Ivana Bašić – Metempsychosis au MO.CO. Panacée


Avec « Metempsychosis », Ivana Bašić présente de toute évidence l’exposition la plus spectaculaire, la plus aboutie et la plus inquiétante de la saison Art & Science que le MO.CO. Montpellier Contemporain propose pour le printemps 2025. Paradoxalement, c’est aussi celle qui pourrait à première vue en être la plus éloignée…

On avait déjà rencontré son travail avec une sculpture (Belay my light teh ground is gone, 2018) dans le mémorable « Crash test – la révolution moléculaire» que Nicolas Bourriaud avait imaginé pour la Panacée au printemps 2018.
« Metempsychosis » est la première exposition institutionnelle en France d’Ivana Bašić et prolonge celle qui a été présentée au Schinkel Pavillon à Berlin, l’été dernier.
Une vingtaine d’œuvres, produites entre 2018 et 2024 (sculptures, dessins, vidéo) dont une imposante installation cinétique et sonore de sept mètres de large construisent une narration troublante dont le sujet principal est une exploration ambitieuse de la mort et de la transmutation.
Au-delà d’impressionnantes dimensions formelles et techniques, « Metempsychosis », sans doute le projet le plus important dans la carrière de l’artiste, révèle une forme de cosmologie méticuleusement échafaudée où chaque matériau a une portée symbolique essentielle.

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić devant Passion of Pneumatics, 2024 – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Entrer directement dans l’univers de « Metempsychosis » est sans doute possible. Cependant, quelques clés peuvent être utiles pour en comprendre le sens et toute la richesse. Le recours au livret à la disposition du public sera sans doute utile. Ivana Bašić a été particulièrement généreuse en explications et commentaires lors de la présentation de presse qui précédait le vernissage. On en propose ci-dessous transcription et traduction suivante.

Aux frontières de la matérialité

Pour mieux comprendre son travail, Ivana Bašić explique qu’il est essentiel d’en connaître son contexte et ses origines.
« Je suis d’origine serbe et j’ai grandi en Yougoslavie, où je suis né en 1986. Mon enfance a été marquée par l’effondrement de ce pays où diverses nations coexistaient. Il a sombré dans l’une des guerres civiles les plus sanglantes, entraînant la désintégration de la nation, de la langue, de la culture et même de la monnaie. Cette expérience de l’effondrement total a profondément influencé ma quête artistique. Cette perte totale a engendré une prise de conscience aiguë de l’instabilité du monde matériel. Cette impression s’est intensifiée en 1999, lors de bombardements. À 13 ans, vivant dans des immeubles situés à côté d’un aéroport militaire ciblé, j’ai passé 78 jours enfermés dans des abris souterrains, confronté à la précarité de l’existence et à la dépendance à la matière. J’ai compris que, bien que nous soyons plus que de la matière, notre survie dépend de notre corps physique. Si le corps disparaît, nous disparaissons avec lui. Cette révélation a profondément marqué ma vie et mon travail artistique ».

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić devant Blossoming Being #1, 2024 un des éléments de Passion of Pneumatics, 2024- Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Elle ajoutait ensuite : « Depuis, mon travail est devenu une quête presque désespérée pour transcender les frontières de la matérialité. Chaque œuvre que je crée est une tentative d’échapper aux limites imposées par notre condition physique, de trouver un passage vers une existence au-delà de la chair et de la matière.
Cette expérience a profondément influencé ma vision du monde et mon travail artistique. Plutôt que de me concentrer uniquement sur les récits historiques ou politiques, j’ai développé un langage matériel unique au fil des douze dernières années. Mes œuvres sont construites à partir de matériaux soigneusement sélectionnés, chacun porteur d’une signification particulière 
».

Le langage des matériaux

« La cire est le matériau blanc dont sont faites les figures sculptées. Elle représente la chair, matière mortelle et éphémère. Cette cire de paraffine est issue de la pétrochimie, donc de la terre, soulignant ainsi l’idée d’un retour du corps à la poussière.
Le verre, souvent façonné par le souffle, symbolise la respiration. Il incarne cette force vitale dans de nombreuses pièces. Le verre comme la cire peuvent être fondus et refondus, rendant leur forme solide temporaire et fragile. Mon travail explore cette fragilité du corps et de toute forme, soulignant leur retour inévitable à l’absence de forme.
La peinture à l’huile appliquée sur la cire ne sèche jamais complètement et peut être diluée même après plusieurs siècles, illustrant l’absence d’un état final irréversible.

Ivana BašićMetempsychosis au Schinkel Pavillon, Berlin – Photos Stefan Korte

L’acier inoxydable incarne les forces de la vie et de la mort qui agissent sur le corps. Contrairement à la chair, il est atemporel puisqu’il ne s’oxyde pas, ce qui en fait une métaphore de la violence de l’existence. Pour moi, il symbolise cette violence inhérente à la vie et aux forces qui s’exercent sur nous. Ces forces invisibles, mais omniprésentes…Le bronze, quant à lui, est aussi un métal, mais il est sujet à la corrosion et à l’oxydation. Je l’emploie pour illustrer les stratégies de protection d’une entité, comme une armure qui la préserve tout en l’accompagnant dans son lent processus de transformation.
La pierre évoque la matière soumise à la pression. En étudiant ses similitudes avec le corps après la mort, j’ai réfléchi à la manière dont la respiration, symbole de la vie, est lentement expulsée sous la pression, jusqu’à ce que le corps ne devienne qu’une masse dense et froide – des caractéristiques propres à la pierre – avant qu’il ne subisse une pression encore plus intense et se réduise en poussière 
».

La poussière et la quête de l’au-delà du matériel

« Pour moi, la poussière est à la fois une dissolution et une libération des contraintes de la matérialité. Elle est un élément fondamental de toute chose, une trace de ce qui a existé. La poussière est une matière infiniment fragmentée dont l’origine de chaque particule est inconnue, ce qui révèle un mystère fondamental au cœur même de notre existence. C’est précisément dans cette incertitude que je perçois un potentiel exaltant pour repenser l’humain et l’être en général ».

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – Passion of Pneumatics, 2024. Détail de Metabole, 2020-24 – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

L’installation Passion of Pneumatics

Le parcours de « Metempsychosis » commence avec la monumentale installation intitulée Passion of Pneumatics (2024). Pièce maîtresse de l’exposition, elle occupe aussi une place essentielle dans le travail d’Ivana Bašić. Dans un entretien avec Kate Brown pour Artnet, elle confiait : « cette œuvre est de loin la plus ambitieuse et la plus complexe que j’aie jamais réalisée. Elle a été en production pendant six ans avant d’être exposée ».

Ivana Bašić – Passion of Pneumatics, 2024 - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – Passion of Pneumatics, 2024 – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Lors de sa présentation, elle en faisait la description suivante :
« Cette pièce maîtresse évoque à la fois le soleil, un noyau en formation, un centre d’énergie, mais aussi les représentations à la Renaissance du Cœur Immaculé de Marie, avec des rayons lumineux qui en émanent.
Ici, ces rayons ont été remplacés par des marteaux pneumatiques qui réduisent lentement une pierre d’albâtre rose en poussière. Ils sont alimentés par la force de l’air sous pression – une résonance directe avec la respiration dans mon esprit – dont la cadence est réglée sur le rythme même de mon souffle.

Ivana Bašić – Passion of Pneumatics, 2024 - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – Passion of Pneumatics, 2024. Détail de Metabole, 2020-24. Moulage sur mesure, verre soufflé, acier inoxydable, albâtre rose, souffle, marteaux pneumatiques, pression, collecteurs d’échappement de voitures de course sur mesure, circuit sur mesure, microphones, mélangeur, haut-parleurs, compresseur d’air – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Le cœur de la sculpture, intitulée Metabole, est entouré de quatre panneaux en verre soufflé de couleur rose. Les tuyaux sinueux qui la parcourent, quant à eux, des collecteurs d’échappement conçus pour des voitures de course, ce qui en fait en quelque sorte un appareil respiratoire mécanique. Ainsi, toute la machine devient une métaphore du souffle, une entité qui respire tout en réduisant lentement la pierre en son cœur en poussière éphémère.

Ivana Bašić – Passion of Pneumatics, 2024 - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – Passion of Pneumatics, 2024. Détail de Metabole, 2020-24. Moulage sur mesure, verre soufflé, acier inoxydable, albâtre rose, souffle, marteaux pneumatiques, pression, collecteurs d’échappement de voitures de course sur mesure, circuit sur mesure, microphones, mélangeur, haut-parleurs, compresseur d’air – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

De chaque côté de Metabole, des figures biomécaniques intitulées Blossoming Being #1 et #2 émergent à l’extrémité de tiges en acier inoxydable. Les plis de peau couleur chair des sculptures sont entourés de plaques d’armure brillantes, apparemment pour protéger les corps mous lorsqu’ils émergent et dissolvent leurs coquilles. Mais elles ne cherchent pas tant à se protéger qu’à s’abandonner à ce processus, à l’accueillir comme une forme d’épanouissement, une dissolution nécessaire à l’évolution de l’être.

Ivana BašićPassion of Pneumatics, 2024. Blossoming Being #1 et #2, 2024. Cire, verre soufflé, albâtre blanc, souffle, bronze, acier inoxydable, peinture à l’huile – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Toutes les sculptures figuratives de l’exposition partagent un même cœur en albâtre, soulignant cette idée d’un processus commun et progressif de réduction, dont la pièce centrale de Passion of Pneumatics est la manifestation la plus explicite. »

Ivana Bašić - Passion of Pneumatics, 2024 - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana BašićPassion of Pneumatics, 2024. Détail de Blossoming Being #1, 2024. Cire, verre soufflé, albâtre blanc, souffle, bronze, acier inoxydable, peinture à l’huile – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Après cette présentation de Passion of Pneumatics, Ivana Bašić ajoute ces quelques éléments de compréhension de son travail :
« Je dirais que ces figures de l’exposition se trouvent à différents stades de transformation. Un aspect central de mon travail réside dans la représentation de corps non normatifs, une physicaliste qui échappe aux conventions. C’est une obsession qui me suit depuis des années.
Dans mon esprit, chaque point de déformation est aussi un point de libération, un affranchissement des contraintes de la matérialité et des normes qui définissent ce qu’un corps ou un être peut et doit être. Ici, ces figures semblent se délester de quelque chose : leur chair ressemble à de la cire en train de fondre, révélant une couche intérieure, une sorte d’armure qui les protège. Mais cette armure elle-même s’ouvre, elle éclot, et en leur cœur, on découvre la pierr
e ».

La fiche de salle du Schinkel ainsi que le communiqué de presse et son site internet du MO.CO. évoquent à propos de Passion of Pneumatics « l’idée gnostique du Pneuma, “souffle” et “esprit” en grec »… On aurait apprécié que l’exposition apporte un regard scientifique sur ce concept philosophique et sur l’École de médecine des pneumatiques fondée à Rome au Ier siècle après J.-C…

Dans son introduction Ivana Bašić proposait un autre prisme de lecture pour son exposition avec les écrits des cosmistes russes.
« Ils ont beaucoup réfléchi à l’idée de l’immortalité et cherchaient à concevoir une société qui pourrait vivre éternellement. Selon eux, l’humanité, dans son état terrestre actuel, est trop captive de la gravité et des sens. Pour évoluer au-delà de cette condition, il faudrait se libérer de ces entraves physiques, réduire nos corps.
Ils affirmaient que plus l’humanité évoluerait, plus ses corps deviendraient petits, jusqu’à atteindre un état d’invisibilité spatiale. Approcher la divinité reviendrait à se dépouiller de la matérialité jusqu’à disparaître. Le divin est invisible, et nous, en évoluant, devrions tendre vers cette absence de corps.
Cette pensée est au cœur même de mon travail, et j’espère que cette idée transparaît à travers mes œuvres, que l’on peut la ressentir dans l’exposition 
».

Au-delà de cette première installation, les figures que l’on rencontre dans « Metempsychosis » paraissent toutes se métamorphoser progressivement en un état désincarné, se libérant de leurs formes et se transformant finalement en poussière éthérée qui l’on retrouve au sol…

Ivana Bašić – Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – Hypostasis, 2024. Verre soufflé, haleine, poussière, tuyau d’échappement de voiture de course – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

À la fois répulsives et séduisantes, la plupart de ces entités sans visage semblent suggérer, d’une manière sinistre, mais élégante, la fusion progressive des catégories d’humain, de machine et d’extraterrestre…
Il y sans doute dans la démarche avec laquelle Ivana Bašić interroge la mort et la transmutation un attrait évident pour la métempsychose et la métensomatose – le titre en fait foi – mais aussi probablement pour un transhumanisme qu’il soit inspiré du cosmisme russe ou de ses expressions anglo-saxonnes.

On trouvera ci-dessous, quelques regards photographiques sur le parcours de « Metempsychosis ». Ils sont accompagnés de commentaires d’Ivana Bašić et d’extraits du livret à la disposition du public.
Celles et ceux qui n’ont pas encore vu « Metempsychosis » et qui prévoient de passer à la Panacée pourront éviter cette lecture avant leur visite…

En savoir plus :
Sur le site du MO.CO. Montpellier Contemporain
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Sur le site d’Ivana Bašić
À lire l’entretien avec l’artiste publié sur le site de Artnet News en août dernier

Regards sur « Metempsychosis » d’Ivana Bašić à la Panacée

Passion of Pneumatics

On a longuement évoqué cette installation avec sa présentation par Ivana Bašić rapportée ci-dessus. Il convient toutefois d’ajouter que la « respiration » de l’œuvre et la cadence de ses marteaux pneumatiques sont accompagnées par le paysage sonore de Koumé, une composition d’Eliane Radigue, créée en 1993 pour synthétiseur ARP 2500 et bandes magnétiques. Il s’agit de la troisième partie d’une pièce de trois heures intitulée la Trilogie de la Mort, considérée comme son chef-d’œuvre. La musique d’Eliane Radigue est à la croisée des courants minimaliste, électronique et spectral. Avec Steve Reich, entre autres, elle fait partie des favoris qu’Ivana Bašić écoute à l’atelier. La diffusion en boucle de Koumé accompagne les visiteur·euses pendant tout le parcours de « Metempsychosis » et elle contribue activement à l’atmosphère souhaitée par l’artiste.

Dans son entretien avec Kate Brown pour Artnet, Ivana Bašić explique les conditions dans lesquelles Passion of Pneumatics a été produit.
« La production de cette pièce a été le processus le plus difficile que j’ai jamais vécu. L’ampleur de la sculpture, la complexité matérielle et structurelle, et le nombre de défis que j’ai dû surmonter pour qu’elle soit suspendue dans l’espace aujourd’hui dépassent tout ce que j’aurais pu imaginer lorsque j’ai commencé le travail il y a quatre ans.
Assembler tous les matériaux de manière structurellement solide mais complètement homogène a été si difficile que j’ai cru à un moment donné que cette pièce ne serait jamais terminée. J’y ai travaillé à plein temps pendant des années et j’avais souvent l’impression que la fin n’était pas à l’horizon.

Ivana Bašić – Metempsychosis - Passion of Pneumatics au Schinkel Pavillon, Berlin - Photo Stefan Korte
Ivana Bašić – Metempsychosis – Passion of Pneumatics au Schinkel Pavillon, Berlin – Photo Stefan Korte

Chaque petite pièce de cette machine entièrement fonctionnelle est fabriquée sur mesure, pensée et conçue par moi-même. Les panneaux de verre ont été moulés sur mesure à partir de minuscules billettes de verre en feuilles plates, puis appuyé sur des formes en 3D pour obtenir le type de courbure que je souhaitais, et enfin collés à la main avec l’aide de mes assistants. Les composants de la machine ont été fabriqués dans différents ateliers à Brooklyn, Chicago, dans l’Arkansas et en Oregon avant d’être réunis à l’atelier. J’ai eu la chance d’avoir l’aide de personnes formidables tout au long du processus. En raison de la taille de l’ensemble de l’installation, je n’ai jamais pu l’assembler entièrement dans mon atelier, car il n’y avait pas assez de place, donc pendant toutes ces années, je n’ai pu voir que des parties de la sculpture finale. La première fois qu’elle a été entièrement assemblée, c’était lors de l’installation de l’exposition au Schinkel Pavillon, quelques jours seulement avant le vernissage.

Ivana Bašić dans son atelier. Photo Tiffany Nicholson. Image courtesy the artist and Albion Jeune
Ivana Bašić dans son atelier. Photo Tiffany Nicholson. Image courtesy the artist and Albion Jeune

Mes sculptures ne sont, à la surprise de certains, ni conçues numériquement ni assistées par ordinateur de quelque manière que ce soit. Toutes mes pièces sont minutieusement formées à la main grâce à des techniques manuelles complexes que j’ai développées au cours de la dernière décennie. Je sculpte mes pièces dans de l’argile à la main, guidée uniquement par l’intuition. Souvent, je n’ai même pas de dessin. Je pars d’une vague idée de ce que la pièce devrait être lorsque je la commence, mais je n’ai aucune idée de ce à quoi elle ressemblera. Le processus de sculpture, de recherche des formes dans l’argile, peut prendre entre un et quinze mois et constitue une sorte d’expérience mystique sur laquelle j’ai l’impression de n’avoir aucun contrôle. 
Chaque matériau est ensuite mis en forme au cours d’un processus laborieux qui comprend la construction d’armatures, la sculpture en argile, la fabrication de moules en silicone et en Forton ou FMG, le moulage d’éléments en cire et en bronze, la fabrication de composants métalliques, la sculpture sur pierre, le moulage de positifs pour le soufflage du verre, la fabrication de moules en plâtre et en silice, le soufflage et la découpe du verre et enfin, l’assemblage de ces matériaux disparates et la peinture des pièces »…

The Temptation of Being et Thousand years ago 10 seconds of breath were 40 grams of dust

Ivana Bašić – Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – Thousand years ago 10 seconds of breath were 40 grams of dust #3, 2024. Digital HD, Vidéo 1:40 ; The Temptation of Being #3, 2024 et The Temptation of Being #2, 2024-2025 (Co-production MO.CO. Montpellier Contemporain et Studio Ivana Basic). Cire, verre soufflé, albâtre blanc, bronze, souffle, acier inoxydable, peinture à l’huile – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Dans la seconde salle, deux sculptures (The Temptation of Being #2 et #3, 2024-2025) évoquent des personnages immobilisés par des structures en acier en forme de gigantesques forceps. Dans des poses impossibles, elles paraissent appuyer leurs têtes de verre de couleur amniotique entre leurs reins. Ces deux œuvres semblent osciller entre contraction et révélation précaire d’un intérieur indéterminé, composé d’albâtre poli aux teintes orangées…

À l’arrière, une vidéo de sable tourbillonnant (Thousand years ago 10 seconds of breath were 40 grams of dust #3, 2024) est projetée sur un mur soulignant l’inertie des deux figures. Faut-il y percevoir l’évocation d’une fertilité fossilisée, troublée par l’humidité visuelle que renvoient leurs fascinantes pièces en verre soufflé ?

Hypostasis et Undergrouding

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana BašićHypostasis, 2024. Verre soufflé, haleine, poussière, tuyau d’échappement de voiture de course et Undergrouding, 2024-2025. 12 dessins à l’aquarelle – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Dans un coin de la troisième salle, deux formes ovoïdes semblent abandonnées au milieu de la poussière. Le titre de cette pièce (Hypostasis, 2024) renvoie-t-il au concept du « principe divin » des néoplatoniciens ou à celui de la « trinité divine » de la théologie chrétienne ?

Selon le texte du Schinkel, « Hypostasis est une exploration poignante de la nature éphémère de la vie, encapsulée dans des œufs de verre translucides remplis de poussière et du souffle de l’artiste. Ces œufs, hermétiquement scellés et attendant d’éclore, incarnent la brutalité et le potentiel des forces vitales ».

Sur les murs sont accrochés douze dessins à l’aquarelle de la série « Ungrounding » (2022-2024). Les formes, les pigments dissous, et la déformation du papier due à l’humidité évoquent-ils la naissance et les débuts de la vie ? Les nuances de rose pâle et de blanc reliées par des courbes sombres ainsi que les formes elliptiques et utérines rappellent en effet des images de nébuleuses ou de vie cellulaire…

I too had thousands of blinking cilia, while my belly, new and made for the ground was being reborn et Undergrouding

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – I too had thousands of blinking cilia, while my belly, new and made for the ground was being reborn, 2024. Position I et III (#3 et #6). Bronze blanc, Savon Stoen, pression, tiges de mise à la terre, acier inoxydable, vaseline – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Dans cette quatrième salle, deux dessins à l’aquarelle de la série « Ungrounding » (2022-2024) accompagnent deux sculptures aux titres énigmatiques (I too had thousands of blinking cilia, while my belly, new and made for the ground was being reborn. Position I et III, 2024).

Lors de la visite de presse, Ivana Bašić expliquait :
« Cette salle est consacrée à des formes que je perçois comme transitoires, des états intermédiaires entre le corps et la désincarnation. Elles évoquent presque des chrysalides ou des nymphes, ces structures que les papillons et les mites construisent lorsqu’ils se métamorphosent d’une chenille en papillon.

Ces cocons sont comme des armures qu’ils se fabriquent pour se protéger durant cette transformation extrême. À l’intérieur, ils utilisent leurs propres acides digestifs pour se liquéfier entièrement et se reconfigurer en une nouvelle forme. Ce stade du processus est d’une immense fragilité, d’où la nécessité de cette protection.
Ces sculptures font écho à cette étape fragile de la métamorphose. Le verre, ici, représente le souffle, qui semble s’affaisser, s’échapper du corps en pleine transformation.

Un autre aspect essentiel de ces pièces est l’utilisation du mimétisme, une stratégie de protection fréquente chez les insectes. Par exemple, de face, la sculpture donne l’illusion d’un visage, à l’image de certains papillons dont les motifs imitent un animal plus grand pour dissuader les prédateurs. Mais en l’observant sous un autre angle, on réalise que ce visage est en fait incliné vers l’avant, tourné vers le mur, dans une posture défensive, comme s’il cherchait à se dissimuler.
Enfin, ces éléments métalliques rappellent à nouveau l’idée d’une armure, mais ici, elle semble être progressivement expulsée du corps tout en continuant à le protéger. Cette tension entre la vulnérabilité et la défense est au cœur de ces œuvres 
».

I sense that all of this is ancient and vast. I had touched the nothing, and nothing was living and moist. #4 – I had seen the centuries, and the vast dry lands; I had reached the nothing and the nothing was living and moist et Exuviae

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – I sense that all of this is ancient and vast. I had touched the nothing, and nothing was living and moist. #4, 2022. Bronze blanc, pierre de savon, pression, tiges de mise à la terre, acier inoxydable, vaseline ; I had seen the centuries, and the vast dry lands; I had reached the nothing and the nothing was living and moist, 2018-2024. Acier inoxydable, albâtre rose, cire, verre soufflé, souffle, pression. Collection privée, Berlin et Exuviae, 2024. Bronze cuivré, cloison sèche, cadre en acier, forton, poussière – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Au centre de la dernière salle, une étrange et effrayante figure chimérique, mi-insecte, mi-machine accueille les visiteurs.
Ivana Bašić raconte :
« La forme initiale évoquait une mante religieuse, mais elle s’est peu à peu transformée en une chimère. Dans de nombreuses mythologies anciennes, les mantes religieuses étaient considérées comme des prophètes et des guides vers l’au-delà. Ce symbolisme résonnait profondément en moi et correspondait parfaitement à ce que je voulais exprimer à travers cette œuvre. Elle incarne à la fois une certaine monstruosité et une grande fragilité.

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – I had seen the centuries, and the vast dry lands; I had reached the nothing and the nothing was living and moist, 2018-2024. Acier inoxydable, albâtre rose, cire, verre soufflé, souffle, pression. Collection privée, Berlin – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

La sculpture elle-même semble en pleine mutation, comme si elle était en train de muer, de s’ouvrir. Au cœur de cette transformation se trouve la pierre d’albâtre, qui est en réalité le point de départ de toute cette exposition. J’ai acheté cette pierre en 2017 et je l’ai conservée pendant un an avant d’oser la toucher. J’ai toujours été troublé par la manière dont la pierre est souvent traitée en art : comme une simple toile vierge, alors qu’il s’agit d’un matériau façonné par des millions d’années d’histoire, ayant été témoin d’un monde que nous ne pouvons même pas imaginer, et ayant subi une pression colossale.

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – I had seen the centuries, and the vast dry lands; I had reached the nothing and the nothing was living and moist, 2018-2024. Acier inoxydable, albâtre rose, cire, verre soufflé, souffle, pression. Collection privée, Berlin – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Pour moi, cette pierre renferme une vérité profonde. Mon intention n’était pas de lui imposer une forme – de la sculpter en un corps humain, un animal, ou toute autre figure reconnaissable. Je voulais au contraire révéler ce qui était déjà inscrit en elle. Mon intervention devait être à peine perceptible, afin de laisser la matière s’exprimer librement.
L’albâtre présente d’incroyables veines de terre, qui lui donnent une dimension organique. Lorsque je le sculpte, il prend une apparence intestinale, presque viscérale. Ce processus d’érosion et de réduction en poussière reflète la vérité de la chair elle-même. Ainsi, le corps semble peu à peu se déliter, laissant apparaître cette pierre qui constitue son noyau, avant de se dissoudre complètement.

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – I had seen the centuries, and the vast dry lands; I had reached the nothing and the nothing was living and moist, 2018-2024. Acier inoxydable, albâtre rose, cire, verre soufflé, souffle, pression. Collection privée, Berlin – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Le souffle, quant à lui, est expulsé sous pression, matérialisé par des éléments en verre soufflé qui semblent émerger du corps comme un gonflement. Les jambes en acier inoxydable soutiennent la structure, tout en l’entravant. Ce rapport entre soutien et violence est une constante dans mon travail, illustrant la tension entre la fragilité du corps et la rigidité du métal.
L’être sculpté oscille entre le monstrueux et le délicat. Il avance d’un pas qui semble à la fois déterminé et hésitant, son corps courbé vers l’intérieur exprimant une vulnérabilité latente
 ».

Face à cet insectoïde, un objet singulier pourrait être en communication avec un autre monde…

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – I sense that all of this is ancient and vast. I had touched the nothing, and nothing was living and moist. #4, 2022. Bronze blanc, pierre de savon, pression, tiges de mise à la terre, acier inoxydable, vaseline – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

« Je considère cette pièce comme le point zéro de toute la narration. Cette sculpture, dans mon esprit, est à la fois la chrysalide d’un autre monde et la matrice en train de donner naissance à la matière.
En son centre se trouve une pierre à savon, qui évoque un organe en train de naître. Les tiges métalliques qui l’entourent renvoient à la fois aux rayons du soleil et aux représentations du Cœur Immaculé. Mais ces tiges sont aussi des instruments fonctionnels, appelés tiges de mise à la terre, qui servent à capter un signal pour le transmettre au sol.

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – I sense that all of this is ancient and vast. I had touched the nothing, and nothing was living and moist. #4, 2022. Bronze blanc, pierre de savon, pression, tiges de mise à la terre, acier inoxydable, vaseline – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Cette pièce exprime ainsi la double nature de l’être : à la fois terrestre et céleste, mortel et immortel, ancré dans le monde physique tout en tendant vers une dimension transcendante. Tous ces éléments se compriment en une seule entité, progressant inexorablement dans son évolution ».

Derrière la « mante religieuse », Exuviae comme son nom l’indique est l’enveloppe que le corps de la figure chimérique a sans doute quittée lors de la mue ou de la métamorphose…
« Si l’on regarde attentivement, on peut distinguer un corps replié sur lui-même de manière identique, avec la tête, le pied et le dos dans la même posture. Il s’agit en réalité de la même figure, mais à un stade différent de sa transformation.

Ivana Bašić - Metempsychosis au MO.CO. Panacée
Ivana Bašić – Exuviae, 2024. Bronze cuivré, cloison sèche, cadre en acier, forton, poussière – Metempsychosis au MO.CO. Panacée

Dans mon esprit, cette sculpture représente une forme transitoire, faisant écho à un sarcophage — un état intermédiaire, une enveloppe provisoire avant une métamorphose vers une autre condition d’existence.
L’œuvre contient une cavité à l’intérieur du mur, légèrement entrouverte, comme si un être s’y était trouvé, avant d’éclore et de laisser derrière lui cette forme vide. La figure sculptée, accroupie devant cette cavité, semble veiller sur cet espace dont elle est issue, comme si elle témoignait du passage qu’elle a traversé 
»…
On pourrait aussi y reconnaître les formes du corps de The Temptation of Being

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