Document bilingue – Réserves et collections, un autre Mucem

Jusqu’au 13 novembre 2017, le Mucem présente avec « Document bilingue », une des expositions les plus intéressantes actuellement à Marseille.
« Document bilingue » est prolongé au Centre de conservation et de ressources (CCR) jusqu’au 13 avril 2018.

Document bilingue - Mucem - Bâtiment Georges Henri Rivière - Érik Bullot
Document bilingue – Mucem – Bâtiment Georges Henri Rivière – Érik Bullot

À la suite de résidences et d’ateliers préparatoires commencés en 2015, cinq artistes et des chercheurs proposent des regards singuliers sur les collections du Mucem à travers un ensemble de créations originales et poétiques. Leurs installations visuelles et sonores font écho aux objets et aux documents qui les ont intrigués, émus et renvoyés à leurs propres histoires et à leurs pratiques artistiques. Elles interrogent aussi la « docilité » des objets conservés par les musées…

Document bilingue - Mucem - Bâtiment Georges Henri Rivière - Érik Bullot
Document bilingue – Mucem – Bâtiment Georges Henri Rivière – Érik Bullot

Évidemment, la réussite de « Document bilingue » est liée à l’engagement exceptionnel et à la qualité des créations imaginées par Yto Barrada, Omar Berrada & M’Barek Bouhchichi, Érik Bullot, Uriel Orlow et Abril Padilla. Mais l’intérêt et l’originalité de l’exposition repose avant tout sur la conception et le remarquable commissariat de Sabrina Grassi et Érik Bullot, assistés par Jean-Roch Bouiller, conservateur, chargé de l’art contemporain au Mucem.

Document bilingue - Mucem - Bâtiment Georges Henri Rivière - Érik Bullot
Document bilingue – Mucem – Bâtiment Georges Henri Rivière – Érik Bullot

Le processus de recherche en art, préalable à l’exposition, mérite ces quelques lignes, extraites de l’introduction du catalogue que les deux commissaires définissent comme « livre de recherche » de l’exposition :

« (…) L’archive, on le sait, est à la fois conservation et refoulement. À quelle tradition nationale ces objets renvoient-ils ? Comment peut-on lire l’histoire coloniale in absentia ? Où se situent les zones d’ombre et les dénis idéologiques ? Comment interpréter une telle collection, soucieuse de la tradition française, à l’aune de la construction européenne et du projet d’un « musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée » ?

Autant de questions complexes, ouvertes, que l’exposition se propose d’instruire par le biais d’une recherche en art.
Il ne s’agit pas en effet de tendre à une sublimation esthétique par l’élection d’objets soudain dotés d’une aura artistique, mais de produire des documents sur des documents, des documents seconds, pour donner à lire ou déchiffrer les collections. Sans occulter leur dimension historique et ethnographique, l’exposition se propose d’interroger la fonction poétique de ces objets par leur valeur d’usage en considérant les collections comme une aire de jeu. Il est important de restituer une part d’activité ludique dans l’appréhension de ces objets pour profaner leur rempart scientifique, parfois fragile, peu visible au demeurant à la vue des accumulations et des empilements.

(…) Des ateliers préparatoires, en présence des artistes, de conservateurs, d’une chercheuse en sciences sociales, ont permis d’explorer le cadre théorique de l’exposition. Les artistes ont été ensuite invités à découvrir les collections plus longuement au cours de résidences, en vue de définir leurs corpus de recherche et d’inventer leurs protocoles de travail. Une occasion de flâner dans les allées des réserves, de naviguer dans les catalogues des collections en ligne, d’écouter les conseils et les informations des équipes de conservation, pour tirer des fils selon une symptomatologie qui permet d’éclairer la dimension duelle des collections, en essayant de toucher la plaie, de trouver le symptôme ».

Au travers d’une « enquête », chaque artiste a ainsi défini un projet artistique, « une dérive personnelle au sein des collections et des ressources iconographiques du musée » :
– Enquête généalogique sur une série de vues stéréoscopiques pour « Veilleurs d’images » d’Uriel Orlow.
– Exploration sonore des objets de la collection susceptibles de sonner ou d’être joué pour « Écoute incarnée » d’Abril Padilla.
– Reconstitution de la vie imaginaire de Thérèse Rivière par Yto Barrada avec l’installation « Jeu de construction », le diaporama « objet indociles (supplément à la vie de Thérèse Rivière) » et l’évocation du perroquet Ito adopté par Thérèse
– Théâtre d’ombres filmé par Érik Bullot dans les réserves à la recherche des oiseaux des collections avec son « Nouveau manuel de l’oiseleur »
– Fiction ethnologique imaginée par Omar Berrada et M’barek Bouhchichi pour leur installation « Ce qui reste (Fiction populaire) »

Au-delà des dispositifs imaginés pour cette recherche en art et des créations qui ont été produites, l’exposition est une très belle réussite.

« Document bilingue » se développe en deux volets. Le premier est présenté au fort Saint-Jean, dans la salle d’exposition du bâtiment Gorges Henri Rivière. Le second occupe l’espace d’exposition du Centre de conservation et de ressources (CCR) à la Belle de Mai. Ce choix affirme la volonté de construire un lien entre le musée et ses collections, liaison renforcée et matérialisée avec « Rewind & Play, parcours sonores pour smartphone », imaginé par Abril Padilla.

Document bilingue au bâtiment Gorges Henri Rivière

Au fort Saint-Jean, l’exposition marque la dernière utilisation du dispositif scénographique imaginé par Olivier Bedu (Struc Archi) pour la salle du bâtiment Georges Henri Rivière et employé depuis 2013.

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere

Au centre, une partie des cimaises a été couchée au sol. Devenues socles et vitrines pour les objets et documents choisis dans les collections, elles ouvrent l’espace et créent un carrefour où se rencontrent les regards, ceux des artistes comme ceux des visiteurs…
Les cimaises installées en périphérie sont dédiées aux créations artistiques conçues pour « Document bilingue ».

L’espace central est équipé de douches sonores. Les créations vidéos d’Uriel Orlow et Érik Bullot, les installations sonores d’Abril Padilla, Omar Berrada et M’barek Bouhchichi ou encore le perroquet Ito déniché par Yto Barrada sont « activés » à la suite les unes des autres.
Avec ce dispositif immersif, au départ un peu surprenant, l’exposition évite la cacophonie et la neutralisation d’un projet par un autre. À tour de rôle, il attire l’attention des visiteurs sur chaque proposition artistique…

Document bilingue - Mucem - Bâtiment Georges Henri Rivière - Érik Bullot
Document bilingue – Mucem – Bâtiment Georges Henri Rivière – Érik Bullot

L’ensemble a un caractère kaléidoscopique, un peu magique et troublant. Il rappelle l’atmosphère féerique, ensorcelante, poétique et surréaliste que l’on a pu ressentir en déambulant dans les réserves (si on en a eu le privilège) ou à un moindre degré en visitant l’appartement-témoin au CCR.

L’exposition est captivante et très enrichissante à la condition de lui accorder temps et attention. Si la poésie de certaines propositions attire immédiatement le regard, d’autres imposent une lecture plus attentive des vitrines, mais aussi un certain « lâcher-prise » pour s’immerger dans les récits et les fictions qui relient objets, documents, installations et créations sonores…

Document bilingue au Centre de conservation et de ressources (CCR).

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Centre de conservation et de ressources (CCR). Photo © Francois Deladerriere
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Centre de conservation et de ressources (CCR). Photo © Francois Deladerriere

Après être passé devant une grande photographie qui montre les éléments d’un manège conservés dans les réserves, l’espace d’exposition du Centre de conservation et de ressources (CCR) offre une présentation plus classique.

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Centre de conservation et de ressources (CCR).
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Centre de conservation et de ressources (CCR).

Au mur, les éléments d’un lexique (développé dans le catalogue) accompagne une vaste vitrine consacrée aux outils de l’enquêteur…

Plus loin, au centre de la salle, socles et cloches exposent des objets « acteurs » des créations d’Abril Padilla et d’Érik Bullot montrées dans le bâtiment Georges Henri Rivière.

Le mur du fond reproduit trois citations de Gorgio Agamben, John Cage et Pierre Schaeffer. Les deux dernières font évidement écho au travail sonore d’Abril Padilla, mais toutes prolongent ou complètent, d’une certaine manière, celle de Freud qui donne son titre à l’exposition et qui accueille le visiteur avant qu’il ne pénètre dans la salle…

Un film d’Erik Bullot « La ligne de démarcation » revient, entre théorie et poésie, sur les enjeux de l’exposition : « Comment activer, animer, voire réanimer un document ? Où se situe la ligne de démarcation qui sépare l’archive de son actualisation ? »

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Centre de conservation et de ressources (CCR). Photo © Agnes Mellon
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Centre de conservation et de ressources (CCR). Photo © Agnes Mellon

Avec « Jeu d’échelles : collecter l’écoute », Abril Padilla a pour ambition de nous interroger sur la manière de « calibrer son écoute en fonction de ce qui nous entoure et de nous-même ».

Document bilingue – Réserves & collections, un autre Mucem

Le catalogue « Document bilingue—Réserves & collections, un autre Mucem », coédité par le Mucem et Manuella éditions est beaucoup plus qu’un livre d’images sommairement commentées auquel sont réduit la plupart de ces ouvrages.

Comme se soulignent les commissaires, c’est réellement le « livre de recherche » de l’exposition.
Après le texte d’intention de Sabrina Grassi et Érik Bullot qui dirige l’ouvrage, on peut y lire des contributions très documentées de Jean-Roch Bouiller et Marie-Charlotte Calafat (Les unités écologiques ou la vie mode d’emploi et Le musée national des Arts et Traditions populaires), celles très éclairantes de Yaël Kreplak (Des documents dociles et Les outils de l’enquêteur) et une étonnante carte dessinée du cheminement des objets par Franck Leibovici, Marie-Charlotte Calafat (Mucem by telephone).

Les carnets d’étude des artistes : Yto Barrada, Omar Berrada & M’barek Bouhchichi, Érik Bullot, Uriel Orlow et Abril Padilla sont particulièrement précieux.

L’ensemble est complété par un lexique et un index, outil aujourd’hui suffisamment rare pour que l’on en souligne la présence.

On pourrait presque conseiller la lecture de ce « livre de recherche » avant la visite de l’exposition.

Les questions soulevées par « Document bilingue » semblent être, dans une large mesure, celles qui taraudent plusieurs musées qui soient ethnographiques, de société, de civilisation, mais aussi d’Histoire ou de Beaux-Arts.
Les outils de la « recherche en art » sur lesquels s’appuie l’exposition mériteraient probablement un regard attentif de la part de nombreux conservateurs et commissaires.

N’est-il pas symptomatique qu’en l’espace de quelques mois, dans la région, plusieurs projets interrogent collections et musées ?
Bien entendu, on pense ici à la remarquable proposition d’Arnaud Vasseux « Du double au singulier » au Frac Occitanie Montpellier et au musée Henri Prades sur le site archéologique Lattara à Lattes (jusqu’au 9 octobre 2017) mais aussi aux expositions de l’artiste américain Mark Dion au FRAC PACA et au Muséum d’Histoire Naturelle du Palais Longchamp (jusqu’au 1er octobre 2017) dans le cadre d’une invitation faite par Pareidolie.

À lire, ci-dessous, un entretien avec Sabrina Grassi et Érik Bullot, commissaires de l’exposition ainsi que la présentation des artistes et de leurs projets. L’ensemble est extrait du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site du Mucem
Rewind & Play Parcours sonores pour smartphone sur le site du Mucem

Entretien avec Sabrina Grassi et Érik Bullot, commissaires de l’exposition

Qu’est-ce que ce « document bilingue » qui a donné son titre au projet ?

Sabrina Grassi
On trouve l’expression « document bilingue » sous la plume de Freud pour décrire la manière dont un même contenu psychique peut trouver à s’exprimer par deux types de névroses. L’expression nous a semblé qualifier de façon frappante la nature ambivalente des objets des collections du Mucem, à la fois témoins d’enquêtes ethnographiques et fétiches poétiques.

Érik Bullot
Nous voulions interroger les collections en observant les protocoles d’acquisition, les principes de classement, les méthodes de classification, l’histoire singulière des objets, bref interroger l’étiologie des collections, d’où le recours à une métaphore analytique.

Vous avez choisi des artistes aux pratiques très variées : plasticien, cinéaste, écrivain artiste sonore… Une façon d’aborder la collection dans toute sa diversité ?

Érik Bullot
Il s’agit de proposer une variété d’approches en choisissant des artistes soucieux des questions muséographiques et ethnographiques, intéressés par les problèmes généalogiques de constitution des collections. D’où le choix d’une compositrice comme Abril Padilla qui explore la nature sonore des objets, d’artistes visuels comme Yto Barrada ou Uriel Orlow qui questionnent la statut des objets au sein des musées. D’où la présence d’un écrivain et traducteur comme Omar Berrada et de l’artiste M’barek Bouhchichi. Il s’agit bien en effet d’un principe de traduction générale.

Cette exposition est l’aboutissement d’un processus de plusieurs années. Comment s’est déroulé le travail des artistes ?

Sabrina Grassi
Cette exposition s’inscrit dans le cadre de la recherche en art qui consiste, non pas à proposer des sublimations esthétiques ou de simples détournements d’objets, mais à questionner les collections à travers leurs histoires, leurs méthodes et leurs symptômes. Dès lors, les artistes sont venus en résidences pour travailler sur les collections, en dialogue avec les équipes du Mucem. Des ateliers préparatoires ont permis de confronter, avec d’autres chercheurs en sciences sociales, les enjeux de l’exposition.

Le projet est aujourd’hui restitué à travers une exposition en deux volets : concrètement, que verra-t-on ?
Sabrina GrassiIl s’agit d’articuler la salle Georges Henri Rivière du fort Saint-Jean avec l’espace d’exposition du Centre de conservation et de ressources (CCR) pour établir un lien entre le musée et ses collections. Les artistes proposent, à partir des fonds qu’ils ont choisis dans les collections, des œuvres filmiques, des pièces sonores, des installations, proches de l’enquête ou de la fiction, en regard parfois des objets exposés dans des vitrines. Ces travaux restituent des recherches qui se sont déployées bien au-delà des réserves, aux Archives nationales à Pierrefitte, à la Maison centrale de Poissy où sont numérisés des fonds photographiques ou encore au Maroc… Mais l’exposition se décline également par la programmation d’événements, notamment un parcours sonore dans l’espace urbain, et la publication d’un livre de recherche aux Éditions Manuella qui témoigne de ce travail d’enquêtes préalable.

Érik Bullot, vous participez à cette exposition en tant que co-commissaire mais aussi en tant qu’artiste. Pouvez-vous nous parler plus précisément de cette expérience ?

Érik Bullot
En questionnant la frontière et la traduction, il nous a semblé pertinent que l’un d’entre nous, cinéaste, particulièrement intéressé par les enjeux de la traduction, s’implique des deux côtés de la ligne de démarcation par la réalisation de films pour l’exposition, questionnant également notre propre position curatoriale. Mais ce fut aussi le cas d’Omar Berrada qui a dédoublé sa position en invitant un artiste, M’barek Bouhchichi, pour une œuvre duelle.

Yto Barrada

Jeu de construction Thérèse, installation, 2017
Objets indociles (Supplément à la vie de Thérèse Rivière), diaporama, 2016

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere

Yto Barrada s’est intéressée à une figure méconnue de l’ethnologie française. Diplômée en 1931 de l’Institut d’ethnologie sous la direction de Marcel Mauss, Thérèse Rivière (1901-1970) part dans les Aurès en 1934-36, en compagnie de Germaine Tillion, pour y étudier l’ethnie berbère des Chaouias. Elle établit à son retour un inventaire et un relevé photographique des objets recueillis lors de cette mission (les objets se trouvent aujourd’hui au Quai Branly et au Muséum national d’histoire naturelle). Soeur cadette de Georges Henri Rivière, elle a travaillé officiellement aux côtés de son frère pendant de nombreuses années jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans la solitude et la souffrance d’un hôpital psychiatrique où elle vécut pendant ses vingt-cinq dernières années.
Au-delà du caractère tragique de la biographie de Thérèse Rivière, à la manière d’un refoulé de l’histoire ethnographique française, rappelant la vie douloureuse de Camille Claudel, Yto Barrada fut frappée par l’intensité et l’esprit des recherches de l’ethnologue dont témoignent sa collecte d’objets, les notes des carnets de terrain et ses séries photographiques.
Elle a proposé une manière de dédoublement de son oeuvre sous la forme d’une installation, Jeu de construction Thérèse, en sollicitant également des objets des collections du Mucem. L’installation s’accompagne d’un diaporama d’outils agricoles et magiques, Objets indociles, inspiré par le concept de « documents indociles », développé par Yaël Kreplak lors de l’atelier préparatoire à l’exposition en avril 2016, qui propose une réflexion originale sur les relations entre le musée, ses réserves et son archive. L’évocation, sur la bande sonore, d’un perroquet Itto, « le perroquet parlant champion du monde », en référence aux oiseaux adoptés par Thérèse, accuse l’effet de dédoublement.

Document bilingue - Réserves & collections, un autre Mucem - Catalogue
Document bilingue – Réserves & collections, un autre Mucem – Catalogue

Biographie
Yto Barrada vit et travaille à New York. Son travail, incluant photographies, sculptures, éditions et installations, a été exposé à la Tate Modern (Londres), au MoMA (New York), à la Renaissance Society (Chicago), au Witte de With (Rotterdam), à la Haus der Kunst (Munich), au Centre Pompidou (Paris), à la Whitechapel Gallery (London) et à la Biennale de Venise (2007 et 2011). Elle a été désignée artiste de l’année par la Deutsche Bank en 2011. Elle a bénéficié de la bourse Robert Gardner 2013 du Peabody Museum (Harvard University), a reçu le Prix Abraaj Group en 2015 et fut nommée pour le prix Marcel Duchamp en 2016. Barrada est aussi la fondatrice de la Cinémathèque de Tanger.
Yto Barrada est représentée par Pace Gallery (Londres—New-York), Sfeir-Semler Gallery (Beyrouth-Hambourg) et par la Galerie Polaris (Paris).

Omar Berrada et M’barek Bouhchichi

Ce qui reste (Fiction populaire), installation, 2017

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Agnes Mellon
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Agnes Mellon

Artiste plasticien, M’barek Bouhchichi s’intéresse de près aux techniques et aux conditions de travail des artisans du Maroc, où il vit. Poète et traducteur, Omar Berrada travaille, lui, depuis plusieurs années sur l’écrivain, cinéaste et chercheur Ahmed Bouanani (1938-2011), figure singulière de la culture marocaine. Au cours des années 1960, Bouanani a mené des recherches sur les arts populaires et l’artisanat au Maroc dans le cadre de l’INATT, Institut national des arts traditionnels et du théâtre, selon un projet proche en un sens de celui du MNATP. Il en a rapporté deux carnets, restés inédits, de dessins de bijoux traditionnels.

Aussi Omar Berrada et M’barek Bouhchichi ont-t-il porté leur intérêt sur les collections de bijoux du Mucem et sur le fonds Camps, donné au musée en 2010. Gabriel Camps était un préhistorien français, spécialiste de l’histoire des Berbères. Henriette Camps-Fabrer, qui a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude du néolithique en Algérie, a publié des ouvrages sur les bijoux de Grande Kabylie. Omar Berrada et M’barek Bouhchichi ont prolongé l’étude d’Henriette Camps-Fabrer en se rendant dans la région de Tiznit au Maroc, où se retrouvent des techniques similaires. Plutôt qu’une enquête-collecte, ils ont effectué une enquête-commande en vue de questionner la notion d’authenticité de l’objet, survalorisée en contexte post-colonial.

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere

Assemblages d’éléments symboliques constitués de matériaux hétérogènes, les bijoux traditionnels racontent une histoire en obéissant à une syntaxe établie. Il était tentant de perturber cette syntaxe avec la complicité des artisans, d’introduire de la fiction dans le dispositif ethnographique en faisant raconter d’autres histoires aux bijoux. Mais est-il possible d’espérer le renouvellement d’une tradition en retrait, qui semble vouée à une disparition lente ? En l’absence d’une réponse claire, tels des fossiles, des fragments de vrais-faux bijoux conçus par M’barek Bouhchichi et Omar Berrada sont camouflés dans les briques d’un mur en ruine.

Document bilingue - Réserves & collections, un autre Mucem - Catalogue
Document bilingue – Réserves & collections, un autre Mucem – Catalogue

Biographies

Omar Berrada est écrivain, traducteur et commissaire d’expositions. Il dirige Dar al-Ma’mûn, bibliothèque et résidence d’artistes à Marrakech, et est actuellement chercheur invité à la New York University. Il a été précédemment producteur à France Culture, programmateur aux Revues parlées du Centre Pompidou, commissaire du Salon international du livre de Tanger et co-directeur du Global Art Forum à Dubai. Il a co-traduit vers le français des livres de Jalal Toufic, de Stanley Cavell et de Joan Retallack, et conçu le Temporary Center for Translation au New Museum de New York. Il effectue depuis quelques années une recherche sur l’oeuvre et l’archive d’Ahmed Bouanani (1938-2011) et a notamment organisé une exposition de groupe, intitulée Jeux de mémoires : Ahmed Bouanani aujourd’hui, au Palais Bahia dans le cadre de la Biennale de Marrakech en 2016.

Né en 1975 à Akka, M’barek Bouhchichi vit et travaille à Tahanaout près de Marrakech, où il enseigne les arts plastiques. En utilisant la peinture, le volume, le dessin ou la vidéo, M’barek Bouhchichi développe son travail autour d’une tentative de parole basée sur l’exploration des limites entre notre discours intérieur et ses prolongements vers l’extérieur, vers l’actuel, vers autrui. Il place ses oeuvres à la croisée de l’esthétique et du social, en explorant des champs d’associations comme possibilités de ré-écriture de soi. Récemment, son travail a fait l’objet d’une exposition personnelle à Rabat sous le titre Les mains noires (Kulte Gallery, 2016) et a été montré à Paris dans le cadre de l’exposition de groupe Le Maroc contemporain (Institut du monde arabe, 2014).

Érik Bullot

Nouveau Manuel de l’oiseleur, vidéo HD couleur, 12’, 2017 (Fort Saint-Jean-Bâtiment Georges Henri Rivière).
Lignes de démarcation, vidéo couleur, 8’, 2017 (Centre de Conservation et de Ressources).

Erik Bullot Nouveau Manuel de l’oiseleur vidéo photo de tournage 2017 © Erik Bullot
Erik Bullot Nouveau Manuel de l’oiseleur vidéo photo de tournage 2017 © Erik Bullot

Fasciné par la présence singulière des oiseaux dans les collections, Érik Bullot a réalisé un documentaire poétique, Nouveau Manuel de l’oiseleur, en filmant une visite des réserves plongées dans une pénombre étoilée, à la recherche des représentations d’oiseaux. Un oiseau est-il un document ? S’agit-il d’un document bilingue ? L’oiseau apparaît en effet comme une image ou une allégorie possible du document, susceptible de traduction, de transposition et d’activation. Il est visible sous la forme de représentations décoratives, d’objets domestiques, de jouets, présents à travers des processus imitatifs, liés souvent à l’activité de la chasse, d’où la très belle collection d’appeaux. On trouve également des cibles de fête foraine, des pièges, des partitions, des serinettes, des sifflets, des miroirs aux alouettes, des plumes destinées à la confection de chapeaux. Support de fascination et objet d’une capture, l’oiseau trouble la frontière entre l’inerte et le vivant. Les réserves peuvent-elles être perçues comme un miroir aux alouettes destiné à piéger le document ? S’agit-il d’oeuvrer à une libération du document, à l’instar de la libération animale ?

Érik Bullot a réalisé un second film, Lignes de démarcation, présenté au Centre de Conservation et de Ressources, conçu comme un film essai, qui s’interroge, par le biais de citations et d’extraits de films, sur les enjeux théoriques de l’exposition, entre animation et réanimation.

Document bilingue - Réserves & collections, un autre Mucem - Catalogue
Document bilingue – Réserves & collections, un autre Mucem – Catalogue

Biographie

Érik Bullot est cinéaste et théoricien. Sa filmographie compte plus d’une trentaine de titres, dont Le Singe de la lumière (2002), Glossolalie (2005), Trois faces (2007), L’Alliance (2010), La Révolution de l’alphabet (2014), Traité d’optique (2017). Son travail explore les puissances poétiques et formelles du cinéma.

Ses films ont été présentés dans de nombreux festivals et musées, en France et à l’étranger. Il a publié récemment Renversements 2 (Paris Expérimental, 2013) et Sortir du cinéma Histoire virtuelle des relations de l’art et du cinéma (Mamco, 2013). Il publie prochainement un nouvel essai, Le Film et son double (Mamco, 2017).

Professeur invité à l’Université de New York à Buffalo (2009-2011) et au CIA (Centro de Investigaciones Artísticas) à Buenos Aires en 2013, il a dirigé de 2010 à 2016 le troisième cycle Document et art contemporain à l’École européenne supérieure de l’image (Poitiers-Angoulême). Il enseigne actuellement le cinéma à l’École nationale supérieure d’art de Bourges.

Uriel Orlow

Veilleurs d’images, vidéo HD à deux canaux, couleur, 10’, 2017

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Agnes Mellon
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Agnes Mellon

L’artiste Uriel Orlow s’est intéressé au fonds Kostioukowsky, constitué d’images stéréoscopiques datant de 1904 à 1939. Kostioukowsky fut un cosaque dans l’armée du Tsar installé à Paris en 1915. Son fils fut déporté pendant la Seconde Guerre mondiale et vécut à son retour (la maison familiale ayant été attribuée à d’autres locataires) dans une chambre de bonne où fut retrouvée la collection stéréoscopique familiale.

À partir de ce fonds entré dans les collections du Mucem en 2000, l’artiste s’est intéressé au rôle des légendes, crayonnées au centre des plaques, au régime de la consultation individuelle, à la production du relief, à la classification du fonds, à la nature orpheline de la collection, c’est-à-dire à l’ensemble des protocoles archivistiques qui la sertissent et l’encadrent. Le fonds fut l’objet d’une numérisation confiée à des prisonniers.

Au fil de son enquête sur l’histoire matérielle des documents, Uriel est confronté à une nouvelle réalité qui encadre les images. Il rencontre à la maison centrale de Poissy le prisonnier en charge des numérisations. Dès lors l’enquête suit l’histoire symptomale des vues stéréoscopiques, opérant une bifurcation entre la biographie de Kostioukowsky et celle du chargé de numérisation, traçant des liens entre l’emprisonnement et le voyage, le tourisme et la sédentarité. Les images ne sont plus seulement celles de monsieur Kostioukovsky mais aussi celles du prisonnier de la maison centrale à Poissy devenu leur gardien numérique, leur Charon les convoyant sur le Styx qui sépare le monde de l’image matérielle de celui des représentations immatérielles.

Vues stéréoscopiques Lac Salé Etats Unis © Mucem fonds Kostioukowsky
Vues stéréoscopiques Lac Salé Etats Unis © Mucem fonds Kostioukowsky

Alors que l’histoire de monsieur Kostioukovsky et la technique qu’il a utilisée pour prendre les photographies sont reliées aux images visibles, le processus de numérisation et l’histoire du prisonnier qui s’en charge font maintenant partie de leur signification latente, ajoutant à leur tour de nouveaux mots-clefs et de nouvelles classifications à la collection.

Document bilingue - Réserves & collections, un autre Mucem - Catalogue
Document bilingue – Réserves & collections, un autre Mucem – Catalogue

Biographie

Uriel Orlow est un artiste installé à Londres. Sa pratique privilégie la recherche, le processus et la pluridisciplinarité, via notamment le film, la photographie, le dessin et le son. Il est connu pour ses films, ses conférences performances et ses installations multimédias qui traitent de sites spécifiques et de micro-histoires selon différents régimes de représentation et formes de récit. Son travail s’attache aux manifestations spatiales de la mémoire, aux taches aveugles de la représentation et aux formes de la hantise. Il a étudié les beaux-arts à Central Saint Martins (College of Art & Design) et à la Slade School of Art à Londres et la philosophie à l’Université de Genève. Il obtient son doctorat en art en 2002. Il est professeur invité au Royal College of Art de Londres, chercheur associé à l’Université de Westminster et enseigne à l’Université des arts de Zurich.

Le travail d’Uriel Orlow a été montré dans de nombreux musées, galeries et festivals de cinéma, notamment à la Biennale de Venise, la Manifesta 9, la Biennale de Sharjah, la Triennale de Guangzhou ; à la Tate Modern, la Whitechapel Gallery, l’ICA et la Gasworks à Londres ; le Palais de Tokyo, la Maison Populaire et Bétonsalon à Paris ; le Kunsthaus et Helmhaus à Zurich ; le Centre d’Art Contemporain et le Centre de la Photographie à Genève; Württembergischer Kunstverein à Stuttgart; Alexandria Contemporary Art Forum (ACFA) et Contemporary Image Collective (CIC) au Caire ; la Casa del Lago à Mexico ; la Kunsthalle de Budapest, la Spike Island à Bristol, le Musée juif de New York, le Musée de la photographie contemporaine de Chicago, entre autres.

Abril Padilla

Au Fort Saint-Jean—Bâtiment Georges Henri Rivière :
Écoute incarnée, installation, 2017
Rewind & Play, parcours sonores pour smartphone, 2017

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Agnes Mellon
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Agnes Mellon

Au Centre de Conservation et de Ressources
Jeu d’échelles : collecter l’écoute, composition électroacoustique
stéréo, 3’34”, 2017
REC-PAUSE, installation pour dispositif audio, 5’, 2017
Détour, pièce radiophonique pour smartphone, 2’, 2017

Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem - Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere
Document Bilingue, vue de l’exposition au Mucem – Bâtiment Gorges Henri Rivière. Photo © Francois Deladerriere

Abril Padilla a mené de longues recherches autour des objets susceptibles de sonner ou d’être joués dans les collections : instruments paramusicaux (crécelles, touhoulou), liés au monde domestique (sonnettes, chaussures). Ses enquêtes l’ont incitée à fabriquer un album mêlant images ordinaires et objets de la collection, d’inspiration radiophonique, en vue de provoquer des réactions spontanées. S’agit-il de domestiquer ou de libérer les sons ? Ses recherches ont aussi croisé la figure de Claudie Marcel- Dubois (1913-1989) qui dirigea le département d’ethnomusicologie et la phonothèque jusqu’en 1980 aux MnATP. « Est-il possible de retrouver le son d’une photographie ? », s’interroge Abril Padilla en découvrant des photographies d’enquêtes d’ethnomusicologie ? Quelles sont les traces de l’écoute ? Abril Padilla propose pour l’exposition une installation, composition électroacoustique multiphonique, Écoute incarnée, dans la salle Georges Henri Rivière du Fort Saint Jean, accompagnée d’une sélection de documents et d’objets évoquant la matérialité de l’écoute et provenant des collections du Mucem.

Dans le souci de relier les lieux habituels d’exposition et les réserves, Abril Padilla a créé un parcours sonore dans la ville qui invite le visiteur à parcourir le chemin de l’objet muséal vers ses réserves, à rebours. RW & PLAY, composition radiophonique à écouter sur smartphone, part du Fort Saint Jean en direction du Centre de Conservation et de Ressources dans le quartier de la Belle de Mai. Arrivé au Centre de Conservation et de Ressources, des siestes sonores prolongent le parcours d’écoute du visiteur par la découverte des trésors matériels et immatériels des archives du MnATP.

Document bilingue - Réserves & collections, un autre Mucem - Catalogue
Document bilingue – Réserves & collections, un autre Mucem – Catalogue

Biographie

Abril Padilla se partage entre la composition instrumentale et électroacoustique, l’improvisation, la performance, la musique pour la scène et les installations.

Lauréate de plusieurs concours et prix : SonOhr festival (Suisse) Prix d’Ohr, Concours radiophonique « Luc Ferrari » (WDR, Radio suisse romande et la Muse en circuit), Art Radiophonique Radio Nacional d’Espagne, Ville de Bologne.

Elle participe à de nombreux festivals internationaux. Ses œuvres ont été jouées en France, Allemagne, Suisse, Espagne, Italie, Amérique du Sud et Pékin.

Elle se consacre également à la réalisation d’installations pour des musées, comme l’Espace du sous-marin à Lorient (France), Musée Tinguely (Suisse), Kasko- Basel (Suisse).
En 2013, elle compose Emulsion, concerto pour solo de fouet de cuisine amplifié et ensemble, créé à Bâle. Avec Thilo Hirsch et l’ensemble arcimboldo (Suisse), elle crée l’instrument architectural resonance-box à Bâle en 2015. Artiste en résidence en Italie, en Espagne et en Suisse.

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