Aleksandra Kasuba – «Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes


Jusqu’au 23 mars 2025, Aleksandra Kasuba, artiste américano-lituanienne visionnaire, est à l’honneur à Carré d’Art-Musée avec « Imaginer le futur », une magistrale et incontournable exposition. Cette rétrospective, première en France et en Europe occidentale, met en lumière l’œuvre audacieuse de cette pionnière de l’art expérimental, à la croisée du design et de l’architecture. Organisée dans le cadre de la Saison de la Lituanie en France, l’exposition retrace le parcours d’Aleksandra Kasuba, une figure marquée par l’exil, la guerre et l’exploration de nouveaux mondes créatifs. « Imaginer le futur » s’impose comme un événement majeur de cette saison culturelle à Nîmes, dans le Midi et très probablement bien au-delà.

Contrainte de fuir la Lituanie après la Seconde Guerre mondiale, Aleksandra Kasuba s’installe à New York en 1947. Autodidacte, elle s’impose progressivement comme architecte et designer, une des rares femmes à participer aux expositions d’art et de technologie. Son large corpus d’œuvres – certaines réalisées, d’autres restées sur papier sous forme de projets détaillés – ne se laisse pas facilement enfermer dans des catégories établies. Situé entre l’artisanat et la science, l’art et l’architecture, son travail se nourrit à la fois de ses sensations et de son aspiration à améliorer des modes de vie de la société.

Aleksandra Kasuba - «Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra KasubaLive-in Environment, 43W 90th St., New York, 1971 – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

L’exposition présente une large sélection de ses œuvres, dont les célèbres environnements spatiaux faits de tissus tendus, qui défient les lignes droites, les angles à quatre-vingt-dix degrés et même les plans. Le tissu souple, léger et extensible de ses constructions lui a permis de perturber l’organisation « rationnelle » de l’espace qui, à ses yeux, supprime les sens.

Articulé en six séquences, le parcours de l’exposition commence avec Wanderer, alter ego existentiel de l’artiste. Puis, son œuvre phare, Spectrum, An Afterthought (1975), recréé selon les instructions de l’artiste, invite les visiteurs à une expérience immersive de la lumière et des couleurs. « Imaginer le futur » enchaîne ensuite la présentation de projets marqués par l’utopie sociale, l’environnement sensoriel et le lien intime entre l’homme et la nature, jusqu’à sa célèbre maison en forme de coquille dans le désert du Nouveau-Mexique.

Aleksandra Kasuba - «Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Art in Science (1977) – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Plus qu’une rétrospective, « Imaginer le futur » propose un voyage sensoriel et poétique à travers les œuvres d’une artiste qui n’a cessé d’explorer les frontières de la forme et de l’espace.
L’exposition d’Aleksandra Kasuba à Carré d’Art est une invitation à une immersion dans un univers architectural et artistique qui défie les conventions, en particulier les notions d’angles droits et de limites physiques.

Aleksandra Kasuba. Rock Hill House. 2002-2005. Digital Archive of Aleksandra Kasuba, The Lithuanian National Museum of Art, Estate of Aleksandra Kasuba
Aleksandra Kasuba. Rock Hill House. 2002-2005. Digital Archive of Aleksandra Kasuba, The Lithuanian National Museum of Art, Estate of Aleksandra Kasuba

Si la découverte de l’œuvre de Kasuba est un moment d’exception et d’exaltation, le parcours d’« Imaginer le futur » n’est pas sans difficulté. Sans doute, les volumes des espaces et la volonté de montrer une reconstitution de Spectrum, an Afterthought n’ont pas permis une approche chronologique rigoureuse qui aurait certainement facilité la compréhension du travail d’Aleksandra Kasuba.
Au-delà de l’immersion dans l’environnement sensoriel que propose la seconde salle, il faut lire avec attention des textes disponibles, puis faire un effort pour reconstruire l’itinéraire de l’artiste et appréhender sa démarche. Le recours aux médiateurs ou aux visites guidées sera assurément profitable…

Pour accompagner « Imaginer le futur », Carré d’Art présente une réimpression du manifeste illustré de Kasuba intitulé Commodités pour l’âme (Utility for the Soul, 1975), publié en français pour la première fois.

Aleksandra Kasuba - «Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes


La libraire propose également Shaping the Future. Environments by Aleksandra Kasuba, un ouvrage en anglais édité en 2024 par la commissaire de l’exposition Elona Lubytė, avec des contributions de chercheurs, d’architectes et de conservateurs lituaniens et américains. Le catalogue de ses œuvres est complété par une riche documentation.

Commissariat d’Elona Lubytė
« Imaginer le futur » est réalisé en partenariat avec le Lithuanian National Museum of Art.
Kasuba a récemment bénéficié d’un regain d’attention dans son pays d’origine avec « Shaping the Future. Environments by Aleksandra Kasuba », une rétrospective majeure de son œuvre, présentée à la Galerie nationale d’art de Vilnius en 2021.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite accompagné des textes de salles et d’extraits du catalogue de l’exposition à Vilnius en 2021. De brefs repères biographiques à propos d’Aleksandra Kasuba et d’Elona Lubytė, commissaire d’exposition suivent ces regards sur l’exposition.

En savoir plus :
Sur le site de Carré d’Art
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Sur le site Kasuba Works
À voir sur YouTube le film « Shaping the Future. Environments by Aleksandra Kasuba », réalisé par Virginija Vareikytė, qui présente le travail de Kasuba dans le cadre de l’exposition de Vilnius en 2021.

« Imaginer le futur » d’Aleksandra Kasuba : Regards sur l’exposition

Wanderer

Aleksandra Kasuba - «Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – «Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Le parcours débute avec la présentation du Wanderer, un personnage récurrent dans l’œuvre de Kasuba qui apparaît dès ses premiers dessins (The Little Man, 1950), peintures (Cheval en plein rêve, 1956), mosaïques (En plein rêve. III, 1963) et galets collectés sur la côte atlantique (Mosaïque de pierres, 1963).

Aleksandra KasubaPetit homme, 1950. Papier, feutre. Copie numérique. Archives de l’art américain, Smithsonian Institution Archives of American Art ; Cheval en plein rêve, 1956. Huile sur toile, contreplaqué. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Alter ego de l’artiste, il incarne une figure de l’exil, du déplacement constant, en résonance avec la propre histoire de l’artiste, marquée par son départ forcé de Lituanie. Ce personnage sert de fil rouge pour aborder des thèmes existentiels comme la solitude, la quête de sens et la relation au monde.

Sa présence est très forte dans les œuvres accrochées sur le mur de gauche. Elles évoquent aussi l’entrée de Kasuba dans le monde de l’art américain en réalisant et en exposant des mosaïques. Au tournant des années 1950-60, elle a répondu à plusieurs commandes d’architecture décorative, notamment pour les édifices religieux de la communauté lituanienne à New York et dans le Connecticut.

Aleksandra KasubaEn plein rêve. III, 1963. Marbre blanc, bois et Mosaïque de pierres, 1963. Pierre, ardoise, acrylique, acier, bois. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

En face, on retrouve ce Voyageur dans A Life (2012-2013), une imposante série d’aquarelles où l’on remarque que le Wanderer est devenu le tampon-signature de l’artiste…

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Une vie. Influences. I-V – Une vie. Sortie I-V – Une vie. Clarification I-VI – Une vie. Jouissance. I-V – Une vie. Avancée. I-V – Une vie. Dans le silence. I-IV, 2012-2013. Papier, aquarelle, collage. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Le catalogue de l’exposition à Vilnius souligne qu’il est fort probable que ce motif vienne des journaux, dans lesquels elle décrit ses rêves dès 1938… Citant l’artiste, il ajoute « ce marcheur est UNE PERSONNE au sens mondain – pas un vagabond, mais quelqu’un qui marche dans la vie – […] homoncule (latin, lituanien : un petit humain – une image qui est devenue populaire dans l’alchimie du XVIe siècle et la fiction du XIXe siècle), qui essaie d’articuler des situations de vie universellement familières ».
Il est une figure du texte essentiel de Kasuba, Commodités pour l’âme (1970) que Carré d’art publie en français et qui fait l’objet d’une présentation dans la troisième salle de l’exposition…

Au fond de cette première salle, on remarque trois mosaïques de grès noir de 1963 et 1965 qui aimantent le regard. Elles ont été présentées dans la première exposition personnelle de Kasuba à New York.

Aleksandra KasubaPremière mosaïque en pierres noires, 1963 et Mosaïque noire, 1964
Marbre noir de Belgique (grès), aluminium. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

La disposition des tesselles en lignes droites ou ondulantes et en plans géométriques rappelle les techniques de composition employées par les artistes de l’Op-art. Dans une brochure qui accompagnait l’exposition, Kasuba écrit : « Ma compréhension de la ligne, du plan, de la structure, de l’art, tout a changé. J’ai commencé à élaborer l’illusion, en essayant de la capturer, de la figer dans la matière. Je veux que mon travail ne soit plus un remplissage d’espace, mais une création d’espace ».

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Mosaïque noire, 1965. Marbre noir de Belgique (grès), aluminium. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Ces mosaïques abstraites en grès noir ont attiré l’attention de clients qui lui ont commandé des œuvres pour des espaces publics. Après un décor en galets pour le bar de l’Hilton au Rockfeller Center en 1963, elle réalisa des pavages et plusieurs des murs en brique pour des bâtiments dans les années 1970 et 1980. On retrouve plusieurs de ses réalisations – Lincoln Hospital, Bronx NYX, 1973 et Word Trade Center, 1986 – dans la frise chronologique qui complète l’accrochage de cette première salle.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Spectrum, an Afterthought (1975-2014)

Aleksandra Kasuba - Spectrum, an Afterthought (Spectre, Une allusion), 1975-2014. Tissu synthétique, lampes néon, filtres colorés, acier, aluminium, contreplaqué, plastique, vidéo, son. Musée national des beaux-arts de Lituanie - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Spectrum, an Afterthought (Spectre, Une allusion), 1975-2014. Tissu synthétique, lampes néon, filtres colorés, acier, aluminium, contreplaqué, plastique, vidéo, son. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

La seconde salle de l’exposition est entièrement consacrée à cette œuvre monumentale, une des plus emblématiques de Kasuba. Elle illustre sa fascination pour la lumière et ses effets sur les perceptions sensorielles. Utilisant des matériaux tels que des tissus synthétiques, des filtres colorés et des lampes au néon, Spectrum, an Afterthought propose une expérience immersive où les couleurs se décomposent et se recomposent en fonction de la lumière traversant l’environnement. Cette installation met en avant l’idée d’une architecture organique et sensorielle, sans angles droits, où la lumière joue un rôle fondamental pour façonner l’espace.

Spectrum. an Afterthought, est un projet développé par Kasuba en 1975, mais réalisé pour la première fois à la Galerie nationale d’art de Vilnius en décembre 2014. Dans le catalogue qui accompagnait l’exposition de 2021, Kazys Varnelis Jr. en fait cette éclairante description :
« Spectrum, an Afterthought est composé de sept structures interconnectées en tissu translucide, chacune étant un hybride d’un cône et d’un cylindre. Des tubes au néon situés au bas de chaque structure baignent l’intérieur et l’extérieur des surfaces d’une couleur du spectre pour chaque module, du rouge vif au violet foncé. Le résultat est une progression objective, un ensemble d’éléments géométriques répétitifs et une séquence logique de couleurs. L’effet de cette rigueur, cependant, est phénoménologique : lorsque nous rencontrons les espaces et les couleurs, nous mesurons leur effet sur nous-mêmes. Ce n’est pas un hasard ici : pour Kasuba, l’angle de 90° était contre nature et oppressant, cette construction détourne l’attention du spectateur des murs contraignants du bâtiment de la galerie vers les courbes colorées et lumineuses de sa construction en tissu. (…) Une bande sonore mystérieuse du jeune compositeur lituanien Paulius Klibauskas masque le bruit extérieur, permettant à Spectrum, an Afterthought de devenir un espace contemplatif… »

La mise en espace engage les visiteurs à une immersion dans l’œuvre. Une fois qu’ils/elles en ont fait l’expérience, plusieurs documents sont proposés avec notamment une maquette de l’installation.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Spectrum, An Afterthought, 1975. Maquette : tissu synthétique, lampe néon, filtres colorés, bois, plexiglas. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Un texte écrit par Aleksandru Kasoba en 2014 permet de comprendre les intentions et le cheminement de l’artiste et de replacer l’œuvre dans son itinéraire :

« Lumière. Isaac Newton. La lumière se divise en couleurs. Les couleurs se déploient, se répandent, se séparent, se mélangent, se rétractent, se rapprochent, se parlent. Elles apparaissent et disparaissent. La lumière reste telle qu’elle est.
En 1970, j’ai voulu voir ce qui se passait à l’intérieur d’une couleur. J’ai dessiné sept rectangles de couleurs transparentes et je les ai alignés dans l’ordre du spectre, pour que les visiteurs qui les traversent se voient eux-mêmes, voient les autres et voient l’environnement saturé de bleu, de rouge ou d’une autre couleur. En 1973, le projet a été exposé au Musée américain de l’artisanat à New York, puis exposé dans l’enceinte de l’université Temple. En 1971, à l’aide d’un tissu synthétique extensible, j’ai créé un environnement de vie dans mon studio et j’ai demandé à la parfumeuse Danute Anonis de créer des senteurs de couleur que je pourrais offrir aux visiteurs. Les couleurs ont alors pris une nouvelle dimension. En 1975, invitée à construire le Spectre du De Young Museum de San Francisco, j’ai placé chaque couleur dans une forme qui lui était propre. Les résultats n’ont pas été à la hauteur de mes espérances : je souhaitais que la forme s’associe à la couleur, mais ce ne fut pas le cas – les formes avaient l’air d’être peintes. De retour à New York, j’ai construit Allusion – une maquette dans laquelle les couleurs se mélangeaient dans la partie inférieure de la structure et se séparaient au sommet, retrouvant leur singularité. C’est à partir de cette maquette que j’ai construit Spectre, une allusion.
Voûtes arc-en-ciel. Elles se manifestent à tout moment, partout, aux yeux de tous. La lumière fait ressortir les couleurs, les sépare, les disperse, les mélange, les éclaircit, les assombrit et les emporte. Il est bien connu que les couleurs de l’arc-en-ciel s’imbriquent les unes dans les autres ».
Aleksandru Kasoba, 2014, Nouveau-Mexique

Un présentoir en plomb martelé construit par son mari propose une palette de senteurs créées par la créatrice de parfum Danute Pajauis Anonis qui correspondent aux couleurs du spectre.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba, Danute Pajaujis Anonis et Vytautas Kasuba – Six senteurs de couleur dans une boîte (1971), création constituée de senteurs sélectionnées par la parfumeuse lituano-américaine Danutė Pajaujis Anonis. reconstruction olfactive, 2024 de Laimė Kišküne parfumeuse, artiste olfactive, 2024 – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Ces six senteurs de couleur enfermées sous des globes de verre reproduisent celles créées en 1971 par Danute Anonis. Ces parfums sont supposés illustrer parfaitement la synesthésie entre la vue et l’odorat…

Pour découvrir les senteurs du Jaune à base d’huile essentielle de bois d’Amyris), celles du Rose-crème élaborées à partir d’huile essentielle d’Ylang-ylang ou les fragrances du Bleu ciel dans lesquelles on devrait retrouver le boisé, le terreux et le mentholé du patchouli, il faut passer par Carré d’art les jours où l’expérience olfactive est proposée.

La reconstruction de Spectrum. an Afterthought a été réalisé par l’architecte Aleksandras Kavaliauskas en collaboration avec Lauryna Stravinskaitė-Gečienė pour le tissu synthétique, Paulius Kilbauskas pour le son (Vent cosmique), Lukas Miceika pour les projections vidéo et Bronius Švarlys pour l’installation.

L’expérience de Spectrum. an Afterthought est essentielle pour percevoir ce que peuvent être les autres installations environnementales de Kasuba présentées dans la suite de l’exposition sous forme de projets et/ou par des photographies…

Laboratory of Environments (années 1960-1970)

Cette section met en lumière l’implication de Kasuba dans le mouvement Experiments in Art and Technology (E.A.T.), où elle explore les possibilités de collaboration entre artistes et scientifiques. Elle y expérimente des matériaux comme le plexiglas et les tissus extensibles et imagine des structures futuristes et fluides, en opposition à l’architecture traditionnelle.
Cette séquence est essentielle pour comprendre son itinéraire, mais l’accrochage un peu confus et embrouillé n’en facilite pas l’appréhension…

En entrant à gauche, on découvre une superbe maquette en bois de balsa pour le Mur en brique au Lincoln Medical and Mental Health Center dans le Bronx à New York, en 1973. L’œuvre prolonge les mosaïques abstraites en grès noir accrochées dans la première salle. Elle fait naturellement écho à la photo de la réalisation in situ que l’on peut voir dans la frise chronologique. Malheureusement, aucun texte ne permet de faire ce lien ni de mettre en relation les forces structurelles qui se manifestaient dans ses murs de brique et le reste de son travail.

Aleksandra Kasuba - «Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Mur en brique au Lincoln Medical and Mental Health Center dans le Bronx, New York, 1973. Maquette, Bois de Balsa. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

En dessous, une longue vitrine présente la réimpression du manifeste illustré de Kasuba intitulé Commodités pour l’âme (Utility for the Soul, 1975), publié en français pour la première fois par Carré d’Art. La lecture de ce texte fondamental est indispensable pour comprendre réellement la démarche de l’artiste.

Aleksandra KasubaAleksandra KasubaCommodités pour l’âme, 1975. Didymus Press, San Francisco. Musée national des beaux-arts de Lituanie. Réimpression publié en français par Carré d’Art – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Sur la droite, après un jeu interactif qui s’appuie sur Commodités pour l’âme, l’accrochage s’organise autour d’une photographie prise lors du vernissage de l’exposition Some More Beginnings : Experiments in Art and Technology au Brooklyn Museum, New York, en 1968.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Gateway , 1968. Inauguration de l’exposition Some More Beginnings : Experiments in Art and Technology, Brooklyn Museum, New York, 1968. Photographe de Shunk-Kender. J. Paul Getty Trust. Institut de recherche Getty, Los Angeles – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

On y découvre Gateway (1968), une structure de plus de deux mètres de haut, faite de morceaux de Lucite (verre acrylique) éclairés par une lumière halogène se déplaçant sur un rail.
L’œuvre prolonge avec de nouveaux matériaux et une autre dynamique les recherches de Kasuba commencées avec les mosaïques noires au milieu des années 1960. Elle explique « Le mouvement a créé l’illusion – dans les mosaïques noires, l’objet était statique et le spectateur était en mouvement, dans les constructions en Lucite, les ombres bougeaient et le spectateur restait immobile. »

Devant cette photographie, une vitrine présente le catalogue de l’exposition, l’un des premiers à avoir été réalisé par ordinateur par Robert Rauschenberg.

Aleksandra Kasuba – Catalogue de l’exposition de 1968 au Brooklyn Museum de New York- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Le cartel précise que peu avant sa participation à l’exposition du Brooklyn Museum, Kasuba avait rejoint le mouvement international Expériences dans l’art et la technologie (Experiments in Art and Technology-E.A.T) et fait la rencontre de l’ingénieur Billy Klüver, un de ses fondateurs.
Il reproduit également un extrait d’un courriel d’Aleksandra Kasuba à Elona Lubytė de 2016, où elle se souvient : « Vers 1967, Billy Klüver […] invite des artistes new-yorkais à la première projection d’un film généré par ordinateur et réalisé par Bell Telephone Laboratories. […] Sur l’écran, nous voyons le ciel, la mer et la ligne de l’horizon autant d’images générées par ordinateur dans le laboratoire. Dans l’océan, parallèlement à l’horizon, une vague commence à se former, puis, déjà immense, s’affaisse, sa partie la plus raide bascule vers l’avant et elle se brise, éclaboussant l’écran et disparaissant de l’autre côté. […] Je me suis rendue compte que quelque chose de similaire se produisait déjà dans mon atelier. À l’époque, je construisais déjà de petites structures à partir de morceaux de Lucite (plexiglas) de couleur. Je les accrochais au mur et, en agitant ma main face à la lumière, je jouais avec les ombres mouvantes sur le mur, comme hypnotisée ».

Cette évocation de l’exposition Some More Beginnings est accompagnée par deux maquettes de projets non réalisés qui marquent des étapes importantes dans le cheminement de Kasuba.

Aleksandra KasubaThe Cloud Room, 1969. Maquette. Bois, plâtre, papier, plexiglas. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

The Cloud Room/Chambre de nuages (1969) est pour l’artiste une tentative de neutralisation des effets du paysage orthogonal de Manhattan en créant un espace défini par des courbes et ouvert sur le ciel. C’est une de ses premières expériences avec les surfaces courbes, une confrontation avec l’implacable grille cartésienne qui imprègne à la fois la ville et la culture occidentale.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Global Village (Geodesic Village). L’architecture comme instrument social, 1971. Maquette. Papier, plexiglas, millefeuille. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes


Global Village (Geodesic Village) est un prototype qui appartient aux projets de structures résidentielles collectives que Kasuba développe des années 1970 jusqu’à la fin de sa vie. Tous sont reliés par des considérations sociales. Elle s’inspire de la nature, de la préhistoire et de la dynamique du futurisme — ici de l’universalité du dôme géodésique de Fuller… Le cartel ajoute : « Le prototype du modèle prend la forme d’un globe universel. Il a été conçu comme une structure flottante sur l’eau destinée aux étudiants ou aux résidents d’un centre de réinsertion sociale. L’artiste a cherché à fusionner les espaces privés et publics pour préserver un sentiment de liberté dans des lieux qui ont été conçus pour en priver les individus »…

Le mur du fond présente d’autres projets où l’on voit peu à peu se construire la cohérence et l’enrichissement de ses environnements.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – catalogue de l’exposition Contemplation Environments au Museum of Comptemporay Crafts de New York en 1969-1970 – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Le catalogue de l’exposition Contemplation Environments au Museum of Comptemporay Crafts de New York en 1969-1970 évoque sa découverte et ses premières expériences déterminantes avec avec le tissu synthétique, transparent, extensible et d’une couleur blanche laiteuse… Le cartel précise : « La solution consistant à utiliser un tissu extensible pour construire une structure aux parois courbées est née de manière inattendue, un soir, en découpant un maillot de corps de son mari et en l’étirant entre deux disques de contreplaqué séparés par un poteau »…

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – catalogue de l’exposition Contemplation Environments au Museum of Comptemporay Crafts de New York en 1969-1970 – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Dans le catalogue de l’exposition à Vinius en 2021, Kazys Varnelis Jr. souligne : « Tout comme elle s’intéressait à la manifestation des forces structurelles dans ses murs de briques, Kasuba prit conscience du flux de forces dans le tissu sous tension ».

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra KasubaThe Spectrum Environment, 1973. Université Temple, Philadelphie. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Un peu plus loin, The Spectrum Environment est représenté par trois photographies prise à la Temple University en 1973 et par le rapport du Project on Art and Technology au LACMA (Los Angeles County Museum of Art) en 1967-1971. Kasuba décrivait ainsi son projet : « L’environnement Spectrum se compose de sept unités, mesurant chacune 8′ x 8′ x 12′ de long, assemblées en un ensemble linéaire traversant. Chaque unité est faite d’un matériau de couleur translucide, intensément éclairé de tous les côtés depuis l’extérieur. Les unités sont interconnectées par des portes de 22″ de large et 7′ de haut dont les ouvertures sont alignées pour présenter une vue décroissante du Spectre aux visiteurs lorsqu’ils entrent et traversent l’environnement. Dans chacune des six unités de couleur spectrale, on entend sa vibration spécifique — le son du vert, du jaune, de l’orange, du rouge, du violet ou du bleu. Au centre de chaque unité de couleur spectrale, à travers une ouverture dans le plafond, un léger courant d’air transporte une couleur, une odeur et une température associées. La septième unité, combinant tout ce qui a été traversé, est éclairée par une lumière blanche intense, remplie de sons de couleur combinés, chacun d’une octave plus haut, n’a pas d’odeur et a une température normale ».

Le projet Spectral Passage présenté dans l’exposition Rainbow au DeYoung Museum de San Francisco en 1975 est évoqué par le catalogue, une photographie de l’environnement in situ et une maquette du projet. Cette installation apparaît comme un synthèse entre Live-In Environment (évoqué dans la salle suivante) et Spectral Environment.

De retour à New York après le vernissage de l’exposition au DeYoung, Kasuba a imaginé Spectrum, an Afterthought. Pour Kazys Varnelis Jr., « le titre du projet trahit son rôle dans l’œuvre de Kasuba. Plutôt qu’une réflexion après coup (an Afterthought), il s’agit d’un résumé de cette période extraordinairement productive de la vie de l’artiste »…

Environments for the Soul (1971-1972)

Aleksandra Kasuba - «Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra KasubaLive-in Environment, 43W 90th St., New York, 1971- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Cette quatrième séquence du parcours est entièrement consacrée à Live-in Environment, 43W 90th St., New York (1971), un espace totalement immersif installé par Kasuba dans son appartement de l’Upper West Side à Manhattan. Dans le catalogue de l’exposition à Vilnius en 2021, Inesa Brašiškė, historienne de l’art, commence son essai par cette description de Live-in Environment, 43W 90th St. que reproduit le texte de salle :
« Entre avril 1971 et septembre 1972, toute personne pénétrant dans l’immeuble victorien typique en briques rouges de l’Upper West Side de Manhattan, situé au 43 W, 90th St. à deux pas de Central Park se serait retrouvée dans un cadre pour le moins curieux : fini les angles à quatre-vingt-dix degrés, les murs impénétrables et les sols lisses. À la place, un tissu souple, translucide et d’un blanc laiteux, s’étendant du plafond au sol, sculptait l’espace en de curieuses formes biomorphiques, se gonflant et se contractant le long de plates-formes surélevées. Construite en quatre mois par l’artiste lituanienne Aleksandra Kasuba et inaugurée avec entrain lors d’une fête entre amis au cours de laquelle, comme l’a rapporté le New York Times, toutes les boissons et tous les aliments étaient blancs (pour s’accorder avec le décor), et beaucoup étaient mousseux, l’installation occupait tout l’étage de la maison familiale de l’artiste. La structure spatiale appelée Live-in Environment / Environnement de vie (également connue sous le nom de Space Shelters for Senses, 1971-1972) a constitué une réalisation majeure de l’art environnemental d’Aleksandra Kasuba, reflétant l’attention de longue date de l’artiste pour l’appareil sensoriel humain et incarnant une étonnante juxtaposition de l’environnement et du sujet ».

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra KasubaLive-in Environment, 43W 90th St., New York, 1971. Maquette. Tissu synthétique, bois, plexiglas. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Une maquette, un schéma et cinq grands tirages numériques de l’installation réalisés à partir des archive numérique d’Aleksandra Kasuba évoquent ce que pouvait être Live-in Environment, 43W 90th St.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra KasubaLive-in Environment, 43W 90th St., New York, 1971. Schéma. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

L’article de Kazys Varnelis Jr. dans le catalogue de 2021 apporte quelques précision sur celui-ci et sur son importance dans l’itinéraire de Kasuba :
« Initialement intitulé Space Shelters for the Senses, le projet a de nouveau fait appel à l’ensemble des sens, en engageant à une multitude de collaborateurs. Une pièce était remplie de sons générés par ordinateur par le compositeur Emanuel Ghent, tandis que six flacons de parfum créés par le parfumeur Danute Adonis étaient placés dans une autre pièce et qu’un tissage tridimensionnel du jeune artiste textile Urban Jupena commençait comme un tapis à poils longs et grimpait sur le mur. La tisserande Sylvia Heyden a tricoté un berceau en poils de yak, et son ami George Maciunas a conçu les invitations. Live-In Environment a suscité l’attention, notamment dans le magazine New Yorker, et quelque 1 500 personnes sont venues voir l’endroit, ce qui a conduit Kasuba non seulement à d’autres commandes dans des lieux publics mais aussi dans des environnements textiles, principalement pour des expositions dans de grands espaces intérieurs ».

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Live-In Environment, 43W90, NYC. 1971-1972. Papier peint. Archive numérique d’Aleksandra Kasuba. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

L’accrochage présente une reproduction du carton d’invitation au vernissage, réalisé par George Maciunas, fondateur du mouvement Fluxus qu’elle a retrouvé à New York après une rencontre sur le chemin de l’exil en Autriche en 1945.

Il voisine avec une carte postale du réalisateur de films d’avant-garde Jonas Mekas et membre de la diaspora lithuanienne qui répond ainsi à celle-ci : « Chère A.K. : je viendrai par les mers, par les airs, par terre. Ni la neige, ni la pluie, ni la tempête, ni la grêle, ni la guerre, ni la paix ne m’arrêteront — je suis très très très curieux — Jonas ».

Art in Science (1977)

Aleksandra Kasuba - «Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

À travers son implication dans le programme Art in Science du Philadelphia College of Textiles and Science en 1977, l’artiste explore la rencontre entre l’art et les avancées scientifiques.
Kazys Varnelis Jr. raconte : « Kasuba a commencé à étudier comment les résines synthétiques pouvaient être appliquées à de telles structures pour former une coque dure, afin que les structures puissent être rendues rigides, autoportantes et capables de résister à la pluie. Les résultats, a-t-elle conclu plus tard, “ressemblaient à des gousses de graines, des coquillages et des structures microscopiques abondantes dans la nature, comme si je taquinais la nature pour qu’elle se produise juste devant mes yeux” ».

Ses sculptures textiles témoignent d’une réflexion sur la nature des formes organiques et des structures naturelles, qu’elle souhaite appliquer à des environnements architecturaux.

L’architecte Frei Otto reconnaît dans ses œuvres une maîtrise des tensions naturelles, un concept qui sera récurrent dans son travail.
« Dans le domaine des structures textiles, le travail d’Aleksandra Kasuba se distingue par une vision personnelle forte. Elle s’intéresse à la permutation des formes dans des objets naturellement en état de tension. Kasuba s’inspire des structures organiques et des formes naturelles. Les structures qu’elle crée reflètent les forces et les facteurs qui ont contribué à leur réalisation. La simplicité du tissu de nylon qu’elle utilise permet de focaliser l’attention sur la forme et de rendre le matériau insignifiant. Les résultats de ses recherches figurent parmi les plus extraordinaires de ces dernières années ».
Frey Otto, architecte 1990

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Coquillages. I-II, 1983-1984. Tissu synthétique, résine synthétique, acrylique. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

L’histoire de ce travail a conduit à des projets finalement moins environnementaux et plus structurels. La série de collages Shell Dwellers (Habitants des coquillages) créés pour son exposition personnelle Shaping the Future à la Esther M. Klein Art Gallery en 1989 était consacrée à la conception de colonies construites à partir de structures solides que l’on retrouve plus loin dans sa maison à Rock Hill, au Nouveau-Mexique, en 2001.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Habitants des coquillages. I-XII, 1989. Papier, collage. Musée national des beaux-arts de Lituanie- « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Rock Hill House (2001-2005)

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

La Rock Hill House, construite dans le désert du Nouveau-Mexique, est un aboutissement de la réflexion de Kasuba sur la relation entre l’homme et la nature. Inspirée par les formes organiques du paysage désertique, cette maison en forme de coquille traduit une symbiose entre l’architecture et l’environnement naturel. Kasuba utilise des matériaux locaux et des formes curvilignes, défiant à nouveau l’orthogonalité. Cette œuvre incarne la vision futuriste de Kasuba : une coexistence harmonieuse entre l’humain et la nature, où l’architecture devient un prolongement du paysage plutôt qu’une imposition artificielle.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Construction du studio et des chambres d’hôtes de Rock Hill, Nouveau-Mexique, 2001-2005, 2024. Diaporama, 8’02 ». Musée national des beaux arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

Un diaporama sur la construction du studio et des chambres d’hôtes de Rock Hill et deux grands tirages sur les revêtements de toiture de la Rock Hill House sont accompagnés d’un texte d’Aleksandra Kasuba de 2010 et de quelques lignes extraites d’un texte de l’architecte Jing Liu publié dans le catalogue de l’exposition à Vilnius en 2021.

Aleksandra Kasuba – Premier et deuxièmes revêtements de toiture du studio et des chambres d’hôtes de Rock Hill, 2003 et 2005. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes

La présentation de la Rock Hill House est complétée par l’évocation d’un environnement construit en 24 heures avec 14 étudiants pour le Whiz Bang Quick City 2 à Woodstock en 1972.

Aleksandra Kasuba - « Imaginer le futur » à Carré d'Art, Nîmes
Aleksandra Kasuba – Whiz Bang Quick City 2, Woodstock, 1972. Musée national des beaux-arts de Lituanie – « Imaginer le futur » à Carré d’Art, Nîmes.

En 1971-1972, Aleksandra Kasuba a enseigné à l’École d’arts visuels de New York aux étudiants de premier cycle du département des arts médiatiques et a donné un cours pratique intitulé Éléments d’art et de nature à l’échelle architecturale. Au cours de l’été 1972, à l’invitation du groupe d’architectes et de designers WORKS, elle a participé avec 14 de ses étudiants à l’événement Whiz Bang Quick City 2 à Woodstock, du 26 mai au 4 juin, et a vécu avec les étudiants dans un environnement construit en 24 heures.

On peut admettre le choix de rapprocher ces deux projets en conclusion de l’exposition, héritiers tout des deux de Live-in Environment…
Par contre, on reste beaucoup plus dubitatif sur la présence des petites maquettes de la série Préhistoire revisitée et celles de la ville et du village vertical… N’aurait-il pas été plus pertinent d’exposer les projets de 2001 – 2011 de la série des Architecture as a Social Instrument ? Ou plus simplement, pourquoi ne pas avoir accorder plus de place à la Rock Hill House comme cela est le cas pour Live-in Environment ? Le catalogue de 2021 montre que la documentation est à ce propos très abondante…

Aleksandra Kasuba (1923-2019) : Repères Chronologiques

Aleksandra Kasuba, née Fledžinskaitė en 1923 en Lituanie, est une artiste américano-lituanienne reconnue pour son œuvre multidisciplinaire qui s’étend de la sculpture aux environnements architecturaux expérimentaux. Formée en sculpture et textile à l’école des arts de Kaunas et à l’Académie des Arts de Vilnius, elle fuit la Lituanie en 1944 pour échapper à l’occupation nazie puis soviétique. Après un passage dans un camp de personnes déplacées en Allemagne, elle émigre aux États-Unis en 1947 avec son mari sculpteur.

The 20th Century Environment. Coordinatrice de la reconstruction of Spectrum, An Afterthought – Aleksandras Kavaliauskas
The 20th Century Environment. Une maquette et son artiste Aleksandra Kasuba. 1973. Réalisé au Carborundum Museum of Ceramics, Niagara Falls, New York. Digital Archive of Aleksandra Kasuba, The Lithuanian National Museum of Art, Estate of Aleksandra Kasuba.

Installée à New York, Kasuba se distingue par ses créations innovantes d’environnements sans angles droits, qui combinent des matériaux comme le textile, le plexiglas et la lumière, explorant les interactions entre l’espace, la technologie et les sens. Elle participe au mouvement Experiments in Art and Technology dans les années 1960 et développe des œuvres comme Live-In Environment (1971-1972), un projet où l’art devient un habitat expérimental.

Parmi ses œuvres publiques les plus notables, on compte le relief en brique à l’angle de la 53e rue et de Lexington Avenue à New York (1979-1981) et un mur en granit gravé au World Trade Center (1996), malheureusement détruit le 11 septembre 2001.

Après avoir passé des décennies à New York, Kasuba s’installe dans le désert du Nouveau-Mexique, où elle construit la Rock Hill House (2001-2005), un projet qui incarne ses réflexions sur la symbiose entre architecture et nature. En 2013, elle commence à collaborer avec le Musée national d’art de Lituanie, à qui elle lègue une grande partie de ses œuvres et archives. Kasuba décède en 2019 à Albuquerque, laissant derrière elle un héritage artistique visionnaire qui continue d’inspirer.

Aleksandra Kasuba a laissé un héritage marquant dans le monde de l’art et de l’architecture, en repoussant constamment les frontières entre ces disciplines. Son œuvre se distingue par une exploration visionnaire de l’espace, de la lumière et des matériaux non conventionnels, comme les tissus tendus, pour créer des environnements immersifs et sensoriels. Sa quête de formes organiques et fluides, en opposition aux angles droits traditionnels de l’architecture, a influencé les réflexions sur la façon dont les humains interagissent avec l’espace. Ses environnements sans angles droits étaient conçus pour harmoniser l’homme avec son environnement, une idée qui préfigure les approches contemporaines de l’architecture durable et de l’écodesign.

Son influence s’étend au-delà du domaine artistique. En participant à des initiatives comme Experiments in Art and Technology (E.A.T.), elle a contribué à rapprocher les mondes de l’art et de la science, anticipant les pratiques transdisciplinaires actuelles qui allient technologie, nature et créativité. Les Space Shelters et environnements architecturaux qu’elle a créés sont autant de tentatives d’inventer de nouvelles formes de coexistence entre l’homme, la nature et la technologie.

L’héritage de Kasuba est également marqué par son approche collaborative. Elle a travaillé avec d’autres artistes, scientifiques et étudiants pour expérimenter de nouvelles façons de concevoir des espaces, inspirant des générations futures à voir l’architecture comme une interface sensorielle entre l’homme et son environnement. Aujourd’hui, son travail continue d’être étudié et exposé, soulignant son rôle de pionnière dans la reconfiguration de notre rapport à l’espace architectural et à l’environnement naturel.

À propos d’Elona Lubytė (Commissaire d’exposition)

Elona Lubytė est une commissaire d’exposition et historienne de l’art lituanienne, spécialisée dans l’art moderne et contemporain. Elle est particulièrement connue pour ses recherches et son travail sur les artistes lituaniens et leurs interactions avec les mouvements artistiques internationaux. Lubytė a été impliquée dans plusieurs expositions majeures qui mettent en avant les contributions des artistes lituaniens sur la scène mondiale.

Elle a joué un rôle clé dans la reconnaissance internationale d’Aleksandra Kasuba, en organisant des expositions rétrospectives et en contribuant à la préservation de son héritage. Commissaire de l’exposition Imaginer le futur au Carré d’Art de Nîmes, elle est également l’éditrice du livre Shaping the Future. Environments by Aleksandra Kasuba, qui explore en profondeur les multiples facettes du travail de l’artiste. Son expertise dans l’histoire de l’art et sa connaissance approfondie de l’œuvre de Kasuba ont permis de présenter cette rétrospective comme une réflexion non seulement sur l’œuvre de l’artiste, mais aussi sur les relations entre l’art, l’espace et la technologie.

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