Jusqu’au 1er novembre 2022, la Villa Datris présente avec « Toucher Terre », une exposition foisonnante autour de la céramique. Par bien des aspects, cette proposition fait écho au mémorable projet « Tissage/Tressage… quand la sculpture défile » de 2018.
Avec « Toucher Terre », la Fondation affirme l’ambition d’explorer « l’art de la sculpture céramique en réunissant plus de 130 œuvres réalisées par 100 artistes historiques, contemporains et émergents français et internationaux ».
Après « Sculpture en fête ! » qui célébrait les 10 ans de la Fondation à L’Isle-sur-la-Sorgue, on retrouve pour « Toucher Terre » en grande partie l’équilibre et la cohérence qui avait marqué « Bêtes de scène », « Tissage/Tressage » mais aussi le sujet plus sociétal et politique de « Recyclage/Surcyclage ».
On connaît l’engagement et la générosité de Danièle Kapel-Marcovici. Par le passé, ces traits de caractère ont pu conduire à des sélections trop prodigues qui desservaient la lisibilité et la logique du propos.
Le retour en vogue de la céramique depuis quelques années, l’intérêt renouvelé des institutions et du marché et les ambitions déclarées du projet pouvaient faire craindre un regard trop panoramique et une volonté d’exhaustivité sur les pratiques artistiques et l’histoire de la sculpture en terre.
Avec finesse et habileté, « Toucher Terre » évite ces écueils tout en offrant un horizon assez large sur la céramique dans une exposition clairement orientée vers le grand public.
Le parcours de « Toucher Terre » est construit avec imagination et fantaisie, parfois avec humour. Il s’articule en six thématiques qui se déploient à l’intérieur de la Villa Datris. Leur enchaînement fluide sait réserver de belles surprises et quelques émerveillements.
La qualité des œuvres exposées, une mise en espace et un éclairage parfaitement maîtrisés, une scénographie discrète et efficace donnent à « Toucher Terre » une séduction à laquelle il est difficile de rester insensible. Cette exposition devrait satisfaire les néophytes comme les amateurs avertis, même si certains regretteront l’absence de telle œuvre, de tel artiste, ou auraient aimé une présentation plus avantageuse de telle pièce. Toutefois, le rythme et l’intensité qu’offre le début du parcours s’émoussent quelque peu dans les sections qui occupent les combles et le rez-de-jardin…
C’est avec beaucoup de plaisir que l’on retrouve dans « Toucher Terre » plusieurs des artistes exposés dans « Contre-Nature – La céramique, une épreuve du feu » que le MO.CO. présente à la Panacée cet été à Montpellier.
Les extérieurs qualifiés cette année de « Jardin des Hespérides » offrent des moments rares et parfois inattendus où les œuvres construisent souvent d’étonnantes conversations avec les arbres, les massifs et la Sorgue… Si l’ensemble reste assez hétérogène, c’est l’occasion d’une déambulation très agréable où l’on pourrait rencontrer les nymphes du Couchant et découvrir de mythiques pommes d’or.
Commissariat d’exposition : Danièle Kapel-Marcovici et Stéphane Baumet.
« Toucher Terre » est complété par une programmation (visites commentées, conférences, ateliers…) dont le détail est disponible sur le site de la Villa Datris.
Comme toujours, un soin particulier est accordé à la médiation. Des cartels développés en français et en anglais accompagnent toutes les œuvres de « Toucher Terre ». Un dossier pédagogique est à la disposition des enseignants depuis le site de la Villa Datris. Sur les réseaux sociaux, plusieurs focus sur des pièces de « Toucher Terre » sont régulièrement publiés. Ces documents enrichissent notablement l’expérience de visite.
Un catalogue sera disponible au cours de l’été.
À noter l’amabilité remarquable des personnes qui assurent l’accueil du public.
À lire, ci-dessous, quelques regards sur l’exposition. Ils sont précédés par les textes qui introduisent chaque séquences du parcours dans les espaces de la Villa Datris et pour le Jardin des Hespérides.
En savoir plus :
Sur le site de la Villa Datris
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« Toucher Terre » : Regards sur l’exposition
- Matière à dessiner : le cabinet graphique
- Matière vivante : Magies de natures
- Matière en mutation : L’alchimie, organismes et hybridations
- Matière fragile : Traces et fragments de temps
- Matière moderne : L’archéologie du futur
- Matière politique : Combats et militantismes
- Le Jardin des Hespérides
Matière à dessiner : le cabinet graphique
Le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme. Edgar Degas, peintre français
Dans l’art occidental, la terre était souvent utilisée comme ébauche pour former rapidement à la main une étude de sculpture. Au XXe siècle, elle prend sa place comme œuvre d’art finalisée.
Avec la céramique, les artistes dessinent tout en se libérant des surfaces planes traditionnelles de la toile ou du papier. Si certains artistes expérimentent la peinture sur forme céramique, comme Pablo Picasso, d’autres dessinent avec la terre dans l’espace. Antoine Renard va jusqu’à donner forme à une peinture de Degas.
Ébaucher, c’est aussi rater, reprendre, recommencer. Des artistes, tel Erik Dietman, l’intègrent à leur pratique. Avec l’art céramique contemporain, le brouillon et le raté prennent leurs lettres de noblesse.
Daphné Corregan – Floral Head, 2017 et Fernand Léger – Visage aux deux mains, Circa 1950 – Introduction – Toucher Terre à la Villa Datris
Après une introduction où une monumentale tête de Daphné Corregan (Floral Head, 2017) accueille le visiteur en masquant un petit carreau de faïence de Fernand Léger (Visage aux deux mains, Circa 1950), cette première section confronte des artistes historiques (Lucio Fontana, Erik Dietman, Pablo Picasso, Barry Flanagan), des hommes tous morts, à de jeunes femmes (Clémentine Dupré, Alice Gavalet, Marianne Castelly) naturellement moins connues… On ne doute pas qu’il y ait ici l’expression de l’engagement de Danièle Kapel-Marcovici en direction des femmes…
Lucio Fontana – Farfalla e Conchiglia, 1938 – Erik Dietman – Le cauchemar de Mr Potter Céramiste, Circa 1980 – Pablo Picasso – Cruchon hibou, 1955 – Barry Flanagan – Untitled, 1986 – Marianne Castelly – Rouleau, 2021 – Clémentine Dupré – Barocco, 2018 et Pieddistallo, 2022 – Alice Gavalet – Sans titre, 2021 – Matière à dessiner – Toucher Terre à la Villa Datris
Au fond du couloir, Antoine Renard avec sa sculpture olfactive, réalisée en céramique avec une imprimante 3D (Impressions, après Degas (#028), 2020) clôt cette séquence introductive et passe subtilement le relais à la suivante…
Antoine Renard – Impressions, après Degas (#028), 2020 – Introduction – Toucher Terre à la Villa Datris
Matière vivante : Magies de natures
« La sagesse de la terre est une complicité totale entre l’homme et son environnement ». Pierre-Jakez Hélias
Terres, minéraux, eau, bois constituent les matières pour façonner ou cuire la céramique. Les artistes d’aujourd’hui rendent hommage à cette nature qu’ils ont extraite, pour mieux la célébrer.
De la Scandinavie au Japon, en passant par les États-Unis, des artistes figurent des imaginaires de fonds marins ou de forêts.
Qu’elle représente l’organique ou le minéral, chaque œuvre semble être animée d’une vie propre. Figée dans un mouvement chez Mette Maya Gregersen, elle paraît habitée chez Caroline Achaintre ou franchement féérique chez Klara Kristalova. L’humain est absorbé pour ne faire qu’un avec la nature, comme chez Françoise Pétrovitch ou Simone Fattal.
Cette séquence se développe dans les deux salles du rez-de-chaussée, côté jardin. Le bleu vert des murs contraste avec le blanc immaculé de socles prismatiques très élégants. Ils organisent des rapprochements souvent très pertinents en trois îlots qui structurent la présentation dans chacun des deux espaces.
En entrant dans la pièce qui ouvre à gauche dans le couloir, un attendrissant triton d’Elsa Guillaume (Triton IX, 2022) semble être sorti des eaux primordiales pour accueillir le visiteur…
En face, une petite statue de Françoise Pétrovitch (Jane, 2018) paraît regarder l’animal avec frayeur ou désespoir.
Elle domine deux amas singuliers de matière colorée où se mêlent terre et verre brisé de Brian Rochefort (Bushmaster et Lobster Claw, 2021).
Brian Rochefort – Lobster Claw, 2021 et Bushmaster, 2021 – Matière vivante – Toucher Terre à la Villa Datris
Un bol à thé de Takuro Kuwata (Tea bowl, 2018) fait écho à deux autres pièces baroques et rutilantes de l’artiste japonais qui accompagnent près de la fenêtre une sombre Ômu (2019) de Christiane Filliatreau « promise à d’incessantes germinations, couronnée, vibratile vigie, toute à l’écoute de l’Univers mutant et de la nature blessée, rebelle ».
Takuro Kuwata – Tea bowl, 2018 ; Untitled, 2021 et Tea bowl, 2021 – Christiane Filliatreau – Ômu, 2019 – Matière vivante – Toucher Terre à la Villa Datris
Perchée sur une colonne, une figure de Cameron Jamie (Personnage VIII, 2014) semble aussi être intranquille…
Cameron Jamie – Personnage VIII, 2014 – Matière vivante – Toucher Terre à la Villa Datris
Sur la gauche, une des Vagues de Mette Maya Gregersen (Blue Wave, 2022) dialogue avec deux pièces de Benoît Pouplard couvertes en partie d’un émail céladon bleu de glace (Creuset 1, et Céladonie 14, 2021) et avec une extrusion d’Anton Alvarez (1809191640, 2019).
Mette Maya Gregersen – Blue Wave, 2022 – Benoît Pouplard – Creuset 1 et Céladonie 14, 2021 – Anton Alvarez – 1809191640, 2019 – Matière vivante – Toucher Terre à la Villa Datris
Face à l’entrée de la seconde salle, Couple – Kopple (2013) de Johan Creten semble organiser la mise en espace.
Au sommet d’une colonne, deux oiseaux se béquettent, perchés sur des fruits aux formes testiculaires… Le cartel souligne que « l’oiseau est dans la peinture classique flamande un symbole de la libido masculine, et le fruit rappelle le fruit défendu, la passion et le péché, mais aussi la joie, le plaisir et la renaissance ».
Johan Creten – Couple – Kopple, 2013 – Matière vivante – Toucher Terre à la Villa Datris
Sur la droite de ce totem phallique, sous les pousses qui grimpent vers le plafond (Safia Hijos – A forest grew, 2022), un podium rassemble plusieurs sculptures autour d’un des personnagesde Klara Kristalova (Youth as I remember it, 2020), choisi comme visuel pour la communication de « Toucher Terre ».
Juliette Minchin – Peau de terre #4, 2020 – Monika Debus – Moss, 2021 – Claude Champy – Falaise, 2018 – Matière vivante – Toucher Terre à la Villa Datris
Un peau de terre de Juliette Minchin (Peau de terre #4, 2020) et une des sculptures-récipients » de Monika Debus (Moss, 2021) accompagnent une très belle pièce de Claude Champy (Falaise, 2018).
À gauche du couple de Johan Creten, un Rocher anthropocène (2021) de Gisèle Garric est isolé sur son socle. À propos de cette œuvre et de la série dont elle fait partie, l’artiste déclare : « Dans ces pièces, où je reprends la même technique que Bernard Palissy au 16ème siècle, il y a un mélange troublant : la tradition rencontre notre monde moderne avec les différents éléments réalisés à partir d’empreintes de claviers d’ordinateurs, pneu, plaquettes de médicaments, etc. Une approche ludique malgré la gravité du sujet et une nature résiliente ! »
Un très bel ensemble regroupe deux figures anthropomorphes de Caroline Achaintre (Elm, 2021) et de Simone Fattal (Herald III, 2021) qui encadrent un Boli de Bernard Dejonghe (Boli, 2016).
Tous trois semblent interrogatifs devant une pièce de Maria Ana Vasco Costa (Untitled Ice Ice Baby X, 2021) qui évoque les paysages des Açores…
Caroline Achaintre – Elm, 2021 – Bernard Dejonghe – Boli, 2016 – Simone Fattal – Herald III, 2021 – Matière vivante – Toucher Terre à la Villa Datris
En quittant cette salle, côté jardin, un troisième podium associe une sculpture très minérale de Gisèle Buthod-Garçon (D’après nature, 2021), celle plus conceptuelle de Liz Larner (Nyx, 2021) et celle complètement organique et baroque de Tony Marsh (Catch and spill, 2020)…
Au premier étage de la Villa Datris, le couloir est un espace d’exposition qui s’est souvent avéré comme compliqué. Lieu de circulation assez étroit, carrefour entre plusieurs sections, la lumière naturelle est très difficilement maîtrisable et génère de multiples contre-jours. Les accrochages y ont fréquemment frôlé la confusion. Pour « Toucher Terre », il accueille l’ouverture de deux séquences.
Matière en mutation occupe la partie de l’étage côté jardin ainsi que la salle de bains. Matière fragile se développe à gauche de la montée d’escalier et dans les deux pièces côté cour.
Matière en mutation : L’alchimie, organismes et hybridations
« Nous sommes tous hybrides. Animal humain, homme animal. Nous avons une face claire, une face sombre ». Véronique Tadjo, poétesse ivoirienne
Entre terre et feu, la pratique de la céramique invoque les récits séculaires de créateurs suprêmes et d’alchimistes dont les artistes vont s’emparer. Pandore, le Golem ou Adam n’auraient-ils pas été créés de glaise ? Dans la religion Dogon, le dieu Amma n’était-il pas potier ?
Les artistes vont inventer de nouveaux organismes.
Certains, comme Erin Jane Nelson, semblent déstructurer la nature jusqu’au stade de la molécule pour façonner des formes inédites, tandis que d’autres comme Edith Karlson fusionnent des espèces pour créer des hybrides, parfois inquiétants.
Dans la partie droite du couloir, la mise en espace s’organise autour de deux formes humanoïdes.
Kim Simonsson – Woodoo Moss boy, 2018 – Matière en mutation – Toucher Terre à la Villa Datris
Woodoo Moss boy (2018) de Kim Simonsson accueille le visiteur en haut de l’escalier. Le côté Peter Pan de ce citoyen du Moss People est plutôt sympathique et rassurant. Au fond du corridor, traversé par la lumière changeante qui arrive du jardin, Good, Bad, Ugly (2021) d’Edith Karlson est lui clairement plus effrayant.
Edith Karlson – Good, Bad, Ugly, 2021 – Matière en mutation – Toucher Terre à la Villa Datris
Chacun trouvera dans les serpents qui rampent sur le parquet et sous les vêtements de plastique de ce spectre les frayeurs et les répulsions qui lui sont propres. Au-delà du rôle que la bestiole aurait pu jouer dans le jardin d’Eden, le cartel rappelle aussi que les serpents symbolisent la qualité, la pureté et la santé…
Accrochée au mur, une sculpture en relief de Erin Jane Nelson (Structural Lavender, 2021) pourrait évoquer des catastrophes à venir et de curieuses mutations avec des objets trouvés et des photographies figées dans des formes organiques à l’aide d’une « peau » aqueuse en résine…
Par contraste, le cube et le polygone du volume de Lucie Sangoy (Sans titre, 2021) ont presque un aspect rassurant malgré les coulures brunes et vertes de l’émail qui les recouvre.
Dans la salle de bain, un troisième personnage à taille humaine accroche le regard. Ce Frère Javel (2010) de Michel Gouéry évoquerait la figure antique d’un discobole au repos dont le corps est semble rongé par des mollusques et des crustacés marins au point d’apparaître comme un écorché d’anatomie. Son nom serait inspiré par une contrepèterie de Marcel Duchamp pour un de ses neuf disques de calembours (L’aspirant habite Javel et moi j’avais l’habite en spirale)…
Il est complété par trois des Amis de Gouéry, moulages de personnes réelles réinterprétés.
Dans les deux niches étroites de la salle de bain, on découvre, côté fenêtre, un Hybride (2020) de Lucie Sangoy qui protège son petit et coté couloir, un Chat-nez (2017) de Corentin Grossmann.
Lucie Sangoy – Hybride, 2020 et Corentin Grossmann – Chat-nez, 2017 – Matière en mutation – Toucher Terre à la Villa Datris
Dans la salle qui ouvre à gauche, côté jardin, la mise en espace est construite autour d’un ensemble de plantes et de créatures composites métissées de résidus technologiques de Josèfa Ntjam (Hybrid Family, 2019). Le monde étrange et mutant est accompagné par deux très belles sculptures murales de Patrick Loughran (Hokusai Bridge et Green Dolphin Street, 2018).
En face, la troisième pièce consacrée à Matière en mutation est sans aucun doute un des moments majeurs de « Toucher Terre » et The Fall (2021) de Claire Lindner est probablement une des œuvres les plus spectaculaires et captivantes de l’exposition. Le cartel reproduit un extrait du catalogue de « Lansdcape within », 2021 où Kimberley Harthoorn écrivait :
« The fall peut être comprise comme une chute des corps, un phénomène de fluctuation du temps et de l’espace, par le travail de la matière, la variation des paramètres de forme, de brillance et de consistance. En décrivant une prise de consistance, un ralentissement, l’œuvre décrit aussi une “prise de conscience” ».
Au centre, trois superbes sculptures font écho à l’œuvre de Claire Lindner. Un pistil phallique de Elsa Sahal (Pistil n° 5, 2019) accompagne le mouvement de séduction de The Danse (2021) de Tamara Van San. Les cordes et les nœuds de Connexion (2020-2021) de Laurent Nicolas pourraient évoquer l’art du bondage aux esprits libertins…
Sur la droite, sagement posées sur leur socle, les céramiques de Kartini Thomas (Anumanhay, 2021) et Harumi Nakashima (11106 Twisting, Multiplying, 2011) semblent observer la scène centrale avec intérêt.
À gauche, les deux vases hybrides aux formes végétales de Miquel Barceló (Rhododendron, 2019 et Piñata, 2021) ne paraissent pas indifférents à ce qui se trame dans cette salle… Seules les deux pièces de Ron Nagle (Hanukkah Anonymous, 2012 et Posse Galore, 2011), enfermées sous leur cloche, ont l’air d’être ailleurs…
Matière fragile : Traces et fragments de temps
« Tout vient de la terre et tout y retourne ». Ménandre, poète grec
Les recherches archéologiques ont renouvelé l’intérêt des artistes pour la céramique. S’inspirant de poteries et d’objets retrouvés, les artistes vont flouter la limite entre art ancestral et art contemporain.
Certains, comme Alfiéri Gardone, s’intéressent aux gestes universels et primitifs, tandis que d’autres vont jouer sur les traces du temps. La céramique, prête à casser chez Théo Mercier, est brisée et reconstituée chez Ornaghi & Prestinari, déjà vieillie, fondue ou altérée chez Camille Virot ou prête à entrer dans les collections muséales chez Salvatore Arancio.
Face à l’escalier, WVZ 291 S (2014) de Elmar Trenkwalder, personnage androgyne, mi-humain, mi-dieu, accueille le visiteur. Il semble garder l’accès à la salle de bain en compagnie du Woodoo Moss boy (2018) de Kim Simonsson avec lequel il joue le rôle d’aiguilleur dans le parcours de « Toucher Terre ».
Le fond du couloir rassemble probablement un peu trop d’œuvres. Sur la gauche, Théo Mercier présente une série de Sculptures pour tremblement de terre (2019), composées d’empilements de poteries artisanales achetées ou ramassées dans les rues de Mexico surmontées par des œufs.
Simon Manoha – Tête I, 2021 – Matière fragile – Toucher Terre à la Villa Datris
Si cet ensemble bénéficie d’un pan de mur « isolé », les cinq pièces qui sont exposées sur un large socle sont moins bien loties. C’est probablement la très belle étude de tête de Simon Manoha (Tête I, 2021) qui en « souffre » le plus. Elle aurait sans aucun doute mérité une position plus centrale afin que l’on puisse apprécier la richesse de toutes ses faces. Les trois Têtes (2020) de Camille Virot et le buste de Christian Gonzenbach (Notalp suhcab, 2013) pâtissent un peu moins de cette situation…
Dans la petite salle qui ouvre à gauche sur le palier, la mise en espace s’organise autour d’une imposante composition murale en 30 éléments de Elmar Trenkwalder (WVZ 126 B, 1992).
Giuseppe Penone – Terra su terra – Tronco, 2015 – Matière fragile – Toucher Terre à la Villa Datris
Toutefois, l’attention est rapidement captée par le délicat face-à-face entre le morceau de terracotta posé par Giuseppe Penone sur une branche de bronze (Terra su terra – Tronco, 2015) et les trois sculptures de la série de 58 Pièces uniques (2013) en terre crue de Jacques Julien.
Le Terra Mater (1982) d’Alfiéri Gardone a ici un peu de mal à trouver sa place…
Dans la seconde salle de cette séquence, le regard est immédiatement attiré par un étonnant dialogue entre une œuvre singulière et composite de Dominique Angel (Sans titre, 1976) et un fascinant cabinet de curiosité proposé par Salvatore Arancio (Like a Sort of Pompeii in Reverse (Cabinet I), 2019).
Dominique Angel – Sans titre, 1976 et Salvatore Arancio – Like a Sort of Pompeii in Reverse (Cabinet I), 2019 – Matière fragile – Toucher Terre à la Villa Datris
C’est sans doute un des moments forts du parcours dont on a du mal à se détacher et vers lequel on revient naturellement…
Luigi Mainolfi – Tobaco nero, 2017-2018 – Valentina Ornaghi et Claudio Prestinari –Ritrovarsi, 2019 – Matière fragile – Toucher Terre à la Villa Datris
La pièce murale de Luigi Mainolfi (Tobaco nero, 2017-2018) et les trois vases brisés et remontés après l’émaillage de certains morceaux de Valentina Ornaghi et Claudio Prestinari (Ritrovarsi, 2019) souffrent un peu du voisinage de cette conversation « magnétique »…
Matière moderne : L’archéologie du futur
« Le temps présent est semblable à une boule d’argile, le temps passé à la poussière de la terre et le temps futur à la cruche ». Proverbe Indien
Pour les archéologues, les objets les plus banals ou les décorations architecturales en céramique ont permis de reconstituer les cadres et modes de vie passés. Mais quels seraient les vestiges de notre quotidien contemporain ?
Les artistes nous interrogent sur la société moderne et son héritage.
Les souvenirs personnels et les objets du passé deviennent figés chez certains, comme Ninon Hivert. Pour d’autres, tel Jongjin Park, ce sont les gestuelles du quotidien, d’ordre et de désordre, d’équilibre précaire qui semblent suspendues hors du temps.
Enfin, certains attestent et subliment la banalité des matériaux et matières de notre environnement, comme chez Dewar & Gicquel.
Cette section se développe dans les espaces aménagés sous les combles. On ne saurait être surpris de son côté fourre-tout…
Le remarquable projet Koud de Julia Borderie et Éloïse Le Gallo qui avait été présenté par la galerie Nendo lors d’Art-O-Rama 2021 est ici un peu à l’étroit dans une des petites salles mansardées.
Du fatras d’éléments pour une archéologie domestique exposé sous le faîtage, on retiendra surtout les Interrupteurs en ligne (2022) de Béatrice Arthus-Bertrand, les sanitaires modelés à la main de Daniel Dewar et Grégory Gicquel (Stoneware mural with two sinks and two soapdishes, 2016) et l’accident de cuisson d’Emmanuel Boos (Le baiser, 2017).
Daniel Dewar et Grégory Gicquel – Stoneware mural with two sinks and two soapdishes, 2016 et Emmanuel Boos – Le baiser, 2017 – Matière moderne – Toucher Terre à la Villa Datris
Parmi le bric-à-brac rassemblé dans le grand grenier, le morceau de papier peint gaufré moulé par Gabrielle Wambaugh (Density of surface wall paper “Conatus”, 2008) et la pièce chaotique réalisée directement dans le four par Anne Verdier pendant le premier confinement (LG 020-01, 2020) paraissent sortir du lot…
Anne Verdier – LG 020-01, 2020 et Gabrielle Wambaugh – Density of surface wall paper “Conatus”, 2008 – Matière moderne – Toucher Terre à la Villa Datris
On pourrait aussi y ajouter les moulages d’agrumes évidés de Pauline Bazignan (Intérieur, 2020) ou encore le Multicolor Glaze Stack (2021) d’Alex Zablocki.
Pauline Bazignan – Intérieur, 2020 et Alex Zablocki – Multicolor Glaze Stack, 2021) – Matière moderne – Toucher Terre à la Villa Datris
Matière politique : Combats et militantismes
« La terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre ». Proverbe Indien
S’inspirant des poteries anciennes, sur lesquelles s’inscrivaient des récits et des mythes, les artistes contemporains s’emparent du médium céramique pour raconter leur engagement politique.
Comme tactique de diffusion de leurs idées, certains artistes, telle Suzanne Husky, choisissent de peindre leurs combats sur des objets anodins. Pour d’autres, c’est la trace, toujours banale en apparence et qui dénonce des injustices, comme chez Rodolphe Huguet.
Enfin, le combat peut se clamer haut et fort, avec des formes disproportionnées comme chez Barthélémy Toguo.
Cette séquence « politique » dans le rez-de-jardin est probablement la plus décevante. On oubliera les trois grand vases et la fadeur de Barthélémy Toguo (Vaincre le virus ! II, VII et XI, 2016) et on retiendra le superbe buste d’Anne Wenzel (Under Construction (Blue Eyes Crying), 2018) et les deux pièces de Rodolphe Huguet qui sont clairement les plus convaincantes (Pièges à rêves, 2018 et Sans titre (WARchitecture), 2017-2018).
Le Jardin des Hespérides
Véritable lieu de rencontres, d’échanges et de partages, cette année, plus de 30 œuvres en symbiose avec la nature sont exposées dans le jardin.
Les sculptrices sont mises à l’honneur dès l’entrée du jardin Nord qui révèle les sculptures de Marie Heughebaert et Gabrielle Wambaugh. Toutes deux puisent leurs inspirations dans les objets et les formes de notre environnement quotidien. Elles font face aux réalisations de Caitriona Platts- Manoury et de Julia Huteau qui proposent des sculptures colorées.