Jusqu’au 22 mars 2026, Anna Meschiari, lauréate du Prix Occitanie Médicis 2024, présente avec « Les dormeur.euse.x.s » une proposition forte, à la fois exigeante et immersive, qui s’inscrit dans la continuité de son parcours. Sous le commissariat de Clément Nouet, elle occupe pleinement l’espace au rez-de-chaussée du Mrac et transforme le lieu pour offrir un parcours très réussi entre architecture, archéologie, histoire, peinture et objets.
Lors de sa résidence à la Villa Médicis à l’automne 2024, Anna Meschiari s’est intéressée aux figures de Marta Lonzi (1938-2008) — architecte, théoricienne et protagoniste du mouvement féministe italien des années 1970 avec sa sœur Carla — et de Plautilla Bricci, première femme architecte et peintre baroque, enfin reconnue par une exposition monographique à la Galerie Corsini à Rome (2022). À ces recherches menées dans les archives romaines s’est ajoutée la découverte de la nécropole étrusque de Banditaccia à Cerveteri, dont l’architecture souterraine, répétitive et creusée dans le tuf, a de toute évidence nourri son imaginaire.
Ces références architecturales, archéologiques et féministes se combinent pour alimenter une réflexion sur la matérialité du bâti et de l’ornement, la condition du regard et les formes d’une mémoire inscrite dans l’espace. Dans son travail antérieur (voir ses œuvres sur Documents d’artistes Occitanie ou son site), on retrouve déjà une curiosité pour les surfaces, les formes ouvertes ou hybridées, et un goût pour la porosité entre intérieur et extérieur, décoratif et fonctionnel.
« Les dormeur.euse.x.s » prolonge ces préoccupations dans une composition spatiale plus ambitieuse, où le corps du visiteur ou de la visiteuse devient un élément du dispositif.

Dès l’entrée, le parcours installe une atmosphère singulière. Les structures aux formes ouvertes, aux contours incertains, invitent à circuler lentement, à observer sous différents angles. Rien n’y est frontal : plutôt qu’un enchaînement d’œuvres à contempler, l’exposition propose un espace à traverser, un milieu à habiter, où l’attention, la marche et le regard deviennent des gestes de lecture.
Tuf
Dans la pénombre, Tuf (2025) ouvre le parcours comme comme un prélude à ce déplacement. Cinq écrans verticaux, désynchronisés, diffusent des images tournées dans la nécropole étrusque de Banditaccia, creusée dans le tuf. Les plans fixes alternent avec des mouvements lents, rendant toute lecture linéaire impossible. Les visiteur·euses circulent au milieu de ces écrans où le temps semble se déliter, où les images se recouvrent et se brouillent.



Anna Meschiari – Tuf, 2025. Vidéo sur 5 écrans désynchronisés, boucle, 8 min. 47 sec. Montage : Dounia Chemsseddoha – « Les dormeur.euse.x.s » au Mrac à Sérignan
Filmées avec un téléphone portable et éclairées par un autre appareil, ces séquences sont baignées par des couleurs et des lumières étranges et fanées où s’entremêlent, des roses, des verts, des ocres ou des mauves irréels… Le regard se perd dans cette succession d’images comme dans un souvenir en train de s’effacer.
ML

Ce premier espace est délimité par une structure en plastique transparent, vaste, imposante, mais visuellement poreuse. Le titre de cette sculpture, ML, renvoie directement à Marta Lonzi. Les formes de ce prisme monumental, dont un des côtés est profondément incurvé, font écho aux cloisons en bois et en verre, souvent courbées jusqu’aux limites des possibilités structurelles qui ont marqué de nombreux projets de l’architecte italienne.

Les visiteur·euses ne peuvent pas pénétrer dans ML, mais doivent la contourner, comme si l’œuvre marquait une frontière à franchir sans jamais pouvoir la traverser. Elle agit comme un seuil ou une membrane. Elle joue des frontières — intérieur/extérieur, visible/invisible. Le plastique, matériau industriel, est détourné pour devenir organique, presque une peau. L’installation oscille entre la rigueur architecturale et la fragilité du provisoire.

Cette architecture-sculpture prolonge une réflexion que l’artiste mène depuis plusieurs années autour des notions de piège et de leurre. Un travail amorcé en 2018, lors de sa résidence à la Fondazione Ratti à Côme, en Italie.
Paroi et Plafond

ML définit un deuxième espace, accessible par un étroit couloir. Deux de ses faces et trois murs du musée sont tapissés par « Paroi », une série de neuf peintures sur toile libre mesurant chacune deux mètres cinquante de haut sur presque quatre de large. Inspirées des panneaux de marbre décoratif observés dans certains édifices romains, ces toiles ont été réalisées au sol, sur une bâche de plastique, avec une peinture acrylique très diluée. La palette, réduite à quelques tons sourds et légèrement acidulés, prolonge les nuances que l’on devinait déjà dans la vidéo Tuf.
Au séchage, les plis du film plastique révèlent des surfaces vibrantes, presque organiques. Sur les côtés, des motifs géométriques, sans doute inspirés des décors romains, délimitent l’espace de ces tentures, accrochées au revers de la face peinte. « Paroi » agit comme une cloison, un revêtement : la peinture cesse de représenter pour devenir composante constructive de l’espace.








Anna Meschiari – Paroi, 2025 (détails). Acrylique sur toile coton, 250 × 380 cm chaque – « Les dormeur.euse.x.s » au Mrac à Sérignan
Suspendue au-dessus, l’installation « Plafond » dissimule partiellement celui du musée avec six pans de toile peinte à l’acrylique. Disposées horizontalement, ces surfaces flottantes modulent la lumière et évoquent la tente comme forme primitive de l’habitat.

Si ML redéfinit l’espace bâti du musée, « Paroi » et « Plafond » engagent un dialogue subtil avec celui-ci en créant un filtre pictural entre le public et l’architecture du lieu.
Dormeurxeuse

Au centre de cet espace, trois canapés recouverts de toile peinte composent Dormeurxeuse. Objets utilitaires détournés, ces sofas deviennent sculpture, peinture et fragments d’architecture domestique. Le·la visiteur·euse hésite : s’agit-il d’un siège, d’une sculpture, d’un objet de contemplation ou d’un décor ? Ce flottement, voulu par l’artiste, engage le regard et le corps dans une posture d’incertitude qui ne se prolonge pas très longtemps. Assez vite, on s’y installe confortablement pour regarder les toiles de « Paroi » et « Plafond », lire la fiche de salle, écouter l’artiste, le commissaire ou un·e médiateur·ice, prendre le temps…

Dormeurxeuse prolonge la réflexion d’Anna Meschiari sur les espaces hybrides, entre art et design, fonction et image. Ces canapés, comme « Paroi » et « Plafond », font écho au principe du « revêtement » formulé au XIXᵉ siècle par l’architecte et théoricien Gottfried Semper. Pour lui, l’architecture ne peut se limiter à ses éléments structurels, mais se comprend aussi par ses surfaces externes décoratives. Le revêtement, chez Semper, n’est pas accessoire. Il fait partie de l’identité architecturale.



Anna Meschiari – Paroi, 2025 (détail, vue d’atelier). Acrylique sur toile coton, 250 × 380 cm chaque et Dormeurxeuse, 2025 (détail). Mobilier revêtu de toile coton peinte à l’acrylique, 70 × 110 × 210 cm chaque – « Les dormeur.euse.x.s » au Mrac à Sérignan
Avec « Les dormeur.euse.x.s », Anna Meschiari instaure un rythme fait de lenteur et d’attention : ralentir, regarder, se déplacer, établir des liens. L’installation ne cherche pas à occuper l’espace. Chaque pièce s’inscrit dans un équilibre entre la présence physique des formes et la légèreté de leurs matières, entre monumentalité et intimité.
Le jeu des frontières (visible/invisible, intérieur/extérieur, objet/fonction) est subtilement manipulé. Les œuvres comme ML ou Paroi posent des limites visibles, mais perméables. Elles séparent tout en laissant passer. Elles filtrent le regard plutôt qu’elles ne le contraignent.

L’exposition « Les dormeur.euse.x.s » affirme une cohérence rare, à la fois esthétique et conceptuelle. La diversité des formes, des matériaux, des références et des dispositifs ne se réduit jamais à un collage ou à un effet d’accumulation, mais s’inscrit dans une pensée continue, précise, d’une grande exigence.
C’est sans doute l’une des propositions les plus fortes accueillies par le Mrac ces derniers temps. Elle ne se contente pas de montrer des formes qui dialoguent bien entre elles. Elle transforme l’expérience du lieu, en modifie l’architecture. Avec une étonnante maîtrise, Anna Meschiari compose un espace à habiter, un environnement qui appelle une attention lente, une présence active. Comme le souligne Sarah Rosa, rencontrée lors de leur séjour à la Villa Médicis, l’artiste parvient à « créer un environnement qui puisse dire des choses qu’elle ne peut pas formuler avec des mots ».
On trouvera sur le site du Mrac un lien pour télécharger la feuille de salle de l’exposition. Ce document contient également un intéressant texte de Sarah Rosa, artiste-chercheuse et résidente en pratique culinaire à la Villa Médicis que l’artiste a rencontrée à Rome à l’automne dernier. À l’invitation d’Anna Meschiari, elle y retrace un itinéraire sensible de Rome (lieu de leur rencontre), en passant par Marseille (lieu de résidence de Sarah), puis par RIGA (résidence qu’Anna a créée à Saint-Pierre-de-Trivisy dans le Tarn) jusqu’au Mrac à Sérignan. Ce texte témoigne des étapes et du processus de production de l’exposition, depuis la résidence à la Villa Médicis jusqu’à son déploiement dans l’espace du musée.
On reproduit ci-dessous quelques repères biographiques à propos d’Anna Meschiari, extraits du dossier de presse.
En savoir plus :
Sur le site du Mrac
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Sur le site d’Anna Meschiari
Consulter le dossier d’Anna Meschiari sur le site de Documents d’artistes Occitanie
Sur le site de RIGA, la résidence qu’Anna Meschiari a créée à Saint-Pierre-de-Trivisy dans le Tarn
Repères biographiques
Anna Meschiari est née en 1987 en Suisse. Elle vit et travaille à Saint-Pierre-de-Trivisy (France) depuis 2014. Elle est diplômée de l’École supérieure des arts appliqués de Vevey, Suisse (2014) et d’une licence en Anthropologie obtenue à l’Université Jean Jaurès, Toulouse (2024).
Ses projets et publications ont été montrés dernièrement au Club 44 à La Chaux-de-Fonds (2024), au centre de documentation Bob Calle, Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes (2023), au Musée départemental du Textile de Labastide-Rouairoux (2023), à la Galerie Mercier & Associés, Paris (2025, 2021), au Kunsthaus Zürich (2019), au Museum der Moderne Salzburg (2019) ou encore à la Fondazione Ratti à Côme (2018).
Fin 2023 son travail est sélectionné pour intégrer le fonds Documents d’artistes Occitanie et elle est lauréate 2024 du Prix Occitanie – Médicis et réside d’octobre 2024 à janvier 2025 à l’Académie de France – Villa Médicis à Rome.
En parallèle de sa pratique artistique, Anna Meschiari est également engagée dans la réflexion et la diffusion de la création contemporaine à travers RIGA, lieu de résidence et de prolongements éditoriaux dont elle assure la co-direction.









