Jusqu’au 5 juillet 2024, la Galerie Territoires Partagés présente « Foot, l’amour du jeu » une exposition collective qui s’imposait à Marseille pour l’arrivée de la flamme olympique et à quelques semaines des épreuves de voile et de certains matchs de football qui s’y dérouleront…
Le projet imaginé par Stéphane Guglielmet et Emma Jacolot avec la complicité des cinq artistes s’inscrit dans le cadre du programme des Olympiades Culturelles 2024 avec toutefois la volonté d’une approche politique et sociale clairement affirmée et assumée. Sport le plus populaire au monde et le plus emblématique de la ville, le foot est au cœur des propositions de Anaïs Touchot, Diane Guyot de Saint-Michel, Paul Chochois, Nicolas Daubanes et Jean-Baptiste Ganne. Tous et toutes interrogent l’univers du foot et l’amour du jeu depuis le terrain jusqu’aux pratiques spéculatives, au monde des paris sportifs, sans oublier les tribunes et les supporters.
Une exposition incontournable à voir avant l’été olympique !
Anaïs Touchot – Spéculation (2024)
À gauche de l’entrée, Anaïs Touchot interroge avec efficacité, pertinence et mordant le business dans le foot comme dans le marché de l’art. Son installation intitulée Spéculation (2024) s’organise autour d’un imposant carton de loto. Plusieurs de ses œuvres, accompagnées d’un ticket du jeu à gratter « Goal » y sont scotchés.
Sur la gauche, une affichette propose différentes hypothèses à celles et ceux qui sont prêts à investir ou à spéculer… La feuille de salle présente sous la forme d’un diagramme les réflexions d’Anaïs Touchot qui l’ont conduite à cette proposition.
Jean-Baptiste Ganne – Graffiti (Rome-Marseille), 2006-2024
En face, un graffiti photographié à Rome en 2006 par Jean-Baptiste Ganne est reproduit sur le mur. Il proclame « No al calcio moderno ».
Dans la feuille de salle, il en explique le sens :
« “Non au football moderne” est un mouvement très présent dans l’AS Roma, mais aussi dans les tribunes du Napoli, dans des tribunes françaises ou anglaises sous d’autres noms et qui consiste à contester les formes du football actuelles qui sont liées à la diffusion des matchs à la télévision et à la main mise du libéralisme sur le football. C’est l’idée que le football devrait rester populaire, qu’on va le voir au stade et non à la télévision. Dans lequel il n’y a pas les noms des joueurs sur les maillots et les sponsors monstrueux qui transforment les joueurs en espèce de vitrine de grandes marques. C’est un mouvement totalement utopique, qui ne gagnera jamais, mais qui continue à être proéminent dans les stades. Il n’y a pas une grande ville de football italien dans laquelle il n’y a pas ce mouvement. Il y a même des supporters qui refusent de regarder les matchs autrement qu’au stade ». Puis il ajoute : « Ce graffiti a été ramené dans cette exposition, autour d’œuvres qui interrogent toutes la place du football dans la société »…
Celles et ceux qui veulent en savoir plus pourront consulter par exemple le site de Dialectik Football.
Paul Chochois, Auto autographe de Zidane, installation, 2024
Un peu plus loin, Paul Chochois propose aux visiteur.euses de réaliser un poster signé de Zidane par frottage à la pierre noire sur un marbre sérigraphié… Avec Auto-autographe de Zidane, il présente une pièce participative et ludique et offre la possibilité de quitter « Foot, l’amour du jeu » avec un poster dédicacé de celui qui fut le grand absent de l’arrivée et du parcours de la flamme olympique à Marseille…
Dans la feuille de salle, Paul Chochois explique, en réponse à Stéphane Guglielmet, les enjeux de cette proposition et il en détaille le protocole :
« Le point de départ, c’est ton invitation. La photo de Zidane, c’est une image hyper connue que j’ai vue quand j’étais petit, dans les paquets de vache qui rit, c’était l’équipe qu’on retrouvait. Zidane, c’est le joueur préféré de toute ma génération, et puis ça colle bien avec Marseille. Je voulais faire une pièce participative, ludique. J’ai un attrait à la sérigraphie, qui est une technique d’impression que j’adore parce qu’on peut jouer sur plein de variantes. Depuis peu, je me prête à la gravure sur marbre en incluant la sérigraphie. Il y a pas mal d’aléatoires, mais petit à petit, j’arrive à quelque chose d’assez précis. Jusqu’à pouvoir permettre un travail de frottage et d’impression. Cette plaque allie plusieurs techniques d’impression, la sérigraphie, le frottage. Le frottage est une technique très simple, facile à mettre en place, qui rappelle l’enfance, quand on frottait les pièces, les feuilles d’arbres. L’idée, c’est de venir imprimer un poster dédicacé de Zidane. La pièce s’appelle “Auto-autographe de Zidane”, parce que c’est une image qu’on imprime soit même. La dimension de la feuille reprend celle des posters que l’on avait pliés en quatre dans les magazines. L’idée, c’est de venir s’imprimer un poster à la galerie.
L’image vient d’un vrai poster sur laquelle j’ai apposé la signature de Zidane. Cette image est tramée, c’est-à-dire composée de plein de petits points et transférée sur un écran de sérigraphie. J’imprime cette image sur la plaque de marbre avec une résine qui résiste à l’acide. Ensuite, je soumets le marbre à de l’acide chlorhydrique avec un pulvérisateur et partout où le marbre est au contact de l’acide, il se ronge, se creuse et on obtient un relief. J’enlève la résine et on se retrouve avec l’image gravée de manière assez précise, mais on ne la voit pas. On la devine par des jeux de reflets, mais on ne la voit pas. C’est le frottage qui la fait apparaître, un peu comme par magie. J’ai choisi de mettre la plaque sur une table parce que cette pièce, elle se veut pratique. On est à hauteur, on est bien, c’est une invitation ».
Nicolas Daubanes, Jour de gloire, installation, 2024
En face, Nicolas Daubanes présente une reproduction de la coupe de la Ligue des champions, réalisée à l’échelle 1 : 1 avec du bois des portes de l’ancienne prison des Baumettes. Elle trône devant ce qui pourrait être le filet d’un but…
On se souvient naturellement de l’installation La grâce présidentielle qu’il avait présentée à la galerie Territoires Partagés pour le Printemps de l’Art Contemporain 2022. L’étroit couloir qui utilisait les portes de cellules, récupérées dans une ressourcerie montpelliéraine, produisait alors un effet saisissant et oppressant…
En écho à des archives d’une prison du Lot-et-Garonne consultées par Nicolas Daubanes, ces portes des Baumettes sont devenues une réplique du trophée le plus prestigieux de l’OM…
Quant au filet, on découvrira son origine dans ce texte de l’artiste :
« En 2020-2021 je suis en résidence dans le Lot-et-Garonne et je m’intéresse à la prison d’Eysses à Villeneuve-sur-Lot et je vois dans les archives que les détenus organisaient des sortes de Jeux olympiques. Nous sommes dans la période de la Seconde Guerre mondiale et il y a beaucoup de résistants enfermés. Après une mutinerie, il y avait pas mal de portes de cellules cassées et les détenus avaient fabriqué une coupe en bois pour le vainqueur des olympiades, organisées et tolérées par l’administration pénitentiaire. Les personnes détenues étaient particulièrement fières d’avoir fabriqué dans l’atelier de menuiserie de la prison un trophée en bois. J’avais vu des croquis d’époque et j’ai toujours gardé cette histoire en tête. Plus tard, on se retrouve en 2022 et c’est le moment où je récupère des portes de la prison des Beaumettes et on a la possibilité de les présenter à Territoires Partagés sous la forme d’un couloir dans une installation qui s’appelle “La grâce présiden-tielle”. Cette donation de portes vient de la ressourcerie de Montpellier qui m’appelle en me disant qu’ils ont capté 80 portes de cellules de la prison des Beaumettes et qu’ils aimeraient bien qu’elles deviennent une œuvre d’art avec moi. Assez rapidement dans ma tête vient l’idée de la copie de la coupe de la ligue des champions à échelle 1 : 1, par rapport à l’histoire de la prison d’Eysses et parce que l’un des graffitis que tu retrouves le plus souvent dans la prison des Beaumettes, c’est la question de l’Olympique de Marseille, l’étoile, la victoire. J’ai déjà été dans la prison des Beaumettes au moment d’un match de l’OM et c’est un silence de cathédrale. L’évidence faisait que si ces portes devaient devenir un objet en bois, ça ne pouvait être que ce trophée.
Le filet derrière la coupe, qui est un filet anti-suicide présent dans les prisons, date d’un peu plus longtemps, lorsque j’apprends que la prison de Béziers va être rénovée pour devenir un hôtel. J’ai eu la chance de visiter cette prison dans un état d’abandon très avancé et j’avais voulu récupérer le filet pour en faire une installation dans une grande chapelle à Sète mais ça n’avait jamais pu se faire. Finalement, quelques années plus tard, il y a un des mecs qui bossait que le chantier qui m’appelle et qui sait que je suis intéressé par cet objet. Il me dit qu’il les a récupérés en pensant s’en servir, mais qu’il pense maintenant les jeter. Il me demande si je suis toujours intéressé. Ni une ni deux, je prends ma bagnole, je les récupère et je les ramène chez moi. Je les avais stockés en attendant de savoir ce que j’allais en faire et c’est la proposition de l’exposition autour du foot et la présence de la coupe qui m’a fait repenser aux filets comme filet de la cage de foot. Et surtout ce qui est intéressant, c’est que ça marche tout de suite. Quand on apprend l’histoire de ce filet, ça rajoute une pesanteur beaucoup plus forte. Ce filet qui est derrière, ne retenait pas les ballons, mais était là pour retenir les corps. On a une sorte de parallèle entre le sport et le monde carcéral qui est du second ou du troisième degré. »
Diane Guyot de Saint Michel – À mort l’arbitre ! et Le libre arbite, bannières tissus, 2024
Au fond de la galerie, tel un Tifo dans la tribune d’un stade, Diane Guyot de Saint Michel a déployé deux bannières. La première rappellera à certain·e·s le film de Jean-Pierre Mocky. La seconde vient lui répondre et interroge « le fait de décider qui est ce qu’on met à mort, de décider de la couleur de la bannière, de qui je suis, de qu’est-ce que je fais, de pourquoi on décide d’être dans un camp plutôt qu’un autre ».
A propos de cette installation, Diane Guyot de Saint Michel raconte :
« Je travaille depuis longtemps les bannières en textile, mais en général elles fonctionnent de façon solitaire. Pour cette exposition, dans l’histoire du jeu, de l’aller-retour, j’avais envie d’en faire deux et que ce soit une question/réponse, une sorte de dialogue, un peu comme une séquence. Pour moi, c’est un ensemble de deux bannières.
Un des médiums de communication des supporters, c’est quand même la bannière donc j’avais envie de reprendre cette manière de s’exprimer, cette façon de dire quelque chose par écrit, mais à haute voix. Il y a un film que j’adore qui s’appelle “À mort l’arbitre” de Jean-Pierre Mocky et j’ai repris le titre directement. C’est une citation de ce film. Il parle du pourquoi et comment on suit toujours le plus con dans une foule. Et quand on crie “À mort ! À mort !” ces cris sont parfois suivis de réelles mises à mort. J’ai hésité un moment avec “Aux Chiottes l’arbitre !”, mais je suis revenue à “À mort l’arbitre !”.
Il y a l’idée de mettre tout un tas d’ingrédients liés à la thématique du foot, mais aussi de s’en échapper avec la bannière “Le libre arbitre”. Chacun se fait son vélo, mais on peut tout de suite comprendre de quoi il s’agit, que ce soit la question du libre-arbitre dans le fait de décider qui est ce qu’on met à mort, de décider de la couleur de la bannière, de qui je suis, de qu’est-ce que je fais, de pourquoi on décide d’être dans un camp plutôt qu’un autre.
Pour les couleurs, il y a le fluo d’un côté et le noir et jaune l’autre. Ce sont les couleurs de l’équipe dans le film de Jean-Pierre Mocky dont les supporters pètent les plombs et qui n’est jamais nommée. Ils disent tout le temps “les noirs et jaune”. Cette histoire de couleur reprend le principe du drapeau en faisant toujours référence au film. Le film vient d’un livre qui s’appelle The Death Penalty, avec un jeu de mots en anglais (le penalty de la mort ou la peine de mort).
Il y a aussi un choix qui s’est fait dans la forme de la galerie qui est tout en longueur. J’avais envie que quelque chose soit dit dans le fond de la galerie, mais pas de manière péremptoire. En utilisant le slogan sans être un slogan. D’essayer d’être fin et grossier à la fois. On se trouve vraiment dans la famille des médiums populaires. »
Jean-Baptiste Ganne – 4’33 (Amor), vidéo, 2007
Le parcours de « Foot, l’amour du jeu » se termine dans la petite salle de projection aménagée au sous-sol. Jean-Baptiste Ganne y montre un étonnant et captivant film de 4 minutes 33 secondes où l’on assiste à ce qui se passe dans la tribune, la Curva Sud, une des plus à gauche dans le football italien après le but marqué par l’AS Roma contre l’AC Milan. Sauf que Jean-Baptiste Ganne a décidé de le passer à l’envers. Il en explique ainsi l’idée : « Au lieu d’avoir une explosion de la tribune qui ensuite retombe, on a une ascension, ça augmente, augmente, augmente, jusqu’au moment du but. C’est assez effrayant. Cette beauté du football populaire et des supporters devient un truc qui prend aux tripes et qui fait un peu peur. C’est une chose que je ne sais pas trop analyser, mais que j’ai sentie, la puissance de la foule et son caractère terrible. C’est quelque chose qu’on retrouve dans la catégorie kantienne du sublime. Le sublime, c’est quelque chose qui vous attrape et qui vous fait peur. C’est un peu le sentiment que je voudrais faire sentir dans cette vidéo »… Il ajoute : « Pour le titre “Amor”, c’est la Roma à l’envers. C’est un jeu de mots qu’on fait beaucoup à Rome, en particulier les supporters de l’AS Roma ». La durée du rush fait écho à la pièce de John Cage « silence de 4’33 »…