Jusqu’au 26 octobre prochain, la Fondation Vincent van Gogh Arles met à l’honneur Sigmar Polke à travers une magistrale exposition, quinze ans après sa disparition. Intitulée « Sous les pavés, la terre », cette proposition, conçue par Bice Curiger, souligne la résonance actuelle de l’œuvre de l’artiste allemand, qui « reflète étrangement les conflits, les crises et leur représentation dans les médias d’aujourd’hui ». Événement marquant de l’année 2025 à Arles et dans le sud de l’Europe, cette exposition permet également de faire (re)découvrir le travail de Sigmar Polke au grand public et aux jeunes générations, alors que ses œuvres n’ont pas été montrées en France depuis longtemps.
« Sous les pavés, la terre » s’inscrit dans la continuité de l’exposition présentée jusqu’au 2 février 2025 au Schinkel Pavillon de Berlin, imaginée par Bice Curiger à l’initiative de la directrice Nina Pohl et de son équipe.
À Arles, la sélection est notablement enrichie et élargie, offrant une perspective plus approfondie sur l’œuvre de Sigmar Polke. Plusieurs pièces en provenance de Madrid rejoindront l’exposition fin mars, après avoir été mises en dialogue avec celles de Francisco de Goya dans « Sigmar Polke. Des affinités révélées » au musée du Prado.
En réunissant un vaste ensemble de peintures, photographies, sculptures, estampes et films couvrant la période des années 1960 aux années 2000, l’accrochage réussit à « mettre en évidence la complexité du travail de l’artiste, teinté d’un humour inattendu et sauvage, marqué par le plaisir de l’expérimentation et toujours soutenu par une observation aiguisée du monde et par des prises de position engagées ».
Sigmar Polke – Gangster, 1988 Enduit, résine synthétique, feuille d’or sur polyester, 300 × 230 cm – Atemkristall (Cristal d’un souffle), 1997 Enduit, résine synthétique et feuille d’or sur polyester, 280 × 350 cm. Collection Speck, Cologne © The Estate of Sigmar Polke, Cologne / Adagp, Paris, 2025. Photo Frank Sperling – Die Schmiede (La Forge), 1975. Acrylique et peinture métallique sur coton, 150 × 130,4 cm Arora collection © The Estate of Sigmar Polke, Cologne / Adagp, Paris, 2025.
Né dans la ville silésienne d’Oels, aujourd’hui Oleśnica, en Pologne, Polke a grandi à la fois en Allemagne de l’Est et en Allemagne de l’Ouest. C’est un des artistes des années 1960 dont l’œuvre traite du traumatisme collectif de la génération d’après-guerre. Il a affronté les crises politiques de son époque avec une approche de la réalité à la fois picturale et analytique.
Angelika Platen – Portrait de Sigmar Polke, Mitten in der Luft (en plein air), Düsseldorf, 1971. © BPK, Berlin, Dist. GrandPalaisRmn / Angelika Platen et Sigmar Polke. DR
Sigmar Polke s’est très tôt intéressé aux images des médias imprimés, à leur impact sur le public, à leur circulation et à leur lisibilité. Au début de sa carrière artistique en 1963, à l’âge de 22 ans, il crée avec Gerhard Richter, Manfred Kuttner et Konrad Lueg le mouvement Kapitalistischer Realismus (réalisme capitaliste), connu plus tard sous le nom de Pop allemand. Réaction à l’art socialiste de l’époque en RDA, c’est aussi une réponse aux univers visuels marqués par la consommation, la publicité et les magazines dans la République fédérale d’Allemagne d’après-guerre…
On retrouve sur les les cimaises arlésiennes, les œuvres présentées à Berlin telles que Carl Andre à Delft (1968), Reiherbild II (1968), Die Schmiede (Smithy) (1975), Gangster (1988) ou encore l’incontournable Flüchtende (1992) conservé par Carré d’Art.
Sigmar Polke – Reiherbild II (Image de hérons II), 1968 Dispersion sur flanelle à motifs, 190 × 150 cm Collection particulière © The Estate of Sigmar Polke, Cologne / Adagp, Paris, 2025 et Klavier (Piano), 1982-1986 Résine synthétique, pigment et laque sur tissu, 180,5 × 150,5 cm Collection particulière © The Estate of Sigmar Polke, Cologne / Adagp, Paris, 2025
L’accrochage met en lumière la manière dont Sigmar Polke a très tôt déconstruit le processus pictural, délaissant la toile traditionnelle au profit de supports comme les tissus imprimés, les rideaux ou les voilages, tout en détournant avec ironie la virtuosité du trait.
L’exposition à la Fondation Vincent van Gogh Arles souligne également l’influence réciproque entre la photographie et sa pratique picturale. Une série inédite de tirages des années 1960-1970 sont présentée aux côtés d’ensembles majeurs tels que Paris 1971 ou Palermo, Les Catacombes. Par ailleurs, plusieurs tableaux consacrée au thème de la Révolution française sont également exposés.
Sigmar Polke – Estampe et Révolution, 200 ans après, 1989 Lithographie et sérigraphie en couleur sur papier vélin d’Arches 60,5 x 85 cm. Collection Hesta AG, Suisse © The Estate of Sigmar Polke, Cologne / Adagp, Paris, 2025 Photo Flavio Karrer et Palermo, Les catacombes, 1976 (détail) Ensemble de cinq photographies uniques, env. 105 × 85 cm chaque Collection Sandra Alvarez de Toledo, Paris © The Estate of Sigmar Polke, Cologne / Adagp, Paris, 2025.
Une rencontre entre Van Gogh et Polke à Arles semblait inévitable… Elle se matérialise autour d’un motif commun : la pomme de terre. Deux œuvres de Vincent Van Gogh, Travail des champs (avril 1885) et Panier de pommes de terre (septembre 1885), illustrent sa vision de ce tubercule comme symbole du lien à la terre, du labeur paysan et du repas des plus modestes.
Chez Sigmar Polke, « la pomme de terre symbolise le quotidien allemand “antiglamour” d’après-guerre, opposé au pop art américain coloré qui glorifie le nouveau monde de la consommation »… quelques toiles et une imposante installation sont confrontées aux deux toiles de Vincent.
Le titre de l’exposition « Sous les pavés, la terre » fait référence au slogan de Mai 68 et sans doute « à l’énergie du changement qui anime les premières œuvres de Polke, mais évoque aussi un fort ancrage dans le réel qu’on retrouve chez l’artiste allemand comme chez Van Gogh »…
La première rencontre entre Bice Curiger et Sigmar Polke remonte à la fin de l’année 1974. Encore étudiante, elle est alors subjuguée par son allure flamboyante, son manteau de fourrure et son pantalon en peau de python… Mais au-delà de son charisme, ce sont surtout ses méthodes anticonformistes et sa réputation qui l’intriguent. À 33 ans, Polke est en pleine effervescence artistique, multipliant expositions et publications tout en partageant son temps entre Hambourg, où il enseigne, Cologne, Düsseldorf, Zurich et Berne.
Sigmar Polke – Couverture de Parkett no. 2, 1984 et Leporello “Desastres and other bare wonders”, encarté dans Parkett vol. 2 (5,5 m long, 27 folios)
Curiger s’intéresse de près à son travail et lui consacre de nombreux articles. Une profonde amitié naît entre eux, illustrée notamment par la mythique publication du volume 2 de Parkett en 1984 où était encarté le spectaculaire leporello « Desastres and other bare wonders » en 27 volets s’étendant sur plus de cinq mètres.
Leur collaboration s’étend à plusieurs commissariats et publications, dont un entretien fleuve et décapant pour Art Press en 1984-85 qui reste dans les annales. L’exposition « Werke & Tage », organisée par Curiger à la Kunsthaus de Zurich en 2005, reste également mémorable. Curiger laissait alors de côté l’ironie mordante du Polke des années 1960 pour mettre en lumière ses recherches picturales et photographiques, ses expériences avec une vaste gamme de matériaux, de pigments et de substances diverses et son approche « alchimique » de l‘art…
Dans C for Curator. Bice Curiger – A Life in Art, la biographie que Dora Imhof lui consacre, l’amitié et la collaboration entre la critique, commissaire et éditrice, et Sigmar Polke sont évoquées à de nombreuses reprises.
Alors que son départ de la Fondation Vincent van Gogh Arles est annoncé, l’exposition « Sous les pavés, la terre » prend sans doute une dimension particulière pour Bice Curiger, et résonne comme un hommage à cette relation artistique et intellectuelle hors du commun.
Catalogue annoncé pour la fin juin aux éditions Les Belles Lettres. On devrait y lire des textes inédits de Bice Curiger, d’Ulf Erdmann Ziegler et de Maria Stavrinaki, un ensemble de témoignages de personnalités et compagnons de route ayant côtoyé Sigmar Polke, ainsi que de jeunes artistes influencés par son travail. L’ouvrage devrait également reproduire des interviews inédites de Petra Lange-Berndt et de Astrid Heibach Britta Zöllner, ainsi que des poèmes de Thomas Kling et un texte sur Van Gogh de Hugo von Hoffmannsthal.
Compte rendu de visite complet à suivre.
En savoir plus :
Sur le site de la Fondation Vincent van Gogh Arles
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