « Astèr Atèrla » se déploie sur deux plateaux de la Tour.
Au quatrième étage, l’exposition hérite d’une partie des cimaises et des murs peints en noir laissés par la rétrospective consacrée à Robert Guédiguian. Deux des six fenêtres qui ouvrent sur les voies ferrées ont été démasquées. Au cinquième étage, l’accrochage exploite le dispositif scénographique mis en place par « Drift, Dérapage contrôlé », l’exposition des diplômé. e. s du DNSEP 2023 en art & design des Beaux-arts de Marseille.
Il faut, bien entendu, saluer l’attention de la Friche aux questions environnementales et le soin d’éviter la multiplication de réorganisations scénographiques à chaque nouvelle exposition. Toutefois, cette préoccupation conduit ici à proposer deux ambiances radicalement différentes qui ne font pas sens avec le projet de l’exposition et qui lui imposent des contraintes sans doute un peu préjudiciables.
Au quatrième, l’ouverture des fenêtres face aux murs et cimaises peints en noir donne l’impression que la hauteur sous plafond a été réduite et produit un certain sentiment d’« écrasement ». Par ailleurs, l’entrée de la lumière naturelle entraine pour certaines œuvres quelques contrejours et des reflets et effets de miroirs difficilement maitrisables. L’accrochage et le rapprochement de certaines œuvres ont sans doute été assujettis par l’emplacement des espaces de projection qui ont été conservés. Au cinquième plateau, la disposition des cimaises en place a probablement été moins contraignante, mais l’importance du volume de la travée côté fenêtre paraît avoir été occupée avec un peu de difficultés et donne le sentiment que l’accrochage flotte un peu…

S’ils paraissent moins fluides qu’au CCCOD de Tours, l’accrochage et la mise en espace proposent néanmoins une exposition extrêmement riche et passionnante.
En associant avec opportunité plusieurs générations d’artistes, « Astèr Atèrla » réussit parfaitement à emmener ses visiteur·euses « vers le territoire de l’histoire, de la mémoire, de la transmission, du rituel, de l’insularité, de la créolité, de la langue, de la mythologie et du vivant ».
Julie Crenn signe un commissariat inspiré et engagé. Elle nous offre une rencontre indispensable avec les œuvres d’artistes actifs et actives à La Réunion et nous propose de passionnantes conversations avec l’île « envisagée dans ses réalités complexes, denses et multiples ».

Les œuvres sont accompagnées de cartels développés qui offrent tous les repères nécessaires. La plupart de ces textes empruntent leur contenu au site de Julie Crenn qui est une vraie mine et que l’on conseille vivement de consulter avant, pendant et après la visite d’« Astèr Atèrla ».

« Astèr Atèrla » rassemble des œuvres de Mounir Allaoui, Alice Aucuit, Jack Beng-Thi, Lolita Bourdon, Catherine Boyer, Stéphanie Brossard, Jimmy Cadet, Sonia Charbonneau, Thierry Cheyrol, Cristof Dènmont, Emma Di Orio, Morgan Fache, Florans Féliks, Brandon Gercara, Hasawa, Esther Hoareau, Stéphanie Hoareau, Christian Jalma dit Pink Floyd, Jean-Claude Jolet, Kako et Stéphane Kenkle, Kid Kreol & Boogie, Jean-Marc Lacaze, Gabrielle Manglou, Masami, Anie Matois, Sanjeeyann Paléatchy, Tatiana Patchama, Tiéri Rivière, Chloé Robert, Abel Techer, Prudence Tetu, Wilhiam Zitte.

Un catalogue trilingue (français / anglais / créole), publié par les presses du réel, réunit des textes de Estelle Coppolani, Diana Madeleine, Eve-Marie Montfort, Julie Crenn et Warren Samuelsen.

Regards sur le parcours de l’exposition ci-dessous.

À lire ci-dessous, le texte de Julie Crenn, pour l’exposition au cccod de Tours, celui de Béatrice Binoche, directrice du Frac Réunion et la présentation du projet Un champ d’îles par Alban Corbier-Labasse, directeur général de la Friche la Belle de Mai.

En savoir plus :
Sur le site de la Fiche la Belle de Mai
Suivre l’actualité de la Fiche la Belle de Mai sur Facebook et Instagram
Sur le site de Julie Crenn
Sur le site du Frac Réunion qui propose des liens vers des épisodes de l’Atelier A à la Réunion et des présentations sur YouTube des artistes réalisées par le Frac Réunion.

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

« Astèr Atèrla » – Texte d’intention de Julie Crenn pour le CCCOD Tours

Astèr Atèrla prolonge avec ampleur et ambition un travail de fourmi que nous menons avec Béatrice Binoche et l’équipe du Frac Réunion – sans qui ce lien n’aurait peut-être pas existé. Depuis 2015, j’ai écrit un ensemble de textes monographiques, pensé des expositions à La Réunion et à Maurice. En France, mon engagement se fait dans l’infusion et l’infiltration par la présentation d’oeuvres non seulement au sein d’expositions collectives (à Paris, à Bourges ou encore à Dole), mais aussi au sein de commissions d’achat de collections publiques, de programmations vidéo, de conférences et de textes. Un travail d’inclusion qui me tient au ventre puisque les scènes artistiques ultramarines peinent à se faire voir et à se faire entendre. Lorsque la scène artistique française est convoquée, il est extrêmement rare que les artistes ultramarin·e·s soient cité·es. La scène française se limite ainsi à l’Hexagone. Un oubli constant et une méconnaissance des pratiques d’outremer persistent.

Le travail de fourmi tend à relier les imaginaires, à contrer les effacements et à attiser les curiosités. Il invite aux rencontres. Astèr Atèrla ne prétend pas présenter la scène artistique réunionnaise dans son ensemble. Ce travail relève de l’impossible, j’ai bien conscience qu’elle est bien plus vaste et bien plus dense. L’exposition réunit les artistes avec qui je partage des affinités plastiques, politiques, sensorielles, botaniques et spirituelles. Le choix des oeuvres est aussi subjectif qu’affectif. Il est alimenté de rencontres importantes qui me transportent, me troublent et m’enthousiasment.

Maintenant et ici, trente-quatre artistes réunionais·es fouillent des temporalités qui s’étirent du passé le plus lointain jusqu’aux spéculations les plus futuristes pour composer, déployer et raconter une histoire située. Par leurs corps et leurs expériences respectives, ielles mettent en oeuvre des récits aussi personnels que collectifs. Des entrailles de l’île vers l’océan Indien duquel elle a surgi, en passant par les rues bétonnées, les ravines, les bassins, les pitons, les Hauts et les champs de canne, les artistes agissent au sein d’une géographie spécifique et d’une histoire nécessairement plurielle. Au travers d’une problématique maillée, ce sont les corps visibles et invisibles, humains et non humains qui sont placés au coeur d’une réflexion collective. Les corps qui manifestent et diffusent des réflexions nous menant vers des chemins inévitablement entremêlés : la mémoire et les moyens de la transmettre, les cultures plurielles, le syncrétisme, l’insularité, la créolité, la langue, les modes de vie, la réyonité, les mythologies, le vivant et bien d’autres thèmes encore. Dans une perspective résolument politique, l’exposition devient le lieu de conversation avec La Réunion qui est envisagée dans ses réalités complexes, denses et multiples. Une exposition fabriquée à partir de dialogues artistiques, d’un imaginaire commun qui puise ses forces au sein du vivant réunionnais et plus largement indianocéanique.

Les artistes sont à l’écoute des vibrations de l’île, de tout ce qu’elle dévoile et dissimule. En ce sens, le vivant tient une place centrale. Des sols au ciel grand ouvert, de l’horizon infini à l’océan, des forêts aux cirques, de la savane aux bassins, l’écosystème de l’île est foisonnant.

À partir du vivant réunionnais sont extraits d’autres rhizomes de réflexions : Hasawa transmet les mémoires enfouies ; Morgan Fache réalise le portrait collectif des habitant·e·s des hauts de l’île ; Mounir Allaoui filme la sensibilité des corps et de leurs milieux ; Florans Féliks déploie la puissance poétique de la ravine ; Esther Hoareau allie le cosmos, l’océan, les pitons et les grottes pour fabriquer des paysages mentaux ; Gabrielle Manglou fait apparaître les objets invisibles d’une histoire collective; Wilhiam Zitte s’est impliqué tout sa vie dans la représentation du peuple Marron, les Kaf·rines ; Jack Beng- Thi travaille à une convergence poétique et militante des peuples et des mythologies du Sud ; Jean-Claude Jolet nous alerte des dérives identitaires ; Kid Kreol & Boogie ravivent les cosmogonies des peuples silencieux, les zamérantes et les gramounes ; Pink Floyd démaille les langues pour conter l’histoire madéckasse et transmettre la langue des nénènn ; Jean-Marc Lacaze s’infiltre dans une tradition malbaraise discrète et flamboyante : le karmon ; Sanjeeyann Paléatchy met en oeuvre les veli, les gardien·ne·s de sites empreints de mythologies intimes et affectives ; avec une approche psychogénéalogique, Stéphanie Hoareau fouille son histoire familiale ; Masami tisse les lumières, les fréquences et les vibrations de l’île ; Kako et Stéphane Kenklé plantent des pié dbwa, des brèdes et des légumes pour discuter du manque d’autonomie alimentaire ; Alice Aucuit travaille la terre et les cendres pour en faire jaillir des graines ; Tatiana Patchama collecte et assemble patiemment des fragments du vivant pour en restituer la fragilité, la poésie et l’intensité ; Stéphanie Brossard installe une relation intime entre les corps humains et les galets ; Catherine Boyer entrelace sa chevelure de lianes, graines et fleurs qui l’entourent ; Thierry Cheyrol nous invite à entrer dans la peau du vivant ; Chloé Robert fantasme une présence animale féconde et exubérante ; Jimmy Cadet renouvelle le genre de la « nature vivante » à l’intérieur de laquelle il instille une critique sociétale ; Cristof Dènmont peint des cartes truffées de chemins invisibles, de signes et de secrets ; tandis que Lolita Bourdon peint des corps-motifs libres et colorés ; Sonia Charbonneau se confronte physiquement à la topographie de l’île par la marche et la course ; Tiéri Rivière lutte vainement contre les vents puissants d’un cyclone ; Prudence Tetu déplace la technique textile du tapis mendiant pour en faire un drapeau qui rassemble les militances féministes et décoloniales internationales ; Emma Di Orio peint et brode les corps humains et non humains qui incarnent une pensée écoféministe située ; Brandon Gercara performe et milite pour une pensée re-queer ; Abel Techer fait de l’autoportrait le lieu de la fluidité des genres ; Anie Matois visibilise les oppressions et discriminations par la représentation de corps fiers et libres.

Une multitude rhizomique qui provient de l’île : la source d’un imaginaire aussi réjouissant que réparateur. Le corps de l’île, les corps de celles et ceux qui l’habitent, les corps invisibles sont omniprésents. Les artistes fabriquent, représentent, documentent un parlement de corps en manque de visibilité. Des corps politiques et magiques qui portent des engagements (féministes, queer, décoloniaux, écologiques), qui éprouvent aussi bien les éléments naturels que les oppressions sociétales. Astèr Atèrla rassemble des corps connectés à un patrimoine matériel et immatériel. Les corps fiers et puissants y sont articulés aux corps discrets et absents qui traduisent, eux, une histoire et une pensée du marronnage. Qui véhiculent aussi une amnésie collective, un trauma mémoriel que les artistes renversent et transforment en une force créatrice.

Julie Crenn, commissaire de l’exposition

« Astèr Atèrla » : Regards sur le parcours de l’exposition

Au quatrième étage :

Au quatrième plateau, les visiteur·euses sont accueillis par un imposant papier peint qui décline le visuel bistre de la communication pour l’exposition au CCCOD de Tours et pour le catalogue avec des tonalités qui passent du bleu céruléen à l’outremer. La liste des artistes accompagne une introduction en français, créole et anglais qui reprend deux paragraphes du texte de Julie Crenn reproduit ci-dessus.

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

À droite de la porte d’entrée, on découvre la première partie d’une peinture murale de Kid Kreol & Boogie (Sans titre, Anatomie spectrale, 2024) que l’on retrouvera sur toute la largeur du palier au cinquième étage.

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Kid Kreol & BoogieSans titre, Anatomie spectrale, 2024. Peinture murale – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

En face, un espace de projection propose Organ (2022), une vidéo de Esther Hoareau tournée lors de sa résidence à bord du Marion Dufresne qui sillonne les mers autour des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises). L’océan et le navire y sont traités de façon organique.

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Esther HoareauOrgan, 2022. Vidéo numérique, son, 8.39 min – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Dans une vidéo publiée par le Frac Réunion sur YouTube, l’artiste explique : « La vidéo est en deux parties, la première partie se concentre sur l’océan que j’ai ressenti comme un organe pensant capable d’absorber nos émotions, nos rêves… C’était un peu comme une psychanalyse d’une certaine façon… Il y a une chanson aussi qui est une ode à l’océan. La deuxième partie se concentre sur le bateau. J’ai essayé de filmer le bateau comme un corps autonome, avec ses organes, dont la machinerie qui émet de la musique comme un orgue ».

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/esther-hoareau/reperes
Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=JK7czMxu7cA&t=1s

Une fois la porte de la salle d’exposition franchie, un deuxième espace de projection propose une vidéo de Brandon Gercara qui se présente comme « une personne non binaire, zoréole (qui a une maman zorey [métropolitaine] et un papa créole). Artiste chercheureuse, iel vit et travaille à La Réunion où iel active une réflexion artistique militante portée envers les luttes féministes, décoloniales et LGBTQIA+ ».

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Brandon GercaraPlayback de la pensée kwir, 2022. Vidéo numérique, son, 6.50 min – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Initiateur·ice du collectif REqueer (un projet artistique et une association militante), la vidéo Playback de la pensée kwir (2022) est ainsi décrite par le cartel :
« Scénarisée, chorégraphiée et pensée à la manière d’un show drag, Le playback de la pensée kwir est une œuvre protéiforme : une performance filmée, un décor, un discours et un acte militant. Elle aborde le vécu traumatique de la communauté LGBTQIA+ réunionnaise par la création d’un univers mythologique. Dans la vidéo, Brandon Gercara incarne Bloom en arpentant en drag les reliefs du volcan du Piton de la Fournaise. lel interprète en playback le discours militant écrit à l’occasion de la première marche des visibilités à La Réunion, organisée en 2021 par l’artiste à l’initiative de Requeer ».

Site de l’artiste : https://www.brandongercara.com/Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=ycDPDq8wGSw&t=8s

Le centre des deux premières travées du plateau est largement occupé par Nouvelle conscience (2021-2023), une imposante sculpture textile de Masami autour de laquelle l’accrochage s’organise en grande partie.

MasamiNouvelle conscience, 2021-2023. Sculpture textile – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Le cartel nous apprend qu’elle « ne s’envisage pas comme une artiste, plutôt comme la passeuse d’une communication sibylline », qui « déplacer les techniques apprises [au Japon] vers une réflexion dans laquelle l’espace et la lumière sont les enjeux primordiaux ».
Ici, elle déploie une œuvre « réalisée à partir de vêtements lacérés et noués entre eux », commencée alors qu’elle était confinée à Madrid. À son retour à La Réunion, elle « amplifie le travail en associant des vêtements issus des différentes communautés présentes sur l’île ».

Site de l’artiste : https://masami.studio/
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=TbvnvmlkiJg

Avant de tourner autour de l’œuvre de Masami, les visiteur·euses rencontrent Sak i fè koul loral dann la matièr (2023-2024), première « sculpture d’oralité » de Hasawa, performeur, conteur, chaman et fonkézèr (en créole réunionnais, un état d’âme propre aux Réunionnais·es qui laisse transparaître un sentiment profond, un amour, un bonheur, une amertume, une émotion, une pensée…)

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
HasawaSak i fè koul loral dann la matièr, 2023-2024. Sculptures de bois gravé, pigments, cire, miel, textiles – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

À la Friche, Hasawa est présenté comme « le guide, le gardien, le protecteur et le passeur d’Astèr Atèrla. Avec le souhait de former une entité collective, il a réalisé in situ un rituel déployé en trois étapes : remercier le lieu d’abriter les 34 artistes invité·es et leurs œuvres, protéger ses camarades en déposant des totems et des bâtons de parole dans les espaces d’exposition, enfin accueillir par les mots et les gestes le public le soir de l’ouverture de l’exposition pour activer un cercle de protection »…

Site de l’artiste : https://www.artofhasawa.com/biographie/

Sur le mur de droite, l’accrochage commence avec Feux (1751) (2022), une photographie d’Esther Hoareau dans laquelle l’artiste a projeté des fragments de feuilles d’or à la surface d’une image de palmiers photographiés dans l’archipel des Glorieuses, situé dans l’océan Indien, entre Madagascar et les Comores. La date de 1751 correspond au départ de La Réunion du bateau Le Glorieux qui va donner son nom à l’archipel inhabité par les humaines.

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Chloé RobertAppelle-moi par ton nom, 2023. Acrylique sur papier et Esther HoareauFeux, 2022. Photographie – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Suit un grand dessin à l’acrylique de Chloé Robert, premier d’une série de quatre intitulé Appelle-moi par ton nom, (2023) qui « nous plongent dans un monde aussi préhistorique que futuriste, un monde intemporel où les êtres — visibles et invisibles, réels ou — imaginaires — s’hybrident et coexistent »…

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/chloe-robert/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=KVKRhyGbkUI

La séquence se poursuit avec Maïdo maïdo (2020), une vidéo de Sonia Charbonneau. Le cartel précise : « Toujours dans l’effort, la vidéo Maïdo Maïdo (2021) résulte d’une performance aussi artistique que sportive. Sonia Charbonneau a ainsi harnaché sa jambe d’une caméra alors qu’elle montait en courant vers le Piton Maïdo situé à un peu plus de 2 000 mètres d’altitude. Les mouvements saccadés, la vitesse et le souffle de l’artiste attestent d’un effort physique intense ».

Portrait de Sonia Charbonneau sur le site Parallèle Sud : https://parallelesud.com/kiltir-maido-maido-de-sonia-charbonneau-portrait-de-lartiste-en-runneuse/

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Catherine BoyerVolo lava akorandriaka, 2022. Mine graphite, crayons de couleurs, encre de chine et stylo sur papier Canson – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Un peu plus loin, on remarque un des grands dessins récents (2021-2022) de Catherine Boyer où elle « déploie patiemment des mondes organiques illimités où les graines rencontrent les diamants, les cheveux font corps avec les fleurs, les peaux se prolongent, la sève, les veines et les larmes s’agrègent ».

Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=irX2ywzg–Q

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Catherine BoyerVolo lava akorandriaka, 2022. Mine graphite, crayons de couleurs, encre de chine et stylo sur papier Canson et Chloé RobertMaillon ininterrompu de la grande chaine de la nature, 2017. Film d’animation, numérique, 1.08 min Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

L’accrochage se poursuit avec une animation de Chloé Robert (Maillon ininterrompu de la grande chaine de la nature, 2017).

Au fond du plateau, l’espace de projection sur la droite accueille deux vidéos de Mounir Allaoui qui s’enchaînent (The Death of William Burroughs, 2020 et There was a bad tree, 2020).

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Brandon GercaraRideau kafrine, 2022 et Mounir AllaouiThere was a bad tree, 2020. Vidéo numérique, son, 12.19 min – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

À propos du premier, Leïla Quillacq écrit : « (…) produit sur un texte de Giorno, poète et artiste, amant et muse d’Andy Warhol et de William Burroughs. Mounir Allaoui filme là – à partir d’un protocole minimal d’installation d’objets dans l’espace domestique — un micro-événement naissant du hasard et actant le récit : un livre de Balzac dans le salon du père, un chat, le chat mangeant le livre. Sorte de haïku filmique ».

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/mounir-allaoui/oeuvres
Entretien sur YouTube avec Mounir Allaoui conduit et réalisé par Vincent Rauel, le 06 juillet 2022 à à Saint-Denis, La Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=btcgLbx9pd4

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Christian Jalma dit Pink FloydLékcole pokc pock nennaine vanina, 2023. Série de 6 vidéos. Réalisation: Maeva Thurel & Christian Jalma – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Dans la salle de projection au fond à gauche, on peut découvrir Lékcole pokc pock nennaine vanina (2023), une série de 6 vidéos de Christian Jalma alias Pink Floyd.
Produites pour l’exposition, ces six vidéos thématiques donnent accès à la pensée de ce conteur et passeur d’histoires. Christian Jalma alias Pink Floyd y explique son nom, raconte son histoire, parle de sa relation à la créolité, nous entraîne dans les méandres de la mytho-sophie, analyse la constitution de la société réunionnaise à partir d’une peinture de Biard [peintre du XIXe siècle]. Il explique l’origine aussi de l’Elakawez, une langue qu’il a entièrement inventée et de l’opéra Pock Pokc, une œuvre d’art total, un opéra in progress qui occupe sa pensée depuis un temps infini.

Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=ARXz039d5QA&t=5s

Entre les deux espaces de projection, un premier rideau à franges en plastique et strass de Brandon Gercara (Rideau kafrine, 2022) attrape la lumière. On découvrira son alter ego au cinquième étage…

Sur une des deux parois extérieures de la salle de projection côté cour, l’exposition présente cinq superbes dessins au feutre de Thierry Cheyrol (Amibiae, 2022) réalisés spécifiquement pour Astèr Atèrla.

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Thierry CheyrolAmibiae, 2022. . Feutres pointe fine et couleurs – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Dans cette série, l’artiste qui vit et travaille à Marseille représente de mystérieux écosystèmes microscopiques.
À leur propos, Thierry Cheyrol explique : « J’y fais référence aux amibes, les micro-organismes faisant partie des eucaryotes, organismes unicellulaires et multicellulaires, dont nous, humains, faisons partie. Selon certaines hypothèses scientifiques, l’ancêtre commun des amibes serait également l’ancêtre commun de tous les eucaryotes et donc par extension des humains. Je m’amuse donc de cette relation hypothétique. Au sein du “Grand Tout” du vivant, du plus grand des vertébrés au plus petit des organismes microbiens, nos liens sont indéfectibles. »

La troisième travée du plateau, côté des fenêtres qui ouvrent sur les voies ferrées, est séparée en deux espaces par une cimaise. En remontant vers le palier, le premier, dont les ouvertures sont toujours occultées, s’organise autour de trois sculptures en résine de Stéphanie Hoareau (Mailane, Assia, Khaïs, 2023).

Stéphanie HoareauMailane, Assia, Khaïs, 2023. Sculptures en résine – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Le cartel nous apprend que ces trois bustes présentent des figures hybrides des membres de sa famille. L’artiste assemble les traits et les expressions de personnes issues de différentes générations pour générer trois visages d’enfants dotés d’expressions différentes. En creux, l’artiste convoque les fantômes qui habitent nos mémoires corporelles, les amnésies individuelles et collectives qui constituent l’histoire de chaque famille.

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/stephanie-hoareau/oeuvres
Entretien sur YouTube réalisé par le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=2e6Of0jQi4Y

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Sanjeeyann PaléatchySérie Véli, 2023. Tirage numérique sur papier fine art contrecollé sur aluminium – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Sur la paroi de la salle de projection, Sanjeeyann Paléatchy présente un des tirages photographiques de sa série Véli (2023). Dans les photographies issues de la série Véli (gardien·nes, protecteur·trices) initiée en 2019 à La Réunion, l’artiste photographie ses amies au sein de leur milieu, en symbiose avec le vivant. Coiffé·es ou vétu·es de végétaux prélevés in situ, iels apparaissent comme les gardien·nes de ces lieux précieux et fragiles et participent au récit d’une histoire, d’une émotion partagée, d’une relation tendre et sacrée.

Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=xQl5s_AOlzc

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Tiéri RivièreFiringa, 2009. Vidéo numérique, son 1.8 min – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Du côté des fenêtres dissimulées, un moniteur diffuse une vidéo de Tiéri Rivière Firinga (2009) qui emprunte son nom au cyclone qui a violemment touché La Réunion entre 1988 et 1989. Dans un registre absurde, l’artiste brandit une plaque ondulée de PVC en luttant contre les fortes bourrasques de vent.

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/tieri-riviere/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=S73nlRU4S2o

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Cristof DènmontSans titre (série Purgatoire), 2016-2020. Peintures acrylique sur toile – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Sur la cimaise perpendiculaire aux fenêtres, on découvre trois toiles Sans titre de Cristof Denmont issue de sa série Purgatoire (2016-2020) dont le cartel précise que « chacune d’entre elles constitue une station, l’étape d’un chemin flottant dans un espace entre-deux : entre le visible et l’invisible, entre le figuré et l’abstrait, entre la mémoire et l’oubli »…
Sur le site ddalareunion.org, l’artiste précise :
« Chacun des tableaux de cette série est pensé comme un territoire autonome, un archipel de petites structures communicantes, connectées entre elles. J’ai été à la recherche de ce point d’équilibre, de flottement entre le haut et le bas, le plan et la profondeur, l’espace et le temps. Hésitations, impasses, repentirs, et découvertes : le cheminement pictural est peu à peu devenu paysage.
Le purgatoire est cet espace intermédiaire, le lieu où se déroule le récit, un intervalle entre processus et résultat. Dans cet espace transitoire cohabitent la pensée et la matière, ce qui est visible et ce qui ne l’est plus. J’observe l’ensemble et le détail, j’essaie de comprendre ce que ces architectures intuitives disent de l’environnement dans lequel j’évolue. Comme au premier jour, il me faut suivre indices et intuitions, et procéder patiemment, étape par étape ».

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/cristof-denmont/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=QTixcB98kTU

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Jack Beng-ThiLigne Bleuehéritage, 1996. Acier peint, fibres végétales, tissu peint, terre cuite, sable, sel, cheveux – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Le deuxième espace côté fenêtre s’articule autour d’une imposante sculpture de Jack Beng-Thi, Ligne Bleuehéritage (1996).
À propos de cette œuvre, l’artiste explique : « La Ligne Bleue est le balancier qui oscille entre l’élément liquide et la tragédie humaine. Nous sommes issus d’un héritage commun, celui du socle granitique du Gondwana et de ses profondeurs abyssales ». Le cartel ajoute : « L’œuvre nous ramène à l’histoire de l’esclavage, de celles et ceux qui ont traversé les mers, qui ont péri dans les eaux et qui portent aujourd’hui cette mémoire dans leurs chairs »…

Site de l’artiste : https://www.jackbengthi.com/
Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=dMcZ70TJtE8

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Morgan Fache – Série Les hauts de l’ile, 2023. Tirages photographiques numériques et dos bleu – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Sur la cimaise qui coupe cette travée, le photographe Morgan Fache présente un très bel accrochage de sa série Les hauts de l’ile (2023) qui combine tirages numériques et dos bleu.
À propos de son projet, Morgan Fache écrit : « J’ai longtemps vécu dans les Hauts de La Réunion. La richesse de l’imaginaire autour de ce territoire m’a très vite intéressé. Véritable cœur de l’île, il constitue une source de fantasmes qui s’étend de la Lémurie de Jules Hermann à la poésie de Boris Gamaleya. Il suscite également l’intérêt de conteurs actuels comme Sergio Grondin ou Daniel Léocadie. Sa beauté, ses espèces endémiques et surtout le fait qu’il soit constitutif de l’histoire et de l’identité réunionnaise m’ont amené à apporter par l’image actuelle, une mise en perspective. »

Site de l’artiste : https://www.morganfache.net/

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Esther HoareauArc en ciel 4, 2022. Encre sur papier – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Entre les deux fenêtres, on remarque un très beau dessin à l’encre de Esther Hoareau (Arc en ciel 4, 2022), réalisé point par point. Il représente « une averse de pluie, une constellation, des molécules de gaz, l’océan, les nuages »…

Un peu plus loin, un moniteur diffuse un ensemble de vidéos de Mounir Allaoui (Boutres, 2006-2022 – Mhaza Kungumanga, 2006 – M’Pambé, 2013 – Moroni, 2003).

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Sonia CharbonneauLa Belle Créole – Saint-Rose, 2016. Vidéo numérique, 39.30 min et Mounir Allaoui (Boutres, 2006-2022 – Mhaza Kungumanga, 2006 – M’Pambé, 2013 – Moroni, 2003) – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Il précède une salle de projection où l’on peut voir La Belle Créole – Saint-Rose (2016) Sonia Charbonneau. Dans cette performance filmée, l’artiste déambule jambes nues, portant des talons hauts rose vif. Elle avance péniblement sur les gros galets du front de mer de Saint-Denis.
Le cartel précise : « Si l’œuvre traite du corps mis à l’épreuve de la féminité et du paysage, elle évoque aussi l’histoire de Dorothée Dormeuil à qui Charles Baudelaire a consacré un poème “La Belle Dorothée” (dans Le Spleen de Paris, 1869). Il y décrit une femme qui marche sous un soleil écrasant :

« À l’heure où les chiens eux-mêmes gémissent de douleur sous le soleil qui les mord, quel puissant motif fait donc aller ainsi la paresseuse Dorothée, belle et froide comme le bronze ? »

Le poème parle d’une femme noire (cafrine), affranchie, prostituée. Les termes employés par Baudelaire participent d’un imaginaire colonial envers les îles et plus spécifiquement les femmes ».

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Lolita BourdonMuddy Bodies, 2023 et High Kick, 2023 Acrylique et encre de chine sur toile – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Sur la cloison de la salle de projection, Lolita Bourdon présente un ensemble inédit de peintures en noir et blanc qui présentent des corps en mouvements (Muddy Bodies, 2023) et en mutation (High Kick, 2023)

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Jean-Claude JoletEx péi, 2009. Acier, cire, paraffine colorée – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Au centre du plateau, posée au sol, une petite sculpture de Jean-Claude Jolet (Ex péi, 2009) semble focaliser les énergies et les tensions.
Oratoire dédié à saint Expédit, l’œuvre en cire rouge a pour ambition de mettre en lumière un patrimoine fragile…

Site de l’artiste : https://www.jeanclaudejolet.com/
Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/jean-claude-jolet/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=GOdkHqwGWBw

Au quatrième étage :

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Kid Kreol & Boogie – Sans titre, Anatomie spectrale, 2024 Peinture murale – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Le palier du cinquième étage accueille la vaste fresque de Kid Kreol & Boogie, Sans titre, Anatomie spectrale (2024) réalisée pour l’exposition. Le cartel explique que cette œuvre murale réunit différentes étapes de leur réflexion plastique et qu’elle a été « pensée comme un cheminement au creux de leur imaginaire. Le dessin, qui existe dans les pages de petits carnets, à la surface de grandes feuilles de papier, ou de murs extérieurs comme intérieurs, est le vecteur d’un imaginaire situé qu’ils construisent patiemment. Il nous faut suivre les lignes claires, sobres, sinueuses et entremêlées pour en comprendre les strates. Les couches d’une mémoire ancestrale dont il ne reste presque rien de tangible. Une impression de vide immense constitue le récit de l’histoire réunionnaise. Pourtant, l’île est un corps mémoire qui regorge de récits, d’images, d’êtres invisibles, de violences, de poésie, de chants et de sons que les artistes ont appris à écouter et à traduire par le dessin ».

Dossier des artistes sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/kid-kreol-boogie/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=CrupBT4rw3w

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
HasawaSak i fè koul loral dann la matièr, 2023-2024. Sculptures de bois gravé, pigments, cire, miel, textiles – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

En entrant dans la salle, comme au quatrième étage, les visiteur·euses rencontrent une des sculptures de Hasawa, le guide, le gardien, le protecteur et le passeur d’Astèr Atèrla à La Friche…

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Prudence TetuI am, 2021-2023. Série d’écharpes textiles, brodées – Tatiana PatchamaY aura-t-il un autre jour ?, 2023. Squelettes de feuilles cousues au fil d’or sur organza – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

La travée de droite acueille côté cimaise une superbe installation de Tatiana Patchama (Y aura-t-il un autre jour ?, 2023), composée de squelettes de feuilles cousues au fil d’or sur organza dont une robe végétale pensée à la mesure de son corps…

Son dossier sera bientôt disponible sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/tatiana-patchama/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=tE3pi9h9AOg

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Prudence TetuI am, 2021-2023. Série d’écharpes textiles, brodées – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Sur la gauche, avec une évidente malice est accrochée la série d’écharpes de miss (I am, 2021-2023) sur lesquelles Prudence Tetu a brodé des insultes sexistes et racistes les transformant ainsi en étendards féministes et antiracistes.

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Prudence TetuTapi militan, 2023. Textile et broderies – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Un peu plus loin, on découvre un Tapi militan (2023) de Prudence Tetu qui assemble des slogans et logos de mouvements de luttes féministes et décoloniales des années 1960 à aujourd’hui. La pièce évoque les tapis mendiant (ou tapi mendian) un type de patchwork que l’on trouve traditionnellement à La Réunion. Le cartel précise : « Cousu à la main, il est réalisé à partir de chutes de tissus ou de vêtements usagés. Selon les codes du patchwork, la technique est dite piécée. Le modèle courant est celui du jardin de grand-mère. Assemblées de manière symétrique, les pièces, guidées par un gabarit hexagonal, sont cousues bord à bord, de manière à former des fleurs de sept pièces appelées rosaces ».

Prudence Tetu sur le site : https://fondsreuniondestalents.fr/artistes/prudence-tetu/
Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=lyknE1DOxvI&t=24s

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Jean-Marc Lacaze – Série « Karmon », 2016-2018. Tirages numériques contrecollés sur aluminium – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Face aux écharpes de miss de Prudence Tetu, Jean-Marc Lacaze présente douze tirages photographiques de sa série « Karmon » (2016-2018) avec laquelle il documente le Karmon, un carnaval malbar endémique très discret activé depuis 160 ans à Saint-Louis dans le quartier du Gol : « Le Karmon m’apparaît comme le fruit d’une tradition indienne s’étant à la fois figée et modifiée sur le sol réunionnais. Il incarne la fusion de l’hindouisme dans le catholicisme, la religion imposée pendant des siècles par la force aux esclaves et aux engagés. Il constitue un pont entre deux mondes et permet aux espaces profanes et sacrés de se rencontrer sur la scène psychosociale. »

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/jean-marc-lacaze/oeuvres/karmon
Jean-Marc Lacaze raconte l’exposition Kartyé Karmon sur la chaine YouTube de Parallèle Sud : https://www.youtube.com/watch?v=8TPI0ZaOaUI

Entre les squelettes de feuilles cousues au fil d’or de Tatiana Patchama et le Tapi militan de Prudence Tetu, on retrouve une vidéo d’Esther Hoareau, Hidden Being (2018). Tournée en Islande, elle présente deux ballons-sondes chahutés par le vent et isolés au sein d’un milieu préservé des activités humaines… Il est difficile de comprendre l’écho de cette œuvre avec celles qui l’entourent…

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Gabrielle ManglouBagatelles, 2023. Techniques mixtes – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Face à cette cimaise, se développe Bagatelles (2023), une passionnante installation de Gabrielle Manglou. Le cartel nous indique que l’artiste envisage ses installations comme des partitions dont il nous faut lire les notes pour en comprendre le sens. Sur le site du réseau documents d’artistes, Gabrielle Manglou raconte :

« Pour Bagatelles, le point de départ est un objet en bambou et tissu : deux bandes de couleur saumon avec sérigraphié sur l’une “Indépendance non” et sur l’autre “Indépendance oui”, au bout de chacune d’elles un demi-cercle rouge pour le non et un demi-cercle vert pour le oui (avec cette idée simple du feu rouge : autorisation ou interdiction de passage). Les deux couleurs dominantes choisies pour toute l’installation sont un rose saumon et un vert émeraude, sorte de déclinaison atténuée.
Pour les livres, j’ai construit des socles singuliers associés à chacun des livres réalisés en 2018, sorte d’écrins piédestaux. Ces livres sont vides. Leur titre est une ouverture à la projection : Kit de survie en milieu postcolonial ; Petit traité d’Histoire dévorée, entendue, soupçonnée de l’île de La Réunion ; Outre-mer outrée et L’esclavage vu sous un angle mou.
J’ai aussi fabriqué des livres en bois, sans titre, dont la couverture est posée comme le toit d’une maison, et dont les pages sont remplacées par des photographies en noir & blanc de légumes scotchés sur des cannes à sucre ou sur des bananiers.

Gabrielle ManglouBagatelles, 2023. Techniques mixtes – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Ces images sont issues d’un projet intitulé Polycultures spontanées (une critique de la monoculture de la canne qui n’est classée ni comme un fruit ni comme un légume et qui a pour conséquences directes et indirectes le diabète et l’alcoolisme) »… La suite est à lire ici : https://reseau-dda.org/fr/publications/focus-sur-une-oeuvre/bagatelles

Dossier de l’artiste sur ddabretagne.org : https://ddabretagne.org/fr/artistes/gabrielle-manglou/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=7J1zh5a6jew

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Stéphanie BrossardSold out, 2018. Pierres, textile, colle – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Au fond de cette travée, l’accrochage s’organise autour de Sold out (2018), une installation de Stéphanie Brossard que l’on avait découvert il y a quelques années adns « Rêvez ! #3 – Mémoires sauvées du vent » à la Collection Lambert. On retrouve également le film Horizon (2019) que l’artiste avait montré en 2022 dans « L’intraitable beauté de nos vies sauvages #2 », second volet d’un projet initié en 2020 au FRAC Réunion avec la complicité de Stéphane Ibars…

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Stéphanie BrossardSold out, 2018. Pierres, textile, colle – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Le cartel rappelle que « l’installation Sold Out (2019) est formée de silhouettes en galets : une casquette, des savates, un short, un tee-shirt et un pantalon. Les vêtements du quotidien faits de galets manifestent l’imprégnation du territoire et l’interdépendance entre les corps ». Il reproduit aussi ces propos de Stéphanie Brossard à propos de sa vidéo :
« En 2011, je filmais mon frère sur une portion de la route des Laves à Saint-Philippe à La Réunion pour le film Route des Laves. En 2019, mon frère et moi y sommes retournés ensemble pour y confronter un horizon fantasmé neuf ans auparavant, à la réalité d’un jeune homme s’apprêtant à quitter son île natale pour les grandes métropoles de l’hémisphère nord.
Dans ce court film, l’enfant a grandi, tout comme le paysage dans lequel il marche. Cette fois l’horizon n’est plus visible. On le sent au creux de la lave, entouré. Ses gestes et ses pas sont très similaires à ceux que l’on voit dans Route des Laves, comme s’il existait une mémoire du geste, une sorte de transmission par le paysage. À ces images s’ajoute une prise de son où l’on entend la pluie sur la tôle du toit d’une maison ainsi que les rires et cris d’enfants jouant sous la pluie donnant ainsi l’impression d’un temps suspendu. Espace dans lequel les questions de l’ailleurs et du moi peuvent se réinventer ».

Site de l’artiste : https://www.stephaniebrossard.com/
À voir les podcast en créole réunionnais réalisés par le Frac Réunion à propos de Sold Out (https://www.youtube.com/watch?v=wnb4qtMVbMk) et de Routes des laves et Horizon ( https://www.youtube.com/watch?v=uEH8QLEzCbc&list=PLpeZ5oQfvdQIGTa8X49hyN5ei_uoZr5a6)

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Anie MatoisRussel tasse et casquette, 2023 ; Gwen – nu aux lunettes, 2023 ; Autoportrait – la pause kaniar, 2023. Huile sur toile. – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Sur la droite de Sold Out, l’accrochage propose trois tableaux inédits d’Anie Matois (Gwen – nu aux lunettes, 2023 – Autoportrait – la pause kaniar, 2023 – Russel tasse et casquette, 2023).
Avec ces trois portraits de personnes nues, posant de manière à sublimer leurs corps gros, Anie Matois affirme sa volonté de « retourner et de renverser les jugements grossophobes générés et entretenus par une culture globalisée de la minceur et de normes oppressives. De proposer aussi d’autres modèles d’identification (beaux, dignes et fiers) qui ont, depuis trop longtemps, été mis à l’écart de l’espace de représentation »…

Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=Kuwx2ZG5IIQ&t=13s

À droite de la vidéo de Stéphanie Brossard, une superbe œuvre Sans titre (1991) de Wilhiam Zitte souffre malheureusement de méchants reflets et effets de miroir qui troublent singulièrement le regard… C’est regrettable, car l’œuvre de cet artiste majeur, pionnier de la scène artistique réunionnaise, méritait sans doute un meilleur éclairage… ou plutôt un montage avec du verre anti-reflet. Hélas, celle que l’on peut voir un peu plus loin n’est pas mieux lotie…

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Wilhiam ZitteSans titre, 1995. Techniques mixtes – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Le cartel rappelle que Wilhiam Zitte « a mené une réflexion à la fois plastique, théorique et critique portée sur la représentation du corps Cafre (personne noire). Sur des feuilles de papier journal ou bien sur de la toile de jute, il fait des pochoirs, il peint et dessine les portraits de ses amis. Les matériaux et techniques proviennent à la fois d’une attention aux objets du quotidien, mais aussi à des pratiques populaires inhérentes à l’histoire et à la culture réunionnaise ». Il précise également que les œuvres, issues de la collection du Frac Reunion sont emblématiques de sa pratique artistique : « la représentation peinte d’hommes noirs, posant de profil, à l’image des photographies biométriques de personnes esclavagisées. Dans la mouvance noire américaine, Black is beautiful (Kaf lé zoli), l’artiste prend appui sur des images humiliantes et violentes pour en faire des représentations fortes et fières. Conscient des enjeux de l’histoire et de la mémoire Noire, Zitte souhaite en finir avec un imaginaire victimaire, méprisant et déshumanisant ».

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Tiéri RivièreSac de couchage, 2021 et Attrape-pied, 2021. Crayon sur papier – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

En face, on remarque deux dessins au crayon de Tiéri Rivière (Sac de couchage, 2021 – Attrape-pied, 2021). Dans ces autoportraits hyperréalistes, il joue avec les mouvements, les torsions, les tensions, l’inconfort et l’effort dans des poses qui transforment son apparence… On retrouve un peu l’esprit de la vidéo présenté au quatrième étage, dans des attitudes qu’il qualifie ainsi : « Je me mets souvent en scène pour devenir un personnage burlesque, un homme-objet, souvent stoïque et je m’obstine à réaliser des actions pénibles qui n’ont manifestement aucun sens ».

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Alice AucuitBorn from stardust and die ashes of life, 2021. Céramique, tissus teints, table – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Au centre du plateau, un petit espace est précédé par une très belle installation d’Alice Aucuit, Born from stardust and die ashes of life (2021).
À l’occasion d’une précédente présentation de cette installation, l’artiste écrivait :
« Pour l’exposition Mutual Core, je présente une série d’œuvres en céramique issue de mes recherches sur les cendres. La pratique des émaux de cendre, qui est apparue en Chine sous la dynastie des Zhou (−1100), a permis d’imperméabiliser les poteries grâce à un mélange de feldspath et de cendres végétales vitrifiées.
Désireuse de renouer avec ce savoir-faire ancestral, j’ai mené mes propres recherches sur les cendres de végétaux que je pouvais trouver à l’île de La Réunion et que beaucoup considèrent comme des déchets : bagasse, déchets d’élagage, sarments, foins fauchés, plantes de marécages (souvent invasives), paille de riz, cosses de lentille ou de café, fleurs d’après la cuite…

Alice AucuitBorn from stardust and die ashes of life, 2021. Céramique, tissus teints, table – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Le Bureau de recherches géologiques et minières m’a permis de récolter un nombre considérable d’informations sur les sols et gisements réunionnais. Selon la composition organique des plantes, le sol où elles ont grandi, la saison, la partie récoltée, les cendres obtenues offrent des possibilités infinies pour réaliser des émaux à haute température.
Le végétal, intimement lié au minéral qui l’entoure, va chercher dans le sol ce dont il a besoin pour se développer. J’associe ces cendres à d’autres matières trouvées sur l’île afin d’obtenir des émaux endémiques. Retour aux sources de la céramique et de la nature. (…)
Ces sculptures de grès représentent les graines ou les noyaux des végétaux qui ont été brûlés pour préparer les cendres utilisées dans leur émail. La cendre est l’évolution du végétal vers le minéral. L’origine de l’émail en Orient : un mélange de pierre, cendre et argile. Introduire de la cendre dans les émaux, c’est introduire dans ma recherche la complexité de la vie ».

Site de l’artiste : https://aliceaucuit.com/
Dossier des artistes sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/alice-aucuit/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=sSlwgkXuOlU

L’installation d’Alice Aucuit trouve un écho évident avec les deux sombres natures mortes de Jimmy Cadet (Archipel, 2022 – Autel, 2022) qui l’encadrent.
Le cartel reprend un texte de Julie Crenn où la commissaire souligne que dans la manière avec laquelle Jimmy Cadet revisite le genre de la nature morte « Il s’empare des éléments de la vie intime et domestique pour dresser un portrait ambivalent de la société réunionnaise qui y est perçue de l’intérieur. (…) Il fait dialoguer des éléments élégants et bourgeois avec d’autres motifs, nous renvoyant à différentes formes d’addictions et a un mal-être sous-jacent. On peut également observer des départs d’incendie ou des explosions de matières sombres »…

Jimmy Cadet sur le site de la galerie Opus art : https://www.opusartreunion.com/artiste-peintre/jimmy-cadet/
Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=VwtyceLTneI

Dans le petit espace derrière l’installation d’Alice Aucuit, l’accrochage s’organise autour du deuxième rideau à franges plastiques et strass de Brandon Gercara (Rideau kanyar, 2022).

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Kako & Stéphane KenkleLèvtèt, 2022. Tirages numériques contrecollés sur aluminium – Brandon GercaraRideau kanyar, 2022. Rideau à franges en plastique, strass – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

De chaque côté, Kako & Stéphane Kenkle ont installé les six tirages de leur série Lèvtèt (2022) qui intriguent et interpellent.

La lecture du cartel permet d’en comprendre les enjeux de ces six doubles portraits : « C’est l’histoire de deux dalons (amis), deux artistes qui ont fait le choix de s’allier à la terre. Kako et Stéphane Kenklé décident de cultiver et de planter dans la kour Madame Henry à Montvert-les-Hauts à partir de 2019. Il a fallu déplanter la canne, travailler le sol, penser le potager, l’alliance des cultures, planter des arbres avec la merveilleuse idée de planter pour l’avenir et faire advenir un morceau de forêt primaire. La kour Madame Henry est devenue une ZAD, une zone agricole à défendre, au sein de laquelle l’art rejoint le travail de la terre, et inversement.

Kako & Stéphane KenkleLèvtèt, 2022. Tirages numériques contrecollés sur aluminium – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai


Les deux artistes se mettent en scène dans la kour Madame Henry: ils s’enterrent partiellement dans le potager pour fusionner physiquement avec leurs cultures (Lèvtèt, 2022). Dans une perspective poétique et consciente, les corps « lèvent leurs têtes », ils poussent ensemble dans une interdépendance que Kako et Stéphane Kenklé chérissent au quotidien ».

Dossier des artistes sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/kako/oeuvres/la-kour-madam-henry-tetfler
Portrait de Kako sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=eMv_tR3KR3Y&t=1s
Entretien du Frac Réunion avec Stéphane Kenklé sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=JY34JKiXaRU

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Tatiana Patchama – Série « déployer ses ailes au-delà du ciel », 2023-2023. Dessin et collage sur papier, crayons de couleurs, crayons noirs, pigment naturel, squelettes de feuilles – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Dans ce même espace, Tatiana Patchama présente trois délicats dessins de sa série « déployer ses ailes au-delà du ciel » où elle mêle collage, crayons de couleurs, crayons noirs, pigment naturel et squelettes de feuilles…

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Florans FeliksTriko’d’po’d’ravine, 2021. Laine, fils textiles, nattes, papier recyclé, bois, pierres, objets et matériaux divers – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Coté fenêtre, un espace rectangulaire accueille Triko’d’po’d’ravine (2021), une spectaculaire et captivante installation proposée par Florans Feliks qui est une œuvre collective qui réunit un groupe de femmes : lo ron fanm Kazkabar (« le rond des femmes de Kazkabar »).

Le cartel précise : « Ensemble, elles ravivent des rituels, des traditions sonores, gestuelles, chantées. Elles partagent leurs mémoires et leurs expériences de la ravine de Saint-Paul. Elles associent les matériaux et les techniques pour donner corps à une peau de la ravine faite de laine, de cheveux, de pierres, de sézi (nattes traditionnelles en fibres de vacoa) ou encore de papier recyclé. L’œuvre est un chant collectif, une ode au corps de la ravine qu’il nous faut à notre tour traverser et expérimenter »…

Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=sl2H9Q0XLIA

Sur les cimaises qui entourent cette installation, on découvre d’un côté quatre peintures brodées d’Emma Di Orio, intitulées Flower, Power, Inspiration, Transformation (2022).

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Emma Di OrioPower, 2022 ; Flowers, 2022 ; Transformation, 2022 ; Inspiration, 2022. Peinture acrylique et broderie sur toile – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Le cartel nous apprend qu’elles « résultent d’une longue résidence à Cilaos, dans les hauts de l’île. Là, l’artiste se forme à la broderie de Cilaos initiée en 1877 par Angèle Mac-Auliffe. Un savoir-faire traditionnel qui est aujourd’hui en voie de disparition. À la surface d’un textile blanc, les brodeuses de Cilaos s’inspirent du vivant pour la création de leurs motifs. Emma Di Orio brode et peint son expérience in situ, tout en rendant hommage au savoir-faire et à l’engagement des brodeuses ».

Texte de Julie Crenn commandé et produit par le Frac Reunion : https://crennjulie.com/2020/02/21/texte-emma-di-orio-bad-feminist/
Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=mDVYhx-6vKs

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Catherine BoyerDivinariane, 2021 et Magic wick, 2022. Série de 4 et de 3 dessins mine graphite, crayons de couleurs, encre de chine et stylo sur papier Canson – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Dans cet espace, l’accrochage est complété par un ensemble de sept dessins de Catherine Boyer. Issus de ses séries Divinariane (2021) et Magic wick (2022).

Portrait sur YouTube réalisé par le Frac Réunion pour l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=irX2ywzg–Q

Le parcours se termine avec un vaste espace ouvert sur la cour de la Friche et les voies ferrées. C’est sans doute le seul endroit où l’accrochage donne le sentiment de flotter et d’avoir un peu de mal à occuper le volume.

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Chloé RobertAppelle-moi par ton nom, 2023. Acrylique sur papier – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Entre les fenêtres, on retrouve trois des grands dessins de Chloé Robert appartenant à sa série Appelle-moi par ton nom (2023).

Ils sont précédés par une huile sur toile d’Abel Techer (Sans titre, 2016) qui accompagne une peinture de Stéphanie Hoareau (Bon dié, 2023).

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Stéphanie HoareauBon dié, 2023. Peinture acrylique et huile sur toile et Abel TecherSans titre, 2016. Huile sur toile – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Au sujet de Bon dié, le cartel précise : « Au départ, les peintures, dessins et sculptures de Stéphanie Hoareau visibilisent celles et ceux qui sont considéré-es en marge de la société réunionnaise. Après avoir peint des portraits de personnes vivant dans la rue, elle réalise les portraits de ses amies qu’elle transforme en dieux et déesses (Bon dié, 2023) ».

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/stephanie-hoareau/oeuvres
Stéphanie Hoareau dans les entretiens du Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=2e6Of0jQi4Y&t=4s

À propos d’Abel Techer, Julie Crenn écrit : « L’œuvre d’Abel Techer s’inscrit dans un héritage artistique lié à la scène queer qui développe depuis les années 1930 une réflexion sur le genre, le corps et les stéréotypes sexuels. (…) Abel Techer superpose son visage à celui de sa mère, interrogeant la filiation physique, la relation intime, l’histoire commune. Alors, les autoportraits agissent comme les écrans de son intimité et d’une identité mouvante. Ses traits et ses formes androgynes perturbent les critères standards d’identification ou de catégorisation. Un homme ? Une Femme ? Peu importe… »

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/abel-techer/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=vIyY7e-hLJ0

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Jean-Claude JoletJe condamne fermement, 2019. Sculpture bois lamellé collé, silicone – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Au centre de l’espace, Jean-Claude Jolet a suspendu Je condamne fermement (2019), un tampon en bois démesuré qui «  interroge l’identité créole en refusant les stéréotypes, les assignations et l’imaginaire imposé »… Le sol est constellé d’impressions qui « exprime avec radicalité ce refus : Je condamne fermement ».

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/jean-claude-jolet/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=GOdkHqwGWBw

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai
Cristof Dènmont – série des Clouds, 2022 en cours – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai

Sur la cimaise qui fait face aux fenêtres, l’accrochage débute avec une grande toile egnigmatique de Cristof Dènmont issue de la série des Clouds (2022 en cours). Le titre de la série se réfère autant aux nuages qu’aux espaces virtuels de stockage de données. L’œuvre est ainsi formée de signes, d’indices, de traces, de références écrites se rapportant à une mémoire difficile à appréhender.

Dossier de l’artiste sur ddalareunion.org : https://ddalareunion.org/fr/artistes/cristof-denmont/oeuvres
Portrait sur YouTube réalisé avec l’ADAGP, Arte et le Frac Réunion : https://www.youtube.com/watch?v=QTixcB98kTU

Malheureusement, le dessin de Wilhiam Zitte est comme le précédent à peine visible à cause des multiples reflets de la lumière naturelle sur le verre de protection…

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Wilhiam ZitteSans titre, 1995. Techniques mixtes et Brandon GercaraLip sync de la pensée, 2021. Vidéo numérique, son, 13.30 min – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Cette séquence de termine avec une installation de Brandon Gercara (Lip sync de la pensée, 2021) qui s’appuie sur un alcôve où l’on découvre une partie de la série de dessins 5XP10 (2012, en cours) de Kid Kreol & Boogie avec laquelle ils ont l’ambition de faire un inventaire et une cartographie des oratoires dédiés à saint Expédit à La Réunion. L’ensemble fait évidemment écho à la petite sculpture de Jean-Claude Jolet (Ex péi, 2009) qui occupe le centre du quatrième plateau…

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Sanjeeyann Paléatchy – Série « Véli», 2023. Tirages numériques sur papier fine art contrecollés sur aluminium – Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Avant de quitter la salle d’exposition, on retrouve deux photographies de Sanjeeyann Paléatchy issues de sa série « Véli » (2023).

« Astèr Atèrla » : Béatrice Binoche, directrice du Frac Réunion

faire société

Depuis plusieurs années le Frac Réunion s’engage – et avec lui Mario Serviable, son président – à promouvoir la scène réunionnaise au régional, au national et à l’international.

Le réseau que l’Établissement public s’est constitué comme les partenaires auxquels il s’est associé, ont permis de construire des échanges, de renouveler les rencontres, d’amener les artistes à circuler davantage, à bénéficier de résidences, d’expositions, d’échanges critiques. Ce soutien, cet accompagnement, ces partenariats, ces éditions, ont naturellement offert une plus grande visibilité à notre scène, riche et généreuse.

Mais, si dans notre bassin géographique la réalité et la puissance de cette création sont tout à fait identifiées, il est évident que l’isolement « au-delà des mers » interdit le plus souvent au niveau national la mise en lumière de cet ensemble. Notre volonté n’est pas de « ghettoïser » les artistes de l’île, en les identifiant comme « Réunionnais, donc d’ailleurs, donc exotiques ». Il s’agit de faire découvrir, comprendre, appréhender, un ensemble d’œuvres de créatrices et de créateurs qui interrogent la société postcoloniale dans laquelle ils vivent, déploient des problématiques comme la migration et le déplacement, la créolisation, construisent une réflexion avec le vivant, sondent notre compréhension de l’Autre.
Toutes et tous, jeunes diplômé·es et artistes confirmé·es, sont parties prenantes de la société française et de ses composantes, des perspectives et des intelligences qui la composent.

C’est avec cette ambition et ce parti-pris que l’Établissement public est allé sur le territoire à la rencontre de ses tutelles et de ses partenaires. Et c’est ensemble – en résonnance avec les engagements politiques et les valeurs de nos élu·es, en miroir avec la volonté du ministère de la Culture et de celui des Outre-mer, en écho avec les attentes et les besoins des artistes – que nous avons envisagé ce programme d’ampleur qui redéfinit les valeurs d’équité et de visibilité.

Proposer aux artistes de notre île que leurs oeuvres soient confrontées aux regards des publics avertis de deux lieux majeurs de la scène nationale – le cccod à Tours et la Belle de Mai à Marseille – leur donner l’opportunité de rencontrer la presse spécialisée nationale, provoquer la rencontre avec de nombreux acteurs culturels, côtoyer d’autres réflexions, autant d’enjeux que ce projet doit et va relever.

Béatrice Binoche, directrice du Frac Réunion

Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai - Photo ©jcLett
Astèr Atèrla à la Friche la Belle de Mai – Photo ©jcLett

Texte d’Alban Corbier-Labasse, directeur général de la Friche la Belle de Maià propos du projet Un champ d’îles

En 2009, La Grande Halle de la Villette présentait dans l’exposition Kreyol Factory les œuvres de quelques 60 artistes contemporain·es qui questionnaient, du point de vue de l’imaginaire collectif et des identités, ce qui est commun et spécifique aux espaces de la créolité, avec une large place donnée aux artistes ultramarin·es.

Depuis, très peu d’événements d’envergure sont venus donner de la visibilité dans l’hexagone aux nouvelles générations d’artistes ultramarin·es. Si dans le domaine du spectacle vivant, des festivals importants comme les Zébrures d’automne à Limoges (sous la direction d’Hassane Kouyaté) ou le TOMA à la Chapelle du Verbe Incarné en Avignon (dirigé par Greg Germain) ou encore le Mois Kreyol en Ile-de-France (sous la direction de Chantal Loial) viennent ponctuer la saison culturelle en France, dans le domaine des arts visuels, aucun événement important n’existe pour renforcer la présence en France hexagonale de ces scènes en plein essor. Quelques figures, telles Julien Creuzet, Gaëlle Choisne ou Kenny Dunkan, ont certes émergé ces dernières années, mais pour la plupart, la traversée est difficile, les mobilités complexes et l’insertion dans le champ professionnel français freiné par de multiples obstacles (formation, réseaux, structuration des filières dans les territoires ultramarins, etc.). Aussi, bon nombre d’artistes ultramarin·es ont réussi à émerger en se rapprochant (et en s’y reconnaissant à bien des endroits) des grands rendez-vous de la création contemporaine du sud global, notamment du continent africain (Biennale de Dakar, Rencontres photographiques de Bamako, etc.) où la dimension afrodiasporique a, au fil des années, constitué une communauté professionnelle transnationale et solidaire.

Aujourd’hui, plusieurs initiatives travaillent à accompagner le rayonnement des scènes franco- phones et ultramarines ou plus largement des régions européennes ultrapériphériques, telles que le programme de résidence ONDES de la Cité Internationale des Arts ou le programme européen (DG Regio) Archipel.eu de l’Institut français. Parallèlement, sur les territoires, la filière se structure : FRAC, école d’art, Documents d’Artistes à la Réunion, centres d’art indépendants, galeries, etc. Une nouvelle génération d’artistes a ainsi émergé et grandi, en s’affranchissant souvent de la relation bilatérale avec l’hexagone, travaillant largement dans leur aire culturelle et géographique : les caraïbes (et par extension le continent américain) et l’océan Indien (et par extension le continent africain).

Avec le Pacte pour la visibilité des Outre-mer signé par le Ministère de la Culture et celui des Outre-mer, ce « Champ d’Îles », qui fait bien sûr référence au poème d’Edouard Glissant, pourrait s’inscrire durablement dans le calendrier de la saison culturelle de l’hexagone, avec une première édition portée par la Friche la Belle de Mai en partenariat avec le FRAC REUNION, Fraeme, le centre d’art contemporain Triangle-Astérides : deux expositions collectives, un programme de performances et de résidences ainsi que des rencontres professionnelles coordonnées par le réseau Documents d’artistes devraient poser les bases d’un rendez-vous récurrent, dont nous faisons le pari que la nécessité disparaitra avec le temps.

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