L’Orient sonore – Musiques oubliées, Musiques vivantes au Mucem


Jusqu’au 4 janvier 2021, le Mucem accueille « L’Orient sonore – Musiques oubliées, Musiques vivantes » sur les 800 m² du second plateau au J4.

« L’Orient sonore » est une exposition remarquable par la sélection présentée à partir du fonds exceptionnel conservé dans les collections de la Fondation Amar mais aussi et surtout par la pertinence de son commissariat assuré par Kamal Kassar, créateur de la fondation et par Fadi Yeni Turk, réalisateur et directeur de la photographie.

L’Orient sonore au Mucem - Vue de l'exposition - Photo En revenant de l'expo !
L’Orient sonore au Mucem – Vue de l’exposition – Photo En revenant de l’expo !

La direction artistique du projet et la scénographie conçue par Pierre Giner assisté par l’agence Trafik contribuent très largement à faire de « L’Orient sonore » un événement incontournable qui marquera sans aucun doute la saison 2020 au Mucem.

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Le parcours de « L’Orient sonore » s’organise autour de trois sections :

Maisons de disques d’hier : premier récit de sauvetage

Extraits des 9000 disques et 6000 heures de bandes magnétiques conservés par la Fondation Amar, 60 enregistrements sonores permettent de découvrir les pratiques musicales du monde arabe de 1903 aux années 1970.

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Exposée sur les cimaises autour de l’espace d’exposition, cette section se développe en 9 séquences construites à partir de l’histoire de maisons de disques. Elles s’enchaînent d’abord de façon chronologique autour des productions égyptiennes avant d’aborder plus rapidement les autres centres de création du Golfe au Maghreb :

  • La Nahda
  • 1903-1914, les premières campagnes d’enregistrement
  • De la première guerre mondiale de 1914 aux années 1920
  • Le Congrès de musique du Caire de 1932
  • La nouvelle esthétique après 1930
  • Musiques d’Irak
  • Musiques du Golfe
  • Musiques du Yémen
  • Le Maghreb

Dans un entretien avec l’équipe du Mucem (reproduit ci-dessous), Kamal Kassar et Fadi Yeni Turk soulignent que ces enregistrements « évoquent principalement l’histoire de la musique citadine » avant d’expliquer pourquoi ces musiques sont tombées dans l’oubli à partir des années 1930…

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Maisons de disques d’hier : premier récit de sauvetage – L’Orient sonore au Mucem – Vue de l’exposition – Photo En revenant de l’expo !

Chaque séquence est introduite par un texte en français, anglais et arabe qui donne les repères essentiels. Les enregistrements diffusés par des douches sonores sont aussi disponibles en écoute sur un téléphone portable via un Qrcode depuis une remarquable et très complète application en ligne (https://orientsonore.fr/).

Un portrait photographique et quelques références biographiques accompagnent les enregistrements des artistes choisis. Chaque maison de disque est brièvement présentée.

Vidéos d’aujourd’hui : deuxième récit de sauvetage

Au centre des deux salles de l’espace d’exposition, un ensemble d’installations vidéo présentent douze traditions musicales orales menacées de disparition. Un travail inédit de recherche, de documentation et de captation a été mené sur le terrain entre 2016 et 2019, de l’Irak à l’Afrique du Nord en passant par le Golfe pour témoigner de la diversité des musiques arabes, qu’elles soient profanes ou sacrées, d’origine populaire ou savante.

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Vidéos d’aujourd’hui : deuxième récit de sauvetage – L’Orient sonore au Mucem – Vue de l’exposition
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La première salle regroupe les installations suivantes :

  • Les derniers poètes d’Al-Sirah Al-Hilaliyyah
  • Rendre hommage aux Kawliyyah
  • Marjou’ al Sha’aniba, aux portes du désert algérien
  • Garder la tradition musicale djezrawi vivante
  • Soirée de divertissement Al-khashshâba
    Yunb’âwî, une tradition musicale au Hijaz en Arabie saoudite
  • Dans la seconde salle, on découvre les six séquences suivantes :
  • Les quatre derniers interprètes d’Al Anîn
  • Al Bahri, les chants de la mer
  • Chants lors des mawâlid al-sufiyya
  • Les chants syriaques résonneront-ils dans Mossoul à nouveau ?
  • Chants lors des fêtes Yézidis à Lalesh
  • Commémoration du passage de la Vierge Marie au mont Al-Dronka

La scénographie diversifie les modes de projection des vidéos, évitant ainsi tout sentiment de monotonie. Une implantation judicieuse et variée des écrans crée des perspectives qui rythment le parcours. Ces dispositifs relancent avec subtilité l’intérêt du visiteur et proposent des espaces propices à son engagement. C’est notamment le cas pour les chants extatiques du soufisme égyptien.

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Des podiums recouverts par des tapis orientaux accueillent les spectateurs en multipliant les îlots très agréables à la fois ouverts et intimes. Le soin particulier apporté aux équipements sonores offre un remarquable confort d’écoute…

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Les montages réalisés par Fadi Yeni Turk à partir des dizaines d’heures de captation sont construits avec beaucoup de précision et d’efficacité. L’ensemble permet au visiteur d’entrer dans les séquences et de ressentir l’émotion musicale très singulière du « tarab »…

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Chaque installation vidéo est accompagnée par un texte en français, anglais et arabe et une carte qui situent clairement chacune des traditions musicales orales présentées. Il donne avec concision et rigueur les repères pour comprendre pourquoi elles sont aujourd’hui fragilisées du fait des guerres et des bouleversements politiques, de la persécution de minorités ethniques ou religieuses, etc.

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Un cartel développé est complété par un Qrcode qui permet la lecture de la séquence sur un téléphone mobile à partir de l’application orientsonore.fr.

Une conversation avec Kamal Kassar

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Au centre de l’exposition, dans le couloir qui relie les deux salles, un dispositif de projection très pertinent permet de suivre sous trois angles différents une conversation entre Kamal Kassar et le journaliste Philippe Azoury, à propos du tarab et sa passion pour les musiques arabes…

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Au milieu, de cette installation « panoramique », l’entretien est enrichi d’images d’archives qui illustrent le propos du collectionneur. L’échange avec Kamal Kassar est découpé en 4 chapitres (Kamal Kassar, collectionneur de tarab ; Le tarab ou l’enchantement ; La fondation Amar ; L’âge d’or de la musique arabe, 1850-1930 ; De l’oubli à la mémoire).

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Une remarquable scénographie et une application au service du projet « L’Orient sonore »

À plusieurs reprises, on a ici été assez critique sur le travail de Pierre Giner et notamment sur sa contribution à l’exposition « Des images comme des oiseaux » en 2013 à la Friche. Son installation « Avant Babel » dans le hall du Mucem à l’occasion de « Après Babel, traduire » à l’hiver 2016-2017 ne nous avait pas vraiment convaincu…

La direction artistique du projet que Pierre Giner a assuré et la scénographie qu’il a conçue, assisté par l’agence Trafik, sont remarquables. Elles contribuent très largement à faire de « L’Orient sonore » une exposition exceptionnelle.

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Il réussit parfaitement à atteindre son ambition de faire de « L’Orient sonore » un « salon des musiques arabes en danger ; un salon de musique ; un salon d’écoute et de regards, dédié aux voix et aux musiques du monde arabe lointaines, oubliées, parfois condamnées à disparaître ».

L’application conçue par Pierre Giner et Trafik pour l’exposition est également très réussie.
Elle offre au visiteur un outil qui lui permet d’enrichir notablement son expérience in situ avec les écouteurs et l’écran de son téléphone portable. Elle lui donne aussi la possibilité de préparer et/ou de compléter son passage au Mucem.

« L’Orient sonore – Musiques oubliées, Musiques vivantes » est accompagné par un catalogue coédité par le Mucem et Actes Sud. Sous la direction de Fadi El Abdallah, il rassemble des contributions passionnantes de Tarek Abdallah, Fadi El Abdallah, Aurélien Dumont, Kamal Kassar, Frédéric Lagrange, Jean Lambert, Ali Jihad Racy, Ahmad al-Salhi, Mustafa Saïd, Fadi Yeni Turk.
Ces textes proposent des analyses qui offrent des éclairages réellement complémentaires à l’exposition. Ce qui devient malheureusement de plus en plus rare. L’ensemble est complété par un indispensable glossaire et un index. Si des références bibliographiques accompagnent certains essais, on peut regretter l’absence d’une bibliographie générale…

Avant ou après une visite de « L’Orient sonore », on pourra regarder avec intérêt l’enregistrement d’une émission diffusée le 22 juillet sur les réseaux sociaux par le Mucem. Elle était animée par Farouk Mardam Bey (historien et éditeur) avec Kamal Kassar, Fadid El Abdallah et Frédéric Lagrange. Leur conversation est suivie par un concert avec Tarek Abdallah.

À lire, ci-dessous, les textes de salles de « L’Orient sonore » accompagnés d’un compte rendu de visite photographique. On reproduit également l’entretien de l’équipe du Mucem avec Kamal Kassar et Fadi Yeni Turk extrait du dossier de presse…

En savoir plus :
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Sur le site orientsonore.fr

« L’Orient sonore » – Compte rendu de visite photographique et textes de salle :

Maisons de disques d’hier : premier récit de sauvetage

L’exposition s’intéresse d’abord à la première « sauvegarde » du patrimoine sonore arabe du début du XXe siècle à travers l’histoire des maisons de disques occidentales qui, à partir de 1903, date du premier enregistrement de musique arabe, ont étendu leurs marchés au monde arabe avant d’être rapidement suivies par des sociétés levantines.
Cette vaste collection musicale patrimoniale est présentée à travers une sélection de 60 enregistrements sonores issus de 78 tours numérisés, que le public est invité à écouter.
Sont aussi présentés des appareils de musique du début du XXe siècle—lecteurs de cylindres, gramophone—, ainsi que 21 galettes originales (78 tours) et des reproductions de photographies d’interprètes des 60 titres.

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La Nahda

Au milieu du XIXe siècle voit le jour dans le monde arabe la Nahda, (la « renaissance »). Ce mouvement se caractérise par une effervescence culturelle, une prise de conscience du retard subi sous l’empire Ottoman et la recherche d’une identité tout en aspirant vers une certaine modernité.
On place généralement la Nahda entre l’arrivée de Bonaparte en Égypte en 1798 et les derniers moments de la royauté en 1952. Mais nous la placerons plus précisément entre 1863—l’accession au pouvoir d’Ismail Pacha, monarque éclairé qui a pris sous sa protection le développement des arts—, et 1936, avec la mort du roi Fouad 1er, dernier mécène royal à avoir soutenu la musique.

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Maisons de disques d’hier : premier récit de sauvetage – L’Orient sonore au Mucem – Vue de l’exposition – Photo En revenant de l’expo !

Ces souverains ont permis à de grands musiciens d’oeuvrer pour créer une musique citadine authentique de cour appelée « école khédiévale », en puisant dans les traditions orales locales et notamment les traditions des confréries soufis, très répandues dans les milieux populaires.

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Ainsi Ismail Pacha et ses héritiers ont patronné la musicale égyptienne et arabe animée par Abdo el Hamuli (1943-1901), Mohammad Osman (environ 1855-1900), Yusuf al-Manyalawi (1847-1911), Ibrahim al-Qabbani (1852-1927) et Daoud Hosni (1870-1927) pour ne citer que les plus grands.

Yūsuf al-Manyalāwī (1850-1911, Égypte) avec un gramophone. Catalogue de la compagnie Gramophone, 1908. AMAR – Fondation for Arab Music Archiving & Research, Beyrouth © AMAR
Manyalāwī est l’un des plus importants artistes-interprètes du répertoire arabe classique du début du XXe siècle. Il se fait reconnaître par les compagnies de disque comme le « Caruso de l’Orient », et demeure la référence du chant savant plusieurs décennies après sa disparition. Artiste talismanique de la Nahda, Cheikhs Yūsuf al-Manyalāwī est, avec Salāma Higāzī, l’un des plus éminents hommes religieux interprétant une musique profane.

Effacé des mémoires, l’esprit de ces scènes artistiques et culturelles rejaillit à l’écoute des 78 tours et cylindres des trois premières décennies du XXe siècle. En cela, ces enregistrements sont un trésor inestimable.

1903-1914, les premières campagnes d’enregistrement

Après les succès du ténor italien Caruso en 1900 et 1901, les compagnies de disques occidentales partent à la conquête de nouveaux marchés. L’arrivée de l’industrie du disque va alors marquer une transformation importante de la vie musicale au Moyen-Orient.

Les machines à cylindres sont disponibles en Égypte à partir de 1890, distribuées par la firme française Pathé ou la firme américaine Columbia. Mais l’invention révolutionnaire du disque « plat » par Emile Berliner ouvre la voie à une diffusion de masse.

Le marché d’avant-guerre dans les pays du Moyen-Orient semble se partager entre trois compagnies : Gramophone UK (Angleterre), Odéon et Baidaphon.

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Deutsche Gramophone, créée en 1898, arrive très tôt en Égypte (dès 1903), et procède à de nombreux enregistrements. Entre 1903 et 1910, la compagnie enregistre 1192 disques en Égypte, 223 en Algérie, 180 en Tunisie et 158 en Syrie.

Couverture d’un catalogue de la compagnie Gramophone, 1906. AMAR – Fondation for Arab Music Archiving & Research, Beyrouth © AMAR
Il s’agit du plus ancien catalogue de disques arabe connu à ce jour. On y retrouve la quasi-totalité des enregistrements de 1903.

La première tournée d’Odéon date de 1904. Ce n’est qu’en 1906 qu’Odéon parvient à enregistrer un artiste majeur, Salama Hijazi, pionnier du théâtre musical arabe (1852-1917).

Baidaphon, qui oeuvrera à travers tout le Moyen-Orient, se crée depuis Beyrouth en 1906.

Farajallah Baida (Liban). Ya Ghazali Kayfa Anni Ab’aduk / Ma gazelle comment t’ont-ils éloigné de moi. 1907, Baidaphon, 78 tours. AMAR – Fondation for Arab Music Archiving & Research, Beyrouth © AMAR
Baidaphon est la plus ancienne compagnie de disques installée au Moyen-Orient. Elle est créée en 1906 par les frères et cousins de la famille Baida, une vieille famille Beyrouthine, pour diffuser les chansons de leur frère et cousin Farajallah. En 1912, ils enregistrent la marque à Berlin et passent un accord de production avec la compagnie de disques allemande Carl Lindström. Ils ouvrent une succursale en Égypte en 1914 et enregistrent de grands artistes. En 1929, ils ont couvert toute la région arabo-persane et invitent leurs artistes à Berlin pour des concerts où ils improvisent ensemble.

D’autres compagnies sont également très actives en Égypte, comme les allemandes Beka (Bumb & Koenig G.m.b.H.) et Polyphon ou l’Egyptienne Mechian au Caire.

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De la première guerre mondiale de 1914 aux années 1920

Le premier conflit mondial marque un effondrement des ventes. La guerre de 1914 voit une réduction importante de l’activité des sociétés occidentales au Moyen-Orient. Autosuffisante pendant ces années de guerre, l’usine égyptienne Mechian devient un refuge pour les artistes égyptiens du disque lorsque les ingénieurs du son des sociétés étrangères ne sont plus disponibles au Caire.

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Dans les années 1920 se produit une nouvelle arrivée massive de compagnies multinationales en Égypte. La principale est l’allemande Polyphon, qui enregistre en Égypte vers 1924. La compagnie présenta alors une sélection de pièces savantes interprétées par Sâlih Abd al-Hayy, Abû al-Ila Muhammad et Zakî Murâd, à côté d’une série de taqâtîq (chansons) libertines à la mode.

C’est aussi après le conflit mondial que Baidaphon deviendra un élément fondamental du paysage musical égyptien en détenant l’exclusivité d’artistes tels que Munîra al-Mahdiyya, Abd al-Latîf al-Bannâ, et ultérieurement Muhammad Abd al-Wahhâb.

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Gramophone et son célèbre label « His Master’s Voice » enregistre les célèbres Oum Kalthoum (1898-1975) et Abdel Wahhab (1902-1991).

Le Congrès de musique du Caire de 1932

À la demande du roi Fouad Ier d’Égypte, le baron Erlanger, auteur de l’ouvrage La musique arabe (1930), prépare le Congrès du Caire, une manifestation scientifique d’envergure internationale dédiée à la musique arabe.
Spécialistes et pratiquants de cette musique se réunissent en mars et avril 1932 pour l’étudier et discuter de ses modalités de conservation et de transmission.
Ce congrès devait venir consacrer la présence de l’Égypte parmi les nations modernes et civilisées. A ce titre, ce sont les manifestations de la modernité qui devaient être exposées aux étrangers, que cette modernité soit ou non synonyme d’occidentalisation pour les tenants du théâtre chanté et de l’harmonie. Tous ont alors un ennemi commun : l’archaïsme musical et le folklore, dans la tradition urbaine comme dans la tradition rurale.
Un malentendu s’installe avec les participants européens qui mènent une démarche analytique et insistent sur la nécessité de préserver une authenticité arabe sans contamination européenne.
Pour les musiciens égyptiens, ce congrès est une première occasion de sortir de la zone Turquie / Grande-Syrie / Égypte qui limite leur horizon musical, en découvrant les musiques maghrébines (alors inconnues) et irakiennes (alors méconnues).
Gramophone UK se charge de l’enregistrement des groupes sélectionnés, soit 334 faces de disques 78 tours pour une diffusion non commerciale.

Al Sharif Hashem (Hijaz-Arabie). Bi Nafsek Ala Nafsek / Entre toi et toi-même, 1936. Mechian, 78 tours. AMAR – Fondation for Arab Music Archiving & Research, Beyrouth © AMAR
Al Sharif Hachem fut le meilleur représentant des chanteurs du Hijaz en Arabie, région qui a subi l’influence de l’Égypte tout proche, tout en sachant garder son identité rythmique. Il a également été un grand luthiste.
La compagnie Mechian a été fondée en 1908 par Setrak Mechian, un Arménien d’Égypte, qui possédait au Caire une petite usine de disques qui a fonctionné pendant presque trois décennies. Mechian enregistra des artistes tels que Sulayman Abu Dawud ou Cheikh Sayyid Darwish, mais aussi des artistes plus modestes. À la fin des années 1920 et au début des années 1930, Mechian a parrainé Cheikh Mahmud Subh (1898-1941). Mechian est restée active pendant la Première Guerre mondiale car elle était autosuffisante, alors que les ingénieurs du son des compagnies étrangères n’étaient plus disponibles au Caire. Mechian est alors devenue un refuge pour les artistes égyptiens.

La nouvelle esthétique après 1930

Les premiers disques « électriques » sont produits à partir de 1927. Mais la crise de 1929 et le succès des premiers films musicaux font évoluer les pratiques.
L’esthétique musicale change avec l’arrivée de la radio en 1934 : la musique classique arabe, qui commence à se construire depuis le XIXe siècle, n’obtient que trois plages d’écoute par semaine, tard le soir. Une pléthore de chorales et de grands orchestres se créent et délivrent des chansons légères occidentalisées, écrasant les mélismes des grands chanteurs de la Nahda. Les violons à l’unisson supplantent les denses phrasés des grands violonistes comme Shawwa.
Toutefois la wasla (suite musicale) héritée de l’école khédivienne, emblématique de la Nahda, demeure en 1935 le cadre de référence pour tous les concerts radiophoniques, même chez des artistes novateurs comme Zakariyyâ Ahmad.
La tendance à l’occidentalisation s’exprime aussi bien dans la production phonographique que cinématographique.
Les « traditionalistes » s’accrochent à Oum Kalthoum, Abdel Wahhab et Farid el Atrache comme les tenants d’une tradition ancienne, oubliant les grands de la Nahda.
L’école khédivienne est alors bel et bien oubliée, ce qui n’est pas le cas de la musique classique turque ou iranienne.

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Musiques d’Irak

La musique irakienne connaît un développement indépendant. Son grand héritage classique, le maqam iraquien, est une suite qui se développe sur toute une soirée et inclut plusieurs formes de pièces rythmées ou sans rythme, des pièces chantées et des pièces purement instrumentales. Le maqam est divisé en cinq fasl (chapitres) et inclut des poèmes en arabe classique et vernaculaire.

L’autre genre de musique irakienne qui se développe au XXe siècle est le pesteh, qui est une sorte de musique légère mais qui, par ailleurs conclut un maqam classique. C’est ce type de chansons qui est le plus répandu dans les disques.

Hudairi Abou Aziz (Irak). Zanneit ma Ahebbak / Je pensais ne pas t’aimer, 1940. Chakmakchiphon, 78 tours. AMAR – Fondation for Arab Music Archiving & Research, Beyrouth © AMAR
Hudhairi Abu Aziz (1909-1972) était un musicien irakien populaire. En 1945, il enregistre des disques et donne des concerts à la radio et dans des théâtres, puis fait une tournée de concerts dans plusieurs pays arabes. Il a composé des chansons à partir de ses propres textes ainsi que sur des textes folkloriques.
La compagnie Chakmakchiphon appartenait à une famille de kurdes irakiens. Cette compagnie a produit des disques locaux mais a aussi rediffusé sous son label des artistes arabes d’Égypte et du Moyen-Orient. Le dernier établissement de cette société, à Bagdad, fut détruit durant l’intervention américaine et l’ensemble de ses matrices et enregistrements sont ainsi disparus.

La grande maison de disque irakienne Chakmakchiphon appartient à une famille de kurdes irakiens. Cette compagnie produit des disques locaux mais diffuse aussi sous son label des artistes arabes d’Égypte et du Moyen-Orient. Elle a poursuivi son activité jusqu’à la chute de Saddam Hussein, les fonds de ce label ayant alors été totalement saccagés.
L’autre compagnie irakienne, qui commence son activité à partir de 1927, est Basraphone – al Fayha Records. Ce label imprime ses disques à Bombay chez MFD the National Gramophone Record.
Bombay Odeon, Gramophone, Baidaphon et Sodwa ont aussi enregistré en Irak et leurs disques circulent aujourd’hui entre collectionneurs.

Musiques du Golfe

Le Golfe a créé sa propre musique, surgie des bateaux de pêche aux perles, des rythmes venus d’Afrique par l’apport des esclaves, et de l’Inde tout proche. Malgré la disparition de la pêche aux perles, la musique issue des gens de la mer reste présente au Koweït, à Bahrein et au Qatar.
Un genre citadin a été créé dans les villes arabes du Golfe et surtout au Koweït : le sawt (voix) est un genre chanté qui utilise principalement le oud (luth), le merwas (petit tambour) et une forme complexe de palmas (battement rythmé des paumes de mains). Tous les grands chanteurs le pratiquent, et ce sont ces sawts qui sont enregistrés sur disques. Ils commencent par un poème classique ou vernaculaire et se terminent par un tawshih qui est inspiré d’une forme musicale du XVIIIe siècle née à Alep, consistant en un poème en arabe classique ou dialectal chanté avec une structure rythmique plus ou moins compliquée.
De grandes compagnies de disques occidentales enregistraient des disques dans le Golfe : Odeon (sa maison britannique avait une antenne à Bombay qui couvrait les pays du Golfe), mais aussi Gramophone et la libanaise Baidaphon qui organisait des missions d’enregistrement en Irak, au Koweït et dans d’autres pays du Golfe. On trouve aussi des compagnies locales comme Dubaiphon, la compagnie koweitienne Bu Zayd phon, la compagnie Gurjiphon de Bahreïn, la compagnie Salimphon de Oman ainsi que la compagnie indienne Young India.

Musiques du Yémen

Les premiers enregistrements commerciaux de musique au Yémen sont effectués sur disques 78 tours dans la ville d’Aden, du milieu des années 1930 jusqu’à la fin des années 1950, apportant une certaine forme de modernité dans ce pays très conservateur. Ces disques se diffusent dans l’ensemble du Yémen, en particulier dans le nord qui n’a pas le même niveau de développement et qui rejette la musique par puritanisme. Les disques sont transportés clandestinement et parfois même à dos d’âne jusque dans des villages reculés pour être joués dans des mariages ! Les musiques enregistrées ont d’abord été des musiques urbaines, principalement un chanteur soliste s’accompagnant lui-même au oud (le luth arabe, et aussi le luth yéménite, qanbûs), avec parfois également un accompagnement au violon. On pouvait aussi les entendre lors de marches militaires et dans les premières pièces de théâtre. D’emblée, plusieurs traditions urbaines furent représentées : celle de Sanaa, la capitale historique ; celle de Lahej, un sultanat situé près d’Aden ; celle du Hadramawt, marquée par des influences indiennes, ainsi que des musiques d’Afrique de l’Est et d’Indonésie où l’émigration yéménite a laissé son empreinte. Ainsi, ces enregistrements sont très précieux, car ils représentent quasiment le premier témoignage sonore de la musique yéménite.

Outre Parlophon et Odeon, la compagnie locale Aden Crown enregistre plus de 1220 disques avec les plus grands musiciens du Yémen. Citons aussi Jafferphon qui commence à exercer avant la Seconde Guerre mondiale, et qui enregistre environ 1240 disques, ce qui est considérable. Entre la fin des années 1940 et le début des années 1950, Taha le frère de Jaafar, propriétaire de Jafferphon, crée la compagnie Tahaphon et produit les mêmes grands musiciens. Outre ces compagnies, on trouve aussi le label Kayaphon fondé en 1948, qui produit de la musique bénévolement et la distribue gratuitement à la radio dès 1954, mais aussi la maison Arabian South ainsi que la plus récente, Azaziphon.

Le Maghreb

Durant sa première campagne d’enregistrement dans les pays arabes, entre 1900 et 1910, Gramophone enregistre 223 disques en Algérie et 180 disques en Tunisie. En raison des troubles engendrés au Maroc par les tentatives de domination occidentale, ce pays est négligé par les compagnies de disques au début du XXe siècle. À partir de 1912 et jusqu’en 1950, le Maroc fut la chasse gardée de la société Pathé.

Au Maroc, la présence européenne apparaît par le biais des orchestres militaires qui ont laissé quelques 24 marches imprimées sur disques. Les chants des disques marocains sont interprétés en quatre langues (chleuh, hébreu, espagnol et arabe). Les artistes marocains chantent de la musique savante et de la musique populaire appelée malhun.

En Algérie les enregistrements commencés par Gramophone sont poursuivis par Pathé à partir de 1912. Aussi, des labels arabes tel que Baidaphon et des labels locaux tels que Algériaphone enregistrent la musique locale. Il s’agit le plus souvent de musique savante, de musique religieuse (représentée principalement par Khouani Kheira et Mahmoud Hadjadji), de musique festive, de musique citadine (dérivée de la musique classique andalouse), mais aussi de musique bédouine, sahraoui, oranaise, aurassienne…

En Tunisie, lors de l’indépendance, la plupart des labels français (Pathé-Marconi, Ducretet-Thomson, Teppaz) abandonnent la production et surtout la diffusion. Ahmed Hachelaf, Souleïman, Fouatih et d’autres particuliers rachèteront une partie de leurs fonds et créent leurs propres labels : Artistes Associés, Club du Disque Arabe, La Voix du Globe, El Feth, Editions Atlas, El Kawakib, El Ouahida, B. Rssaisi…

Nombre de labels locaux apparaissent dont certains seront consacrés exclusivement aux chanteurs et musiciens du Maghreb : Fiesta, Festival, Saturne, Oasis, Dounia, Hes el-Moknine (label de Cheikh Raymond) etc.

Vidéos d’aujourd’hui : deuxième récit de sauvetage

Les derniers poètes d’Al-Sirah Al-Hilaliyyah

Al-Sirah Al-Hilaliyyah est un poème oral qui raconte l’histoire de la migration de la tribu des bédouins Beni Hilal vers l’Afrique du Nord, à partir de l’Arabie au Xe siècle.

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Fadi Yeni Turk. Les derniers poètes d’Al Sirah al-Hilaliyya. Al Baliana, Égypte, 2017. Co-production Fondation AMAR/Humboldt Forum, 2018 © Fadi Yeni Turk

L’épopée, interprétée du Maghreb au Moyen-Orient depuis le XIVe siècle, a été chantée par des poètes successifs qui y ont ajouté des vers de leur propre composition. Aujourd’hui, le poème compte plusieurs milliers de vers. Al-Sirah Al-Hilaliyyah exalte le courage, l’héroïsme et l’honneur, et parle de vengeance, de guerre et de romance. Abu Zeid al-Hilali et Kalepha El Zenaty sont les protagonistes de cette épopée.

Fadi Yeni Turk. Les derniers poètes d’Al Sirah al-Hilaliyya. Al Baliana, Égypte, 2017. Co-production Fondation AMAR/Humboldt Forum, 2018 © Fadi Yeni Turk
La famille Ezzeddine, dans le sud de l’Égypte, est considérée comme l’une des dernières interprètes d’Al Sirah Al-Hylaliyya.

Depuis 2008, celle-ci est sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. On ne peut l’entendre qu’en Égypte, où rares sont les chanteurs qui en connaissent la totalité.

Kamal Kassar,
président de la Fondation AMAR

Rendre hommage aux Kawliyyah

Les Kawliyyah sont des gitans d’origine indienne qui ont émigré en Irak au début du Xe siècle. Ils ont toujours constitué une minorité marginalisée vivant à la périphérie des grandes villes.

Rendre hommage aux Kawliyyah. Bagdad, Irak, 2017. Co-production Fondation AMAR/Humboldt Forum, 2018 © Fadi Yeni Turk

Récemment, les Kawliyyah ont fait l’objet de persécutions par des milices et des hommes de tribus dans différentes parties de l’Irak, notamment en raison de leur profession d’artistes, que certains associent à une moralité douteuse.

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Rendre hommage aux Kawliyyah

Le genre principal de musique dans lequel ils excellent est appelé rifi (rural). Au fil des ans, ils lui ont donné leur signature, et leur musique peut facilement être différenciée de la musique rifi irakienne traditionnelle. Ils ont le mérite d’avoir conservé et diffusé ce genre musical dans la région.

Fadi Yeni Turk,
réalisateur

Garder la tradition musicale djezrawi vivante

Al Jazirah est la région située entre les fleuves Khabour et Tigre en Syrie. Véritable creuset culturel, cette région est habitée par des personnes d’ethnies, de religions et de langues différentes. Ainsi, la tradition musicale djezrawi est un mélange de musiques d’appartenances kurdes, syriaques, arméniennes et arabes.

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Les habitants d’Al Jazirah ont été soumis à de nombreuses migrations forcées au cours du siècle dernier et, jusqu’à ce jour, la musique et le chant sont les liens qui maintiennent la culture de ces communautés dispersées. Auparavant, ils communiquaient souvent les uns avec les autres en envoyant aux membres de leur famille dispersés des cassettes audio et vidéo de leurs événements, où le chant occupait une place centrale. Aujourd’hui, ils partagent et diffusent leurs événements sur les médias sociaux.

Fadi Yeni Turk. Garder la tradition musicale djezrawi vivante. Lemgo, Allemagne, 2019. Co-production Fondation AMAR/Humboldt Forum, 2018 © Fadi Yeni Turk
L’artiste syrien Ibrahim Keivo, exilé en Allemagne, connecté sur les réseaux sociaux pour répondre aux souhaits des réfugiés syriens qui lui demandent d’interpréter des chansons djezrawi.

Fawzi al-Bakri, Jean Karat, Mohamed Sheikho, Edward Moussa, Habib Moussa et Ibrahim Keivo sont les principaux représentants de la musique djezrawi.

Ibrahim Keivo,
chanteur et musicien djezrawi

Yunb’âwî, une tradition musicale au Hijaz en Arabie saoudite

Yanbu est une ville d’Arabie qui surplombe la mer Rouge ; elle se trouve dans le Hijaz sur la route du pèlerinage. C’est un port incontournable pour le commerce de l’Arabie avec l’Égypte et le Soudan.

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Pour agrémenter leurs longs séjours en mer, les marins partis de Yanbu jouaient de la semsmiyye (ancienne harpe). Les échanges avec l’Égypte et le Levant influencent graduellement la musique de Yanbu, et de cette fusion émerge un nouveau style connu sous le nom de yunb’âwî, joué maintenant par un takht (ensemble instrumental composé de cinq à sept musiciens). Cette musique rappelle le format des suites musicales (wasla) connues en Égypte à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, mais avec un rythme dansant.

Yunb’âwî, une tradition musicale au Hijaz en Arabie saoudite. Yanbu, Arabie saoudite, 2020. Co-production Fondation AMAR/Humboldt Forum, 2018 © Fadi Yeni Turk

Le yunb’âwî, reste très populaire malgré la répression et la censure exercées dans le passé par les autorités religieuses. Mais il est à craindre que la globalisation et la modernité ne finissent par altérer la tradition musicale de Yanbu au fil des années.

Abdel Jalil El Rouwaissi
(poète et chanteur yunb’âwî) et Samir El Khreiychi (musicien yunb’âwî)

Soirée de divertissement Al-khashshâba

Originellement, l’appellation al-khashshâba désigne les personnes qui fabriquaient des bateaux en bois à Bassorah (au sud de l’Irak) et qui jouaient des percussions lors de leurs soirées musicales. Au fil du temps, la variété des rythmes circulant vers cette ville portuaire sont devenus partie intégrante de son patrimoine et de sa notoriété. En intégrant aux rythmes des khashshâba des répertoires comme le Maqam Al Iraki (mode musical irakien), une nouvelle forme musicale propre à cette ville considérée comme la « Venise de l’Orient » s’est constituée.

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De nos jours, des groupes populaires (al shaddat) se produisent lors d’occasions spéciales. Ils s’assoient par terre ; au centre est le kassur (percussionniste principal qui joue d’un petit tambour, le dunba), qui ornemente le rythme de temps à autres. Le chanteur (Qari’ Maqam) se met à côté de lui accompagné du reste des percussionnistes appelés lawazim. Derrière eux, les chanteurs (rawadid), tapent des mains en mesure.

Fadi Yeni Turk. Soirées de divertissement Al-Khashshâba. Bassorah, Irak, 2019. Co-production Fondation AMAR/Mucem, 2020 © Fadi Yeni Turk
Rencontre musicale dans une ferme de la banlieue de Bassorah, réunissant quelques-uns des derniers représentants du khashshâba.

La plupart de ces groupes ont disparu du fait des changements politiques en Irak, des guerres récurrentes, et de la montée des courants extrémistes. Ils se font aujourd’hui de plus en plus rares.

Karim Al Issa,
journaliste et bloggeur pour la promotion de l’art du khashshâba

Marjou’ al Sha’aniba, aux portes du désert algérien

Al sha’aniba est l’une des tribus venue d’Arabie, issue de la confédération des Bani Suleym, qui s’est installée à Metlili Sha’aniba, dans le nord du désert algérien en 1156, puis dans d’autres villes algériennes telles que El Menia et Ouargla. Leur musique traditionnelle s’appelle le marjou’.

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Chaque groupe est composé d’au moins deux joueurs de qasba (flûte) et de deux joueurs de tambours : un batteur qui s’engage à suivre le rythme de la qasba, et un batteur qui l’accompagne en plaçant ses mains sur le même tambour, modulant ainsi le son des battements.
Beaucoup de marjou’s tirent leur nom de titres de poèmes populaires et de leurs rythmes (Marjou’ Arab Al Mahari, Hazzaz Al Khallakhel, etc.).

Fadi Yeni Turk. Marjou’ al Sha’aniba : aux portes du désert algérien. Ouargla, Algérie, 2019. Co-production Fondation AMAR/Mucem, 2020 © Fadi Yeni Turk
Après avoir dressé leur tente et rempli le devoir de la prière du soir (maghreb) et de la nuit (icha), les Sha’aniba entament leur session de marjou’.

Dans les soirées musicales, appelées taqsira, il convient de distinguer Al Kalima, un poème traditionnel, Al Marjou’, une pièce instrumentale avec qasbas et tambour, et Al Harissa, où les premiers vers d’un poème sont répétés par le choeur après le chanteur principal.
Cette tradition a certes survécu jusqu’à nos jours dans le désert algérien grâce à son isolement géographique, mais les rares interprètes de cette forme musicale résisteront-ils aux effets de la mondialisation ?

Moulay Lakhdar, Bou Aalem Bou Amer et Mouktar Souwaylem
(membres de la Fondation des Sha’aniba)

Les quatre derniers interprètes d’Al Anîn

Depuis la fin des années 1970, pour améliorer leurs moyens de subsistance, un certain nombre de Sa’idis (habitants de Haute-Égypte) ont émigré pour travailler dans l’industrie pétrolière. Avec la transformation des modes de vie et le développement des moyens de divertissement (la télévision notamment), les arts traditionnels sa’idis tendent à disparaître.

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Ainsi, seuls quatre chanteurs pratiquent encore le chant Al Anîn dans les villages de fermiers entre Louxor et Assouan.

Fadi Yeni Turk. Al Anîn. Kalah, Égypte, 2019. Co-production Fondation AMAR/Mucem, 2020 © Fadi Yeni Turk
Les quatre derniers interprètes d’Al Anîn dans une maison de terre du sud de l’Égypte.

Les mélodies tristes de Al Anîn semblent étranges par rapport aux formes connues de la tradition musicale égyptienne. Lorsque les chanteurs d’Al Anîn se rencontrent, ils chantent sans introduction ; leur chant semble être leur façon de se parler ; ils étirent les syllabes d’un vers simple à volonté créant les composantes imbriquées de la mélodie. Ils composent deux à deux, créant un débat musical improvisé à quatre…

Ibrahim Abbas,
chercheur des arts populaires de la Haute-Égypte

Al Bahri, les chants de la mer

Les chants de la mer, au Koweït, sont pratiqués jusqu’aux années 1970 dans deux contextes différents : le travail et le divertissement. Chaque tâche sur le pont des bateaux,—hisser les voiles, lever l’ancre ou ramer—, était accompagnée de chants spécifiques présentant leur propre rythme et une mélodie distincte, et de mouvements cohérents avec la nature du travail.

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Les chants lieux où les marins se rassemblaient pour se reposer, par exemple lors du mouillage des bateaux dans les ports.

Fadi Yeni Turk. Al Bahri, les chants de la mer. Koweït, 2019. Co-production Fondation AMAR/Mucem, 2020 © Fadi Yeni Turk
Malgré la disparition du mode de vie lié à la pêche à la perle, une partie du patrimoine musical du bahri survit grâce à ces soirées de divertissement.

De nos jours, après la disparition des activités traditionnelles maritimes comme la pêche à la perle, les artistes professionnels d’aujourd’hui, qui n’ont jamais connu la mer, organisent dans des salons privés des soirées musicales appelées ons. Le répertoire de divertissement des Chants de la mer y domine. Il est accompagné de différents autres genres de musiques du Koweït, non liés à la mer, tels que samir i, khummari et sawt.

Dr. Ahmad Al Salhi,
musicologue

Les chants syriaques résonneront-ils dans Mossoul à nouveau ?

Pendant des siècles, des communautés chrétiennes (Syriaques, Assyriens et Chaldéens) cohabitèrent avec des Yézidis et des musulmans arabes (Sunnites et Chiites) dans la plaine de Ninive et à Mossoul , et ce jusqu’à la chute de Saddam Hussein en 2003. La région connaît alors une montée de l’intolérance sectaire qui culmine avec la création de l’Etat islamique. La diversité ethnique et religieuse de la région favorisait un mélange extrêmement riche de dialectes,—différents dialectes pouvant être parlés à quelques rues de distance.

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Après 2003, une vague d’émigration disperse ces communautés (en particulier syriaques) dans le monde entier. Trois ans après la défaite de l’Etat islamique, certaines d’entre elles reviennent dans la plaine de Ninive, mais personne n’ose revenir à Mossoul. La plupart des églises de la plaine de Ninive ont été restaurées et les rituels religieux furent célébrés à nouveau, mais les églises historiques de Mossoul restent marquées par les ravages causés par les incendies qui détruisirent la majorité d’entre elles.

Fadi Yeni Turk. Les chants syriaques résonneront-ils dans Mossoul à nouveau ? Mossoul, Irak, 2019. Co-production Fondation AMAR/Mucem, 2020 © Fadi Yeni Turk
Chants devant l’autel vandalisé de l’église Saint-Thomas, interprétés par les prêtres et les diacres syriaques orthodoxes de la plaine de Ninive lors de leur première visite de ce complexe religieux, deux ans après la défaite de l’État islamique.

Dans cette région, le silence effacera-t-il les chants syriaques de Saint-Éphraïm ou de Saint-Balaï, relayés oralement d’un diacre à l’autre au cours des siècles passés ?

Malfono Behnam Daniel Al Bartelly,
maître de langue et chants syriaques

Chants lors des fêtes Yézidis à Lalesh

Les Yézidis sont une minorité ethnique autochtone d’Irak, de Syrie, de Turquie et d’Arménie pratiquant une religion très ancienne. Ils reconnaissent la création divine de sept anges à la tête desquels préside Tawsi Melek, le « Roi Paon ». Lalesh et le Mont Sinjar sont leurs principaux lieux saints.

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Les Qawals, caste indépendante dans une société très hiérarchisée, sont chargés d’animer les cérémonies religieuses en pratiquant des chants sacrés, accompagnés de tambourins et de flûtes.

Ces chants se transmettent oralement et exclusivement dans la communauté Qawal restreinte. N’ayant jamais été transcrits, les textes sont en danger de disparition, les Yézidis étant, au fil du temps, victimes d’agressions liées à leur appartenance ethnique ou religieuse. Récemment, des massacres ont été commis par l’Etat islamique en Irak.

Fadi Yeni Turk. Yézidis. Lalesh, Kurdistan, Irak, 2019.
Co-production Fondation AMAR/Mucem, 2020 © Fadi Yeni Turk
Le rituel appelé Sama chez les Yézidis est considéré comme le plus sacré, il incarne le secret cosmique de l’univers, interprété par le conseil spirituel yézidi et animé musicalement par les Qawals.

Lors d’événements religieux yézidis, il est fréquent de rencontrer des khelmet kar (volontaires au service des lieux saints) jouant de la musique sacrée au tamboura (instrument à cordes à manche long) ; ou des femmes originaires du Mont Sinjar qui chantent des chansons tristes auxquelles elles ont ajouté des vers parlant des massacres récents subis par cette communauté.

Qawal Bahzad Sleiman Sefo,
maître Qawal Yézidi

Commémoration du passage de la Vierge Marie au mont Al-Dronka

Chaque année, le 21 août, une procession a lieu au monastère de Deir Dronka, en Haute-Égypte, pour commémorer le fait que cet endroit fut la dernière destination de la Sainte Famille fuyant les soldats d’Hérode. Plus de 1,5 millions de chrétiens et de musulmans de toute l’Égypte se déplacent pour y participer.

Lorsque la cérémonie commence, les pèlerins, portant une croix décorée, font trois fois le tour de la nef de l’église ; puis ils sortent de la grotte qui servit de refuge à la Sainte Famille avec l’icône de la Madone et effectuent une procession autour du Mont Dronka. Au cours de cette procession, les pèlerins chantent des cantiques de louange à la Sainte Vierge sur des mélodies dites « joyeuses » (farayhi) contenant des éléments musicaux égyptiens antiques.

Fadi Yeni Turk. Commémoration du passage de la vierge Marie au Mont Al-Dronka. Assiout, Égypte, 2017. Co-production Fondation AMAR/Humboldt Forum, 2018 © Fadi Yeni Turk
Au Mont Al Dronka, après la prière de la levée de l’encens du soir, la procession de l’icône de la Sainte Vierge commence, célébrée par l’évêque (anba) d’Assiout Yoannes et un grand nombre de prêtres et diacres coptes.

Avec la multiplication des attentats visant la communauté copte ces dernières années, cet évènement est sous surveillance de plus en plus stricte pour pallier à toute intervention extrémiste qui pourrait menacer la pérennité de cette commémoration.

Professeur Michael Ghattas,
directeur de l’Institut d’études coptes

Chants lors des mawâlid al-sufiyya

Le soufisme égyptien est centré sur l’amour de Dieu, du prophète Mohamed et des saints (awliya’), y compris de la famille du prophète (Ahl al-Bayt) et des cheiks de nombreux ordres soufis (tourouq). Certains saints sont célébrés sur le lieu de leurs sanctuaires (maquams), lors des anniversaires soufis (mawâlid al-sufiyya), commémorant leurs morts et leurs renaissances dans le monde des esprits.

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Les plus importantes célébrations—le mawlid de Sidi Ahmad al-Badawi (fondateur de la confrérie Ahmadiyya) à Tanta ou celui de Sayyidna al-Hussein, le petit-fils du prophète, au Caire—, attirent des millions de personnes. Beaucoup campent dans des tentes offertes par des bienfaiteurs (khidma), qui fournissent tous les éléments d’une généreuse réception.

Fadi Yeni Turk. Chants lors des mawâlid al-sufiyya. Haute-Égypte, 2017-2018. Co-production Fondation AMAR/Humboldt Forum, 2018 © Fadi Yeni Turk
Les interprètes (munshid) et les croyants se regroupent dans des campements à côté des mausolées soufis. Ils se retrouvent à l’occasion du pèlerinage des soufis vers l’imam Al Shazouly, et l’ascension vers le mont Houmaythira en Haute-Égypte.

La nuit, les sons des hymnodies amplifiés se mêlent aux chants extatiques sacrés (dhikr). Malgré leur nombre (plus de quinze millions en Égypte), les soufis craignent toujours des actes offensifs de la part de l’Islam radical.

Dr. Michael Frishkopf,
ethnomusicologue

« L’Orient sonore » – Entretien de l’équipe du Mucem avec Kamal Kassar et Fadi Yeni Turk

Comment est né ce projet d’exposition ? Pouvez-vous nous présenter la Fondation Amar ?

La Fondation Amar a été constituée en juillet 2009 à l’occasion de l’acquisition d’une grande collection de disques 78 tours égyptiens, réunissant notamment les premiers enregistrements musicaux réalisés dans le monde arabe en 1903. La fondation a pour objectif la diffusion de ce patrimoine oublié, qui constitue la base d’une musique classique arabe.

Après la publication de coffrets CDs illustrant les grands chanteurs de la renaissance arabe, après plusieurs concerts célébrant cette musique, les expositions constituent un autre moyen de faire connaître ce patrimoine si riche. La première a eu lieu au Humboldt Forum de Berlin en 2018. Elle évoquait les maisons de disques qui ont sauvé cette tradition de l’oubli, ainsi que notre quête pour documenter les traditions orales en danger de disparition. L’exposition organisée au Mucem abordera ces mêmes thématiques, mais sera d’une plus grande ampleur.

L’exposition évoque des récits de sauvegarde du patrimoine musical arabe, en commençant par les premiers enregistrements réalisés au début du XXe siècle. Pouvez-vous nous raconter cette histoire et nous décrire de quelle manière elle sera présentée dans l’exposition ?

Les maisons de disques occidentales qui sont arrivées au Moyen-Orient à partir de 1903 ont enregistré la production musicale née de la renaissance culturelle qui culmina vers 1850 et continua jusqu’au début des années 1930. Sans ces enregistrements, nous serions incapables d’appréhender ce patrimoine, de connaître son corpus. Dans l’exposition, nous présenterons à l’écoute 60 disques illustrant les pratiques musicales du monde arabe (du Golfe au Maghreb), sans oublier d’évoquer les différentes maisons de disques qui ont enregistré dans cette région.

Qui sont les chanteurs que l’on peut entendre dans ces 78 tours ? Quelle était l’importance des musiques populaires dans le monde arabe de cette époque ?

Ce sont 60 chanteuses et chanteurs choisis pour leur représentativité des pays du monde arabe : Irak, Yémen, Syrie, Liban, Arabie, Égypte, Soudan, pays du Golfe et du Maghreb. Les enregistrements couvrent une période allant de 1903 jusqu’aux années 1970. Chaque pays possède sa propre histoire avec le disque qui lui est associé, et ces histoires sont toutes racontées dans l’exposition.

Il faut préciser que ces disques évoquent principalement l’histoire de la musique citadine, bien que certains enregistrements de musique populaire aient été réalisés. Les traditions populaires sont très diverses et nombreuses. Elles portent en elles tout un pan de l’histoire du groupe, de la communauté ou de la région, une histoire qui peut remonter parfois sur plusieurs siècles en arrière. Beaucoup de ces traditions ne sont pas enregistrées sur disques mais la Fondation Amar a commencé en 2017 à répertorier, filmer et archiver certaines de ces traditions populaires afin de les sauvegarder et de pouvoir les faire connaître aux générations futures.

Pourquoi ces musiques sont-elles tombées dans l’oubli à partir des années 1930 ?

En 1932 se tient en Égypte le Congrès de la musique arabe, rassemblant les plus grands spécialistes de musique du monde. Les recommandations du Congrès ont consacré la spécificité de la musique arabe, grâce à l’intérêt que lui portaient les européens. Néanmoins, après ce congrès, le gouvernement égyptien achète 2 000 pianos en Europe et les distribue à tous les conservatoires et écoles de musique du pays, ce qui était contraire aux recommandations du Congrès. Car depuis le plus haut sommet de l’État jusqu’aux cercles intellectuels, on cherchait à copier l’Europe. Pour ces derniers, le Congrès devait consacrer l’Égypte comme nation moderne et civilisée en poussant sous le tapis la grande tradition khédivienne. C’est comme cela que cette grande tradition a été oubliée. Dans la même perspective, le cinéma égyptien commença à produire des films musicaux, dont La Rose blanche (1933) qui consacra à jamais le choix de l’approche occidentale : smokings, jupons, danses chantées sur des rythmes de tango, paso doble et autres, à la grande joie du public qui découvrait une nouvelle forme musicale.

Dans sa seconde partie, l’exposition présente, sous forme d’installations vidéos, douze traditions musicales orales menacées de disparition. Pouvez-vous nous rappeler l’importance de la tradition orale dans la culture arabe ?

Les traditions musicales arabes, mais aussi africaines et amérindiennes, sont toutes orales. Tout comme la musique citadine qui commença à prendre forme au Moyen Orient dès la moitié du XIXe siècle et qui est restée sans annotation, totalement orale. Ainsi, la chanteuse Oum Khalthoum, jusqu’à sa mort en 1975, par fidélité à la tradition, interdisait ses musiciens d’utiliser des partitions : tout était retenu par coeur.

Dans l’exposition, nous présenterons douze traditions filmées sur plusieurs dizaines d’heures, au sein d’installations ne dépassant pas vingt minutes.

Ces captations vidéos sont le fruit d’un travail de recherche mené sur place durant plusieurs années. Comment se sont déroulées ces enquêtes de terrain ?

Il est certain que la plupart de ces traditions sont situées dans des zones géographiques éloignées et souvent d’accès difficile, ce qui explique parfois leur pérennité. Aussi, la visite de certaines régions fut relativement dangereuse, notamment dans le nord de l’Irak, ou extrêmement fatigante tant celles-ci étaient lointaines et isolées, comme dans le sud de l’Algérie où nous avons filmé les Chaâmbas.

Cette exposition peut-elle aussi se lire comme une réflexion sur le rôle des nouvelles technologies dans la préservation du patrimoine ?

Cette exposition traite de la sauvegarde de la tradition. Ainsi, les maisons de disques ont au début du XXe siècle utilisé ce qui était alors une « nouvelle technologie » pour sauvegarder les voix et la musique du XIXe siècle. La Fondation Amar, grâce aux technologies actuelles, est parvenue à restituer ces enregistrements et à les diffuser. Aussi, les traditions orales sont désormais conservées grâce aux dizaines d’heures d’enregistrements vidéo que notre fondation a pu réaliser dans les zones les plus lointaines des pays arabes, avec des entretiens très importants avec les tenants de ces traditions. Ceci aurait été difficile à réaliser sans les petites caméras utilisées aujourd’hui.

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