Jonathas De Andrade à la Commanderie de Peyrassol dans le Var


Il fallait un signe fort pour inaugurer le nouvel espace dédié aux expositions temporaires au cœur du hangar de production construit par Charles Berthier en 2020. Le pari est réussi avec L’art de ne pas être vorace de Jonathas De Andrade qui représenta le Brésil à la 59e Biennale de Venise en 2022.

Sous l’impulsion de Philippe Austruy, la Commanderie de Peyrassol compte parmi les domaines prestigieux qui associent vignoble et art contemporain dans le sud de la France. Plus précisément à Flassans-sur-Issole, dans le Var, où l’ancien hameau fondé au XIIIe siècle par l’Ordre des Templiers abrite un espace d’exposition temporaire, un centre d’art consacré à sa collection permanente et un parc de sculptures. Ouvert au public en 2015, réaménagé en 2021, la Commanderie a déjà six expositions à son actif et autant d’éditions de catalogues : Cuba Talks, La scène cubaine à l’honneur (2020), Anish Kapoor (2021), Michelangelo Pistoletto, La mise à nu de la société (2022), Face au temps, Regards croisés sur les collections Philippe Austry et De Jonckheere (2022), Berlinde De Bruyckere, City of Refuge (2023) et Bertrand Lavier, En couleur (2024). Des exhibitions magistrales opérées par Mathilde Marchand, directrice du centre d’art et commissaire d’exposition venue tout droit de Beaubourg !

Mathilde Marchand à qui l’on doit actuellement l’exposition monographique L’art de ne pas être vorace au titre inspiré de l’œuvre de Clarice Lispector (1920-1977), femme de lettres brésilienne chère à Jonathas De Andrade, qui « explore subtilement les contradictions humaines ».

Jonathas de Andrade - L’art de ne pas être vorace à la Commanderie de Peyrassol, 2025. Photographie : ©Jeanchristophe Lett
Jonathas de Andrade – L’art de ne pas être vorace à la Commanderie de Peyrassol, 2025. Photographie : ©Jeanchristophe Lett

Une exposition comme une évidence

L’idée a germé lors d’une rencontre entre le collectionneur et l’artiste qui a découvert sa propriété en 2024, lui-même étant à l’initiative de la construction au Brésil d’un centre dédié aux arts locaux pour enfants de 4 et 12 ans, baptisé du nom de sa dernière fille « Centro do Lou ». Ne restait plus alors qu’à Jonathas De Andrade d’investir un nouveau terrain de jeu et présenter un ensemble d’œuvres en dialogue avec le domaine ; soit au total 8 œuvres déjà exposées, 2 pièces inédites et 2 films autour des expressions du langage courant « dévorer des yeux », « dévorer un livre », « dévorer par la curiosité », « dévorer par le temps »… Autant d’items qui disent « l’ambiguïté de la voracité, explique l’artiste, qui est une pulsion essentielle, une façon de survivre, une pulsion de conquête ou de possession d’un territoire terriblement humaine ».

Inspiré par la nature environnant la Commanderie, Jonathas De Andrade a créé deux pièces en écho à la terre, « parfois polluée même dans un lieu protégé » remarque-t-il, et à la sédimentation des matières. D’où le mélange de matières (« un nouveau geste pour moi ») dans la pièce-phare qui donne son titre à l’exposition et met en contradiction l’idée même de dévoration : une sculpture verticale faite d’un agrégats de mini pierres, de disques de plastique et de résidus de toutes sortes. A contrario, la seconde est le fruit de sa découverte in situ de limaçons recherchant la fraicheur en haut des tiges, vestiges d’une terre vierge de toute activité humaine.

Jonathas de Andrade - L’art de ne pas être vorace à la Commanderie de Peyrassol, 2025. Photographie : ©Jeanchristophe Lett
Jonathas de Andrade – L’art de ne pas être vorace à la Commanderie de Peyrassol, 2025. Photographie : ©Jeanchristophe Lett

L’allégorie du monde

Une grande part de sa production est liée à son envie de raconter des histoires par l’image photographique et la vidéo qui témoignent de la fragilité du monde vivant à travers les liens entretenus entre l’homme et l’animal. Quand la nature reste « sauvage » ou a été domptée, quand l’activité humaine est destructrice ou protectrice. Un nœud dans la gorge réalisée avec des travailleurs d’un zoo brésilien en est un manifeste à plusieurs égards : son esthétique irréprochable permet d’évoquer de manière intrinsèque la violence et le risque pris par les humains dans leur corps à corps avec les serpents. De même dans O Peixe (Le Poisson) présentée à la Biennale de Sao Paulo en 2016, l’artiste filme dix pêcheurs capables d’embrasser et de caresser longuement des poissons à peine capturés. « Ici le pêcheur dévore le poisson et en même temps le spectateur dévore la scène dans un jeu de représentation » qui interroge la fiction et la réalité… Deux vidéos dont les séquences projetées en boucle disent de manière biaisée des sentiments conflictuels : la tendresse et la mise à mort, le soin et l’oppression, la connivence et la domination, la confiance et la sensualité. A l’image de la constante bataille qui décime le Brésil – et le monde entier – entre le développement économique et la préservation des milieux naturels.

On assiste à un art engagé qui va bien au-delà de la séduction ou de la poétique des images, et qui embrasse les liens de domination de l’homme sur la nature, la question du territoire et des frontières, la survie des communautés indigènes, la dictature et son corollaire la censure. Il n’est qu’à regarder longuement la sculpture Morder a lingua (Se mordre la langue) au titre emprunté aux expressions populaires« s’abstenir de parler ou tenir sa langue » exposée sous la mandature de Jair Bolsonaro, ou encore l’ensemble de 14 impressions sur papier Exercice constructif pour un guérillero sans terre sur les abris de fortune des paysans obligés de se déplacer sans cesse, pour en convenir. « Il n’y a jamais de postures moralisatrices remarque Mathilde Marchand, mais la garantie d’une forme de liberté de penser » à laquelle nous sommes nous aussi conviés.

Vue du nouvel accrochage, Commanderie de Peyrassol, 2025 (Guy Vandenbranden, Sans titre, 1976 - Francisco Sobrino, Transformation instable 2/3, 1971/2015). Courtesy the artists et Commanderie de Peyrassol. Photographie : ©Jeanchristophe Lett 
Vue du nouvel accrochage, Commanderie de Peyrassol, 2025 (Guy Vandenbranden, Sans titre, 1976 – Francisco Sobrino, Transformation instable 2/3, 1971/2015). Courtesy the artists et Commanderie de Peyrassol. Photographie : ©Jeanchristophe Lett 

La collection permanente, le cœur de la Commanderie

Bernar Venet, Gloria Friedman, Jean Dubuffet, Pierre Buraglio, Olga de Amaral, François Morellet, Piotr Klemensiewicz, Henri Michaux, Frank Stella, Xavier Veilhan , Claude Viallat, Jean Tinguely, Robert Mapplethorpe , Kader Attia, Jacques Monory… Français et internationaux, vivants ou décédés, ils sont nombreux à composer la collection de Philippe Austruy constituée depuis 40 ans. Plus de 70 œuvres – sur 400 que compte la collection – investissent le nouvel espace du centre d’art dont les espaces décloisonnés offrent une plus grande liberté d’accrochage et de parcours, et mettent les œuvres en dialogue. La déambulation permet de découvrir des espaces intimistes, d’autres plus théâtraux comme celui habité par l’imposante installation du duo chinois Sun Yan & Peng Yu (Teenager Teenager, 2011) et la mezzanine entièrement consacrée aux installations d’Arman. Ou l’art de surprendre le visiteur par un ultime geste artistique !

L’art de ne pas être vorace, Jonathas De Andrade
Commissariat Mathilde Marchand, directrice de la Collection Philippe Austruy
Jusqu’au 2 novembre 2025

Exposition organisée dans le cadre de la Saison croisée Brésil-France 2025 ; l’exposition bénéficie du soutien de la Galleria Continua à San Gimignano qui le représente depuis 2014.

La visite de la collection permanente est guidée par l’équipe de médiation de la Commanderie de Peyrassol sur rendez-vous. Possibilité de découvrir en voiturette ou à pied le jardin de sculptures en plein air grâce aux parcours « La Forêt » et « Vers La Rouvière » : œuvres de Kendell Geers, Gisela Colon, Gloria Friedman, Pol Bury, Pascal Bernier, Bertrand Lavier, Bernar Venet, Rotraut Uecker, Jean-Claude Farhi, Alexander Liberman, Victor Vasarely, Joana Vasconcelos, Douglas White, Fabrice Langlade, Huang Yong Ping, Emile Gilioli, Nicolas Alquin, Jean-Michel Folon, Federica Matta, Franco Adami, Kostis Georgiou et Berlinde de Bruyckere.

En savoir plus :
Sur le site de la Commanderie de Peyrassol
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Jonathas De Andrade sur le site de la Galleria Continua
Sur le site de Jonathas De Andrade

Jonathas de Andrade - L’art de ne pas être vorace à la Commanderie de Peyrassol, 2025
Jonathas de Andrade – L’art de ne pas être vorace à la Commanderie de Peyrassol, 2025

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