Jusqu’au 9 octobre 2022, Dana-Fiona Armour présente une des expositions les plus passionnantes de l’excellente programmation estivale de la Collection Lambert.
« Projet MC1R » s’inscrit dans le cadre de Rendez-vous, Sous-sol. Ce programme dédié à la recherche plastique et aux pratiques émergentes occupe depuis l’été dernier les trois salles au sous-sol de l’Hôtel de Montfaucon. Après Théo Mercier, puis Stéphanie Brossard et Quentin Lefranc, dont nous avions souligné tout l’intérêt de leurs expositions, Dana-Fiona Armour nous propose, avec la complicité de Stéphane Ibars, le résultat de ses recherches les plus récentes. À ces pièces produites pour l’occasion sont associées quelques œuvres plus anciennes.
« Projet MC1R » est construit à partir d’une résidence de l’artiste au sein de l’entreprise Cellectis qui se présente comme « une société de biotechnologie de stade clinique, qui utilise sa technologie pionnière d’édition de génome TALEN® pour développer des thérapies innovantes pour le traitement de maladies graves ».
Dana-Fiona Armour dans les locaux BIAM, 2022 et Fragment Nicotiana Benthamiana après infiltration, Microscope Axiozoom Zeiss (x7,5 p.23 et x25 ci-dessus), 2022 – Courtesy de l’artiste © BIAM, Dana-Fiona Armour
La collaboration de Dana-Fiona Armour avec les laboratoires de Cellectis à Paris et dans le Minnesota s’est traduite par la production d’une plante hybride, à la fois humaine et végétale. Le gène MC1R (MelanoCortin 1 Receptor) a été cloné dans un virus des plants de tabac. Situé sur le chromosome 16 chez l’homme, ce gène détermine la couleur de peau, la couleur des cheveux et des poils et notamment la présence de taches de rousseur et la chevelure rousse qui caractérisent l’apparence physique de l’artiste. Le virus porteur du MC1R a ensuite été inoculé à des plants de Nicotiana benthamiana. Cette espèce de tabac indigène d’Australie, très sensible aux virus, est utilisée dans la recherche en biologie végétale et en particulier pour le vaccin contre le Covid 19.
Trois plants de Nicotiana benthamiana sont exposés dans la première salle au sous-sol de l’Hôtel de Montfaucon. Sous cloche, éclairés avec précision par des rampes de LED horticoles rouges et bleues, ils sont alimentés par une solution nutritive…
Dana-Fiona Armour – Projet MC1R, 2022 à la Collection Lambert – Photo David David Giancatarina
Avec un peu d’attention, on peut remarquer la présence d’un léger duvet blanc sur les feuilles à l’endroit où le virus a été injecté. Il s’agit peut être une réaction immunitaire de la plante…
L’expérience se poursuivra jusqu’en octobre à la Collection Lambert avant de rejoindre Palazzo Bollani à Venise pour les dernières semaines de la Biennale dans le cadre de l’exposition « Planet B » proposé par Nicolas Bourriaud pour le lancement de son projet de « coopérative curatoriale » Radicants…
Dans cette ambiance lumineuse qui évoque les laboratoires de recherche agronomiques et biologiques autant que les fermes clandestines de culture illégale du cannabis, d’étranges sonorités s’apparentent à de sinistres craquements ou à des tirs d’armes… Il s’agit en fait de la diffusion d’une bande-son en quadriphonie imaginée par Thibaut Javoy en collaboration avec Dana-Fiona Armour.
Phytophonia (2022) est composé à sur la base des ultrasons que produisent les plantes quand elles sont soumises à un stress. Cette surprenante pièce sonore est réalisée à partir de recherches effectuées par des équipes de l’université de Tel-Aviv sur des plants de tomate et de tabac.
L’exposition se poursuit dans une seconde salle avec la projection en vidéo et en réalité virtuelle (VR) d’une animation 3D d’un peu plus de six minutes. Réalisé avec la collaboration de Constance Valero et Lorenzo Furlan, Micro CT Nicotiana Benthamiana – pre transgenesis montre l’extérieur et l’intérieur de la racine d’une Nicotiana benthamiana inoculée par le virus porteur du gène MC1R.
Les séquences parfois vertigineuses de ce film aux images de haute précision sont produites à partir d’un scan IRM (Imagerie par Résonance Magnétique). Elles engagent le regardeur à s’interroger sur le vivant et sur les relations que nous entretenons avec lui… Dana-Fiona Armour rappelle qu’à la suite des intuitions de Darwin, plusieurs recherches récentes semblent confirmer que c’est dans les racines des plantes que serait traitée l’information. Le chevelu racinaire des végétaux pourrait être l’équivalent du cerveau des vertébrés…
Dans la troisième salle, la mise en espace s’organise autour d’une pièce un peu plus ancienne suspendue au centre. 1,45 diamètre (calcinose secondaire) (2021) est un autoportrait de l’artiste en marbre et acier inoxydable.
À son propos, Dana-Fiona Armour explique : « Cette pièce est venue de l’envie de connaître mon volume et me réduire à une surface, un chiffre », évoquant à la fois le souvenir d’un écorché en marbre vu dans les « Galeries des Offices » à Florence et des références à l’art corporel de l’Actionnisme Viennois dans les années 1970.
En commentant des versions précédentes en latex, Hugo Vitrani écrivait :
« Faussement décharnée, Dana-Fiona Armour se met à plat et déploie le rayonnement de son corps libéré d’organes, de formes, de sang, d’os et de chair. Alors cette nouvelle peau synthétique et lisse pourrait évoquer celles photoshopées du milieu de la mode mais aussi la texture des corps hologrammes ou ceux qui se déploient dans la réalité virtuelle. Autant de corps sans corps ».
Sur des socles, couverts de carreaux de faïence d’un blanc immaculé qui évoquent les espaces chirurgicaux ou ceux des instituts médico-légaux, reposent des sculptures en verre qui semblent encore molles.
Cette série intitulée Pneumatophore (2022) emprunte son nom à celui des excroissances aériennes des racines de certains arbres vivant dans des zones humides. Ces sculptures qui en reprennent les formes ont été chargées en phéomélanine (responsable des cheveux cuivrés) par des inclusions directes dans le verre. Pour l’artiste, elles forment des objets hybrides, composés d’éléments organiques et cristallins.
Dans les trois espaces de ce Rendez-vous, Sous-sol, Dana-Fiona Armour a essaimé des sculptures plus anciennes de sa série Excroissance (2021), réalisées en stéatite. Cette roche métamorphique permet d’obtenir après de longues heures de ponçage une surface aussi lisse que la peau. Leur aspect gras et soyeux trouble le regard et renforce l’idée d’un monde hybride « dans lequel l’humain, l’animal et le minéral s’entremêlent »…
Dans un texte qu’accompagnait l’exposition « All Too Human » à la Galerie Andréhn-Schiptjenkoau en septembre dernier, Nicolas Bourriaud présentait ainsi le travail de Dana-Fiona Armour :
« Assimilant la sculpture à un protocole de dissection visant à établir de nouveaux rapports entre le corps de l’artiste à son œuvre, Dana-Fiona Armour pratique la métabolisation. (…) La clé du travail de Dana-Fiona Armour, c’est la relation qu’elle instaure entre son corps et les artefacts qu’elle produit. Comprenons bien qu’elle prend ici à contre-pied le mécanisme traditionnel de la sculpture : pas de façonnage, pas de taille, pas de modelage, pas d’imposition d’une forme sur un fond. (…) Plutôt que de lui imposer des formes, Armour coopère avec la matière brute : elle procède par enduits, inséminations, imprégnations, et procrée des œuvres vivantes plus qu’elle ne les fabrique ».
Faut-il ajouter que ce Rendez-vous avec Dana-Fiona Armour au sous-sol de l’Hôtel de Montfaucon est absolument incontournable ?
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