Des Visages – Le temps de l’Autre –
Carré d’Art à Nîmes


Jusqu’au 27 septembre 2020, Carré d’Art présente « Des Visages – Le temps de l’Autre ». Dans la curieuse période que l’on vit depuis quelques mois, ce projet propose de poser un regard renouvelé sur une sélection d’œuvres de la collection que complètent quelques prêts.
Cette exposition se substitue au très attendu « Coude à Coude » de Nairy Baghramian initialement prévu du 3 avril au 20 septembre 2020 et qui sera reprogrammé pour l’été 2021.

Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 1
Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 1

Le texte qui introduit le parcours fixe sans ambages les enjeux du projet :

« Dans ces temps de confinement où toute personne pourrait sembler être une menace et où nous avançons masqués, cette exposition constituée en grande partie d’œuvres de la collection nous amène à porter un regard sur l’autre. De nombreuses œuvres de la collection comportent des visages allant de Thomas Ruff, Sophie Calle à Latoya Ruby Frazier. Il y a aussi des masques que l’on peut trouver chez Annette Messager et Ugo Rondinone qui dans un autre temps n’étaient pas pensés pour se cacher mais pour s’inventer des personnalités multiples ».

Il est complété par ces quelques lignes d’« Éthique et Infini » écrites par Emmanuel Levinas en 1982 :

« La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas ».

Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 2
Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Vue de l’exposition – Salle 2

« Des Visages – Le temps de l’Autre » rassemble des œuvres de Mounira Al Solh, Iván Argote, Yto Barrada, Julien Bismuth, Christian Boltanski, Sophie Calle, Patrick Faigenbaum, Latoya Ruby Frazier, Suzanne Lafont, Annette Messager, Walid Raad, De Rijke De Rooij, Thomas Ruff, Ugo Rondinone, Thomas Schütte, Andres Serrano, Taryn Simon, Martine Syms, Gilian Wearing.

À l’exception de deux grandes projections et des installations de Christian Boltanski et d’Annette Messager, l’ensemble est composé très majoritairement de photographies, de quelques dessins et collages où les formats moyens sont dominants.

Sophie Calle - Femme au bébé, 2011 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 3
Sophie Calle – Femme au bébé, 2011 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 3

Pour l’essentiel, ces œuvres sont présentées sur une seule ligne à la hauteur des yeux du visiteur.

Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 4
Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Vue de l’exposition – Salle 4

Les vastes espaces en enfilade au troisième étage de Carré d’Art et notamment les deux immenses salles au centre de chaque galerie pouvaient être un réel écueil pour un tel choix d’accrochage. Les risques de monotonie et de papillonnage n’étaient pas exclus… Or il n’en est rien !

Andres Serrano et Martine Syms - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Andres Serrano et Martine Syms – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

La force des œuvres sélectionnées et les rapprochements subtils entre celles-ci, les séquences proposées par chaque salle donnent à « Des Visages – Le temps de l’Autre » une cohérence d’ensemble qui happent imperceptiblement le regard. Le rythme du parcours conduit naturellement le visiteur de séries en série, de salle en salle, sans jamais l’obliger ou le forcer.

Martine-Syms-Lesson-LXXV-2017
Martine-Syms-Lesson-LXXV-2017

Les conditions particulières du moment obligent Carré d’Art à supprimer tout document d’accompagnement de la visite. Des QRcodes complètent certains cartels. Ils donnent accès à la notice de l’œuvre en ligne.

« Des Visages – Le temps de l’Autre » illustre la richesse du fonds conservé par Carré d’Art. Cette exposition montre également que des relectures des collections augmentées par des prêts « raisonnables » pourraient très certainement être une alternative à une pratique trop systématique de l’exposition temporaire qui a montré en partie ses limites ces derniers mois…

Ci-dessous, un compte rendu salle par salle dont la lecture peut être différée, éviter de gâcher une partie du plaisir de la visite…

En savoir plus :
Sur le site de Carré d’Art
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Les œuvres sélectionnées sur Navigart

« Des Visages – Le temps de l’Autre » : Regards sur le parcours de l’exposition

Salle 1 : Suzanne Lafont – Thomas Ruff – Patrick Faigenbaum – Jeroen de Rijke et Willem de Rooij

Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 1
Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 1

Huit portraits cadrés très serrés d’une série Sans titre (1989) de Suzanne Lafont accueillent le visiteur. Parmi les visages de ces gens jeunes, seul celui du centre nous regarde ou plus exactement fixe l’objectif. Les autres regardent ailleurs… Sont-ils perdus dans leurs pensées ?

Suzanne Lafont - Sans titre, 1989 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 1
Suzanne Lafont – Sans titre, 1989 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 1

En face, toujours de Suzanne Lafont, deux photographies de femmes : un double portrait (Sans titre, 1988), et celui d’une jeune fille au collier (Sans titre, 1988). Toutes les trois semblent absentes…

Suzanne Lafont - Sans titre, 1988 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 1
Suzanne Lafont – Sans titre, 1988 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 1

Dans la notice qui accompagne ces œuvres, Sophie Gauthier rappelle le caractère pictural des photos de Suzanne Lafont et rapporte ce propos qui pourrait être le fil conducteur de l’accrochage dans cette salle :

« Dans les portraits, le point de départ n’a pas été la représentation du visage, mais la volonté de montrer les choses selon leur stricte identité, hors de leur relation au monde. Le visage m’est apparu comme un lieu contradictoire ou ambigu entre l’attitude et l’être ».

Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 1
Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 1

Thomas Ruff partage cette cimaise avec quatre de ces portraits (Portrait, Stefan Demary, 1983 – Portrait, 1986 – 1987 – Portrait, Osman Cem Geylant, 1984 – Portrait, Bettina Elpmt, 1985).

Thomas Ruff - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 1
Thomas Ruff – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 1

Ancien élève de Bernd et Hilla Becher, le photographe allemand fixe avec ces clichés des visages sans aucune expression, sans émotion, pris de face, sans ombres, sans profondeur, dans le style standardisé des photos d’identité… La fiche Wikipédia consacrée à Thomas Ruff évoque un échange avec Philip Pocock dans lequel il mentionne un lien entre ces portraits et les méthodes d’observation de la police en Allemagne dans les années 1970…

Ces tirages renvoient aux images de Suzanne Lafont et elles nous placent dans une relation ambiguë, étrange et froide aux visages qui nous font face… Quelle est notre place ? C’est quoi Le temps de l’Autre ?

Patrick Faigenbaum - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 1
Patrick Faigenbaum – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 1

Les trois épreuves de la série « Famille » de Patrick Faigenbaum (Famille Aldobrandini – Rome, 1986 – Famille Moncada di Paterno, 1987 et Famille Massimo – Rome, 1986) renforcent ce sentiment de distance… La notice rapporte un propos de Faigenbaum dans lequel il affirme : « L’ombre a de l’importance dans ces familles où beaucoup de choses sont cachées. Cette dissimulation, je la trouve chez les gens que je rencontre. Au moment précis où je déclenche, ils laissent tomber, en quelque sorte, un masque ». Est-ce si certain ? On pourrait en douter…

Patrick Faigenbaum – Famille Moncada di Paterno, Rome, 1987, photographie noir et blanc. Collection Carré d’Art-Musée d’art
contemporain de Nîmes. Don de l’artiste en 1989. Photo D. Huguenin. © Patrick Faigenbaum

L’ensemble est complété par Junks (1994) une vidéo de Jeroen de Rijke et Willem de Rooij.
On y découvre six portraits de toxicomanes anonymes qui ont reçu chacun une bière en échange de leur participation… Dans ce qui pourrait être une référence aux « tronies » du XVIIe siècle hollandais, les différents épisodes de Junks, d’une durée de trois à quatre minutes chacun, sont construits comme des portraits autonomes. « Immobiles et “sobres”, ils montrent non seulement les mouvements minimaux de leurs sujets, mais aussi l’obligation de se concentrer sur la caméra et, finalement, leur incapacité à le faire » selon le Kupferstich-Kabinett de Dresde qui en faisait une analyse à l’occasion de l’exposition « Rembrandt’s Mark » l’an dernier.

Jeroen de Rijke et Willem de Rooij, Junks, 1994


On regrette l’inconfort de cette présentation de 20 minutes sans possibilité de s’asseoir…
On suppose que les contraintes sanitaires interdisent pour le moment banc, fauteuil ou tout autre repose-fesse…

Salle 2 : Gillian Wearing – Yto Barrada – Latoya Ruby Frazier – Mounira Al Solh – Martine Syms – Andres Serrano – Taryn Simon – Walid Raad et Sophie Calle

Dans cette vaste salle, entre réalité et fiction, le propos de « Des Visages – Le temps de l’Autre » semble plus ouvert à l’empathie et au contexte social et politique…

  • Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 2
  • Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 2
  • Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 2
  • Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 2

Tout commence avec Boytime une vidéo de Gillian Wearing réalisée en 1996. Placée de l’autre côté du mur où est diffusé le Junks de de Rijke et de Rooij, cette œuvre appartient à la collection Lemaître qui avait fait l’objet d’une exposition à la Maison Rouge en 2006 (« Une vision du monde »). Toutes les deux étaient regroupées dans la section centrale intitulée « Politique de l’autre » où il était question d’altérité… Ces deux vidéos étaient également montrées dans l’exposition anniversaire qu’organisait Antoine de Galbert en 2014 pour les 10 ans de la Maison Rouge. Le catalogue édité à cette occasion décrivait ainsi Boytime :

Gillian Wearing – Boytime, 1996

« Première d’une série de trois, Boytime 1996 présentée dans l’exposition montre quatre adolescents assis face à la caméra en un plan fixe de près d’une heure. Leur silence et leur immobilité, autant que les couleurs vives de leurs vêtements qui se détachent du mur blanc, invitent à un regard contemplatif. Si le film s’apparente alors à un tableau ou à une photographie, il ne s’arrête pas sur une image fixe, mais propose d’éprouver une durée ».

Malgré l’inconfort de sa présentation, la vidéo de Gillian Wearing fait parfaitement transition entre les deux salles…

Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 2
Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Vue de l’exposition – Salle 2

Sur la droite, l’accrochage commence par une très belle photo d’Yto Barrada, Fille rouge qui appartient à sa série « Le détroit, une vie pleine de trous », 1999.

Yto Barrada - Fille rouge - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Yto Barrada – Fille rouge – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

L’image montre une femme, vue de dos face à un mur couvert d’azulejos. Sa robe rouge et blanche contraste avec les couleurs des carreaux de faïence…
Ce portrait anonyme d’une jeune femme qui rêve d’un autre monde fait partie d’un des premiers projets d’Yto Barrada en lien avec la ville de Tanger et le détroit de Gibraltar dont la traversée incarne le mirage d’une vie meilleure pour les candidats à l’exil. Ici, le mur et ses azulejos symbolisent un horizon bouché, une impasse probable…

Cette photographie introduit une série d’images de Latoya Ruby Frazier avec laquelle Yto Barrada avait partagé ces salles de Carré d’Art à l’hiver 2015/2016 pour « Performing Social Landscapes » et « Faux guide »…

Latoya Ruby Frazier - « The Notion of Family » - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Latoya Ruby Frazier – « The Notion of Family » – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

Malgré des reflets désagréables, les cinq tirages de Latoya Ruby Frazier, issus de sa série « The Notion of Family », s’imposent avec force à la fois par leur humanité bouleversante, mais aussi par la retenue avec laquelle elles racontent l’histoire intime de la famille de l’artiste, de ces trois générations de femmes, l’artiste, sa mère et sa grand-mère.

Ces étonnants portraits ou autoportraits collaboratifs, souvent mis en scène, montrent la part invisible et cachée de la pauvreté, de la maladie, du sentiment d’abandon social (Mom holding Mr. Art, 2005 – Grandma Ruby Smoking Pall Malls, 2002 – Huxtables, Mom and Me, 2008 – Momme Portrait Series (Shadow), 2008 – Grandma Ruby and U.P.M.C Braddock Hospital on Braddock Avenue, 2007).

Mounira Al Solh -  My speciality was to make a peasent haircut but they obliged me work till midnight often, 2015 – 2017 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmesjpg
Mounira Al Solh –  My speciality was to make a peasent haircut but they obliged me work till midnight often, 2015 – 2017 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmesjpg

Trois œuvres textiles de Mounira Al Solh terminent l’accrochage sur la droite… Elles appartiennent à une série intitulée « My speciality was to make a peasent haircut but they obliged me work till midnight often » (2015 – 2017). Au moins une d’entre elles avait été exposée dans le projet « Ligne de fuite » qui faisait écho à « Picasso – Le temps des conflits » au cours de l’hiver 2018/2019.

Mounira Al Solh, My specialty was to make a peasants’ haircut but they obliged me work till midnight often, 2015-2017

Née au Liban en 1978 d’un père libanais et d’une mère syrienne, l’artiste crée dans cette série de broderie de courts récits qui mêlent la réalité et la fiction. Chaque histoire est enrichie de portraits dessinés et de divers matériaux et tissus qui évoquent parfois la maison disparue, mais aussi une autre relation au temps…

Le mur du fond de cette seconde salle, offre sans aucun doute un des dialogues les plus saisissantes et un moment clé de « Des Visages – Le temps de l’Autre ».

Andres Serrano et Martine Syms - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Andres Serrano et Martine Syms – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

Au mur, un des sans-abris photographié par Andres Serrano à New York (Nomads (Payne), 1990).

Andres Serrano - Nomads (Payne), 1990 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Andres Serrano – Nomads (Payne), 1990 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2


Devant, enchâssé dans son coffre violet-aubergine, un moniteur placé à l’horizontal diffuse Lesson LXXV, une étonnante vidéo réalisée par Martine Syms en 2017. Elle fait un écho singulier avec l’actualité du moment. Une image sert opportunément de visuel pour l’exposition « Des Visages – Le temps de l’Autre ».

Martine Syms - Lesson LXXV, 2017 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Martine Syms – Lesson LXXV, 2017 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

Selon le site internet de l’artiste, ses « Lessons » forment une série construite « comme un poème épique en 180 parties sur l’histoire radicale noire. Chaque pièce, ou spot publicitaire, dure trente secondes et articule une leçon de cette histoire».

Chaque Lesson mélange des images trouvées dans des émissions de télévision, des publicités, des sitcoms et du matériel en ligne avec des archives personnelles et des images originales.

Martine Syms, Lesson LXXV, 2017. Installation vidéo et socle. Collection Carré d’Art-Musée d’art contemporain de
Nîmes. Acquis avec l’aide du FRAM en 2019. Photo Courtesy Sadie Coles HQ, London. © Martine Syms

Dans Lesson LXXV, Martine Syms se réapproprie le geste de manifestants Afro-américains à la suite de la mort d’un adolescent noir, tué par un policier blanc, en 2014, à Fergusson, aux États-Unis.
Au cours des émeutes qui ont suivi le drame, des personnes se sont versé du lait sur le visage pour atténuer les effets du gaz lacrymogène lancé par la police. Ce geste est devenu une action symbolique de protestation contre les inégalités raciales.

Lesson LXXV a été projetée à Time Square.

Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 2
Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Vue de l’exposition – Salle 2

Pour le mur de gauche, l’accrochage commence par rapprocher un des chapitres de la série « A Living Man Declared Dead and Other Chapters » (2011) de Taryn Simon et un des documents du projet « The Atlas Group » imaginé par Walid Raad et qui avait occupé une des galeries du 3e étage de Carré d’Art à l’été 2014.

Taryn Simon - Chapter VII, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII, 2011 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Taryn Simon – Chapter VII, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII, 2011 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

On renvoie à la lecture de la notice d’œuvre sur l’archive en 18 chapitres réalisée par Taryn Simon de 2008 à 2011. Son Chapter VII, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII (2011), exposé ici, est un triptyque qui évoque le massacre de Srebenica commis en 1995 pendant la guerre en Bosnie, sous le commandement de Ratko Mladic. Les corps des 8000 Musulmans serbes, exécutés systématiquement furent enterrés et dispersés dans différentes fosses communes pour effacer toutes traces de ce génocide…

À propos du projet « The Atlas Group », la chronique que l’on avait consacrée à l’exposition de 2014 de Walid Raad devrait apporter quelques éléments qui compléteront le site The Atlas Group.

Selon ce dernier, le document Civilizationally, We Do Not Dig Holes To Bury Ourselves (plate 941) « est attribué au Dr. Fadl Fakhouri, un des plus grands historiens du Liban. L’historien a fait don de 226 cahiers, 2 courts métrages et 24 photographies en noir et blanc à l’Atlas Group au début des années 1990.

Walid Raad - Civilizationally, We Do Not Dig Holes To Bury Ourselves (plate 941) - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Walid Raad – Civilizationally, We Do Not Dig Holes To Bury Ourselves (plate 941) – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

Les seules photographies disponibles du Dr Fakhouri consistent en 24 autoportraits en noir et blanc qui ont été trouvés dans une petite enveloppe brune intitulée “Civilizationally, we do not dig holes to bury ourselves”. L’historien a produit les photographies en 1958 et 1959 lors de son unique voyage hors du Liban, à Paris et à Rome »…

Si dans l’œuvre de Taryn Simon tout est vrai, on aura compris que dans le document du Dr Fakhouri que propose Walid Raad, tout est presque vrai…

« Des Visages – Le temps de l’Autre » continue à naviguer entre fiction et réalité avec trois pièces de Sophie Calle. Elles terminent l’accrochage de cette deuxième salle et le propos se prolonge dans l’espace suivant. Le titre choisi pour l’exposition semble presque emprunté à l’œuvre de cette artiste, aux scénarios qu’elle imagine à partir de la vie quotidienne d’inconnus et à l’intérêt qu’elle porte à la parole de l’autre. Comme le soulignait André Rouillé dans « La photographie » : « Tous les travaux de Sophie Calle combinent une règle du jeu, des textes, des photographies et une relation réelle ou fictive avec l’autre ».

Sophie Calle - « La Dernière Image », 2010 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 2
Sophie Calle – « La Dernière Image », 2010 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 2

Ici les trois œuvres appartiennent à l’ensemble « La Dernière Image » de 2010 avec le Texte d’introduction à La Dernière Image puis avec Aveugle au mari et Aveugle au lever de soleil.

Dans la notice d’œuvre, Sophie Gauthier écrivait en décembre 2019 : « A travers une dialectique entre les témoignages de plusieurs générations d’aveugles et les travaux photographiques qu’elle a menés à partir de ces récits, Sophie Calle propose une réflexion sur l’absence, sur la privation et la compensation d’un sens, sur la notion de visible et d’invisible ». C’est probablement la réflexion sur la notion de visible et d’invisible qui s’impose le plus dans cette exposition.

Salle 3 : Sophie Calle

Sophie Calle - Femme au bébé, 2011 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 3
Sophie Calle – Femme au bébé, 2011 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 3

Un large écran accueille la projection de Femme au bébé, 2011 une émouvante vidéo d’un peu moins de 4 minutes qu’il faut absolument prendre le temps de regarder en entier… Elle est issue de l’ensemble « Voir la mer ». Sophie Calle filme des habitants rencontrés à Istanbul qui n’avaient jamais vu la mer et propose au regardeur une saisissante rencontre mer/individus.

Sophie Calle - Voir la mer, 2011 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 3
Sophie Calle – Voir la mer, 2011 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 3

Cette projection est précédée par une photographie qui introduit les 14 films de l’ensemble qui laissent un impérissable souvenir à celles et ceux qui l’avaient découvert lors des Rencontres d’Arles en 2012. Cette Femme au bébé fait écho à la Fille rouge d’Yto Barrada et elle clôt de façon magistrale cette séquence.

Salle 4 : Thomas Schütte

  • Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 4
  • Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 4
  • Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Vue de l'exposition - Salle 4

Dans cette salle, sur une ligne, une seule œuvre en cinquante aquarelles, toute du même format, pour And Now a Song (Requiem),1992 de l’inclassable Thomas Schütte.

Accrochage rigoureux et méticuleux pour cet enchaînement troublant de portraits, d’improbables paysages ou d’architectures ou la mort semble rôder…

Salle 4b : Christian Boltanski

La mort continue d’errer dans la petite salle annexe où l’on découvre Le Lycée Chases, 1986, une installation de Christian Boltanski dédiée à un élève anonyme d’une classe de terminale en 1931.

Thomas Schütte - And Now a Song (Requiem),1992 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 4
Thomas Schütte – And Now a Song (Requiem),1992 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 4

Deux empilements de boîtes métalliques qui rouillent servent de socle à une photographie en noir et blanc volontairement floue éclairée par une lampe de bureau à pince des années 60.
La notice rapporte ce propos de Boltanski : « Cette image fonctionne comme un miroir, elle rappelle au spectateur quelque chose de sa vie ! Elle est notre mémoire collective ».

Salle 5 : Julien Bismuth – Ugo Rondinone et Annette Messager

Les œuvres des trois artistes sont rassemblées ici autour du masque, du maquillage et de ambiguïté…

De Julien Bismuth, on peut voir Willie Billy une vidéo tournée en 2013 qui appartient à la Collection Marc et Josée Gensollen / La Fabrique .
À son propos, Julien Bismuth écrit sur son site :

« On a demandé à deux clowns de s’habiller avec leurs propres costumes, mais ils se sont ensuite maquillés l’un l’autre pour ressembler à deux clowns historiques célèbres : Weary Willie et Billy Hayden. Si le second est représentatif de la tradition Auguste du XIXe siècle, le premier est le représentant le plus emblématique de la figure contemporaine du clown clochard ou clocharde. Une fois le maquillage appliqué, j’ai dit aux artistes d’improviser, en leur demandant de restreindre leurs mouvements, en utilisant principalement leurs mains et leurs doigts pour “faire le clown” avec leur visage peint ».

Julien Bismuth – Willie Billy, 2013 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 5

Sur la gauche, l’accrochage aligne douze portraits de la série « Idon’t live here anymore » d’Ugo Rondinone. S’appropriant les images de magazines de mode, il remplace le visage de chaque modèle par le sien, souvent maquillé de façon outrancière et visible. S’il renforce le côté artificiel des photographies originales, Rondinone joue aussi et surtout sur l’androgynie des modèles et sur une masculinité ambiguë.

Ugo Rondinone - I don’t live here anymore, 2000 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 5
Ugo Rondinone – I don’t live here anymore, 2000 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 5
  • Ugo Rondinone - I don’t live here anymore, 2000 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 5
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  • Ugo Rondinone - I don’t live here anymore, 2000 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 5
  • Ugo Rondinone - I don’t live here anymore, 2000 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 5

En face, « Des Visages – Le temps de l’Autre » rassemble trois masques de l’ensemble « Moonrise » d’Ugo Rondinone et les animaux masqués, empaillés et photographiés d’une installation (Sans titre, 1992) d’Annette Messager.

Dans sa série nocturne et lunaire de masques animaux en polyuréthane, Rondinone construit un invraisemblable totémisme contemporain qu’il organise en cycles saisonniers… Dont le gigantesque Sunrise. east. October, 2005 accueille le visiteur en haut des escaliers de Carré d’Art. Derrière ces masques on devine l’artiste sous les traits d’un clown désabusé qui fait évidemment écho à la série de photographies « Idon’t live here anymore ».

Tapis dans un coin de ce vaste espace, les animaux masqués de l’installation d’Annette Messager (Sans titre, 1992) semblent regarder le visiteur avec effroi… à moins qu’ils ne l’attendent ce soit avec malice et ricanements !
On sait que pour Annette Messager il y a un lien singulier et trouble entre la taxidermie et la photographie autour de l’idée que l’une comme l’autre « fige un moment de la vie »

Annette Messager - Sans titre, 1992 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 5
Annette Messager – Sans titre, 1992 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 5

Au sol, les regards d’animaux masqués (poules, lapin, souris, canard) sont-ils dirigés vers l’écureuil dressé sur ses pattes postérieures… Quels rôles jouent-ils ? Que s’apprêtent-ils à faire ?

Annette Messager - Sans titre, 1992 - Des Visages - Le temps de l’Autre - Carré d’Art à Nîmes - Salle 5
Annette Messager – Sans titre, 1992 – Des Visages – Le temps de l’Autre – Carré d’Art à Nîmes – Salle 5

Autour de cette scène, au bout de longues piques métalliques, alternent des photographies des animaux cagoulés vus de face et des gants aux grands nez…


Quel sens donner à cette étrange réunion qui semble hésiter entre assemblée chimérique et danse macabre ?

Salle 6 : Iván Argote

Comme pour la galerie en enfilade précédente, le parcours se termine avec une grande projection vidéo où l’on découvre avec Untitled (Paris), 2010, un des films de la série qu’Ivan Argote a tourné à Paris comme à New York et à Madrid…

Dans les rues de la ville, l’artiste filme des passants de dos puis soudain hurle « Je t’aime » ou «Tu es belle »… La vidéo restitue au ralenti et en silence, les moments où les gens se retournent amusés, offusqués, exaspérés, indifférents…

La dimension de cette projection et la manière dont elle interpelle fait presque oublier une seconde oeuvre de Iván Argote (Birthday, 2009) diffusée sur une moniteur… Ces deux vidéos appartiennent à la Collection Marc et Josée Gensollen. La Fabrique.

Dans un grand ascenseur à l’intérieur d’une station de métro de Paris, avec environ 40 personnes, Argote a demandé aux gens de chanter « Joyeux anniversaire » pour lui. Certains doutent, mais d’autres se sont mis d’accord assez vite et ont commencé à chanter. Peu à peu, tous les gens les ont rejoints.

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