4 à 4 : Isabelle Leduc et Cécile Borne en compagnie de Bashar Alhroub et Pierre-Luc Poujol au Musée Paul Valéry – Sète


Depuis 2014, le Musée Paul Valéry présente tous les deux ans « 4 à 4 » une proposition originale qui réunit 4 expositions individuelles sans aucun thème commun ou correspondance visuelle.

Pour cette 4e édition, Maïthé Vallès-Bled, directrice du Musée et commissaire de l’exposition a souhaité montrer le travail de Bashar Alhroub, Cécile Borne, Isabelle Leduc et Pierre-Luc Poujol.

Chacun à sa manière pose un regard singulier sur la création contemporaine et sur la réalité du monde. Dans ce qui est présenté comme « une expérience esthétique et sensible, unique », « 4 à 4 » affirme l’ambition d’offrir au visiteur « le choix de sa propre réflexion, de sa propre analyse »…

« 4 à 4 » se développe dans les salles au premier étage habituellement dédiées aux expositions temporaires. Comme toujours au Musée Paul Valéry, une scénographie et un accrochage sobres et efficaces sont servis par un éclairage sans défauts. L’exposition est accompagnée par un catalogue pour chacun des artistes publiés par les Éditions Midi-Pyrénéennes.

Le principe de « 4 à 4 » permet à chacun de trouver dans l’exposition ce qu’il y aura apporté.

Pour notre part, le « Voyage à Giverny » de Pierre-Luc Poujol ne nous a pas bouleversé, mais nul doute que certains seront sensibles à sa manière de placer un filtre Pollock sur Monet…
Dans « Seuils », les interrogations du palestinien Bashar Alhroub sur « l’identité et l’appartenance à une communauté sociale et culturelle » ne peuvent laisser indifférent. Son travail autour « de la vulnérabilité personnelle et de l’inquiétude existentielle, associée à des questions telles que la religion, le nationalisme, les conflits et la construction identitaire » méritent évidemment attention.

Mais c’est sans aucun doute les propositions d’Isabelle Leduc et Cécile Borne qui nous sont apparues comme les plus abouties et les plus fortes.

Isabelle Leduc

L’artiste québécoise présente un remarquable ensemble de ces « peintures-sculptures » qu’elle nomme également bas-relief.

Isabelle Leduc - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète - Vue de l'exposition
Isabelle Leduc – au Musée Paul Valery – Sète – Vue de l’exposition

Depuis quarante ans, Isabelle Leduc sculpte et peint du papier pour produire des œuvres séduisantes et mystérieuses qui accrochent immédiatement le regard. Avec leurs formes abstraites à la géométrie improbable, leurs couleurs somptueuses, les signes de papier d’Isabelle Leduc construisent un langage inédit et énigmatique qui engage le visiteur dans un récit fascinant qui suggère des « civilisations anciennes, lointaines et archétypales » où se mêlent « stèles, amphores, totems et autres “fétiches mystérieux” »…

Dans son essai pour le catalogue, Ginette Michaud évoque ainsi le travail d’Isabelle Leduc :

« Cet attrait de l’originaire dans le travail d’Isabelle Leduc se marque donc d’abord et avant tout dans ce choix du papier, qui en demeure la constante depuis quarante ans :
“Le papier, c’est magnifique comme matériau. J’en aime la texture. Je touche le papier, je le palpe, je le sculpte, je le peins, je l’utilise depuis 1979 pour mes œuvres.”
Dans ces quelques mots – toucher, palper, sculpter, peindre – qui, mine de rien, renversent une certaine hiérarchie des arts et des sens, l’essentiel est dit. L’artiste a découvert sa voie grâce à ce matériau qu’elle est presque la seule à travailler de cette façon, réalisant des peintures-sculptures – qu’elle appelle aussi “bas-reliefs” – qui déplacent, en affirmant une tranquille interdisciplinarité, à la fois la peinture (ce n’est pas le tableau qui l’intéresse au premier chef, mais bien la couleur) et la sculpture (attentive au lieu et au dispositif spatial, elle maintient pourtant le plus souvent le mur comme surface d’accrochage).

Ainsi, avant de trouver un espace où rejouer cette nouvelle partition entre peinture, sculpture et installation, chaque œuvre d’Isabelle Leduc naît donc de ce contact intime, à mains nues, avec le papier de coton (et non de bois, pas assez stable), qui donne ensuite lieu à tout un processus de fabrication, de façonnement, gardant l’empreinte de ce geste artisan fait de multiples retouches ».

À l’évidence, Isabelle Leduc porte une très grande attention à la mise en espace de ses œuvres, à la manière dont elle rapproche les formes pour les faire dialoguer. C’est particulièrement sensible dans les séries telles que Glossaire, Voie lactée mais aussi dans Hommage à P. et Blues pour P.

Isabelle Leduc - Voyages (Façades 1, 3, 4), 2011 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Isabelle Leduc – Voyages (Façades 1, 3, 4), 2011 – Musée Paul Valery – Sète

Au-delà de ces polyptyques, l’exposition dans son ensemble apparaît comme une installation globale à la fois cohérente et poétique qui laisse une large place au visiteur pour y construire ses propres histoires au travers d’« une expérience sensible » que lui propose « 4 à 4 »…

La découverte du travail d’Isabelle Leduc justifie à elle seule un passage par le Musée Paul Valéry.

Isabelle Leduc - Triptyque, 2017 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Isabelle Leduc – Triptyque, 2017 – Musée Paul Valery – Sète

Cécile BorneArchéologie de l’abandon

Si les matériaux et la pratique de Cécile Borne sont totalement différents de ceux qui sont mis en œuvre par Isabelle Leduc, « Archéologie de l’abandon », l’exposition qu’elle présente dans le cadre de « 4 à 4 » est tout aussi passionnante et réussie que celle de l’artiste québécoise.

Dans son introduction au catalogue, Maïthé Vallès-Bled évoque ainsi son travail :

« Cécile Borne récolte depuis vingt ans sur les rivages de Bretagne ce que, précise-t-elle, “la mer nous renvoie de nous même”. Ce furent d’abord les tissus, les chiffons, les vêtements élimés échoués sur le sable, autant de fragments qui retinrent son attention avant qu’elle n’intègre dans son travail l’abondance des déchets plastiques. Elle assemble ces fragments, créant ainsi un peuple qu’elle nomme Les indigènes du 7e continent qui, ajoute-elle, “habitent un monde reconstitué par une esthétique de l’abandon, inventent de nouveaux codes, de nouveaux rites sur l’autel du grand désastre planétaire” »

Tissus-Mémoire

Cécile Borne - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète - Vue de l'exposition
Cécile Borne – Musée Paul Valery – Sète – Vue de l’exposition

La première salle de cette « Archéologie de l’abandon » rassemble sous le titre « Tissus-Mémoire » deux séries : les Carnets de bord et #Apprends à nager. Une plaque de feutre goudronné (Le Havre, 2019) relie ces deux ensemble.

Carnets de bord

Cécile Borne - Carnets de bord (9 à 59), 2018-2020 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Cécile Borne – Carnets de bord (9 à 59), 2018-2020 – au Musée Paul Valery – Sète

Dans les Carnets de bord, Cécile Borne met en œuvre des fragments de textile malaxés puis restitués par la mer qu’elle récolte de la Bretagne aux rivages portugais, de l’Italie au Sud tunisien, ou à la Turquie. Elle les présente par lieux et par jours dans ce qui apparaît comme une sorte d’atlas singulier. Pour « 4 à 4 », Cécile Borne expose un extrait de sa série (9 à 59) réalisé entre 2018 et 2020.

#Apprends à nager

Un cartel développé explique l’origine et les intentions de l’artiste pour cette série composée de neuf panneaux créés en 2019-2020 :

Fragments d’une banderole trouvée en novembre 2019 sur les rivages d’Ellouza en Tunisie. Cette toile peinte réalisée à l’occasion d’une dakhla, fête-cérémonie de fin d’études d’une classe préparant un bac informatique, rend hommage à Omar Lâabidi. Ce lycéen de 19 ans a trouvé la mort par noyade le 31 mars 2018. Selon des témoins oculaires, les forces de l’ordre l’auraient volontairement poussé dans une rivière de l’Oued Méliène (banlieue de Tunis), après avoir poursuivi plusieurs groupes de supporters du Club Africain. Acculé au bord du canal, Omar a dit aux forces de l’ordre qu’il ne savait pas nager. Un policier lui aurait alors répondu : ‘Saute, apprends à nager’. Le hashtag # Apprends à nager a été lancé sur les réseaux sociaux, puis repris dans la rue pour devenir un mouvement populaire.

Les indigènes du 7e continent

Cécile Borne - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète - Vue de l'exposition
Cécile Borne – Musée Paul Valery – Sète – Vue de l’exposition

La deuxième partie de « Archéologie de l’abandon » est consacrée aux indigènes du 7e continent.

Après deux “pages” (Écritures 1 et 2, 2019) et une grande toile intitulée Principe mâle et femelle de la création du monde chez les indigènes du 7e continent (2019), un bref texte introduit cette partie de « Archéologie de l’abandon » :

LES INDIGÈNES DU 7e CONTINENT
Fiction ethnologique plastique

Au cœur des océans, là où les eaux ne concernent que peu le tourisme ou la navigation marchande, un immense territoire appelé “7e continent”, fait de centaines de millions de tonnes de plastiques, grandit de jour en jour. Ce dépôt de déchets entraînés et accumulés par les courants constitue une île dont la superficie dépasse six fois la France. Ce peuple du 7e continent assemble les fragments, compose des rituels en liquidant la fonction première afin de laisser émerger un imaginaire ludique, mais aussi inquiétant. Il habite un monde reconstitué par une esthétique de l’abandon. Il invente de nouveaux codes, de nouveaux rites sur l’autel du grand désastre planétaire..
.

L’accrochage s’organise autour de deux statues, La Bestia verte et La Bestia noire (2019), présentées comme des costumes rituels, assemblages de cordages plastiques pour la première et d’objets plastiques pour la seconde.

Cécile Borne - Autel, 2019 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Cécile Borne – Autel, 2019 – Musée Paul Valery – Sète

Sur la droite, un Autel (2019) composé de casiers à crevettes et de cordages précède une singulière présentation de six Chapeaux

Cécile Borne - Chapeaux, 2019 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Cécile Borne – Chapeaux, 2019 – Musée Paul Valery – Sète

Sur la gauche, une vidéo réalisée par Thierry Salvert et Cécile Borne sur une bande-son de Louise Dupont évoque l’histoire de ces indigènes.

Cécile Borne - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète - Vue de l'exposition
Cécile Borne – Musée Paul Valery – Sète – Vue de l’exposition

Un peu plus loin, huit photographies d’une série intitulée Paysage du 7e continent montrent quelques vues de leur monde…

Cécile Borne - Paysage du 7e continent (1 à 8), 2019 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Cécile Borne – Paysage du 7e continent (1 à 8), 2019 – Musée Paul Valery – Sète

Le parcours se termine avec quatre Agglomérations (2019) où des plastiques sont cousus sur voile. Ces “toiles” tout en mouvement font écho aux Écritures qui introduisent l’exposition de Cécile Borne où l’on peut aussi rencontrer ça et là quelques Organismes invasifs

Cécile Borne - Agglomération (4 et 1), 2019 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Cécile Borne – Agglomération (4 et 1), 2019 – Musée Paul Valery – Sète

Loin de tout discours prêchi-précha, la proposition de Cécile Borne est construite avec intelligence, émotion poésie et humour. Son « Archéologie de l’abandon » mérite d’être découverte et partagée…

Cécile Borne - Organisme invasif, 2019 - 4 à 4 au Musée Paul Valery - Sète
Cécile Borne – Organisme invasif, 2019 – Musée Paul Valery – Sète

Au rez-de-chaussée du Musée Paul Valéry, Patrice Palacio présente un ensemble d’œuvres récentes avec trois séries réalisées en 2019 : Point Plan Trait, Vide Matière Lumière et Tableaux blancs

Par le passé, nous avions rendu compte avec un certain enthousiasme de ses expositions d’abord à l’Espace Bagouet avec “JE_X” en 2015, puis chez Samira Cambie en 2017 avec “Voodoo Rituals.
Cette présentation d’œuvres récentes à Sète nous a laissé plutôt dubitatif et circonspect…

En savoir plus :
Sur le site du Musée Paul Valéry
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Pendant le confinement, le Musée Paul Valéry a produit une série de vidéos sur ses collections. Intitulée Regard sur une œuvre elle est disponible sur sa chaîne YouTube.

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