Jusqu’au 31 mars 2013, le Musée Paul Valéry à Sète propose Salah Stétié et les peintres, une importante exposition qui s’attache à montrer la relation intime que le poète libanais d’expression française a entretenue avec les peintres.
Salah Stétié occupe une place importante dans la poésie contemporaine. Au carrefour des cultures arabe et européenne, il est l’auteur d’une œuvre poétique abondante, à laquelle s’ajoutent de nombreux essais, textes sur l’art et traductions de poètes arabes.
Le premier étage du musée est entièrement consacré à la présentation de 150 livres, comprenant l’intégralité de ses livres d’artistes, aux côtés de manuscrits ainsi que 100 œuvres de quelque 90 artistes qui ont collaboré à ces ouvrages parmi lesquels figurent notamment Alechinsky, Titus Carmel, Kijno, Tapiès, Viallat , Jan Voss, Woda ou Zao Wou-Ki…
La scénographique sobre propose un parcours chronologique selon la première collaboration du poète avec chaque peintre.
Jusqu’en 1992…
Les premières salles présentent un émouvant portrait de Stétié en 1949 par le peintre libanais Saliba Douaïhy et deux œuvres que Mathieu donna à Salah Stétié en 1961, à l’occasion d’une rencontre à Beyrouth.
De 1964, première réalisation avec Roger Edgar Gillet avec la nymphe des rats et jusqu’en 1992, la production de livres d’artiste est limitée par les contraintes diplomatiques de Salah Stétié.
De cette période, on retiendra Obscure lampe de cela avec les gravures de Raoul Ubac (1979), les Poèmes de Djaykoûr (1983) puis Archer aveugle (1984) avec les calligraphies de Mohamed Saïd Saggar, les délicates gravures et papiers découpés de Marc Pessin qui accompagnent Incises (1988) et Six poèmes inédits (1992). Cette époque est aussi marquée par une collaboration avec Albert Feraud dont un portait de Salah Stétié illustre Le voyage d’Alep (1991). Une gravure de Zao Wou-Ki sera l’unique collaboration avec l’écrivain pour la traduction du Prophète de Kalil Gibran…
Ces années sont aussi celles des premières collaborations avec les éditions Fata Morgana, dont le directeur Bruno Roy devient un ami et son éditeur « fraternel ».
À partir des années 1990…
Les livres réalisées avec les artistes deviennent plus nombreux.
Le plus souvent, c’est le poète qui écrit à partir d’œuvres proposées par les artistes ou les éditeurs. Quelquefois, c’est le poète qui s’adresse au peintre. C’est en particulier le cas avec Tàpies et avec les calligraphes Mohamed Saïd Saggar, Ghani Alani, Hassan Massoudy, Farid Belkaia et Nja Mahdaoui .
La collaboration souvent unique conduit parfois à la production de plusieurs ouvrages avec le même artiste : Alechinsky (6 livres), Julius Baltazar (6 livres), Catherine Bolle (7 livres), Jacques Clauzel (11 livres), Mireille Brunet-Jailly (7 livres), Joël Leick (5 livres)…
Ghani Alani est le deuxième calligraphe auquel Salah Stétié s’adresse en 1994. Cinq livres seront le fruit de leur collaboration. Une très belle calligraphie originale (encre et aquarelle sur papier), Rabi’a de feu et de larmes, de la collection du poète accompagne la présentation des cinq ouvrages.
La collaboration avec Jacques Clauzel débute en 1994. C’est l’artiste, également responsable des éditions A travers, qui contacte le poète. 11 livres d’artistes sont réalisés en 10 ans. Tous sont présentés ici, prêtés par le peintre qui expose également deux acryliques sur papier kraft récents P11 IV 009 et P11 IV 008, 2011.
La rencontre avec Mireille Brunet-Jailly date du milieu des années 1990. Leur collaboration se poursuivit jusqu’à la mort de l’artiste en 2006. Sept réalisations émaillent ce parcours. Une toile lumineuse, Fenêtre,1997 de la collection Salah Stétié accompagne ces livres d’artistes.
Hassan Massoudy est le troisième calligraphe irakien qui collabore avec Stétié, en 1995. Un suspens de cristal, édité par Fata Morgana est accompagné d’une encre sur papier, le champs, 1995 prêtée par le poète.
Cinq ans après leur rencontre, en 1995, Yim Setaik demande à Salah Stétié d’écrire un texte directement sur des lithographies de nus, dessins étonnés avec éclair de chaleur. Il en résulte un livre rare édité en seulement deux exemplaires. L’exposition met en regard un de ces exemplaires avec une émouvante feuille issue de la collection de l’écrivain.
C’est Bruno Roy des éditions Fata Morgana qui met en relation Pierre Alechinsky et Salah Stétie. Il publie leur premier ouvrage Signe et singes en 1996, pour lequel Alechinsky donne une eau-forte. Cinq autres livres suivront entre 1997 et 2005. Un beau portait du poète, une encre sur papier de 1997, accompagne les livres issues de leur collaboration ainsi que trois œuvres provenant de collections particulières, antérieures à leur rencontre.
Il est difficile, ici de rendre compte de la richesse foisonnante de cette exposition. Citons au hasard, les productions réalisées avec Claude Faivre, Pascale Ravilly et Henri Renoux en 1996, Chan Ky-Yut, Kijno, ou Richard Texier en 1998, l’émouvant portrait du poète par Jean Bazaine en 1997 et celui étonnant de Kijno, Salah Stétié, le voyant en 2002.
Eric Coisel (collection Mémoires) présente Joel Leick à Stétié en 2000. Acryliques et photographies sur toiles et monotypes et photographies sur papier accompagnent les cinq livres qu’ils ont réalisés ensemble.
En 2000, pour illustrer sa traduction des poèmes de Djaykoûr de l’Irakien Badr Châker es-Sayyâb, Salah Stétié propose à Bruno Roy le calligraphe tunisien Nja Mahdoui. Deux délicates lithographies, sans titre, 1991 et une grande encre sur papier Graphème,2011 sont présentées avec cet ouvrage.
On retiendra aussi le travail réalisé avec Christiane Vielle et Jan Voss en 2001. Les collaborations avec Jean Capdeville, Colette Deblé, Rachid Koraichi, Myonghi, Mahmoud Zende, Claude Bellegarde, Philppe Blache, Pierre Devin, Marjolaine Pigeon, Tony Soulié, en 2003.
Salah Stétié, admirateur de Tàpies, souhaitait entreprendre une collaboration avec le peintre catalan. L’envoi de son poème Bois de cerfs sera l’occasion de cette rencontre en 2003. Des vignettes issues de cette collaboration seront ensuite utilisées pour quatre autres recueils publiés chez Fata Morgana.
Remarquons également le travail de sculpture de Jephan de Villiers qui crée un monde mystérieux avec des débris végétaux. Son Ile des bois corps I accompagne des objets-livres édités par Eric Coisel dans la collection Mémoires.
L’amitié avec Woda se traduit par la réalisation de trois livres illustrés de gravures en manière noire. Une très belle huile sur toile, Je me suis souvent perdu en mer , 2008 et un portrait du poète de 2007 sont présentés en même temps que ces ouvrages.
Difficile de ne pas mentionner la collaboration avec Catherine Bolle qui se traduit par la production de sept livres entre 2005 et 2012. Un tableau de 2005 et trois acryliques sur Plexiglas de 2004 montrent le travail de cette artiste.
On note aussi les réalisations multiples avec Julius Baltazar entre 2006 et 2010 ainsi que les nombreuses réalisations de la collection Mémoires, pour lesquelles Eric Coisel réunit avec Salah Stétié, Jacques Capdeville et Ricardo Mosner en 2006, Georges Badin, Patricia Erbelding, Koschmider et Michaële Andrea Schatt en 2007, Jean Anguera en 2008.
Il est impossible d’ignorer le travail avec Anne Slacik et Gerard Titus-Carmel en 2006, Alexandre Hollan, Robert Lobet, Stéphane Quoniam, Colette Ottmann, Anne Pourny, Youl en 2007, Pierre Dubrunquez, Claire Illouz, Renée Laubiès en 2008 et les trois ouvrages sont réalisés avec Philippe Amrouche entre 2009 et 2011.
Ces dernières années sont marquées par les collaborations avec Christian Jaccard, Olivier Thomann, Sylvie Deparis, Enan Burgos, Farhad Ostovani, Bernard Alligand, Gilles du Bouchet, Claude Viallat.
Quelques mots à propos de la scénographie :
Les cimaises alternent des fonds neutres et sombres de couleur grise ou aubergine et construisent des espaces séparés par les passages surmontés d’arcs outrepassés qui évoquent un espace oriental. L’intensité lumineuse est logiquement réduite pour assurer des conditions de conservation correctes aux œuvres sur papier. Malheureusement, les cartels de même couleur que les cimaises sont parfois très difficiles à lire, surtout quand ils sont placés en fond de vitrine.
Notons la présence de quelques vidéos qui proposent un « feuilletage » automatique de certains livres d’artistes exposés.
La très grande richesse de cette exposition donne un peu le vertige avec ces 260 numéros au catalogue. Il est difficile de rester disponible pendant tout le parcours et d’accorder une attention soutenue à chaque œuvre présentée. Il est donc vivement conseillé de réserver une journée complète à la visite de cette exposition et de se ménager quelques poses. La qualité de cette présentation mérite, si on a les moyens, plusieurs visites.
Le volumineux catalogue (350 pages), édité chez au fil du temps, reprend le découpage chronologique de l’exposition. La qualité des reproductions est satisfaisante. Les essais sont souvent éclairants. Notons que cet ouvrage accompagne également l’exposition Salah Stétié, manuscrits et livres d’artistes qui se tiendra à la Bibliothèque Nationale de France, à Paris, du 5 mars au 14 avril 2013.
Repères biographiques à propos de Salah Stétié :
Salah Stétié est né à Beyrouth en 1929, dans une famille de la bourgeoisie sunnite. Il apprend le français dès son enfance. Mais son père, poète en langue arabe, lui transmet aussi une solide culture arabo-musulmane.
– En 1951, une bourse française lui permet de s’inscrire à la Sorbonne. À Paris, il fait la connaissance de poètes et d’écrivains comme Pierre Jean Jouve, André Pieyre de Mandiargues, Yves Bonnefoy, André Du Bouchet ou Michel Deguy. Il s’intéresse à la nouvelle peinture française de l’époque.
– De retour au Liban à la fin des années 50, il fonde alors L’Orient Littéraire et Culturel qu’il dirige jusqu’en 1961.
– Dans les années 1960, il entreprend une carrière diplomatique et devient Délégué permanent du Liban à l’UNESCO. Il y joue un rôle important dans le plan de sauvetage des monuments de Nubie lors de la construction du barrage d’Assouan.
– Il est ensuite élu Président du Comité Intergouvernemental de l’UNESCO pour le retour des biens culturels à leur pays d’origine, poste qu’il occupe pendant sept ans.
– Il est Ambassadeur du Liban en Hollande jusqu’en 1984, puis au Maroc, de 1984 à 1987.
– Secrétaire général du ministère des Affaires Étrangères du Liban, pendant la guerre civile, il redevient Ambassadeur du Liban en Hollande, de 1991 à 1992.
– Fin 1992, il prend sa retraite et s’installe au Tremblay-sur-Mauldre, dans les Yvelines.
Il publie alors de plus en plus, voyage dans le monde entier en tant que conférencier et participe à de nombreux colloques internationaux.
Commissariat général : Maïthé Vallès-Bled
Exposition ouverte tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18 h, jusqu’au 31 mard 2013.
Informations pratiques sur le site du musée Paul Valéry
Le film «Salah Stétié, la rose et le jasmin» projeté dans l’exposition est visible sur le site de l’ICAF espace francophone