Linda Sanchez et Baptiste Croze – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille


Jusqu’au 21 décembre, « peau à peau » de Linda Sanchez et Baptiste Croze offre une expérience d’une étonnante richesse et d’une rare intensité. Un profond respect des matières et des objets, un jeu subtil et complice avec eux, une utilisation sensible des espaces de Vidéochroniques multiplient les moments d’émotion. Sans aucun doute, cette proposition s’inscrit parmi les temps forts de la scène artistique à Marseille et dans la région…

Dans une mise en scène sobre, méticuleuse et très élaborée, Linda Sanchez et Baptiste Croze conjuguent leurs pratiques personnelles et leur collaboration, explorant la tension entre geste artistique et matériaux, entre hasard et maîtrise. Chaque œuvre semble être une réponse délicate à une écoute attentive des matières et des espaces : qu’il s’agisse d’une section de route découpée par Linda (Blanche), des Formes Données de Baptiste où des objets trouvés s’imbriquent avec une précision troublante, ou encore des pieds de statues détachés de leurs socles par le duo d’artiste (Pieds coupés).

Linda SanchezBlanche, 2022 (détails). Section de route (techno-sol), bitume, ciment, gravier, peinture routière. 200 x 13 x 20 cm ; Baptiste CrozeLes Formes Données: vase/brique, 2022 et Linda Sanchez et Baptiste CrozePieds coupés, 2021. Pieds de statues en pierre, plâtre, pierre reconstituée – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Parler du travail des deux artistes est une véritable gageure. « Le problème, c’est qu’il y a tellement de choses à dire que je ne sais pas par où commencer ! » disait à juste titre Tim Ingold en 2014 lors d’une rencontre publique avec Linda au Beaux Arts de Paris. Dans un entretien avec Éric Mangion pour l’exposition Dérobées, à la Villa Arson en janvier 2019, Linda Sanchez expliquait ainsi certains aspects de sa pratique :

« J’ai l’impression d’avoir presque toujours soustrait la trace de l’usage de la main dans mes œuvres. La main qui s’exprime, la main qui façonne, la signature, la patte… me rebute un peu. Ce sont plutôt les matériaux, leur comportement, leur mouvement, l’échelle de l’espace, le relief du sol, les systèmes et les dispositifs mis en place qui génèrent et conditionnent les formes. Mon travail se situe plutôt là, dans cette mise en situation. »
Elle évoquait ensuite un « rapport non autoritaire au matériau » : « Une écoute sensible de ce que dicte une qualité ou une propriété de matériau, d’une surface, sans la contraindre exactement, mais en adaptant l’amplitude d’un geste, en ajustant l’échelle d’un support, ou en canalisant une caractéristique déjà présente dans l’espace. (…)… on jongle, on ajuste et on adapte plusieurs types de gestes et de techniques ensemble, sans besoin de maîtrise absolue ». Plus loin, elle ajoutait : « Je préfère le mot partition à protocole. Le protocole me renvoie à quelque chose de plus strict, une consigne dont l’interprétation et ses possibilités de variables ne peuvent pas remettre en branle les règles mêmes de l’énoncé de départ. Parfois ce sont des règles qui se dérèglent, ou des procédés opératoires qui partent à la dérive, jusqu’à l’absurde même… Tout autant dans la sculpture, il y a tout le temps une ambivalence entre la rigueur d’opérations précises, littérales et l’aspect chaotique d’une donnée sensible ou phénoménologique. Les règles et les systèmes se construisent en même temps qu’ils génèrent l’expérience. »

Linda SanchezBlanche, 2022 (détails). Section de route (techno-sol), bitume, ciment, gravier, peinture routière. 200 x 13 x 20 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Baptiste Croze - Les Formes Données : corne/bois, 2024 - « peau à peau » - Vidéochroniques
Baptiste Croze – Les Formes Données : corne/bois, 2024 – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

À propos du travail de Baptiste Croze, c’est sans doute Martial Déflacieux dans un texte de 2016 intitulé « Emboîter les trouvés » qui en exprimait avec simplicité certains des caractères :
« Le travail de Baptiste Croze répond à des règles aux apparences simples, qui ne sauraient en réalité cacher la lente maturation de ses recherches. Bien entendu, on peut circonscrire sa démarche autour de quelques activités, par exemple : trier, chiner, collectionner et rassembler, puis : poncer, mouler, démouler, couper, photographier, et enfin : disposer, répandre, afficher, installer. (…) Disons, à le voir travailler, qu’il y a là un certain plaisir à chercher des combinaisons. (…) Dans la démarche de cet artiste, il est inutile de se référer à quoi que ce soit, si ce n’est à ce que l’on voit. Toutes ses initiatives plastiques engagent leur énergie en faveur de l’apparition d’images ou de sculptures qui semblent, par leur étrange harmonie, avoir toujours été telles qu’elles sont montrées, et cela en vertu même des transformations dont elles ont fait l’objet. »

Linda Sanchez et Baptiste Croze - Una Volta, 2020-2024. Ciment naturel prompt. 250 x 200 x 20 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques
Linda Sanchez et Baptiste Croze – Una Volta, 2020-2024. Ciment naturel prompt. 250 x 200 x 20 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

L’installation Una Volta incarne parfaitement la démarche commune au duo d’artiste. Construite à quatre mains, cette structure éphémère en ciment prompt évoque des ouvrages entre ruines, rocailles et grottes artificielles… Una volta est érigée in situ et d’une seule traite. Dans une chorégraphie de gestes répétés, attentifs au temps de prise, Linda et Baptiste travaillent simultanément chacun de leur côté – elle est droitière, il est gaucher – jusqu’à la clé de voûte.

Linda Sanchez et Baptiste CrozeUna Volta, 2020-2024 (Construction et détail). Ciment naturel prompt. 250 x 200 x 20 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Dans leur portfolio commun, les deux artistes soulignent que Una volta signifie « une fois » et « une voûte »… Una volta est aussi le nom du centre d’art à Bastia où les deux artistes ont présenté leur première exposition en duo (« Ce qui s’étend jusqu’au bord») et édifié la première version de Una volta en janvier-février 2020

Dans ce qu’il est convenu d’appeler « la petite salle », Linda Sanchez et Baptiste Croze présente une autre pièce majeure et fondatrice de leur duo. Roulé-boulé est un ensemble de balles, de boules et de ballons, rejetés par la Méditerranée et collectés depuis 2020 le long du littoral, dans les digues, les rochers, les ressacs et sur les plages…

Linda Sanchez et Baptiste Croze - Roulé-boulé, 2020 - 2024 - « peau à peau » - Vidéochroniques
Linda Sanchez et Baptiste Croze – Roulé-boulé, 2020-2024. Balles rejetées par la mer Méditerranée – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

L’installation est née de la découverte en 2020 d’une petite balle grise et cabossée à Nonza, sur cette étrange plage du Cap Corse issue des rejets d’exploitation d’une ancienne carrière d’amiante où Ange Leccia a filmé La Mer en 1991… Après l’avoir saisie, Linda raconte : « Elle avait l’air d’avoir 1 00 ans, avec sa peau pétrifiée par le sel, l’eau, le soleil… D’où elle venait ? Comment était-elle arrivée là ? ». Immédiatement s’est imposée l’idée d’en trouver d’autres…

Linda Sanchez et Baptiste Croze - Roulé-boulé, 2020-2024. Balles rejetées par la mer Méditerranée - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Linda Sanchez et Baptiste Croze – Roulé-boulé, 2020-2024. Balles rejetées par la mer Méditerranée – Visuel de l’exposition « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille. Photo Vidéochroniques

Très vite, ils en rassemblent plus d’un centaine. Au cours de l’année 2020, les deux artistes ont exploré avec des étudiants de l’école des beaux-arts de Nîmes le littoral des Saintes Marie de la mer à Frontignan. Après cette collecte, un peu plus de 200 balles et ballons ont été présentés une première fois dans la Chapelle des Jésuites à Nîmes en octobre 2020 à l’issue d’un séminaire organisé par Arnaud Vasseux.

Roulé-boulé, accompagné d’impressions grand format sur dos bleu des photos de plusieurs expéditions, a été accueilli par La station, à Nice en 2021 dans « à terre », une exposition non ouverte au public.

En 2023, les deux artistes ont bénéficié d’une bourse d’aide à la création de la Fondation des Artistes pour poursuivre leurs expéditions de collecte. À l’été 2024, Linda et Baptiste ont organisé plusieurs missions d’exploration avec les bénéficiaires des Activités Sociales de l’énergie du Village vacances de la CCAS sur la presqu’île de Giens, dans le cadre du projet « Été culturel » soutenu par la DRAC PACA. À ce jour, le corpus de Roulé-boulé rassemble plus de 400 balles et ballons.

Pour les artistes, l’installation – qui reste toujours un projet en cours – « dessine une constellation de points en même temps qu’un réseau de trajectoires, réelles ou rêvées, dérivées des grands flux aquatiques. Irisées par le soleil, craquelées, gercées par le sel, polies, rayées, sculptées par le temps, ce sont des balles perdues, rejetées et rejouées dans l’espace d’exposition. Elles racontent une pluralité de points de vue ; de l’insouciance des plages et des jeux d’enfants aux multiples usages du littoral, de la flottaison des plastiques à la réalité des migrations ; un paysage de cette mer au milieu des terres ».

L’exposition « peau à peau » met en lumière un sens aigu de la mise en scène de la part de Linda Sanchez et Baptiste Croze et leur investissement sensible et audacieux des espaces de Vidéochroniques. Ainsi, la suppression des deux garde-corps à l’entrée de la galerie modifie fondamentalement la perception de l’espace qui paraît plus vaste et unifié.

Les dix paires de Pieds coupés disposées au sol, de part et d’autre de l’entrée, suscitent perplexité et provoquent un sentiment de malaise et une indéfinissable gêne. Pourquoi ce geste brutal et « iconoclaste » ? Découpés à la disqueuse, ces pieds, souvent partiellement dissimulés sous des feuillages ou des drapés, dévoilent une sculpture sommaire et rudimentaire. Si certain·e·s y verront probablement ces fragments comme la révélation d’une forme de fétichisme du pied. Il semble plus pertinent de les considérer comme une réflexion critique sur la sculpture commerciale, mettant en lumière les matériaux et les gestes qu’elle mobilise.

Linda Sanchez et Baptiste Croze - Pieds coupés, 2021-2024 - « peau à peau » - Vidéochroniques
Linda Sanchez et Baptiste Croze – Pieds coupés, 2021-2024. Pieds de statues en pierre, plâtre, pierre reconstituée – « peau à peau » – Vidéochroniques

Les corps absents de ces Apollons, Dianes, Chérubins et Angelots en plâtre ou en pierre reconstituée interpellent. Qu’observent ces silhouettes fantomatiques ? Les autres « extractions de la réalité » exposées par les deux artistes, ou les visiteur·euses qui les regardent ?
Une chose est certaine : Ces Pieds coupés structurent singulièrement la mise en espace de cette première salle.

Sur la gauche, l’accrochage s’articule autour de Una Volta. On découvre toutes des pièces au travers de l’arche montée par les deux artistes.

Linda Sanchez et Baptiste Croze - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Linda Sanchez et Baptiste Croze – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

En regardant du côté de la place de Lorette, un vêtement déchiqueté semble être suspendu à la clef de voûte de la construction éphémère en ciment prompt. Baptiste Croze a soigneusement découpé les blancs d’un poncho de camouflage hivernal (Le maquis (Snow), 2022). Les « vides » sont tombés au sol. Seuls le motif des branchages imprimés et le lacet de serrage de la capuche restent mollement accrochés à un cintre métallique qui est en fait pendu à une poutre. Cette œuvre appartient à une série dans laquelle Baptiste Croze a « soustrait le motif camouflage » de plusieurs objets (tentes, ponchos, parapluies…).

Baptiste CrozeLe maquis (Snow), 2022. Poncho 4,2m2, cintre- « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Juste derrière ce maquis, Linda Sanchez a judicieusement placé une œuvre captivante en plâtre, intitulée Neige (2022). Son titre, accompagné de la mention « Saupoudrer du plâtre sous la pluie » révèle clairement comment elle a été produite. Ce « bas relief » rend hommage à Grégoire Bergeret, disparu en 2020. Ancien élève des Beaux-Arts d’Annecy comme Linda, son travail était représenté par la Galerie Papillon. Une certaine affinité artistique semblait lier les deux créateurs. Chez Bergeret, l’expérimentation ludique et absurde occupait une place centrale. Il se plaisait à (se)jouer des matériaux. Après avoir scanné une tranche de jambon et pipé un dé pour faire sept à tous les coups, il aurait découvert le carbure d’agrumes et mis au point une technique du moulage à la neige perdue…

Linda SanchezNeige (Saupoudrer du plâtre sous la pluie), 2022. Hommage à Grégoire Bergeret. Plâtre, 55 x 100 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques

En revenant vers le fond de la galerie, on découvre l’une des compositions en faïence émaillée issues de la série Coup sur coup (2020-2024), probablement celle déjà aperçue dans l’exposition « Jamais tu ne me regardes, là où je te vois » à la fin de l’été.

Linda Sanchez - Coup sur coup, 2024. Faïence cassée, bois, 20 x 39,5 cm- « peau à peau » - Vidéochroniques
Linda Sanchez – Coup sur coup, 2024. Faïence cassée, bois, 20 x 39,5 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques

Elle précède un intrigant Diplodocus (2024) de Baptiste Croze. Les deux montants d’une chaise esquissent les silhouettes d’un couple de ces grands dinosaures herbivores qui vivaient au Jurassique. Cette pièce est aux yeux de l’artiste une interprétation libre et « relâchée » de ses Formes Données qu’elle introduit… même si les deux sauropodes au long cou semblent s’en éloigner.

Baptiste Croze - Diplodocus, 2024. Eléments de chaise, 70 x 97 x 15 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques
Baptiste Croze – Diplodocus, 2024. Eléments de chaise, 70 x 97 x 15 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques

De l’autre côté de Una Volta, Baptiste Croze a accroché avec beaucoup de minutie sept pièces appartenant à sa série « Les Formes Données » (2016 – 2024). Ces objets hétéroclites s’accouplent parfaitement les uns dans les autres. Mais rien n’est ici construit, modelé ou provoqué. Il s’agit au mieux « d’anticiper le hasard des rencontres »…
Humour, poésie et parfois un soupçon d’érotisme accompagnent ces couples qui, à lire la présentation de Baptiste, « s’épousent, s’affleurent, s’encastrent, se clipsent, s’emboîtent, s’accordant suivant le dessin de leurs silhouettes et de leurs spécificités formelles »…

Baptiste CrozeLes Formes Données ( Bois/os, 2024 – Éléments phare/os, 2024 – Les trouvés de la mer, 2021 – vase/brique, 2022 – Hirondelle, 2024 – os/os, 2024) – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Dans son texte « Emboîter les trouvés », Martial Déflacieux écrivait avec esprit et à-propos au sujet des premières Formes Données en 2016 : « Ces étranges couples d’objets aussi fascinés mutuellement que tout semblait les opposer, rament à contre-courant du mythe d’Aristophane et d’une androgynie supposée scindée en deux. Ces couples d’objets se retrouvent unis non pas parce qu’ils constitueraient l’évidente moitié de l’autre, mais au contraire parce qu’ils en sont en quelque sorte le miroir opposé. Cette image n’est pas sans rappeler “la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie”, célèbre formule de Lautréamont qui inspirera les surréalistes. Et bien… il n’y a pas plus de surréalisme dans ce travail que dans celui d’Aristophane ».

Un peu plus loin, au ras du sol, un buste plâtre (La chercheuse d’esprit, J.C. Attiret, 1774) et un ballon trouvé produisent une version atypique des Formes Données (chercheuse d’esprit/ballon, 2019).

 Baptiste Croze - Les Formes Données (chercheuse d'esprit/ballon), 2019. Buste plâtre (La chercheuse d'esprit, J.C. Attiret, 1774) & balle trouvée - « peau à peau » - Vidéochroniques
Baptiste Croze – Les Formes Données (chercheuse d’esprit/ballon), 2019. Buste plâtre (La chercheuse d’esprit, J.C. Attiret, 1774) & balle trouvée – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

La descente de l’escalier vers la Fosse est commandée par une dernière œuvre de cette série qui « accouple » et met en scène un trio (plastique/métal/accoudoir,2024). Au pied d’une des colonnes métalliques, on remarque posé sur la tête un leurre en plastique. Sur le ventre de ce Cygne (2022), on croit deviner le profil d’un visage… À l’instar des deux diplodocus, ce décor pour pièce d’eau appartient aux libres adaptations des Formes Données.

Baptiste CrozeLes Formes Données (plastique/métal/accoudoir), 2024 et Cygne, 2022 – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

De l’autre côté de la grande salle, l’accrochage s’organise autour de Blanche (2022). Posée à la verticale, c’est une véritable ligne blanche que Linda Sanchez a soigneusement découpée dans le macadam jusqu’ au sol, avant de l’extraire d’une route près de Marseille. À l’occasion de l’exposition « À main levée » à la Galerie Papillon en 2022, Jean Christophe Arcos soulignait : « Mêlant également méthode scientifique et mémoire commune, l’un des carottages de macadam de l’artiste s’érige en jalon vertical, sans que l’on puisse trancher si la peinture l’emporte ici sur la sculpture ».

Linda SanchezBlanche, 2022. Section de route (techno-sol), bitume, ciment, gravier, peinture routière. 200 x 13 x 20 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Un peu plus loin, Linda Sanchez a accroché L’or gris (vert noir). Pour cette sculpture, elle a soigneusement et patiemment étiré un sac poubelle de 100 litres, transformant la matière plastique en une étrange rocaille qui évoque à la fois un coquillage et une jupe froissée au volume bouillonnant. Seuls le lien et la soudure du fond trahissent l’origine de ce singulier mollusque ou de cet improbable vêtement…

Linda SanchezL’or gris (vert noir), 2022. Sac poubelle étiré de 100 litres – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Deux œuvres de Baptiste Croze viennent dialoguer avec les sculptures de Linda. Coqui (2023), un coquillage tranché dévoile ses intérieurs nacrés et sans doute les traces laissées par le mollusque qui l’a habité.

Baptiste Croze - Coqui, 2023. Coquillage tranché, 23 x 13 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Baptiste Croze – Coqui, 2023. Coquillage tranché, 23 x 13 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Dans le fond d’un seau de maçon, deux morceaux de plâtre cimenté réunis par un serflex sont humidifiés par le suintement d’une pompe à eau… Cette Duchesse de 2015 pourrait être aussi bien la maquette d’une rocaille destinée un parc paysager, qu’un étrange bivalve dont la verticalité jalouserait celle de Blanche… Ces morceaux de plâtre pourraient-ils dissimuler des morceaux de pied d’une bergère, cette chaise longue appelée duchesse brisée dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle, à l’époque du style rococo ? Loin de l’histoire des menuisiers en sièges, le titre de cette petite fontaine semble plutôt puiser son inspiration dans le domaine culinaire, évoquant les pommes duchesse…

Baptiste Croze - Coqui, 2023. Duchesse, 2015. Pompe, eau, seau de maçon, serflex, plâtre cimenté, 65 x 30 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Baptiste Croze – Coqui, 2023. Duchesse, 2015. Pompe, eau, seau de maçon, serflex, plâtre cimenté, 65 x 30 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

La petite salle en alcôve abrite sur une seule ligne Les parcelles (2022), une magistrale partition composée à quatre mains. Cette œuvre se compose de 50 tranches, chacune d’une épaisseur de trois centimètres, découpées dans divers éléments d’aménagements urbains.

Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Linda Sanchez et Baptiste Croze – Les parcelles, 2022. Tranches d’éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Leur inventaire est en soi un morceau de poésie musicale : bordurette, appui (de fenêtre), parement, autobloquant, pavé, pied, briquette, éléments de piliers, rebord, abattement, rebras, trottoir, dalle, galets, tronçon, carrelet, bas-côté, ruban, rabat, accotement, berme, couronne, collerette, mulot, génoise double, tuile, parpaing, orbe (cercle globe sphère), talus macadamia, main courante, plot, pavé drainant, brique, équerre, fourrure, retroussis, revêtement…

  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
  • Linda Sanchez et Baptiste Croze - Les parcelles, 2022. Tranches d'éléments d’aménagements urbains. 50 pièces, épaisseur 3 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille

Alphabet, message codé ou ligne mélodique, pour Linda et Baptiste « chaque nouvelle exposition est l’occasion d’en questionner la longueur, l’ordre et les liaisons des combinaisons potentielles ».

Trois billets de banques de la série des « Pop-up » (2009 – 2024) de Baptiste Croze complètent cet ensemble magistral. Dans cette série, les monuments représentés sur les coupures sont découpés au scalpel et redressés. Le billet reste entier, rien n’est enlevé. Il peut sans problème être remis en circulation.

Baptiste Croze - Pop-up, 2009-2024. Billets de banques découpés, dimensions variables - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Baptiste Croze – Pop-up, 2009-2024. Billets de banques découpés, dimensions variables – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Pour « peau à peau », Baptiste a choisi d’exposer des billets de cinq euros et de cinq dollars, monnaies dominantes des échanges mondialisés. Ils encadrent une coupure de 100.000 roupies émise par la Banque d’Indonésie. Sa valeur est sensiblement égale à celle des deux autres billets. Sont relevés respectivement le Pont du Gard, Le mémorial de Lincoln et le bâtiment du parlement indonésien…

Occuper la Fosse de Vidéochroniques est toujours une épreuve redoutable. Linda Sanchez et Baptiste Croze ont choisi d’y construire une proposition autour de deux pièces réalisées en duo.

Linda Sanchez et Baptiste Croze - La mesure du plomb, 2021-2022. Fils à plomb, 54 pièces uniques - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Linda Sanchez et Baptiste Croze – La mesure du plomb, 2021-2022. Fils à plomb, 54 pièces uniques – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Au centre, au bout de fils rouges sont suspendus 54 moulages en plomb de doigts (index). Ils appartiennent à une série commencée en 2021 et intitulée « La mesure du plomb ».
Les dix premiers ont été réalisés en 2021 au cours d’une résidence dans la Drôme en collaboration avec des paysans du Musée de la mémoire agricole de Grignan. À leur propos, les deux artistes ont écrit : « Lors de nos échanges sur nos usages, nos outils, et notamment nos mains, nous avons conçu plusieurs projets de manière empirique et collective. En rallumant l’ancienne forge, on a entrepris celui-ci : le moulage de nos doigts en plomb. Voici un mini patrimoine de bouts de doigts autour de cet outil millénaire de la gravité terrestre ». La série s’est enrichie en 2024 avec le moulage des doigts de 107 habitant.es de la ville de Melle dans les Deux-Sèvres, dans le cadre de la 10° biennale internationale d’art contemporain de Melle.

À mesure que l’on se déplace dans la fosse, le coton rouge des 54 fils à plomb semble apparaître comme la chaîne d’une tapisserie en devenir. Elle se dessine sur la bâche tendue que l’on découvre en descendant l’escalier métallique. Criblée de multiples trous, elle produit un étrange écho avec la texture du sol et le mur « lépreux » que l’on devine au travers des plus grandes lacunes…

Linda Sanchez et Baptiste Croze - La boulette, 2024. Bâche trouée, 800 x 300 cm - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Linda Sanchez et Baptiste Croze – La boulette, 2024. Bâche trouée, 800 x 300 cm – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Son titre, La boulette, interpelle… Il faut l’intervention de Linda et Baptiste pour comprendre qu’il exprime, une fois de plus, la manière dont la pièce a été créée. En utilisant un poste à souder, les deux artistes ont observé que les projections de gouttelettes de métal en fusion constellaient de trous sur une bâche de protection posée à proximité… De ce constat est née l’idée de produire cette œuvre…

Sous l’escalier, fers à souder et bobine de papier pour caisse enregistreuse sont au rendez-vous dans À main levée (plan 6), une vidéo réalisée cette année par Linda Sanchez avec la collaboration de Woojung Choi, Aloïs Frost, Yujin Nam, Louis Marie Ropars et Clémentine Vétillard.

Linda Sanchez, À main levée - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Papillon © Photo Éric Simon
Linda Sanchez, À main levée – Courtesy de l’artiste et de la Galerie Papillon © Photo Éric Simon

Le dispositif enregistre le déroulement complet d’une bobine de papier thermique sur laquelle les traces noires laissées par les fers chauds s’entrecroisent, s’amincissent ou s’empâtent en fonction de la vitesse… Cette fascinante partition vidéo est accompagnée par la bobine de papier qui a consigné la performance.

Linda Sanchez - À main levée (plan 6), 2024. Vidéo 5:54 et bobine de papier - « peau à peau » - Vidéochroniques, Marseille
Linda Sanchez – À main levée (plan 6), 2024. Vidéo 5:54 et bobine de papier – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

À proximité, on retrouve deux Formes Données de Baptiste Croze (corps de jouet/mousse de jeu, 2023 et corne/bois, 2024).

Baptiste CrozeLes Formes Données : corps de jouet/mousse de jeu, 2023 et corne/bois, 2024 – « peau à peau » – Vidéochroniques, Marseille

Avec beaucoup d’élégance et de pertinence, « peau à peau » met en lumière une conception de l’art où les formes naissent de leur propre logique, sans jamais céder à l’autorité du geste humain. Sans jamais obliger le regard de leurs visteur·euses, Linda et Baptiste proposent des approches subtiles et complices avec les matériaux et les objets, interrogent leurs trajectoires et les imprévus de leurs rencontres.
Inutile d’ajouter qu’il ne faut absolument pas manquer ce rendez-vous avec le travail de Linda Sanchez et Baptiste Croze.

En savoir plus :
Sur le site de Vidéochroniques
Suivre l’actualité de Vidéochroniques sur Facebook et Instagram
Linda Sanchez sur le site de la galerie Papillon et sur Documents d’artistes Auvergne-Rhône-Alpes
Baptiste Croze sur Documents d’artistes Auvergne-Rhône-Alpes

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer