L’Anarchitecture de Gianni Pettena au Crac Occitanie – Sète


Jusqu’au 1er septembre 2024, le Crac Occitanie présente une magistrale exposition consacrée à l’« anarchitecte » Gianni Pettena, un des pionniers de l’architecture radicale italienne, aux côtés des groupes Archizoom, Superstudio et UFO. Directrice du centre d’art et commissaire de l’exposition, Marie Cozette poursuit ainsi une des programmations les plus audacieuses, originales et indispensables qui nous est offerte depuis quelques années en Occitanie et assurément bien au-delà…

On attendait avec beaucoup d’intérêt et d’impatience de découvrir la manière dont Gianni Pettena aura investi les espaces de l’ancien entrepôt frigorifique… Sans aucun doute, « L’Anarchitecture » de Pettena comblera celles et ceux qui connaissent le travail de l’artiste italien et elle devrait surprendre, étonner et séduire les visiteurs·euses qui rencontreront pour la première fois ses audacieuses installations.

La proposition imaginée par Marie Cozette, avec la complicité de Pettena et le soutien de Maryline Brustolin, directrice de la galerie salle principale, est assez éloignée de celle qu’avait présenté Guillaume Désanges à Bruxelles en 2021 dans « Forgiven by nature» à La Verrière/Fondation Hermès et à l’ISELP.
À l’exception d’une salle, les projets de Gianni Pettena ne sont pas évoqués par des photographies, mais ils sont réactivés dans d’importantes installations qui occupent souvent l’intégralité d’une salle du Crac Occitanie.

Comme cela avait été le cas pour le bâtiment patrimonial du Frac Lorraine à Metz, il y a dix ans dans « Architecture ondoyante », « L’Anarchitecture » débute à l’extérieur du centre avec Forgiving architecture (Pardonner l’architecture), 2009-2024. Les formes brutalistes du Crac Occitanie deviennent mouvantes sous l’action du vent qui joue avec une multitude de rubans de chantier qui couvrent sa façade.

Gianni Pettena - Forgiving architecture (Pardonner l’architecture), 2009-2024 - Anarchitecture au Crac Occitanie - Sète
Gianni Pettena – Forgiving architecture (Pardonner l’architecture), 2009-2024 – Anarchitecture au Crac Occitanie – Sète

À lire ci-dessous la note de Marie Cozette à propos de l’exposition, une présentation du parcours et quelques repères biographiques. Ces documents sont extraits du dossier de presse.

En savoir plus :
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Gianni Pettena
sur le site de la galerie salle principale
À lire cet entretien avec Gianni Pettena disponible sur le site de isdaT
À voir sur YouTube cette interview de Gianni Pettena réalisé au Frac Centre-Val de Loire à l’occasion de l’exposition « La ville au loin » en 2016
À écouter ces trois podcasts produits l’occasion de « Forgiven by nature » à l’ISELP et à La Verrière/Fondation d’entreprise Hermès
À lire cet article d’Isabelle Regnier dans Le Monde du 10 février 2021 et le billet de blog de Guillaume Lasserre sur Mediapart du 7 février 2021 à propos de « Forgiven by nature » à la Verrière

Gianni Pettena – « Anarchitecture » : Présentation par Marie Cozette

« Anarchitecte » : c’est avec ce terme provocateur que Gianni Pettena se définit dans un texte manifeste de 1973.
Figure inclassable, Gianni Pettena fait en sorte d’échapper aux catégories et choisit de faire de l’architecture sans architecture, explorant le champ élargi de l’art et de la théorie critique. Entre arts visuels, performance, enseignement, écriture, il ne cesse d’interroger les fondements de l’architecture tout en remettant en question l’ordre établi, le fonctionnalisme, les logiques capitalistes et consuméristes qui sont à l’œuvre dans la société et plus spécifiquement dans la manière de concevoir une ville aujourd’hui.

Revendiquant une posture non-professionnelle, intuitive et parfois drôle, Gianni Pettena propose des manières de construire qui relient l’être humain à son environnement naturel, travaillant avec la terre, l’eau, le vent, ou des matériaux pauvres comme le papier ou le carton. Né à Bolzano en 1940, Gianni Pettena grandit au milieu des montagnes du nord de l’Italie, paysage marquant qu’il nommera plus tard son « école d’architecture ».

Gianni Pettena, Architecture + Nature, 2011. Dessin. Courtesy de l’artiste et Salle Principale, Paris © Studio Gianni Pettena
Gianni Pettena, Architecture + Nature, 2011. Dessin. Courtesy de l’artiste et Salle Principale, Paris © Studio Gianni Pettena

L’exposition au Crac Occitanie est une occasion exceptionnelle de découvrir des œuvres iconiques de Gianni Pettena, réactivées pour l’occasion, ou même produites pour la première fois : l’exposition s’ouvre avec Tunnel Sonoro, une des toutes premières œuvres conçue et dessinée par Pettena en 1966, mais jamais réalisée jusqu’à présent. Plusieurs installations à l’échelle du lieu sont présentées à l’intérieur et une installation extérieure vient littéralement mettre en mouvement le bâtiment.
Marie Cozette

Gianni Pettena – « Anarchitecture » : Parcours de l’exposition

L’exposition au Crac Occitanie est une occasion exceptionnelle de découvrir des œuvres iconiques de Gianni Pettena, certaines réactivées à l’échelle du lieu ou produite pour la première fois pour l’une d’entre elles. De salle en salle, le visiteur découvre plusieurs installations immersives, des vidéos et différentes sculptures qui retracent le parcours de l’artiste de 1966 à aujourd’hui. La présence du corps se dégage fortement dans le choix des œuvres, tout comme l’importance de la nature et une perspective critique sur l’architecture.

Gianni Pettena - Tunnel sonoro (Tunnel sonore), 1966 - 2024 - Anarchitecture au Crac Occitanie - Sète
Gianni Pettena – Tunnel sonoro (Tunnel sonore), 1966 – 2024 – Anarchitecture au Crac Occitanie – Sète

L’exposition s’ouvre avec Tunnel Sonoro, une des toutes premières œuvres conçue et dessinée par Pettena en 1966, mais jamais réalisée jusqu’à présent. Elle consiste en une série de cadres métalliques posés à même le sol, formant un tunnel qui se resserre petit à petit. Un costume recouvert d’écailles métalliques accompagne l’installation. Endosser ce costume, traverser le tunnel et le faire résonner en se frottant sur les bords transforme le corps en vecteur sonore. La sculpture devient un instrument géant et le corps un souffle qui agiterait les feuillages d’une forêt, ainsi que le décrit Gianni Pettena dans sa note d’intention.

Tunnel Sonoro, 1966 © Studio Gianni Pettena
Tunnel Sonoro, 1966 © Studio Gianni Pettena
Exposition "Anarchitecture" de Gianni Pettena, Crac Occitanie - Sète, 2024. Capture vidéo de la performance "Tunnel sonoro", 2024. Vidéo d’Aloïs Aurelle, performeuse Germana Civera. Production Crac Occitanie © Aloïs Aurelle.
Exposition « Anarchitecture » de Gianni Pettena, Crac Occitanie – Sète, 2024. Capture vidéo de la performance « Tunnel sonoro », 2024. Vidéo d’Aloïs Aurelle, performeuse Germana Civera. Production Crac Occitanie © Aloïs Aurelle.

Comme souvent, il y a chez cet artiste une manière de revenir à des formes simples, en lien avec le vivant. La seconde salle présente une des occurrences de la série Archipensiero : une structure en bois trône au centre d’une salle entièrement recouverte de raphia. La structure reprend la forme du temple classique gréco-romain avec ses colonnes surmontées d’un fronton triangulaire. Sa forme globale n’est visible que d’un seul point de vue et se déconstruit sitôt que l’on change de position. La participation active du corps dans sa manière d’habiter l’espace fait de l’architecture non pas une forme dessinée une fois pour toutes, mais un objet en constant mouvement.

Vue de l’exposition "Anarchitecture" de Gianni Pettena, Crac Occitanie - Sète, 2024. "Archipensiero", 2009-2024. Raphia, bois. Production Crac Occitanie. Courtesy de l’artiste et Galerie Salle Principale, Paris. Photo : Aurélien Mole.
Vue de l’exposition « Anarchitecture » de Gianni Pettena, Crac Occitanie – Sète, 2024. « Archipensiero », 2009-2024. Raphia, bois. Production Crac Occitanie. Courtesy de l’artiste et Galerie Salle Principale, Paris. Photo : Aurélien Mole.

Dans la salle suivante, différentes sculptures dialoguent avec les formes les plus élémentaires, comme l’angle ou le mur. Breathing architecture est un décollement de la surface du mur et Human wall, un mur de terre crue totalement recouvert de la trace des mains qui l’ont sculpté, fusion du corps et de l’architecture, comme si cette dernière devenait elle-même un corps vivant et respirant.

Plusieurs œuvres dans le parcours de l’exposition évoquent la trace d’un corps à la fois absent et présent comme le suggère le titre d’une œuvre Presenza / Assenza. Datée de 2020, c’est la sculpture la plus récente réalisée par l’artiste, dans le cadre d’une commande pour le site archéologique de Pompéi.

Gianni Pettena - Presenza-Assenza (Présence-Absence), 2020 - Anarchitecture au Crac Occitanie - Sète
Gianni Pettena – Presenza-Assenza (Présence-Absence), 2020 – Anarchitecture au Crac Occitanie – Sète

Un corps assis dans un angle est figuré en creux, telle une contreforme fantomatique. Réalisée en souvenir d’un ami disparu, cette sculpture peut tout aussi bien être la trace du corps de l’artiste, réceptacle de sa mémoire dans l’épaisseur de toute une vie. Comme on parle de « mémoire de forme » pour certains matériaux, cette sculpture devient à son tour l’archive d’une mémoire, le feuilletage de tout ce qui fait une vie.

Gianni Pettena, Presence Absence, 2020, performance-installation, courtesy Salle Principale, Paris, © studio Gianni Pettena
Gianni Pettena, Presence Absence, 2020, performance-installation, courtesy Salle Principale, Paris, © studio Gianni Pettena

La présence en creux des corps se retrouve dans la série Wearable chairs ou Ombra. Les chaises présentées dans l’exposition sont destinées à être portées sur le dos, et permettent à quiconque s’en « revêtit » de s’asseoir n’importe où, à tout moment.

Gianni Pettena - Wearable chairs (Chaises portables), 1971 - Anarchitecture au Crac Occitanie - Sète
Gianni Pettena – Wearable chairs (Chaises portables), 1971 – Anarchitecture au Crac Occitanie – Sète

Gianni Pettena, Wearable Chairs, 1971, performance Minneapolis – Etats-Unis, courtesy Salle Principale, Paris, © studio Gianni Pettena

De la même manière, Ombra est un long manteau noir comme celui porté par l’artiste, qui cache un dispositif d’assise pliable. Ces objets de design précaire, réalisés avec des moyens modestes, renvoient à l’importance du nomadisme pour Gianni Pettena.

Gianni Pettena - Ombra (Ombre), 1985 - Anarchitecture au Crac Occitanie - Sète
Gianni Pettena – Ombra (Ombre), 1985 – Anarchitecture au Crac Occitanie – Sète

Dans les cultures nomades, l’habitat s’inscrit de manière légère et transitoire dans le paysage, en connexion profonde avec la nature environnante. Les réalisations produites par Gianni Pettena sont souvent fugaces et destinées à disparaître, elles n’existent pour la plupart que dans le temps de l’exposition.

Gianni Pettena, Shadow Armchair, performance-installation, courtesy Salle Principale, Paris, © studio Gianni Pettena

C’est le cas de Paper, une installation constituée de milliers de bandes de papier qui emplissent tout un espace et qu’il faut découper pour se frayer un passage. Paper a été réalisée pour la première fois au College of Art and Design à Minneapolis en 1970. Alors qu’il doit donner une conférence, Pettena transforme la salle de cours en un immense pénétrable de papier ; il demande aux étudiants de découper les bandes et par ce geste les rend acteurs à part entière. Manière de déjouer le rapport d’autorité classique dans l’enseignement, Pettena produit ici un renversement des positions et fait de l’acte de transmission une œuvre collective où chacun dispose d’une puissance d’agir. Il réalise cette installation à de nombreuses reprises, dans différentes expositions, comme autant de manières de dissoudre l’architecture et de la faire disparaître tout en nous mettant au cœur de ce paysage de papier qu’il nous revient d’inventer.

Gianni Pettena, Paper (Midwestern Ocean), 1971. Performance-installation, Minneapolis college of Art and Design, Minneapolis. Courtesy Salle Principale, Paris © studio Gianni Pettena

Vue de l’exposition « Anarchitecture » de Gianni Pettena, Crac Occitanie – Sète, 2024. « Paper (Midwestern Ocean) », 1971. Papier kraft blanchi. Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine. Photo : Aurélien Mole.

La relation complexe et ambivalente que Pettena entretient avec la discipline architecturale se retrouve dans une installation extérieure qui vient littéralement mettre en mouvement le bâtiment. Comme un écho formel à Paper à l’intérieur du centre d’art, l’installation est composée de bandes blanches qui brouillent la lecture de la façade et qui l’animent sous l’effet du vent. Pour Pettena, c’est aussi une manière de rappeler qu’avant d’être un outil de spéculation ou un capital destiné à la rentabilité, l’architecture est un langage, une culture et un élément du débat culturel, débat qu’il entend laisser grand ouvert à la discussion collective. Bienvenue dans l’anarchitecture.

Vue de l’exposition "Anarchitecture" de Gianni Pettena, Crac Occitanie - Sète, 2024. "Forgiving architecture", 2009-2024. Ruban de chantier. Production Crac Occitanie. Courtesy de l’artiste et Galerie Salle Principale, Paris. Photo : Cécile Mella.
Vue de l’exposition « Anarchitecture » de Gianni Pettena, Crac Occitanie – Sète, 2024. « Forgiving architecture », 2009-2024. Ruban de chantier. Production Crac Occitanie. Courtesy de l’artiste et Galerie Salle Principale, Paris. Photo : Cécile Mella.

Gianni Pettena – Repères biographiques

Étudiant à l’École d’architecture de Florence dans les années 1960, il participe pleinement au foisonnement créatif et intellectuel de ces années-là, marquées par un courant de contestation qui veut renverser l’ordre établi. Il fréquente et développe des amitiés fécondes avec un vaste réseau de designers et architectes qu’on nommera bientôt l’architecture radicale, parmi lesquels des collectifs célèbres comme Archizoom, Superstudio, UFO…
Les radicaux souhaitent revenir à une dimension plus archaïque de l’architecture et du design, au sens étymologique du terme qui renvoie à la notion de racines (radice en italien). Retour à la nature, critique d’une croissance à tout crin et d’un consumérisme aveugle, tel est l’état d’esprit dans lequel Gianni Pettena développe sa pratique artistique.

Gianni Pettena, City architecture, 2009, installation, Galleria Enrico Fornello, Prato-Italie, courtesy de l’artiste et Salle Principale, Paris, photo © Bruno Pappalettera
Gianni Pettena, City architecture, 2009, installation, Galleria Enrico Fornello, Prato-Italie, courtesy de l’artiste et Salle Principale, Paris, photo © Bruno Pappalettera

Pourtant, il reste en marge des collectifs et revendique la singularité et l’individualité, prenant d’ailleurs souvent son corps comme capteur, outil de mesure et lieu d’énonciation. Il part en résidence à Minneapolis puis à Salt Lake City aux États-Unis en 1971 et 1972, moments marquants dans son parcours, notamment par l’immersion dans les espaces naturels nord-américains qui laissent sur lui une empreinte très forte. Il réalise des œuvres majeures à ce moment-là. Ice House (1971) est une performance architecturale qui consiste à recouvrir d’eau un bâtiment par des températures extrêmement basses faisant geler instantanément l’eau. Manière pour l’artiste de concevoir une nouvelle architecture de glace, à partir de ce qui est déjà là mais aussi de faire disparaître l’architecture en la rendant à la nature. Clay House (1972) fonctionne sur le même principe par le recouvrement intégral d’une maison avec de la terre crue. Tumbleweed catcher (1972) est une structure qui accroche au fur et à mesure les broussailles emportées par le vent, tout en constituant une architecture végétale et aléatoire.

Gianni Pettena, Ice House I, 1971, installation, Minneapolis (United States), courtesy of the artist and Salle Principale, Paris © Studio Gianni Pettena – Clay House, 1972 – Tumbleweed catcher, 1972

Gianni Pettena retourne ensuite à Florence où il débute une carrière prolifique dans l’enseignement et l’écriture. Il ne cesse de créer des ponts entre sa pratique de l’enseignement et celle d’artiste, tout en étant très actif dans le champ du commissariat d’exposition. Il joue un rôle de passeur important pour faire connaître l’architecture radicale mais également les artistes du land art, de l’arte povera, de l’art conceptuel avec lesquels il nourrit un dialogue régulier et de nombreuses affinités esthétiques.

Auteur du livre L’anarchitetto et du manifeste Io sono la spia, il a également participé à de nombreuses expositions, parmi lequelles « Radicals. Architettura e Design 1960-1975 » à la Biennale d’Architecture de Venise en 1996, « Archipelago » en 1999 et « Radical Design » en 2004.

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