Geoffrey Badel – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier


Jusqu’au 2 avril 2021, l’Espace culturel de la Faculté d’Éducation de Montpellier accueille « Tempestaire », une incontournable exposition proposée par Geoffrey Badel, aboutissement d’une résidence d’un mois, en novembre dernier.

Le texte qui accompagne l’exposition (reproduit ci-dessous) souligne le contexte et les enjeux de cette courte résidence de recherche :

« Durant le mois de résidence, Geoffrey Badel a enclenché des recherches gravitant autour de certains récits et d’évènements provenant de périodes historiques de bouleversements sociaux faisant écho au contexte actuel que nous traversons. De la figure du “médecin-bec” aux représentations nocturnes et fantastiques du peintre romantique Johann Heinrich Füssli, du temps de la Peste Noire jusqu’à l’épidémie dansante de Strasbourg en 1518, ces pistes d’études ont constitué un corpus d’images, de textes et de gestes dans lequel l’artiste est venu piocher des fragments afin de proposer un espace fictionnel à déceler et à ressentir ».

L’exposition est construite autour d’une vaste installation Ex voto (2020-2021) composée de deux ensemble de draps anciens teintés d’encres végétales obtenues à partir d’une partie des ingrédients présents dans la thériaque. Véritable panacée, cette potion était utilisée pour lutter contre les poisons, venins et de nombreuses maladies contagieuses et épidémiques dont la peste… Au moyen-Âge, les préparations des apothicaires de Venise et de Montpellier étaient particulièrement réputées.

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

Le premier ensemble de draps, suspendu à droite de l’entrée, masque partiellement une collection de bocaux posés sur le sol. Des mèches en cordelettes plongent dans des restes de mixtures aux couleurs étranges. Des doigts en plâtre teintés de cire trempent dans certains récipients ou sont éparpillés çà et là, parfois entourés de ficelles.

D’autres moulages de doigts, pendus entre les draps, s’agitent imperceptiblement au passage des viseurs…

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

Sur la droite, une main en plâtre est posée contre la plinthe.

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Les manigances, 2020. Moulage de mains en plâtre, encre naturelle, cire, poudre de graphite – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

Au-dessus, sur deux feuilles de papier aquarelle, on remarque des alignements de phalanges réalisés à partir d’encre naturelle à base de choux rouge, de bicarbonate de soude et de jus de citron (Sans titre I et II (Empreintes), 2020).

Geoffrey Badel - Sans titre I et II (empreintes), 2020 - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Sans titre I et II (empreintes), 2020. Encre naturelle à base de choux rouge, bicarbonate de soude, jus de citron. 50 x 70 cm – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

On perçoit encore quelques relents des fortes odeurs d’épices et de plantes qui à l’origine envahissaient l’espace.

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Ex voto, 2020-2021. Installation composée de draps anciens teintés, encres végétales à partir d’épices et de plantes contenues dans la thériaque, moulages de doigts en plâtre teintés enduits de cire naturelle, fil de coton – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

Au milieu de la salle, un second ensemble de draps divise l’espace d’exposition, créant ainsi de multiples et troublantes perspectives.

Sur la droite, un dessin encadré représente la Mort (The host, 2020).

Geoffrey Badel - The host, 2020 - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – The host, 2020. Graphite, crayon luminance, encre naturelle de roses. 50 x 70 cm – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

Une ouverture laisse deviner, ce que le spectateur va rencontrer au-delà de cette imposante tenture quelque peu lugubre et sépulcrale…

Le regard est inévitablement attiré par un étrange personnage androgyne. Nu, plus grand que nature, il est dessiné sur le mur du fond avec de l’encre de thériaque, du curcuma, du café, du fusain, de la cire et de la suie de bougie…

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Tempestaire, 2020. Encre naturelle de curcuma et café, fusain, graphite, cire et suie de bougie. 6,5 x 3 m – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

De dos, il semble pris par une transe hystérique… Immédiatement on pense à la folle épidémie dansante de 1518 à Strasbourg, première rave party de l’histoire, qui a inspiré Jean Teulé pour son roman Entrez dans la danse

À quelques centimètres du sol, le Tempestaire, un bâton à la main, parait s’adresser directement à un astre solaire dans une évocation mystérieuse… En s’approchant, on remarque que tel Saint Sébastien, son corps est transpercé de fines baguettes qui se consument.

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey BadelTempestaire, 2020 (détails) – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

À lire la fiche de salle, ce personnage entremêle légendes et fictions dans une mythologie énigmatique qui rassemble l’histoire du « médecin-bec » ou celle des fantômes japonais tel que Yuki-onna…

Sur la droite du Tempestaire, un dessin au graphite et à la craie sur vieux papier (I’m frail, 2020) représente une main ouverte dont l’auriculaire est lui aussi percé par le même objet fumant…

Geoffrey Badel - i’m frail, 2020 - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – i’m frail, 2020. Dessin sur vieux papier. Graphite, craie. 19,7 x 23 cm – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

On remarque quelques bâtonnets d’encens fichés çà et là dans les murs de la salle d’exposition. Dans un coin, trois morceaux de bambou ou de canne de Provence évoquent le bâton de magicien du Tempestaire

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

Au sol, deux anciennes lessiveuses en zinc sont séparées par une main grise au poing serré. L’une d’elles est découverte et laisse apparaît une étrange mixture où surnage des feuilles de laurier, de blanchâtres efflorescences de mycélium et au centre, le moulage ocre de ce qui pourrait être le pavillon d’une oreille…

Sur le mur de droite, un dessin encadré représente une femme de dos qui semble s’extirper d’une masse gluante pour rejoindre une ombre spectrale dans la nuit (Glissement de regard, 2020).

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Glissement du regard, 2020. Dessin sur vieux papier, graphite, craie- Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

En face, un énigmatique dessin sur vieux papier rassemble deux fantômes, un voile et trois astres rayonnants dans l’angle d’une pièce (Transmission, 2020).

Geoffrey Badel - Tempestaire à la Faculté d'Education de Montpellier
Geoffrey Badel – Transmission, 2020. Dessin sur vieux papier, techniques mixtes – Tempestaire à la Faculté d’Education de Montpellier

On l’aura compris, l’exposition de Geoffrey Badel propose une expérience singulière et troublante à la rencontre du Tempestaire, responsable de catastrophes naturelles, famines, épidémies et autres phénomènes célestes. Dans cet ensemble multisensoriel s’entremêlent récits, références et allusions historiques, mythologiques, ésotériques et mystiques auxquels s’ajoutent souvenirs, rêves, fantasmes, frayeurs, hantises ou phobies du visiteur.

« Tempestaire » renvoie à l’histoire de la médecine à Montpellier et particulièrement à celle de son apothicairerie. Elle fait donc assez naturellement écho à l’exposition « Pharamacopées » présentée par le musée Fabre.

Mais c’est sans doute avec l’occulte qui traversent la magistrale exposition « Possédé·e·s » du MO.CO. à La Panacée que le « Tempestaire » de Geoffrey Badel résonne le plus…

À ne pas manquer !!!
Sur rendez-vous du lundi au vendredi avec inscription obligatoire (6 pers. max) :
fde-sec-dir@umontpellier.fr

À lire, ci-dessous, le texte de salle et à voir l’entretien de Geoffrey Badel avec Caroline Blanvillain sur la chaine YouTube de la Faculté d’Éducation de Montpellier.

En savoir plus :
Sur le site de la Faculté d’Éducation de Montpellier
Sur le site de Geoffrey Badel

Geoffrey Badel« Tempestaire »: Fiche de salle

Après avoir été diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier en 2017, Geoffrey Badel poursuit sa pratique artistique à travers le dessin, la vidéo, l’installation, l’art-action et leur promiscuité sous une posture de chercheur de fantômes. Il vit et travaille à Montpellier où il est membre du Collectif In Extremis depuis 2015 et de la compagnie de danse Futur Immoral depuis 2017, dans lesquels il expérimente le travail en collectif et la mise en commun des pratiques et des savoirs. Geoffrey Badel participa au dispositif post-diplôme « Saison 6 », crée en 2018 par Montpellier Contemporain, structuré en trois temps de résidences : Cochin (Inde) en décembre 2018, Venise (Italie) en mai 2019 et Istanbul (Turquie) en août-septembre 2019. Actuellement, il approfondit sa pratique du dessin grâce à la conception d’encres naturelles et de papier artisanal et il intervient dans différents contextes, éducatifs et sociaux, afin de transmettre sa pratique et de proposer des ateliers artistiques.

L’exposition Tempestaire de Geoffrey Badel est le retentissement d’un mois de résidence vécu en novembre dans l’Espace Culturel de la Faculté d’Education de Montpellier. A partir d’une archive d’images et de récits historiques liée au contexte pandémique actuel et d’une éco-expérimentation de concoction d’encres naturelles, l’artiste a composé une famille de travaux pluriels où de nouvelles réalisations s’incorporent à d’autres plus anciennes. Dessins, moulages, tissus et indices d’un vécu dialoguent à travers des jeux d’échelle, de matière et de perception dans un environnement synesthésique mouvant.

Durant le mois de résidence, Geoffrey Badel a enclenché des recherches gravitant autour de certains récits et d’évènements provenant de périodes historiques de bouleversements sociaux faisant écho au contexte actuel que nous traversons. De la figure du « médecin-bec » aux représentations nocturnes et fantastiques du peintre romantique Johann Heinrich Füssli, du temps de la Peste Noire jusqu’à l’épidémie dansante de Strasbourg en 1518, ces pistes d’études ont constitué un corpus d’images, de textes et de gestes dans lequel l’artiste est venu piocher des fragments afin de proposer un espace fictionnel à déceler et à ressentir.

L’installation Ex-voto est composée d’une dizaine de draps anciens en lin teintés d’une encre préparée à partir d’ingrédients présents dans la thériaque, qui fut un célèbre contrepoison utilisé pour soigner les pestiférés. Les formes évanescentes et fantomatiques de la teinture procurent une dimension picturale aux draps. Des moulages de doigts en cire suspendus paraissent glisser entre les plis, voire même se hisser. Dès l’entrée dans l’exposition, nous nous retrouvons entre deux pans monumentaux de ces draps, dont une forte odeur d’épices et de plantes en émane. L’installation génère une scénographie qui scinde l’espace d’exposition, modifie notre déambulation, obstrue la vue et révèle l’arrière dans ses interstices. Elle nous suggère de pénétrer dans un espace olfactif, thérapeutique et intimiste dont les doigts agissent comme des pièces de monnaie jetées dans un puits à souhait. La teinte des tissus amène le regard vers les dessins aux murs réalisés sur du papier ancien. Des mises en situation de figures magiques et étranges s’y déroulent sans que le sens nous soit dévoilé. Au sol, des moulages de mains en plâtre semblent s’être échappées des dessins. Ces omniprésences haptiques font partie du vocabulaire artistique de l’artiste à travers lesquelles il tente de nouer une communication inconsciente avec le corps du visiteur.

Après avoir traversé les draps, nous nous confrontons à la grande fresque Tempestaire. Dessinée à partir d’encres végétales également utilisées pour teindre les tissus, de charbon, de cire et de suie, elle représente un paysage cosmique dans lequel un corps géant, nu, androgyne, aux cheveux noirs hystériques, brandit son bâton vers le soleil. Ce personnage contient l’histoire du « médecin-bec » usant de son bâton pour ausculter les malades de la Peste Noire faisant également office d’indice d’autorité et de contrôle. Sa chevelure noire amène l’imaginaire dans les légendes des fantômes japonais comme celle de Yuki-onna. Ayant la capacité de se transformer en un nuage de neige ou en brume, elle aide les personnes égarées dans la montagne. Chaque figure et leur mise en scène pensées par l’artiste contiennent de multiples fictions, des légendes entremêlées, des cultures différentes ou issues de la mémoire collective, créant ainsi une mythologie énigmatique requestionnant notre perception et notre rapport à une actualité à la fois concrète et insaisissable.

Le titre de l’exposition désigne un être invisible et divin prétendant être doué d’un pouvoir permettant de contrôler les phénomènes célestes comme les tempêtes, les inondations, les tremblements de terre ou encore la famine et les épidémies, en faisant usage de la magie. Ce faiseur de temps présent dans de nombreuses mythologies était considéré comme le responsable de ces turbulences terrestres. En se laissant guider par cet imaginaire et luttant avec l’imagination, Geoffrey Badel réagit au contexte contemporain en déployant un espace immersif peuplé de présences et de figures en cavale, tentant de traduire l’étrangeté présente dans un univers proche d’un réalisme fantastique.

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