Suspended spaces #6 – Oubour | عبور à art cade


Jusqu’au 22 avril 2023, art-cade – galerie des grands bains-douches de la Plaine – accueille le collectif Suspended spaces pour « Oubour | عبور», une passionnante exposition qui s’inscrit dans le deuxième volet de son projet TRAVERSER – Marseille / Alger/ Ghardaia.

C’est sans doute une des propositions les plus intéressantes que l’on peut voir à Marseille en ce début de printemps 2023.

Certain·es gardent très probablement le souvenir de la présence du collectif Suspended spaces dans l’entrée d’art-cade pour « Épochè (maintenant) » proposé par Sally Bonn pendant le Printemps de l’Art Contemporain 2022.

  • Suspended spaces - art-cade 2022
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Suspended spaces présentait le premier numéro du journal TRAVERSER – Marseille / Alger/ Ghardaia, déployé sur les murs du couloir. Dans une mise en page exemplaire, il rendait compte de l’expérience de la résidence et du colloque vécue par les artistes, chercheuses et chercheurs à Marseille, en 2021. Cette publication était alors envisagée comme l’amorce d’un nouveau projet du collectif vers Ghardaïa.

Suspended Spaces #6 - Oubour à art cade
Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Oubour | عبور » et le second numéro du journal TRAVERSER – Marseille / Alger/ Ghardaia restituent le travail du collectif après une résidence à Alger en septembre 2022 au cours de laquelle un court séjour a été fait à Ghardaia et dans la vallée du Mzab.

Suspended Spaces #6 - Oubour à art cade
Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Oubour | عبور» rassemble une trentaine d’œuvres et des contributions de Kader Attia, Stefanie Baumann, Adila Bennedjaï Zou, Mounia Bouali, Jean-Claude Chianale, Alessia De Biase, Marcel Dinahet, Ângela Ferreira, Camila Fialho, Maïder Fortuné, Mounir Gouri, Valérie Jouve, Jan Kopp, Mourad Krinah, Daniel Lê, Elisabeth Leuvrey, Amina Menia, Françoise Parfait, Lydia Saïdi, Stéphane Thidet, Éric Valette et Camille Varenne.

La richesse de l’ensemble, la force des pièces exposées, les émotions qu’elles dégagent sont servies par un accrochage remarquable. Très bien construit et rythmé, le parcours permet d’apprécier sans difficulté la subtilité des propos politiques ou poétiques, l’articulation des regards parfois journalistiques ou documentaires, la profondeur d’histoires et de souvenirs plus intimes qui coexistent, qui s’entremêlent et qui parfois s’interpellent. Au travers de déplacements et de décentrements de pratiques diverses, « Oubour | عبور » offre l’ouverture vers des horizons inattendus et la découverte captivante du « cheminement d’une investigation collective, [de] ses hypothèses et [de] ses tâtonnements, des intuitions divergentes, mais aussi des zones de rencontre entre plusieurs propositions individuelles ».

Suspended Spaces #6 - Oubour à art cade
Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Oubour | عبور » bénéficie d’une remarquable mise en espace imaginée par Vanessa Brito, commissaire de l’exposition avec le collectif Suspended Spaces. On se souvient de la maitrise de ce lieu singulier et compliqué dont avait fait preuve la commissaire pour « Belsunce » de Katharina Schmidt, à l’automne 2021.

Le journal qui accompagne « Oubour | عبور » propose un contrepoint indispensable qui enrichit notablement l’expérience de la visite. Conçu lui-même comme un espace d’exposition, il se présente comme une « une table de recherches, une multiplicité de processus de travail et de pistes, poursuivies ou pas, données à voir dans leur discontinuité et diversité ».

Françoise Parfait, Traversée du paysage, 2023 et Amina Mina, 6 rue d’El Biar, 2023
Françoise Parfait, Traversée du paysage, 2023 et Amina Mina, 6 rue d’El Biar, 2023. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Exposition absolument incontournable. Attention « Oubour | عبور » ne dure qu’un petit mois !

À lire, ci-dessous, quelques regards sur « Oubour | عبور » accompagnés des textes d’artistes qui sont extraits de la fiche de salle. Les repères biographiques sont empruntés au second numéro du journal TRAVERSER – Marseille / Alger/ Ghardaia. On trouvera également une présentation du collectif Suspended spaces et du projet TRAVERSER, réalisée à partir des journaux et du site du collectif.

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« Oubour | عبور » : Regards sur l’exposition

Le parcours commence avec trois petites photographies de Valérie Jouve (Rêve d’Alger, 2023) prises sur le port dans les années 1990. Valérie Jouve fait partie des artistes et chercheur·es qui n’ont pas pu avoir de visa pour l’Algérie, mais qui participent néanmoins au projet.

Valérie Jouve, Rêve d’Alger, 2023
Valérie Jouve, Rêve d’Alger, 2023. Photographies Cibachrome des années 1990. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Toutes mes années marseillaises, depuis mon atelier de la rue de la Joliette, je rejoignais souvent les quais d’embarquements. J’errais entre ces quais et la grande digue, encore facilement accessible. Beaucoup de bateaux partaient pour l’Algérie. Ils me fascinaient. Je les ai photographiés mais jamais je n’ai franchi le seuil pour embarquer.
Je pourrais rappeler que nous étions en 1990, au début de ce qu’on appelle la décennie noire. De nombreux Algériens faisaient le voyage inverse pour se protéger des tueries en cours.
Aujourd’hui, je sais que cette retenue, l’impossibilité de partir vers cette destination, découlait d’un non-dit lié à mon histoire familiale. Cela me saute à la figure maintenant avec la dégradation de la santé de mon père. Je me rends compte à quel point je fais partie d’une génération qui a porté le silence de nos pères. La honte de cette saleté a traumatisé des jeunes hommes de 18 ou 20 ans appelés au nom d’un pays qui pillait les ressources de son voisin colonisé et détruisait des vies.
Beaucoup de ces personnes souffrent aujourd’hui de dégradations de la matière blanche du cerveau.
Quel étrange mécanisme d’effacement de la mémoire, qui pèse en silence
 ». Valérie Jouve

Valérie Jouve est photographe et cinéaste. Observatrice du paysage urbain, elle fabrique des espaces-temps singuliers questionnant nos habitudes de perception. C’est cet espace mouvant, fluctuant et commun que l’artiste met en exergue dans ses photographies appréhendant à la fois le corps de la ville et celui de l’être humain qui l’habite. En même temps qu’elles témoignent d’une Derrière la réalité, ses photographies en montrent la pluralité et instaurent le doute.

En face, dans une des salles de bains de la galerie, Adila bennedjaï-zou présenteakerbouche (2023), une installation sonore qui évoque avec subtilité la gestion de l’eau dans la palmeraie de Ghardaïa. Ce sujet resurgit à plusieurs occasions dans la suite de l’exposition…

Adila bennedjaï-zou, akerbouche, 2023
Adila Bennedjaï-Zou, akerbouche, 2023. Installation sonore. Montage et mixage : Clémence Gross et Thomas Beau. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« La palmeraie de Ghardaïa est pauvre en eau. La crue qui survient tous les cinq ans environ suffit à irriguer les nombreux palmiers dattiers que possèdent les quelques familles qui vivent là depuis des siècles. Ces familles considèrent que ces dattes sont leur principale richesse et entourent leurs jardins de hauts murs.
Au moment de la crue, l’eau envahit la palmeraie et pour qu’elle entre dans les jardins, les murs sont percés de fentes. Afin que chacun reçoive toute l’eau dont il a besoin mais seulement l’eau dont il a besoin, un comité local calcule la largeur de chaque fente à l’aide de noyaux de dattes, de la variété appelée Akerbouche. On compte la largeur d’un noyau pour chaque palmier qui pousse dans le jardin.
La palmeraie de Ghardaïa fait reposer l’équilibre de ses ressources et de ses relations sociales sur un noyau de datte
 ». Adila Bennedjaï-Zou

Adila Bennedjaï-Zou est scénariste et documentariste sonore. Dans ses séries documentaires, elle propose un travail d’autobiographie collective en articulant témoignages, archives et un récit à la première personne. Partant de l’idée que notre vie privée est imprégnée d’enjeux politiques et de valeurs communes, elle cherche à saisir les endroits où intimité et collectif se rencontrent.

https://www.radiofrance.fr/personnes/adila-bennedjai-zou
https://www.instagram.com/adilazoum/

Accroché à la verrière d’art-cade, un ex-voto de Marcel Dinahet évoque l’Ocean Vicking… entre deux portes, les deux mots Alger et Marseille en noir sur un fond jaune résonne avec le drapeau inspiré de celui des migrants utilisé au Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016 et qu’il avait planté un matin sur la plage des Catalans en novembre 2021.

Marcel Dinahet, Ex-voto, 2023
Marcel Dinahet, Ex-voto, 2023. Bois peint. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Dans les églises bretonnes, des bateaux sont suspendus en ex-voto pour remercier le ciel d’un sauvetage en mer ou protéger les marins d’une noyade. Ici, un navire qui évoque l’Ocean Vicking est l’ex-voto de tous les corps des réfugiés disparus pendant la traversée de la Méditerranée.

Marcel Dinahet vit et travaille à Rennes. Grand voyageur, il travaille dans les paysages et performe des prises de vue depuis l’eau, les fleuves, les bassins et piscines, les mers et océans. Dans son travail sur le littoral, il joue aussi de la transmission des récits mythologiques, au fil de ses rencontres.

https://www.marceldinahet.co.uk
https://www.instagram.com/marceldinahet/

À l’entrée de la première galerie, sur la droite, Jean-Claude Chianale a accroché une très belle composition composée de photographies, d’un dessin et d’une vidéo. Intitulé Entre 1962 et 1053, (2023), cette installation témoigne des relations entre passé, présent et futur à travers la traversée entre Alger et Ghardaïa en bus sur la RN1. Les marques d’une architecture figée de l’époque coloniale où une boulangerie a été transformée en boulalgerie percutent celles d’un présent toujours en construction où l’instabilité semble inébranlable…

Jean-Claude Chianale, Entre 1962 et 1053, 2023
Jean-Claude Chianale, Entre 1962 et 1053, 2023. Installation : photographies, dessin, vidéo. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Cette installation retrace une traversée qui se situe entre deux espaces intemporels : Alger, qui nous ramène (comme si le temps s’était arrêté) au 5 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie, et Ghardaïa, qui nous renvoie (comme si le temps ne s’était jamais arrêté) en 1053, date à laquelle la ville a été fondée. Chaque image renvoie à une autre en faisant référence à l’histoire, à la mémoire et à l’architecture ». Jean-Claude Chianale

Jean-Claude Chianale est graphiste/artiste. Il intervient dans les domaines de l’art contemporain, de l’architecture, de l’art de la scène et du design. Ses projets et ses recherches graphiques explorent différents champs et supports l’affiche, le livre d’artiste, l’espace et la photographie. tels que l’édition, l’affiche, le livre d’artiste et la photographie.

http://www.jeanclaude-design.com/
https://www.instagram.com/jeanclaude_chianale/

En face, dessinées directement sur les vitres du patio, Camila Fialho a tracé Les lignes de Ghardaïa (2023), évocation fantomatique des femmes qui dans la vallée du M’zab portent un voile blanc qui couvre tout le corps à l’exception d’un seul œil

Camila Fialho, Les lignes de Ghardaïa, 2023
Camila Fialho, Les lignes de Ghardaïa, 2023. Dessin in situ. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Camila Fialho est née à Porto Alegre au Brésil, et vit à Belém depuis 2014. Artiste, commissaire d’expositions et activatrice de processus artistiques, elle travaille comme collaboratrice à l’Association Fotoativa. Depuis 2015, elle dirige Raio Verde, une plateforme de recherche et de création basée en Amazonie brésilienne. Dans son travail, elle entrecroise des réflexions sur les poétiques du déplacement, du dépaysement et du paysage, tensions entre les images et les mots, publications indépendantes et pratiques collaboratives.

https://camilafialho.com/
https://www.instagram.com/cnfialho/

Suivent deux pièces de Stéphane Thidet. La première Sécheresse (2023) est une forme « en attente » qui évoque l’arrivée de l’eau dans les oueds à sec depuis plusieurs années. La seconde est un rouleau de papier cuisson où la traversée, la brulure, la cicatrice se développent au centre de la feuille de 10 mètres sans jamais la séparer. On retrouve la question de la brulure plus loin sur un dessin réalisé à partir d’un récit de Mourad Krinah à propos d’un trajet dans les années 1990 entre Blida et Medea.

Stéphane Thidet, Sécheresse, 2023
Stéphane Thidet, Sécheresse, 2023. Pierre et verre. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

L’architecture du M’zab et son organisation sociale sont déterminées par l’arrivée massive de l’eau dans les lits des rivières restées secs plusieurs années durant. Cette rencontre est ici rejouée par une coulée de verre contre une pierre de basalte : retrouver la fluidité de l’élément liquide seulement avec du minéral.

Stéphane Thidet, Tout au long, 2023. Papier sulfurisé brûlé. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Stéphane Thidet est artiste. Ses œuvres mettent en scène sa vision de la réalité imprégnée de fiction et de poésie. Il aime à se situer dans cet entre-deux et jouer avec les limites de ces espaces fictionnels et réels. S’appuyant sur des situations de la vie courante, il y décrit la notion d’instabilité face à l’érosion du temps et de l’action qui mène à leur disparition.

http://www.stephanethidet.com/

Suivent trois dessins sur calque (L’hôtel de Pouillon, La guérite de Pouillon, Le Building Canebière, 2023) et une installation (L’hôtel de Pouillon, 2023) de Jan Kopp.

Jan Kopp, L’hôtel de Pouillon, 2023
Jan Kopp, L’hôtel de Pouillon, 2023. Pierres et bois chaulés, maquettes. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

L’ensemble fait écho à la résidence Suspended spaces à Marseille était logée dans le Building Canebière, construit par Fernand Pouillon, à la logue du gardien où l’artiste avait commencer un travail, aux rues d’Alger et à l’Hôtel M’zab, construit par Fernand Pouillon à Ghardaïa…

La première résidence Suspended spaces à Marseille était logée dans le Building Canebière, construit par Fernand Pouillon. A cette occasion, Jan Kopp avait commencé un travail dans et à partir de la loge du gardien de l’immeuble.
La sculpture et les dessins présentés ici rapprochent la cabine du gardien et le frontispice de l’Hôtel M’zab, construit par Fernand Pouillon à Ghardaïa. Les maquettes sont posées sur un plateau découpé à la forme du plan du Building Canebière, et des pierres et branches chaulées qui rappellent les rues d’Alger.

Jan Kopp, L’hôtel de Pouillon, 2023
Jan Kopp, L’hôtel de Pouillon, La guérite de Pouillon, Le Building Canebière, 2023. Dessins sur calque. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Jan Kopp est artiste. Il réalise des œuvres composites et poétiques qui induisent une perception active du temps et de l’espace. Ses œuvres suggèrent des appropriations de l’espace, suscitent un usage particulier des objets, invitent au mouvement, dép(extrait du n°2 du journal).

http://www.dda-ra.org/fr/oeuvres/KOPP_Jan
https://www.instagram.com/janfkopp/

En dialogue avec cette proposition de Jan Kopp, Maïder Fortuné présente les premières images d’un film en cours de réalisation (O, 2023) « dans et à partir du building Canebière à Marseille, de son architecture de Fernand Pouillon, et de ses habitant.es. »

Maïder Fortuné, O, 2023
Maïder Fortuné, O, 2023. Vidéo. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Elle prolonge cette séquence avec un dessin (Boomerang, 2023) qui fait écho à un entretien de James Baldwin avec Éric Laurent pour Radio France, en 1975. À propos du racisme et de la question coloniale, il déclarait : « Une espèce de boomerang oui et il vaut mieux, si c’est possible, utiliser l’expérience de vos fils, car les Américains sont vos fils, pour éviter le sort. »

Maïder Fortuné, Boomerang, 2023
Maïder Fortuné, Boomerang, 2023. Dessins. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Maïder Fortuné est artiste. Elle réalise des films et des performances qui s’attachent une thèse au récit en tant que forme, au féminisme comme politique vécue et aux manières dont le langage et l’image se façonnent mutuellement.

https://maiderfortune.net/
https://www.instagram.com/maiderfortune/

Un peu plus loin, Mounir Gouri présente une installation (I Am Not A Bougnoule, 2023) composée de deux rideaux blancs qui font écho au voile des femmes de la vallée du M’zab. Deux moulages en plâtre d’une vieille main tenant une canne servent d’embrasses pour relever les tentures. Il faut un peu d’attention pour découvrir dans l’ouverture au plafond une vidéo qui complète l’ensemble… Les plus observateurs trouveront peut-être la canne de l’arrière-grand-mère de Mounir Gouri cachée dans l’exposition.

Mounir Gouri, I Am Not A Bougnoule, 2023
Mounir Gouri, I Am Not A Bougnoule, 2023. Installation : rideaux, plâtre, vidéo. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Juste après la résidence à Alger, Mounir Gouri est allé dans sa famille à Annaba, où son grand père lui a donné une canne retrouvée à Ghardaïa, qui appartenait à son arrière-grand-mère. En lui transmettant cette canne, il lui a raconté un cauchemar régulier qui réveille en lui un profond traumatisme : la répétition sans fin d’une même phrase, « je ne suis pas un bougnoule ».

Mounir Gouri a suivi des études à l’École des Beaux-Arts d’Annaba (Algérie), puis à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Récemment intégrés à ses outils de prédilection, le charbon et le fusain deviennent dans ses œuvres graphiques et performatives les moyens d’interroger et de réaffirmer son identité d’Africain.

https://gouri-mounir01.jimdofree.com/
https://www.instagram.com/gourimounir/

Mourad Krinah, Safari graphique, 2023
Mourad Krinah, Safari graphique, 2023. Sérigraphie. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Mourad Krinah a enregistré et révélé des formes qui ont surgi au fil de ses déplacements et de ses observations à Alger et Ghardaïa, et les confronte à des plans de ces deux villes.

Réflexion sur des variations à partir des particularités urbaines de la ville prises comme formes abstraites au-delà de leurs significations pratiques. Les objets (immeubles, mobilier, signalétique, etc.) sont traités comme des formes artistiques posées comme œuvres artistiques dans l’espace urbain. Le traitement graphique et chromatique accentue la décontextualisation de l’objet et de son environnement.

Mourad Krinah est un graphiste plasticien algérien. Ses œuvres interrogent la masse d’images véhiculée par la société des médias dans un contexte politique. Il retravaille, décontextualise et recontextualise les images en réinterprétant parfois des œuvres canoniques et en mêlant son propre travail photographique et vidéo à des images de presse ou issues des moteurs de recherche, dans une démarche proche du sampling musical.

https://www.instagram.com/mouradkrinah/?hl=fr

A la fin de cette première galerie, on retrouve une maquette et deux dessins d’Ângela Ferreira qui avait été exposée au Frac Paca l’an dernier.

Ângela Ferreira, Études pour Voix de l´Algérie Libre et Combattante, 2023
Ângela Ferreira, Études pour Voix de l´Algérie Libre et Combattante, 2023. Maquette et dessins. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Au cours de mes recherches pour le projet Rádio Voz da Liberdade, présenté au Frac à Marseille en 2022, j’ai eu l’occasion d’étudier l’histoire de deux stations de radio révolutionnaires liées à des mouvements de libération : La Voix de l’Algérie Libre et Combattante (Sawt El Djazair El Moukafiha) et Rádio Voz da Liberdade. La première a été créée par les Algériens pour lutter contre la domination coloniale française. Le 16 décembre 1956, conscients de l’importance des médias, et pour contrecarrer l’influence des médias colonisateurs, les Algériens ont diffusé leur premier message sur les ondes : “Ici la Radio de l’Algérie Libre et Combattante, la voix du Front de libération s’adresse à vous, du coeur de l’Algérie.” La seconde station a été créée pour transmettre d’Alger au Portugal afin de lutter contre la dictature fasciste qui régnait dans ce pays.
Après l’indépendance (1962) l’État algérien a créé la Radiodiffusion et la Télévision Algérienne (RTA). Ces deux stations sont historiquement liées par la générosité des Algériens qui ont offert aux exilés politiques portugais résidant à Alger la possibilité d’émettre une radio de libération à partir des studios de la RTA (1962-1974). Il s’agit là d’un acte de générosité politique sans précédent, où l’Afrique contribue à la libération d’un pays européen.
L’un des détails les plus intéressants de cette histoire concerne les difficultés rencontrées par les Algériens pour éviter d’être repérés par l’armée coloniale française. Afin de détourner ce danger, les transmissions algériennes se faisaient souvent à partir d’unités mobiles par camion (GMC), qui avaient une portée de 70 km de rayon
 ». Ângela Ferreira

La seconde galerie débute avec une œuvre vidéo très émouvante de Daniel Lê (The Flood #1, 2023), une boucle de deux minutes enregistrée avec un téléphone sur le ferry pendant la traversée de Marseille à Alger.

Daniel Lê, The Flood #1, 2023
Daniel Lê, The Flood #1, 2023. Vidéo, 2 min en boucle. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

En face, sur une demi-cimaise qui coupe la galerie, Daniel Lê a installé The Flood #2 (2023) composé d’une platine, d’un disque vinyle et de deux pochettes. On peut y entendre l’enregistrement du « chant qui annonce l’arrivée de la crue à Ghardaïa… qu’il n’est pas rare d’attendre plusieurs années ».

Daniel Lê, The Flood #2, 2023
Daniel Lê, The Flood #2, 2023. Platine, disque vinyle et pochettes. Chant : Amine Bendrissou enregistré à Ghardaïa par Aflah Bekkaye. Mastering Jean-Philippe Renoult. Photo couverture credit : © Archives F. BAUDELAIRE – 131 ARC 05. Collection Centre de Documentation Historique sur l’Algérie (CDHA) – Droits réservés pour tous les clichés dont les ayants droit n’ont pas pu être identifiés. Graphisme : Jean-Claude Chianale. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Enregistrement du chant qui annonce l’arrivée de la crue à Ghardaïa qu’il n’est pas rare d’attendre plusieurs années. Cet avertissement sonore est répété pendant 2 minutes 30, le temps d’une chanson. Il se termine par 30 secondes de son brut du vinyl puis par un sillon sans fin. Le visiteur peut décider de relancer le disque (avec délicatesse).

Daniel Lé est artiste et enseignant en Arts plastiques à l’Université Picardie Jules Verne (Amiens, France). Il poursuit un travail artistique se saisissant aussi bien de la vidéo, du film, du dessin ou de l’installation. Ses recherches s’articulent autour de la question du documentaire où se mêlent récits et documents personnels, souvenirs et chansons qui rencontrent le grand récit de l’Histoire.

Lydia Saïdi présente une superbe photographie La Vengeance de sa série Ils nous ont amenés, ils nous ont vendus (2020). Sa figure trouve son origine dans celle de la servante dans Femmes d’Alger dans leur appartement d’Eugène Delacroix…

Lydia Saïdi, La Vengeance (série Ils nous ont amenés, ils nous ont vendus), 2020
Lydia Saïdi, La Vengeance (série Ils nous ont amenés, ils nous ont vendus), 2020. Photographie. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Firdaws est étudiante en sociologie et modèle sur Instagram, elle aime créer des images qui défendent la “beauté noire”. Arrivée à Alger à un jeune âge depuis une ville du Sahara algérien, elle a été rapidement confrontée à un racisme quotidien. “Quand je marche dans la rue, je suis toujours sur la défensive, je ne sais jamais comment je serai accueillie.” Avec elle, nous avons eu envie de ré-explorer une célèbre image de l’histoire de l’art, Femmes d’Alger dans leur appartement d’Eugène Delacroix. Dans ce tableau, on aperçoit des femmes blanches lascives et une servante (esclave ?) noire. Celle-ci est sur le côté, le dos tourné, presque invisible. Avec Firdaws, nous avons décidé de la remettre au centre en imaginant un nouveau scénario : “la vengeance de la servante”. Elle ne se contenterait plus de servir, elle préparerait quelque chose. Cette image est aussi inspirée d’un passage de la chanson gnawa, Sandia, qui dit : “sers ton maitre avec bienveillance, sinon il te frappera avec un couteau” ». Lydia Saïdi

Jusqu’au 31 mars, Lydia Saïdi présente l’exposition « Femmes d’Alger dans leurs nouveaux appartements » à la galerie Zoème.

Lydia Saïdi, née à Alger, est photographe et archiviste des images. Ses travaux portent sur des questions de libertés, de contraintes sociales, et de mémoire. Elle travaille également sur des projets numériques de valorisation du patrimoine archivistique et de mise en commun des savoirs.

Sur la droite, l’accrochage se poursuit avec Lignes de feu (Gorges de la Chiffa) (2023) de Stéphane Thidet évoqué plus haut.

Stéphane Thidet, Lignes de feu (Gorges de la Chiffa), 2023
Stéphane Thidet, Lignes de feu (Gorges de la Chiffa), 2023. Dessin sur papier réalisé par brûlures. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Inspiré d’un récit de Mourad Krinah : dans les années 1990, Mourad a voulu prendre un bus pour aller de Blida à Medea. Il s’étonna du fait que, moins chers que les taxis, les bus restaient vides. Ils étaient des cibles plus faciles pour les islamistes. Le dessin évoque cette chaine de montagnes qu’il faut traverser pour sortir d’Alger.

Il précède trois photographies un peu énigmatiques de Alessia De Biase (El oued el fadhi, la rangée vide, 2023). le recours à la fiche de salle s’avère indispensable pour en comprendre le sens.

Alessia De Biase, El oued el fadhi, la rangée vide, 2023
Alessia De Biase, El oued el fadhi, la rangée vide, 2023. 3 photographies. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Une parcelle, je la divise selon les saisons en 5 ou 6 parties : la première partie ça va être les brocolis, donc je vais semer les brocolis, au bout d’un mois je vais semer encore d’autres brocolis, au bout d’un mois je vais semer encore des brocolis… ensuite je vais planter les premiers, un mois après les autres et quand je plante les derniers, les premiers que j’ai plantés arrivent à maturation et je les récolte. Pour que tout fonctionne, il faut toujours avoir un oued el fadhi, une rangée libre » (Sihem. 3 février 2023).

« Ce travail initie une réflexion sur les gestes liés à la nature, le soin et l’attention portés aux plantes et à la terre. Une observation sensible de ce qui se fait, ou doit se faire, pour l’entretien quotidien et ordinaire des choses dans cette temporalité particulière qui est l’attente caractérisant le “geste de planter”. Attendre que ça pousse, ça ne veut pas dire juste regarder et rien faire. Plein de petites choses et gestes hérités de savoirs anciens ou nouvellement appris sont accomplis pour que tout se passe dans les meilleures conditions. À Alger, une agricultrice partage avec moi depuis quelques mois les attentions qu’elle porte à ses plantations horticoles et son rapport très particulier à la terre ». Alessia De Biase

Alessia de Biase est une anthropologue, elle fait ses recherches au sein du laboratoire AA (UMR LAVUE CNRS) situé à l’Ensa paris la Villette où elle est aussi rofesseur d’anthropologie urbaine. Elle porte une réflexion à travers plusieurs =gistres, objets et questions sur la construction de l’imaginaire et le rôle qu’il joue ans la transformation des territoires. Dans ce cadre, elle interroge tout particuliè- ement le rôle de la nature dans la construction d’une citadinité contemporaine ngagée et dans les discours et actions politiques.

https://www.laa.archi.fr/_de-Biase-Alessia_

Sur le même mur suivent un dessin de Camila Fialho (Les lignes de Ghardaïa, 2023) et un collage de Mounir Gouri (Ghardaïa Terminus, 2023). Le premier est décrit comme une « Libre interprétation de l’expérience architecturale et humaine de Ghardaïa et sa condition de ville-oasis au cœur du désert » et il rappelle ceux qui étaient reproduits dans le premier numéro du journal. Le second semble faire au moins en partie écho à la performance « La traversée noire » que Mounir Gouri avait présentée en 2012 aux ateliers Jeanne Barret. ()

Camila Fialho, Les lignes de Ghardaïa, 2023 02
Camila Fialho, Les lignes de Ghardaïa, 2023. Dessin sur papier. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Libre interprétation de l’expérience architecturale et humaine de Ghardaïa et sa condition de ville-oasis au coeur du désert. Entre les lignes organiques et la rupture de l’idéal moderne de la ligne droite.

Mounir Gouri, Ghardaïa Terminus, 2023
Mounir Gouri, Ghardaïa Terminus, 2023. Dessin et collage. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

En face, posée contre les vitres du patio, une vidéo Marcel Dinahet (Ghardaïa, 2023) est une fiction d’un ksar de Ghardaïa réalisée sur une plage bretonne. En effet, sans visa, Marcel Dinahet n’a pas pu aller en Algérie…

Marcel Dinahet, Ghardaïa, 2023
Marcel Dinahet, Ghardaïa, 2023. Vidéo, 1 min 39. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Au centre, une table rassemble des photographies, des photocopies, des modèles en papier-mâché et une céramique que propose Kader Attia (Sans Titre, 2023).

Kader Attia, Sans Titre, 2023
Kader Attia, Sans Titre, 2023. Collage en volume : photographies, photocopies, modèles en papier-mâché, céramique sur carton, socle en bois et fer à béton. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Bénéficiant d’un environnement hostile aux envahisseurs, les architectures de terre construites dans le désert ont longtemps été inconnues des Occidentaux. Et ceux qui les ont découvertes l’ont fait en position d’occupants, comme les architectes Le Corbusier et Marcel Mercier, dont les investigations dans la vallée du Mzab ont eu lieu pendant la colonisation française, au début du XXe siècle. (…) Ainsi, comme l’ont fait les avant-gardistes occidentaux avec les arts non-occidentaux colonisés, les architectes occidentaux ont introduit l’esthétique et les fonctionnalités de l’architecture de terre et des plans d’urbanisme de villes comme Ghardaïa, sans aucune rétribution pour le peuple mozabite, auteur de ces architectures, qu’elle soit financière, honorifique ou scientifique. L’extraction à sens unique, que le capitalisme moderne, à travers le colonialisme et l’esclavage, a érigée en carburant du progrès, ne s’est pas arrêtée à la force des corps et des vies humaines, mais a aussi pillé des savoirs millénaires ». Kader Attia

Kader Attia est artiste. Il a grandi à Paris et en Algérie. Depuis de nombreuses années, il explore le point de vue des sociétés sur leur histoire, notamment en ce qui concerne les expériences de violence et de perte. Animé par l’urgence des réparations sociales et culturelles, il vise à réunir ce qui a été brisé, ou s’est éloigné. En 2016, Kader Attia a fondé La Colonie, un espace à Paris axé sur la décolonisation non seulement des peuples mais aussi des savoirs, des attitudes et des pratiques.

La fin de cette seconde galerie met en regard trois pièces.
Au revers de la demi-cimaise, Elisabeth Leuvrey présente avec Comme sur des roulettes carrées dans le sable (2023) une des installations les plus pertinentes de « Oubour | عبور ».

Elisabeth Leuvrey, Comme sur des roulettes carrées dans le sable, 2023
Elisabeth Leuvrey, Comme sur des roulettes carrées dans le sable, 2023. En hommage à Hadj Yaya Aissa, dit Boudzan, de Ghardaïa. Caissons lumineux, visionneuses View-Master et vues stéréoscopiques. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Trois caissons lumineux permettent de visualiser, à l’aide de visionneuses View-Master, des vues stéréoscopiques d’Alger en 1970 pour la première Light box, sur Sahara en 1971 pour la seconde et pour la troisième 21 images d’une série intitulée Oubour réalisée à partir de photographies de Stefanie Baumann, Adila Bennedjai Zou, Jean-Claude Chianale, Alessia de Biase, Camila Fialho, Mounir Gouri, Jan Kopp, Mourad Krinah, Daniel Lê, Amina Menia, Françoise Parfait, Lydia Saidi, Marine Schütz, Stéphane Thidet et Eric Valette. Pour celles-ci, Elisabeth Leuvrey a trouvé les moyens de réactiver la fabrication des roulettes cartonnées du système View-Master…

Un quatrième caisson lumineux raconte d’histoire de cette installation en hommage à Hadj Yaya Aissa, dit Boudzan, de Ghardaïa.

Elisabeth Leuvrey, Comme sur des roulettes carrées dans le sable, 2023
Elisabeth Leuvrey, Comme sur des roulettes carrées dans le sable, 2023. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

« Alger – Ghardaïa, 1970

– Alors comment ça va monsieur Boudzan, depuis la dernière fois ?
– Comme sur des roulettes carrées dans le sable mon ami!

Hadj Yaya Aissa se faisait appeler Boudzan. Il était entrepreneur à Ghardaïa et montait régulièrement s’approvisionner à Alger chez son ami Adrien Leuvrey qui tenait un négoce de matériaux de construction sur le port. Tout au long du mois qui précédait sa venue, les entrepôts d’Adrien servaient de stockage pour les commandes en ville de Boudzan. Son séjour à Alger durait le temps qu’il fallait pour remplir son camion et il s’en retournait à Ghardaïa.
Hadj Yaya Aissa dit Boudzan est décédé en 1973. L’expression Comme des roulettes carrées dans le sable lui a survécu. Elle m’a été transmise par mon père qui la tenait de son propre père. Elle donne son nom à cette installation.

Scroller le fil ou actionner la gâchette

Quand les déplacements physiques sont fortement empêchés, alors, oui monsieur Boudzan, ça va comme sur des roulettes carrées dans le sable.
Si la colonisation est assurément l’inverse du partage, se tenir à distance est parfois l’inverse de la bonne distance sans laquelle il n’y a pas de cinéma du réel qui vaille. L’étape à Ghardaïa de Oubour, je l’ai vécue au bout du fil whatsApp.
Pêcher les images des autres.
Voyager au travers de ces vues là.
Que les regards soient touristiques, ou artistiques, ou artistiquement touristiques, resteront toujours les images des View-Master, celles des cartes postales jaunies, ou, moins certain, celles immatérielles d’un espiègle groupe WhatsApp d’artistes.

Quitter le flux pour ne retenir que 7 vues par roulette.
Vue après vue, un goutte à goutte stéreoscopique…
Se faire un film.
Chopper la lumière, actionner la gâchette, sans grain de sable faire tourner la roulette carrée, passer d’un modèle à l’autre, mélanger les époques.
Traverser. » Elisabeth Leuvrey

Elisabeth Leuvrey est cinéaste. Née à Alger, elle vit et travaille aujourd’hui entre Marseille et Alger. Son cinéma se concentre sur l’impact contemporain d’une histoire coloniale qui lie la France et l’Algérie. Elle cherche à créer des espaces cinématographiques qui proposent au spectateur d’approcher des réalités complexes au travers d’expériences sensibles.

https://www.ateliersvaran.com/fr/reseau/annuaire/elisabeth-leuvrey_5950
https://www.instagram.com/elisabeth_leuvrey/

En face, une moniteur vertical diffuse une vidéo de Françoise Parfait. Traversée du paysage (2023) est un extrait d’un entretien avec Philippe Duboÿ, architecte et historien de l’architecture, à propos du projet de Le Corbusier pour Alger.

Françoise Parfait, Traversée du paysage, 2023 et Amina Mina, 6 rue d’El Biar, 2023
Françoise Parfait, Traversée du paysage, 2023 et Amina Mina, 6 rue d’El Biar, 2023. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Françoise Parfait est artiste et Professeure émérite en Arts plastiques et nouveaux médias à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses recherches, tant pratiques que théoriques, concernent la question des images temporelles, et leur réception dans le champ de l’art. Son travail d’installation en vidéo met en scène des durées et des temporalités à l’interface entre temps réel et temps appareillé.

Amina Mina, dont on avait pu apprécier le travail au Mucem lors de l’exposition consacrée à Abel Kader, présente une maquette intitulée 6 rue d’El Biar…

Amina Mina, 6 rue d’El Biar, 2023
Amina Mina, 6 rue d’El Biar, 2023. Maquette. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade


« Je viens de m’installer à cette adresse, c’est mon tout premier atelier. Après avoir « utilisé » Alger comme atelier, je me fixe enfin dans un espace marqué par le temps et l’histoire de cette ville. Cet atelier voyagera jusqu’à Marseille, et prendra place dans l’expo.
L’espace se compose de la loge de concierge et de la cour d’un immeuble, aménagé en petit appartement, où l’extérieur devient intérieur et où le bien commun devient privé. Il porte les traces, les sutures d’une transformation qui ont fait passer les Algérien.nes d’un mode de vie hérité, à un intérieur qui répond à des besoins et à une culture autre. Ce long processus de réappropriation et d’appartenance témoigne du passage du temps et de cette indépendance tant désirée, tant attendue
». Amina Mina

Amina Menia est née à Alger où elle continue de vivre et de travailler. Sa pratique interroge les relations entre mémoire, histoire locale, espace public et architecture. Partant souvent de l’histoire et de la situation politique postcoloniale de sa ville natale, elle enquête sur des récits chargés de sens, revisite des légendes urbaines et souligne les liens entre l’espace urbain et son potentiel politique. A travers sculpture, photographie et installation in-situ, ses interventions sont une invitation à réévaluer les notions conventionnelles de l’espace d’exposition.

La troisième galerie d’art-cade commence avec la diffusion sur une tablette d’une performance facétieuse, réalisée dans les rue d’Alger par Mounir Gouri et Stéphane Thidet.
Constatant qu’ils avaient exactement le même anneau mais dans l’oreille opposée. Ils en ont conçu une performance consistant à relier ces deux boucles d’oreille… Performance semble-t-il jugée comme « trop longue » par les autorités.

Mounir Gouri et Stéphane Thidet, Accrochage, 2022
Mounir Gouri et Stéphane Thidet, Accrochage, 2022. Vidéo, 2 min 18 en boucle. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Un peu plus loin, un vaste diagramme et des sérigraphie d’Éric Valette (Tirer les fils de Ghardaïa (cartographie d’une conférence-performance), 2023) tente de rendre visibles les liens et les evenements à partir d’un ensemble de lettres qui lui ont été confiées. Elles ont été écrites par Z, une jeune femme mozabite de Ghardaïa décédée prématurément. Elles étaient adressées à Marie-Claude, son amie française.

Éric Valette, Tirer les fils de Ghardaïa (cartographie d’une conférence-performance), 2023. Dessin mural, sérigraphies sur bois et plexiglas. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Éric Valette est artiste et Professeur des Universités en Arts plastiques à l’Université de Picardie Jules Verne. Ses recherches s’intéressent aux croisements entre l’art et les différentes représentations du monde proposées par les discours scientifiques (sociologique, historique, anthropologique) ou non scientifiques (contre-culturels, subculturels, militants).

Kader Attia, Hypomnemata, 2023. Vidéo sonore, 23 min. Suspended Spaces #6 – Oubour à art cade

Dans la petite salle qui ouvre dans la galerie, Kader Attia projette une vidéo récente (Hypomnemata, 2023) dont il expose ainsi les intentions :

« Les hypomnemata, au sens général, sont les objets générés par l’hypomnésie, c’est-à-dire par l’artificialisation et l’externalisation technique de la mémoire. Les hypomnemata, sous toutes leurs formes, sont les supports artificiels de la mémoire : de l’os taillé préhistorique à la clé USB, en passant par l’écriture, l’imprimerie, la photographie, etc. (…) Comprendre l’hypomnésie, c’est comprendre que la mémoire (individuelle et sociale) n’est pas seulement dans les cerveaux humains mais aussi entre eux, dans les artefacts. Depuis des millénaires, les architectures en terre de la vallée du M’Zab dans le désert du Sahara algérien, construites par les mains d’hommes et de femmes sédentaires, sont des artefacts. Elles sont aussi des hypomnémates qui incarnent, en dehors des corps qui les ont construites, habitées et réparées, ce que la mémoire ne peut retenir éternellement, et donc partager avec la communauté, dans l’espace et dans le temps : un savoir-faire, une manière de vivre, une manière de penser. (…) Les emballages qui protègent les biens de consommation que nous achetons portent en eux les formes des architectures de terre du désert, car ils sont structurés de la même manière, non plus pour garantir la stabilité du bâtiment, mais la solidité de l’emballage de l’objet à consommer ». Kader Attia

Le parcours se termine avec les dessins du Relevé habité d’une Taddart (2023) par Mounia Bouali

Le collectif Suspended Spaces et le projet TRAVERSER – Marseille / Alger/ Ghardaia

Suspended spaces est un collectif à géométrie variable, composé d’artistes et de chercheur·es en sciences humaines et sociales. Constitué en 2007, basé à Paris, il est épaulé par des centres de recherches universitaires à Paris 1 Panthéon-Sorbonne (ACTE) et à Amiens (CRAE Université de Picardie Jules Verne).

Après la découverte de la ville fantôme de Famagouste à Chypre et à partir de ce premier espace en suspens, une méthodologie de travail s’est peu à construite autour du déplacement collectif, de résidences et d’expériences partagées.

Plusieurs sites délaissés par la modernité pour des raisons politiques, économiques, historiques ont ensuite été l’objet de recherches pour Suspended spaces :

  • La Foire internationale Rachid Karamé, un projet inachevé d’Oscar Niemeyer à Tripoli au nord-Liban (2011-2013)
  • L’échec du projet urbain et industriel d’Henry Ford à Fordlândia sur le Rio Tapajos, au cœur de la forêt amazonienne (2014-2018).

Le projet TRAVERSER – Marseille / Alger/ Ghardaia trouve son origine dans plusieurs conversations avec Kader Attia. Les premières remontent à plus de 10 ans au Liban et au texte sur Ghardaïa que l’artiste franco-algérien a écrit pour le deuxième livre du collectif (Suspended spaces n°2 – Une expérience collective). Les contacts avec Kader Attia (membre associé du collectif) ont été réguliers, notamment au travers de l’accueil d’expositions et de colloques à La Colonie. Les artistes et chercheur·euses du collectif ont naturellement en mémoire les œuvres de Kader Attia où Ghardaïa est associée aux figures de Le Corbusier et de Pouillon lors d’une visioconférence dans le contexte de la pandémie. L’idée d’une résidence en Algérie et à Ghardaïa est une nouvelle fois évoquée. Dans une conversation entre Vanessa Brito et le collectif, Éric Valette précise :

« C’était cette longue discussion qui nous a permis d’envisager un projet algérien à un moment où l’impossibilité était une règle partagée par tout le monde. On ne peut pas se déplacer, donc déplaçons-nous en pensées ! Et il y a eu une parole importante d’Alessia De Biase, qui est anthropologue : “vous savez, ça m’est très souvent arrivé de travailler sur un terrain pendant plusieurs années sans savoir si je pouvais y aller et parfois sans y aller, mais c’était quand même du travail”. Alors nous nous sommes dit : voilà, nous allons travailler sur le déplacement réel ou imaginé, et c’est comme ça qu’est né le projet Traverser ».

L’éditorial du premier numéro du journal commence par une définition du projet :

« Le collectif Suspended spaces propose de travailler sur l’idée de traverser, d’aller vers, pour un déplacement que nous allons imaginer, préparer, documenter, pour lequel nous chercherons des relais, des récits, des témoins. Nous insisterons sur le trajet, mental ou littéral, direct ou détourné.

Le projet Traverser commence à Marseille, la plus algérienne des villes françaises. Depuis le port, des lignes sont tendues vers l’architecture de Ghardaïa qui a inspiré la modernité, fasciné Le Corbusier, croisé la route de Fernand Pouillon et engagé André Ravéreau. Dans la vallée du M’zab, Ghardaïa, ville fondée par les Ibadites, majoritairement peuplée de Mozabites, constitue un patrimoine historique qui pourrait sembler imperméable au monde. Un ailleurs. Une île
 ».

Le projet Traverser a commencé à Marseille par une résidence de deux semaines, en octobre 2021. A partir du building Canebière de Pouillon, les artistes et les chercheur·eus ont « cherché l’Algérie à travers des signes, récolté des traces et des informations, consulté des documents, construit des formes ». La résidence s’est terminée avec un colloque de trois jours aux Ateliers Jeanne Barret, au FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur et au Mucem. Au-delà du journal qui rend compte de l’expérience de la résidence et du colloque, plusieurs traces sont disponibles sur internet au Frac et aux ateliers Jeanne Barret.

Une nouvelle étape du projet s’est déroulée par une résidence en septembre 2022 à Alger avec un court séjour à Ghardaïa. Le deuxième numéro du journal et l’exposition « Oubour | عبور » en témoignent. Le collectif Suspended spaces espère que l’exposition pourra être présentée à Alger et prévoit une prochaine résidence à Ghardaïa.

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