Jusqu’au 21 septembre 2024, « Bandiagara » présente, pour le vingtième anniversaire de la Fondation Blachère, une remarquable sélection d’œuvres produites par vingt artistes majeurs de l’art contemporain en Afrique de l’Ouest.
Face aux falaises de Bandiagara en Pays Dogon au Mali, Jean-Paul Blachère décide en 2001 de matérialiser son engagement envers des artistes du continent africain et de soutenir et diffuser leur travail . Les années 2002-2003 voient la création d’une fondation d’entreprise et en 2004 commencent les premiers ateliers de résidence à Accra au Ghana et à Joucas dans le Luberon. En 2005, les premières expositions sont présentées au centre d’art à Apt. Depuis l’an dernier, celui-ci s’est installé dans l’ancienne gare de Bonnieux avec « Chimères », une exposition inaugurale qui a marqué les esprits.
Après « Les éclaireurs », la rétrospective consacrée à la collection Blachère en 2017 au Palais Des Papes, la collection est de nouveau mise en lumière avec « Bandiagara ». Un accrochage très réussi permet de (re)découvir un ensemble d’œuvres qui ont marqué le passage d’un art traditionnel vers la recherche d’une modernité. Leurs créateurs sont souvent devenus des figures majeures de la scène artistique contemporaine à l’exemple d’Andries Botha, Frédéric Bruly Bouabre, Amahiguéré Dolo, Ousmane Sow, Moustapha Dimé, Abdoulaye Konaté…
Après un bel ensemble d’œuvres de Ousmane Sow qui accueille les visiteur·euses, « Bandiagara » commence avec une émouvante sculpture en bois de Amahiguéré Dolo (Manningué, s.d.).
La première salle plongée dans une demi-pénombre reprend des choix scénographiques que l’on a souvent pu voir à Apt. En utilisant uniquement des projecteurs cadreurs, l’éclairage crée une ambiance théâtrale qui fait particulièrement ressortir les œuvres exposées.
Sur la droite, l’imposante tapisserie d’Abdoulaye Konate (La zone des grands lacs, 2005) et ses 14 mètres de long occupe toute la profondeur du centre d’art.
Le jeune éléphant blessé, allongé au sol à côté d’une tête d’homme d’Andries Botha (The Fallen Elephant, 2008) est accompagné par une imposante figure verticale de Jems Robert Kokobi (Hommage à Zahouly, 2013). Autour, on remarque un ensemble de peintures inspirées par l’écriture et la mythologie Dogon de Sokey Edorh. Leur accrochage s’organise à partir d’un grand panneau de neuf éléments ( Les naufragés de l’espoir, 2008).
Au centre de l’espace, les sculptures sur bois de caïlcédrat et d’ébène d’Amahiguéré Dolo (Verticalités I à X, 2005) enveloppent et semblent défendre une singulière et captivante sélection de céramiques et de dessins sur papier ciment.
Amahiguéré Dolo – Verticalités I à X, 2005 et Dessins et céramiques – Bandiagara à la Fondation Blachère
Trois sculptures de Moustapha Dimé dont une Danse Contemporaine faite de bois flottés de Gorée et de fils de fer occupent le fond de l’espace sur la droite.
À gauche, les quatre Gisantes de Diagne Chanel évoquent le viol de deux enfants au Rwanda en 2004. On se souvient avec émotion des bronze de cette série « Une saison au Sud Soudan » dans la cour du musée du Petit Palais à Avignon en 2017. Elles sont accompagnées par un ensemble de têtes en argile dont le titre (Fruits étranges, 2005) renvoie lui aussi à de sinistres événements…
Présentation moins théâtrale dans la seconde salle au rez-de-chaussée.
Autour de trois masques en bronze de Siriki Ky et de ceux de Kossi Assou en bois, métal repoussé, clous et résine, on découvre les peintures du béninois Tchif et du sénégalais Douts Ndoye…
Mais c’est sans aucun doute la série de tablettes de Hassan Slaoui qui retiennent ici l’attention.
Hassan Slaoui – Recueil I & II, 2002 et Galerie de portraits, 2000 – Bandiagara à la Fondation Blachère
Sur la droite, les cinq sculptures en bois de Jems Robert Kokobi sont nées d’une confrontation avec des masques Gouro prêtés par le Musée Tervuren à l’occasion de l’exposition Masques (2007) à la Fondation Blachère. On en avait vu quelques-unes à Avignon en 2017. Elles conduisent le regard vers des peintures de Souleymane Keita et les dessins d’Amadou Camara Gueye…
Sous l’escalier, les « Nomades » (2001) de Nicolas Dalongeville aka Niko semblent ici aussi perdus que devant la vaste cheminée du Grand Tinel au Palais des Papes en 2017…
À l’étage, la vaste salle qui ouvre sur les extérieurs accueille une superbe présentation d’œuvres de Freddy Tsimba qui prend presque l’allure d’une exposition personnelle.
Une quinzaine de sculptures en bronze de 2005 font face aux visiteur·euses dès leur arrivée sur le palier. Au milieu de huit peintures de grand format où les techniques utilisées ressuscitent les fantômes de la guerre, certaines de ces figures aux corps torturés semblent se tordre de douleur ou de désespoir. D’autres, droites et fières, paraissent à l’inverse prêtes à affronter le destin…
En face, trois Silhouettes effacées de 2006, assemblages de munitions et de douilles, témoignent des conflits qui ensanglantent le Congo…
La puissance de l’ensemble fait oublier les contrejours parfois déplaisants de la lumière naturelle.
Sur la droite du palier, les dessins de trois séries de Fréderic Bruly Brouabré sont malheureusement en partie rendus invisibles par les multiples reflets et effets de miroir… On ne peut que le regretter.
L’exposition est accompagnée par un document d’aide à la visite où chaque artiste bénéficie d’une brève présentation qui résume le texte du catalogue. Une version audio peut être téléchargée à partir de QR code qui au niveau des cartels.
Le catalogue publié par la Fondation Blachère reproduit l’ensemble des œuvres exposées. Il est introduit par Claude Agnel, administrateur de la fondation et par une contribution de Yacouba Konaté, professeur à l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody.
Une seconde publication revient sur les vingt ans d’action de la Fondation Blachère.
Le commissariat est assuré par Christine Allain-Launay Blachère, directrice de la Fondation.
La scénographie est signée par François Viol et la création lumière par Eric Gomez et Franck Ropion.
« Bandiagara » mérite sans aucun doute un passage par la Gare de Bonnieux !
Ci-dessous, quelques regards photographiques sur le parcours de l’exposition accompagnés par la présentation des artistes.
En savoir plus :
Sur le site de la Fondation Blachère
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« Bandiagara – Au commencement de la collection » : Regards sur l’exposition
Ce titre ne cache rien qui ne soit déjà dit. Il s’agit bien d’un espace, d’un lieu, voué à la mémoire et l’émerveillement, à la découverte d’une histoire qui suggère aux spectateurs une exploration sensible du contexte dans lequel nous l’invitons à s’immerger. Un voyage immobile en compagnie de 20 artistes, d’un collectionneur et sa collection.
Cette collection s’est construite au gré des rencontres d’artistes sur leurs lieux de travail et de vie. Le premier voyage en pays Dogon sur les falaises de Bandiagara a été pour Jean Paul Blachère une révélation initiatique. J’espère que le visiteur ressentira d’abord une grande émotion et s’interrogera sur le message de ces artistes, qui offrent leur vision du monde. Et qu’enfin, laissant libre cours à son imagination, ce visiteur sera transporté sur le continent africains.
Ousmane Sow (Sénégal)
Sculpteur sénégalais de renom, Ousmane Sow, a laissé une empreinte indélébile dans le monde de l’art contemporain. Kinésithérapeute avant de se tourner pleinement vers l’art dans les années 80, sa formation en physiothérapie a profondément influencé son approche artistique, donnant vie à des sculptures dynamiques et expressives. Ses œuvres sont principalement composées du « produit », une formulation de matériaux peu conventionnels qui confère à ses sculptures une texture et un réalisme saisissants. La série Les Noubas, est particulièrement emblématique de son style. L’exagération est gage d’expression et d’intériorité, invitant à une exploration plus profonde de l’identité. Sow a consacré plusieurs séries à des groupes ethniques africains tels que les Masaïs et les Peuls, capturant leur essence culturelle unique tout en soulignant leur humanité.
Sokey Edorh (Togo)
Après avoir étudié la philosophie à l’Université de Lomé, il poursuit ses études en France à l’Académie des Beaux-Arts de Bordeaux dont il sort diplômé en 1989.
Lors d’un voyage à Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire, l’idée lui vient d’utiliser l’argile qui servait autrefois à peindre les symboles des grottes comme médium. Sa quête d’inspiration et sa curiosité l’ont amené jusque dans les villages pour récolter des contes et des adages qu’il nous retransmet avec ses œuvres. Au Mali, Edorh trouve un intérêt pour l’écriture et la mythologie Dogon. Puisant dans les signes divinatoires, il invente une écriture universelle faite d’idéogrammes, qu’il inscrit dans la latérite de ses toiles. Narrant les scènes du quotidien vécues par des hommes et des femmes, les commentaires poignants sur les réalités sociales et politiques de l’Afrique contemporaine ne sont jamais loin du pinceau de cet artiste engagé.
Andries Botha (Afrique du Sud)
Très engagé pour la protection animale, The Fallen Elephant de Botha, représente dans des proportions réalistes, un jeune éléphant fait d’un assemblage de plaques de bois de tonneaux boulonnées à un squelette métallique. Blessé, allongé au sol à côté d’une tête d’homme, disproportionnée, vide et tranchée, l’installation nous rappelle, dans un murmure échangé, la fragilité de la relation entre la nature et l’être humain qui dans sa destruction de l’environnement se détruit lui-même. Ses œuvres au style tourmenté expriment puissance et vulnérabilité.
Abdoulaye Konaté (Mali)
Ayant débuté en tant que peintre, Konaté suit un cursus académique aux Beaux-Arts de Bamako. Son œuvre évolue dans les années 90 : il s’essaye aux installations, occupe de plus grands espaces et se réapproprie le textile avec le coton d’abord puis le Bazin, support identitaire de sa création. Son approche contemporaine est métissée, associant modernisme occidental et symbolique traditionnelle malienne. Pour sa vaste tapisserie de 14 mètres de long, La Zone des grands lacs, Konaté aborde les fléaux de ce monde où beauté et tragédie se lisent et s’enlisent dans les formes, motifs et couleurs des textiles. Konaté use de douilles cousues sur du coton et des vêtements, en dérisoires allégories de drapeaux pour recréer un territoire marqué par les tragédies. L’une de ses premières grandes installations représente ainsi les terres desséchées d’une région qui a connu des rébellions de Touaregs.
« Le lac Figuibine, près duquel j’ai grandi, était l’un des plus grands du pays, dans les années 1970, les sécheresses successives ont fait des victimes humaines et animales, parmi le bétail… Et le lac n’existe plus. Et maintenant, on dirait que le djihadisme qui envahit le monde s’est donné rendez-vous dans le Sahel. » Abdoulaye Konaté
Amahiguéré Dolo (Mali)
Fils d’agriculteurs, Amahiguéré Dolo sculpte dès son plus jeune âge le bois dans le secret, transgressant un interdit qui réserve cette pratique aux forgerons. En 1976 de cette conviction pour l’art, il suit des études à I’Institut National des Arts de Bamako. Ce n’est pourtant qu’à l’âge de 33 ans qu’il se consacre entièrement à la sculpture, suite aux nombreux échanges avec le peintre Miquel Barcelo qui l’encourage sur cette voie. Si ses sculptures sur bois de caïlcédrat et d’ébène constituent le centre de son art, la cosmogonie Dogon en est le cœur. Refusant de détruire la vie que contient l’arbre, Dolo ne travaille que le bois mort. Empreinte de spiritualité, la série des « Verticalités », déjà présentée lors de l’exposition « Chambre maliennes » en 2006 à la Fondation, semble d’apparence naturelle, mais a pourtant été sculptée. De ces formes brutes, l’artiste perçoit les manifestions spirituelles incarnées, fixe dans le bois l’âme de l’ancêtre dont il est le témoin et relie ainsi monde invisible et visible. La verticalité, symbole de la jonction entre le ciel et la terre, entre le monde d’en-haut et les choses d’ici-bas, est un canal limpide par lequel le plan divin s’écoule.
Ce n’est qu’à l’âge de 50 ans que Dolo s’autorise la peinture. Dans ses premiers essais, l’artiste, reprend les figures de ses premières sculptures et manifeste son intérêt pour l’esthétique des peintures rupestres optant pour les pigments naturels des ocres de Ségou et la variété des supports que lui offre la récupération de sacs de farine et de ciment frais qui, une fois durcis, prennent la forme de parois rocheuses où s’inscrivent les lignes sinueuses des esprits.
« Dolo mon ami tu as été pour moi un initiateur de l’art contemporain avec tes sculptures chimériques qui nous parlaient de ton pays, de ses croyances, de ses origines, et qui posaient tant de questions sur l’humanité, tu m’as ouvert le cœur et l’esprit sur ton monde et ses mythes du pays Dogon. » Jean-Paul Blachère
Moustapha Dimé (Sénégal)
Chef de file de l’art contemporain sénégalais, son année passée au Mali pour étudier l’art Dogon traditionnel influencera durablement sa production, lui faisant adopter un style radical. Cherchant l’équilibre entre le travail fait par la nature et celui de son propre geste, à partir de formes sombres et dépouillées Moustapha Dimé nous propose une Danse Contemporaine faite de bois flottés de Gorée et de fils de fer délicatement imbriqués. Il convoque peu à peu ces objets morts à une mystérieuse évocation du vivant. Il sculpte, assemble, transforme des objets oubliés, repris à l’humain par la nature, déformés par elle.
Diagne Chanel (France)
L’œuvre les Gisantes fait partie du cycle « Une Saison Au Sud-Soudan » et traite du génocide et de l’esclavage des populations noires africaines du Soudan. Affectée par un article de 2004 qui décrivait le viol de deux enfants au Rwanda, Diagne Chanel réalise quatre peintures et quatre sculptures représentant des petites filles violées, maculées de leur sang. Représentation d’une douleur universelle, ces poupées privées de vie sont couchées sur le dos, fixant le ciel d’un regard vide. Les couleurs naturelles et tendres de Chanel, ocres et bleues, chantent en contre point une chanson douce dont on ne sait si elle sublime l’horreur ou la souligne. Leurs robes de petites-filles modèles, richement ornées d’écharpes colorées, comme celles que portent les maires sur les photos officielles, renvoient au monde imaginaire de Chanel, captivée par le contraste des beaux uniformes chamarrés avec les « sales réalités de la guerre. »
Siriki Ky (Burkina Faso)
Appartenant à la première génération d’artistes plasticiens burkinabés ayant reçu une formation académique, Siriki Ky et ses œuvres interpellent le monde, explorant l’ambiguïté des thèmes tels que le réel et l’irréel, le sacré et le profane. L’artiste prend appui sur les bases fondatrices de la culture de son ethnie Samo, où le masque marque le temps et se fait le support privilégié de la matérialisation de l’histoire orale des peuples. Soucieux de perpétuer les techniques ancestrales, il réalise ses œuvres à l’extérieur, cuit les moules au feu de bois et effectue la fonte du bronze dans une forge traditionnelle. D’une volonté purement artistique et esthétique, Siriki Ky s’empare de l’héritage de sa culture et des formes qui en découlent.
« Je réalise des masques profanes qui relatent le seul fait que je suis sculpteur au Burkina Faso en 2007, un créateur du XXIème siècle. » Siriki Ky
Jems Robert Kokobi (Côte d’Ivoire)
Sculpteur et performeur, Jems Kokobi étudie l’art moderne à l’Institut National Supérieur des Arts d’Abidjan, puis part en 1997 étudier à la Kunstakademie de Düsseldorf. Présentant des affinités évidentes avec la statuaire africaine, sa série de masques nait d’une confrontation avec des masques Gouro prêtés par le Musée Tervuren à l’occasion de l’exposition Masques (2007) à la Fondation Blachère. Lune renvoie au masque femelle Zamblé au visage féminin de forme lunaire et de couleur noir foncé là où Hommage à Zahouli désigne l’ensemble des masques des communautés Gouro et s’inspire de l’effigie d’une femme nommée Klanin au visage rayonnant de beauté. Kokobi s’éloigne le moins possible des formes traditionnelles en optant pour des formes allégoriques « Il y a une forme de respect accentuée par la nostalgie, enfant, j’ai vécu avec lui. J’étais fasciné par cette soumission respectueuse et aujourd’hui encore le souvenir reste ardent…. Je me refuse de le moderniser car il ne peut y avoir de masques africains modernes… Je suis heureux de créer mon masque et c’est sans regret s’il n’a pas de pouvoirs magiques. »
Figure majeure de l’art contemporain en Côte d’Ivoire, son travail, sculpté à la tronçonneuse ou par le feu comme Paradis Obscur, lui a valu d’être sélectionné pour différents événements internationaux majeurs.
« Lorsqu’on brule une sculpture, une autre vie sort, se régénère, le feu donne la vie. » Jems Robert Kokobi
Hassan Slaoui (Maroc)
Reconnu comme un des pionniers des arts plastiques au Maroc, céramiste et ébéniste de formation, Slaoui révoque le format de la toile classique et opte pour le bois, un matériau qui rappelle l’usure de la matière et permet de redonner vie à des objets, simulacres d’une antiquité paradoxalement contemporaine. Cette série de tablettes en bois, reliquats de recueils anciens, a été volontairement vieillie. Ils évoquent un morceau du passé. Cette altération volontaire fait partie intégrante de la démarche et de l’œuvre. L’artiste interroge l’effacement des racines oubliées et les réhabilite à travers un objet actuel et contemporain, pourtant conçu avec des techniques et savoir-faire traditionnels.
Nicolas Dalongeville dit Niko (France)
Invité en résidence en 2003 à la Fondation Blachère, Niko se plait à intégrer ses œuvres dans l’environnement urbain et dans des lieux sélectionnés pour leurs caractéristiques architecturales. Sculpteur autodidacte, il crée ses sculptures avec des traverses de chemins de fer qu’il récupère sur des voies désaffectées, donnant naissance à des figures hiératiques minimalistes, s’affichant dans leur plus simple expression. Niko n’hésite pas à réinvestir des figures et des univers mythologiques du Bénin, pays dont il est originaire des groupes de nomades, anges, veilleurs, gardiens, peuplent son atelier et ses expositions. Ses installations parfois imposantes forcent le spectateur à interagir avec ses œuvres.
Franck Lundangi (Angola)
Peintre, poète et philosophe, il explore de manière récurrente un intérêt pour l’aquarelle, une matière translucide et pure, formant les motifs d’un paradis perdu que l’artiste fait réapparaitre. De ce petit monde du sensible émergent, feuilles, antilopes, oiseaux, femmes et hommes identifiés ou imaginaires, apportant une dimension poétique et méditative à l’imaginaire de l’artiste. Ces êtres hybrides, zoomorphes semblent nous questionner sur notre présence dans ce monde autant que sur la conscience que l’on porte aux éléments qui nous entourent. Car la démarche de Franck Lundangi est définitivement spirituelle et se définit comme la recherche d’une harmonie et d’une union entre l’esprit, l’homme et la nature.
Kossi Assou (Togo)
Sa série intitulée Masques est une confrontation entre des masques traditionnels et sacrés prêtés à la Fondation par le prestigieux Musée de Tervuren en 2007, lors de l’exposition éponyme. Réalisés avec des matériaux traditionnels, Kossi Assou se confronte à leur héritage et questionne le poids de la tradition dans sa pratique artistique et sa relation aux masques. Avec ses totems ou pans de portes, dont les gravures pourraient évoquer celles de Ghiberti, Assou entend révéler des pans entiers de notre passé et de notre culture qui reposent dans l’immense nécropole du silence, marque des civilisations orales.
Tchif (Bénin)
Ses toiles majoritairement abstraites sont réalisées avec de la latérite et des pigments naturels, associés à l’acrylique et l’huile. Les tonalités ocre, brique, jaune sont des éléments récurrents dans la composition de ses toiles. Ses tableaux remémorent la cartographie de paysages anciens. Inventeur d’une grammaire picturale singulière se voulant universelle, Tchif mêle mythologie personnelle et symbolique universelle : « La croix représente la souffrance ; le cercle la continuité de l’homme, les zigzags les bonheurs et les difficultés de la vie, le lézard un talisman, un objet à vertus magiques qui guérit les maux de l’humanité. »
Mohamadou Ndoye dit Douts Ndoye (Sénégal)
Peintre et dessinateur d’animation, Douts a un univers riche inspiré par les quartiers populaires du Sénégal. Il poursuit une recherche picturale sur le thème de la ville en mouvement et l’urbanisation rapide et inexorable de la Médina de Dakar, une ville en développement continu. Douts promène son regard, tantôt critique, tantôt inquiet mais absolument réaliste sur le visage qu’offre la capitale sénégalaise, installée dans une modernité troublée. Dans ce monde subtil et poétique, on ne sait si la ville se diffuse ou s’effondre pour se noyer dans son expansion.
Amadou Camara Gueye (Sénégal)
Gueye est aujourd’hui une figure majeure de la scène artistique sénégalaise. À ses débuts, son œuvre se concentrait sur la vie citadine, la jeunesse et les quartiers populaires. Lors de sa venue en résidence pour la Fondation, Amadou délaisse la représentation architecturale de la ville comme décorum et use de ses habitants pour la représenter. L’intimité d’un couple la nuit révèle les potentialités esthétiques offertes par l’espace urbain nocturne. L’artiste isole ces habitants dans la lueur des lampes à pétrole, ces zones de lumière formant autant de percées dans la vie privée des citadins.
Souleymane Keita (Sénégal)
Considéré comme le chef de file de la peinture abstraite au Sénégal, il fit partie de la première génération du mouvement de renouveau artistique en rompant très tôt avec le symbolisme de l’école de Dakar. Son œuvre tend vers le non-figuratif et l’abstraction raffinée, associant des signes mythiques Dogons. La signification de ces peintures réside dans le sens spirituel accordé aux signes présents et traces fines, issus d’une ancienne écriture perdue. Signes et tourbillons ne conserve que des figures essentielles dansant en rond dans la couleur. À peine lisible, cet assemblage de signes géométriques traduit les paysages et l’atmosphère luxuriante de la Casamance pourtant en zone de conflit depuis 1984. Synthèse, une autre série majeure, propose une combinaison des différents mouvements de l’artiste.
Cheikhou Ba (Sénégal)
Dans Grande Rouge, Cheikhou Ba délaisse son puissant travail sculptural habituel pour une palette de rouges vibrants sans complaisance, un travail de ligne dynamique et un sens aigu de l’espace pour révéler visuellement la valeur et la vision du sujet. Quelques courbes et traits à peine esquissés suffisent à exalter l’intériorité du personnage et invite le spectateur à s’abandonner à un moment d’introspection. L’œuvre nous engage à ressentir tant sur le plan physique que psychique, la forme et la texture des pensées.
Frédéric Bruly Bouabre (Côte d’Ivoire)
L’œuvre picturale de Fréderic Bruly Brouabré, artiste poète et dessinateur ivoirien, est une mise en image de la grande encyclopédie qu’il écrira toute sa vie pour sauver de l’oubli la culture du peuple Bété. Sans aucune formation, c’est en autodidacte que Brouabré observe le monde pour le retranscrire. Il écrira près de 130 manuscrits sur divers sujets, philosophie, ethnologie, religion, poésie, avant de mettre en dessin dès 1980 l’ensemble de ses pensées et observations sur de simples feuilles au format carte postale. D’un trait de crayon naïf, il relève et simplifie ce qui pourrait sembler anecdotique, des traits sur une orange, les traces sur le sol, le ciel, mais qui apparait comme être une écriture inédite d’un syllabaire africain aspirant à l’universalisme. Puisant dans la langue des Bétés et de la cosmogonie, il s’inspire pour sa création de signes existants gravés sur des pierres Békora.
En 1948, suite à une vision divine l’artiste devient Cheick Nadro, le révélateur et choisit de consacrer sa vie à son œuvre pour léguer sa culture à l’humanité.
Freddy Tsimba (RDC)
Après avoir étudié la sculpture à l’académie des Beaux-Arts de Kinshasa, il choisit de se former auprès de maîtres fondeurs. S’il continue à travailler le bronze, les œuvres à base de métaux de récupération s’inscrivent également dans son travail. La thématique de la guerre qu’a connue son pays ainsi que la mort parcourt son œuvre. L’écriture sculpturale de l’artiste est un miroir, puissant et tragique, rendant hommage aux victimes de cette violence. Les bronzes sont traités comme des dessins dans l’espace, les lignes vibrent, se contorsionnent, pour laisser surgir l’émotion ultime. Douleur, libération, résilience, tout est abordé dans l’œuvre de Tsimba qui crée un langage unique et original pour défendre la dignité de la vie. Donnant aux femmes et aux enfants une place importante dans son œuvre, une grande partie de ses sculptures représentent des figures féminines aux corps torturés, qui s’opposent aux figures droites, fières et défiantes.
La peinture est un autre de ses territoires lui permettant de retracer cette mémoire de guerre. Ses toiles aux accents nerveux, brutaux, sont élaborées à base de pigments naturels et d’un « jus de vernis » permettant de faire craqueler les toiles pour faire ressurgir la mémoire d’une terre morte, usée, meurtrie par l’homme.