Jusqu’au 13 février 2022, le MO.CO. Hôtel des collections présente « L’épreuve des corps », une exposition magistrale imaginée à partir d’une sélection restreinte et très pertinente d’une cinquantaine d’œuvres prêtées par la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo (Turin, Italie).
Produites entre 1977 et 2020, elles sont signées :
Ed Atkins, Lina Bertucci, Maurizio Cattelan, Roberto Cuoghi, Enrico David, Berlinde De Bruyckere, Michael Dean, Trisha Donnelly, Douglas Gordon, GORDON_PARRENO, Thomas Hirschhorn, Sanya Kantarovsky, Josh Kline, Elena Kovylina, Barbara Kruger, Zoe Leonard, Sarah Lucas, Mark Manders, Nathaniel Mellors, Senga Nengudi, Cady Noland, Catherine Opie, Michele Rizzo, Thomas Ruff, Wael Shawky, Cindy Sherman, Andra Ursuta et Lynette Yiadom-Boakye.
Le projet affirmait l’intention de « faire un examen minutieux de la figure humaine telle que représentée par les artistes, du corps comme moyen d’expression, d’expérience, et de recherche formelle et esthétique, indissociable des évolutions sociales, politiques et culturelles ». Sans conteste, ces ambitions sont très largement atteintes.
Articulé avec imagination et de cohérence, le parcours bénéficie d’une scénographie singulière et très réussie. Beaucoup moins muséale que celles que l’on voit habituellement à l’Hôtel des collections, elle a été conçue par le studio berlinois de Diogo Passarinho avec lequel Vincent Honoré avait précédemment collaboré à l’occasion de la 13e édition de la Baltic Triennial – « Give up the Ghost ».
L’ensemble est pensé comme « un corps », dans lequel les visiteurs et les visiteuses s’immergent en passant imperceptiblement des salles de musée lumineuses aux couleurs chairs à des espaces où s’imposent peu à peu des matériaux pauvres, souvent laissés bruts et où finissent par s’exhiber les structures ordinairement cachées de l’exposition… La lumière s’estompe à mesure que l’on progresse dans « L’épreuve des corps », que l’on descend dans l’Hôtel des Collections, passant de la pénombre à l’obscurité.
La mise en espace et l’accrochage sont d’une précision étonnante multipliant les rapprochements parfois audacieux, mais toujours pertinents. Les ruptures de rythme et les changements de perspectives enchaînent avec adresse et agilité les moments forts, sans jamais surjouer la surprise, obliger ou provoquer le regard.
Traverser « L’épreuve des corps » est une expérience que les commissaires qualifient volontiers de « âpre à vivre ». On y rencontre parfois des pièces difficiles et dures, mais qui font toujours sens. Celles qui pourraient choquer sont clairement annoncées par la signalétique et par les médiateurs en salle.
Le parcours commence dans l’Hôtel de Montcalm avec une Femme sans tête de Berlinde De Bruyckere, enfermée dans une vitrine de muséum et accompagnée des photographies de Zoe Leonard, autour des contraintes faites au corps féminin.
Berlinde De Bruyckere – La Femme sans tête, 2004 – Zoe Leonard – Seated Anatomical Model, 1990 et Chastity Belt, 1993. L’épreuve des corps au MO.CO. Hôtel des collections
Il se termine au sous-sol avec Zidane : un portrait du XXIe siècle de Douglas Gordon et Philippe Parreno où, comme le souligne Vincent Honoré, on peut s’interroger sur « comment un individu peut perdre toute sa personnalité pour devenir une icône et un mécanisme performant »…
Douglas Gordon et Philippe Parreno – Zidane: A 21″ Century Portrait, 2005. L’épreuve des corps au MO.CO. Hôtel des collections
Entre temps, on aura croisé les sculptures toujours provocatrices et terriblement efficaces de Sarah Lucas, écouté le dialogue hilarant des sculptures animatroniques de Nathaniel Mellors sous les regards de Maurizio Cattelan et Roberto Cuoghi.
Sarah Lucas – Laugh?, 1998 ; Nice Tits, 2011 et Love Me, 1998 – Nathaniel Mellors – Hippy Dialectics (Ourbouse), 2010 – Maurizio Cattelan – La rivoluzione siamo noi, 2000 et Roberto Cuoghi – Senza titolo, 2010. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Plus loin, les photographies de Cindy Sherman sont observées par étranges figures de Enrico David.
Cindy Sherman Untitled Film, 1978 ; Untitled, 1992 et 1993 – Enrico David – Racket II, 2017. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Au-delà de l’hôtel de Montcalm, l’entrée dans les nouveaux espaces est commandée par le Commerce Extérieur Mondial Sentimental sur roulettes de Andra Ursuta qui semble surveiller les Portes du corral de Cady Nolan et examiner avec attention la photographie d’identité agrandie de Thomas Ruff.
Andra Ursuta – Commerce Extérieur Mondial Sentimental, 2017 – Cady Noland – Corral Gates, 1989 et Thomas Ruff – Portrait, 1989. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections Vue de l’exposition
Sur ce premier plateau, les œuvres paraissent interroger (interpeller ?), à l’aune des questions contemporaines, les représentations modernistes des corps depuis Manet et Degas, jusqu’à Picasso en passant par Rodin ou Monet…
Une peinture de Enrico David accompagne une sculpture en argile crue de Mark Manders où l’on retrouve le «non finito » de Rodin et un étrange dessin de Roberto Cuoghi qu’il faut regarder de biais.
Enrico David – Untitled, 2012 ; Mark Manders – Unfired Clay Torso, 2015 et Roberto Cuoghi – Senza titolo, 2010. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Deux toiles de Sanya Kantarovsky qui font écho à la période bleue de Picasso et à Matisse dialoguent avec une installation du chorégraphe Michele Rizzo. Les corps épuisés et souffrants des danseurs après la « trans » ont été transportés dans l’exposition selon un rituel solennel inspiré des processions chrétiennes…
Sanya Kantarovsky – Letdown, 2017 et Fracture, 2019 ; Michele Rizzo – Rest, 2020.L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
A cet étage, l’accrochage se termine avec un spectaculaire ensemble de portraits imaginés par Lynette Yiadom-Boakye qui ne renie pas l’héritage de Goya, Manet ou de Degas et revendique celui de Toni Morrison ou James Baldwin.
Lynette Yiadom-Boakye – A File for a Martyr to a Cause, 2018 ; Pied Wagtail, 2016 ; Midnight, Cadiz, 2013 ; No Patience for Juju, 2015 et Switcher, 2013. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Un autoportrait sur deux moniteurs vidéo de Douglas Gordon conduit au niveau inférieur…
Douglas Gordon – A Divided Self (I and II), 1996 – L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Tout commence avec une série de corps « dégenrés » de Catherine Opie…
Catherine Opie – Ron Atbey, 1994 ; Self-portrait/Pervers, 1994 et Mike and Sky II, 1994. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Dans la pénombre, le corps devient alors plus politique avec un ensemble de sculptures de Josh Kline, l’installation en animation CGI (computer generated imagery) de Ed Atkins, les vitrines et les douze mannequins de Thomas Hirschhorn et les sérigraphies de Barbara Kruger…
Ed Atkins – Hisser, 2015 – Josh Kline – Nine to Five, 2015 ; Thank You for Your Years of Services (Joann/Lawyer), 2016 et Wrapping Things Up (Tom/ Administrator), 2017. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Ici, le corps usagé est littéralement considéré comme un déchet quand il n’est pas abandonné à une angoissante solitude, éventré, étripé, assassiné ou simplement jugé avec mépris…
Thomas Hirschhorn – Ingrowth, 2009. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Thomas Hirschhorn – Ingrowth, 2009 – Barbara Kruger – Untitled (Not Ugly Enough), 1997 et Michael Dean – now (Working Title) Analogue Series (muscles), 2014. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Parmi les multiples citations qui émaillent les murs de l’Hôtel des Collections, au détour d’un escalier, on peut lire ces mots de Preciado :
Nul doute que certaines des problématiques actuelles qu’aborde sans détour « L’épreuve des corps » irriteront celles et ceux qui les considèrent comme mineures ou sur-médiatisées dans le débat public. Ces regardeurs et ces regardeuses froissé·e·s pourront toujours méditer sur la représentation de la figure à travers l’histoire de l’art, sur l’importance du « beau », ou sur la notion de « chef d’œuvre »…
Wael Shawky – Cabaret Crusades: The Path to Cairo, 2012. L’épreuve des corps au MOCO Hôtel des collections
Le commissariat de cette dernière exposition de l’ère Nicolas Bourriaud à Montpellier est assuré avec inspiration et engagement par Vincent Honoré et Caroline Chabrand, assistés de Emma Brun-Tournayre, Cécile Lenot, Asia Lapai, Emma Ribeyre et Djeane Segonds.
Ces dernières années, les projets qui associaient Vincent Honoré et Caroline Chabrand restent comme des moments rares et exceptionnels. On se souvient avec émotion de la magnifique mise en espace imaginé pour « Permanente » de Caroline Achaintre et des mémorables « Permafrost » et « Possédé·e·s » à la Panacée. « L’épreuve des corps » est sans doute l’exposition la plus sombre parmi celles présentées jusqu’à présent à Hôtel des collections. Elle restera certainement la plus puissante et la plus forte… Vincent Honoré poursuit ici une réflexion engagée qu’il conduit depuis plusieurs années. Elle s’était notamment concrétisée par l’exposition de Tallinn pour « Give up the Ghost » lors de la 13e édition de la Baltic Triennial en 2018 et par « Kiss My Genders » à la Hayward Gallery en 2019 à Londres.
« L’épreuve des corps » est accompagné par de multiples supports (texte de salle, cartels développés, livrets, etc.). Comme toujours, les médiateurs et médiatrices en salle savent accorder une attention discrète et pertinente aux visiteurs qui les sollicitent.
Le catalogue est publié par Silvana Editoriale. La coordination éditoriale est assurée par Anna Kerekes. Il rassemble des entretiens entre Vincent Honoré, Patrizia Sandretto re Raubeudengo et le chorégraphe Michele Rizzo, un texte de création littéraire d’Amélie Lucas-Gary et des textes critiques de Julie Ackermann, Marie Applagnat, Angela Blanc, Caroline Chabrand, Jean-Baptiste Delorme, Anna Kerekes, Marilou Thiébault, Justine Vic et Marion Zilio.
Ces premières impressions après à la visite de presse seront éventuellement corrigées et complétées, après de prochains passages à l’Hôtel des Collections comme simple visiteur…
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