Jusqu’au 15 février 2025, la galerie AL/MA accueille Dominique De Beir qui présente avec la complicité de Marie Caroline Allaire-Matte une vingtaine de dessins réalisés entre 1996 et 2023.
Cette très belle sélection prolonge et parfois enrichit « Accroc et Caractère », la superbe exposition de l’artiste visible au musée Musée Fabre jusqu’au 2 mars prochain.
Comme annoncé, l’exposition écarte toute approche rétrospective au profit « d’un inventaire, non exhaustif, des pratiques qui caractérisent son travail depuis 1990 »…
Décrire ou résumer ces pratiques représente un véritable défi. On se limitera donc à reproduire ces quelques citations de celles et ceux qui s’y sont aventurés…
On commencera avec par quelques lignes de Dominique De Beir, extraites du Glossaire biographique non chronologique réalisé à l’automne 2022 avec la complicité d’Émilie Ovaere-Corthay, à propos de ses supports :
« J’ai beaucoup de matériaux en réserve du carbone de toutes les couleurs, des plans et cartes trouvés mais aussi offerts. Je me sens en retard ! J’ai tellement de matériaux à analyser. Dessiner commence toujours par une réaction épidermique au support, c’est son origine, sa constitution qui m’incite à engager une relation avec lui. L’histoire silencieuse inscrite dans les supports engage une mise à l’épreuve du corps, trouver l’outil, le geste, l’attitude pour entamer la surface à laquelle je fais front. Dans mes matières de prédilection, beaucoup de papiers glanés, papier affiche, papier administratif, papier à lettre, papier peint, papier carbone, papier journal, papier macule, papier cristal, papier sulfurisé, papier oignon, papier herbier… »
Dans une publication faisant suite à l’exposition « Ruminato » à Amiens qui n’a jamais pu ouvrir ses portes en raison du confinement, Barbara Denis-Morel souligne :
« Dominique De Beir ne se contente pas de jouer avec la matière, de ruminer les formes pour en faire surgir de nouvelles. Elle soumet chaque support à une longue maturation et s’abstient parfois d’y toucher pendant plusieurs années, et ce n’est que lorsque ce face à face prend fin que le geste peut enfin se déployer.
Actions et supports sont ainsi indiciblement liés dans la pratique de l’artiste, qui ne s’aventurera pas sur une surface sans avoir auparavant entamé une relation presque intime avec la matière. Alors seulement, le geste va s’emparer du support, l’attaquer de tous les côtés, le frapper, le perforer, le griffer, poncer jusqu’à menacer sa structure la plus profonde. »
Dominique De Beir – Correspondance, 2022. 29 x 32 cm, acrylique, impacts sur carton – Galerie AL/MA, Montpellier
« Creuser, gratter, brûler, racler, affouiller, carotter, éroder, ronger, entamer, piétiner, autant de gestes qui font advenir le dessin et la couleur, qui altèrent les matériaux et les surfaces, qui donnent sens à la rencontre entre la main, l’outil et le matériau. », ajoute Tania Vladova dans l’ouvrage Conception Maculée…
L’accrochage très réussi que propose la Galerie AL/MA offre donc quelques expressions de cette œuvre où « le rythme irrégulier de la percée et la profondeur qu’on dirait infinie plongent le regard dans une contemplation sans bornes, au-dedans de l’œuvre, jusqu’au dérapage visuel »…
Face à l’entrée, une imposante et captivante Planche Dentelle (2021) fait écho à celle présentée au Musée Fabre avec toutefois des nuances un peu plus affirmées.
« Dans la série Dentelle/Crochet, abrasions et martèlements opèrent une unité de la surface, forme et fond se dissolvant l’un dans l’autre. Les cannelures contenues dans l’épaisseur du carton animent alors autant la surface que l’écrasement des éléments colorés suite à l’action du marteau boule. », écrit Barbara Denis-Morel. Puis elle ajoute :« Mais par-delà cette mise en évidence manifeste du support, Dominique De Beir ne se limite pas à en révéler la plasticité interne, elle se joue aussi des multiples plans qui constituent son œuvre. Les percussions et autres poinçonnages de la matière font écho aux motifs imprimés faits de fils entrelacés issus d’un ancien cahier d’exercice de crochets, tandis que sous l’effet de l’abrasion le regard se perd et ne se soucie plus de distinguer celui qui reçoit de celui se superpose. »
Sur la gauche en entrant, l’exposition débute avec une délicate œuvre sur papier cristal où les multiples impacts sont teintés par un carbone vert (La vie des animaux, 2014). Certain·es se souviendront peut être de sa présence dans « Spirit Carbon » à la Galerie AL/MA en 2015.
Cette très belle pièce était réapparue dans « Telle est l’étoffe dont les rêves sont faits », un accrochage de la réserve sur une proposition de Yaël Chardet à l’hiver 2021. Elle était également parmi les œuvres de Dominique De Beir que Marie Caroline Allaire Matte avait sectionnées pour Paréidolie 2022.
Dominique De Beir – Sous le velours, 2022. 22×45 cm, peinture, encre, crayon de couleur, impacts, collage, papier imprimé, papier velouté ; Correspondance, 2022. 29 x 32 cm, acrylique, impacts sur carton et Correspondance, 2017. 28,5 x 20 cm, carton noir, encres acryliques, impacts, – Galerie AL/MA, Montpellier
Après Sous le velours (2022), une très belle correspondance sur une page d’album de timbres (Correspondance, 2022) et une autre plus mystérieuse sur carton noir (Correspondances, 2017), on découvre Digression, 2018. Le papier imprimé – une double page de sa monographie de 2017 – a été poncé puis percé avec une roulette…
À propos de cette série, dont un grand format est exposé dans les salles voûtées du Musée Fabre, Dominique De Beir écrit :
« Planche Digression est venue de reproductions faites au sein de ma monographie et pour laquelle j’avais obtenu quelque chose de très lisse qui avait entraîné une certaine frustration. Donc j’ai reproduit de nouveau, sur des cartons cette fois-ci, certaines de mes œuvres. Ce fut le point de départ d’un nouvel objet, toujours lié à cette question de l’origine. À partir d’une reproduction d’une de mes œuvres agrandie et imprimée sur un carton, j’ai criblé de trous l’image pour essayer de la dissoudre et apporter à la surface toute sa vitalité »…
Deux autres œuvres aussi fascinantes de cette série sont exposées en face (Digression n° 20,2018 et Digression, 2019)…
Dominique De Beir – Digression n° 20,2018. 69×50 cm, peinture, impacts, papier imprimé et Digression, 2019. 31×21 cm, peinture, impacts, papier imprimé- Galerie AL/MA, Montpellier
Sur ce mur, l’accrochage est construit autour d’un grand dessin de la série des Sils, réalisé en 1996 et dont un détail est reproduit sur le carton d’invitation.
Décrit par la galerie comme « une nuée de boucles, à moins que ce ne soient de zéros, comme en ébullition, à l’encre verte, traverse les pages d’un cahier de dépenses et de recettes. Non plus des trous mais des vides répétés indéfiniment »…
À propos du titre de cette importante série qui se développa jusqu’en 2001, Dominique De Beir raconte dans sa conversation avec Maud Marron-Wojewodzki pour le catalogue de l’exposition au musée Fabre : « Sils est un mot qui m’a accompagnée plusieurs années et qui a engagé le “journal des Sils”, où chaque jour j’essayais d’imaginer ce que voulait dire ce mot, dont j’ignorais la signification et alors que je cherchais un titre pour ma série de mailles. Je suis arrivée à plus de mille définitions de “sils”. Au départ, j’y voyais un “il” coincé entre deux “s”. J’aimais aussi la brièveté dans la sonorité. Ce n’est qu’après que j’ai découvert l’existence de Sils-Maria ».
À gauche, une correspondance sur carton noir de 2023 semble faire écho à celle en vis à vis…
Côté rue, Face (2003) semble avoir remplacé une œuvre très proche de 2008 que l’on avait vue à l’occasion de la 9e édition de Paréidolie et qui était sans doute déjà présente en 2015 dans « Spirit Carbon »… Sur une double feuille trempée dans la cire, perforée par un stylet de couturière et un bistouri apparaissent les yeux d’un visage énigmatique sur lequel vient se dessiner l’ombre du regardeur reflétée par le verre de protection…
Dominique De Beir – Sandpaper, 2023, No 4 (bleu). 26,7×22,5, encre acrylique, pastel, impacts, papier abrasif et Sandpaper, 2023, No 27 (jaune), 24,7x 22,5, encre acrylique,pastel, impacts, papier abrasif – Galerie AL/MA, Montpellier
Entre les deux portes-fenêtres qui ouvrent sur la rue du Plan du Palais, on découvre deux œuvres récentes de la série « Sandpaper ». Sur une feuille de papier abrasif poncée avec un « os » de seiche, les impacts ont été partiellement enduits de pastel gras. Des encres acryliques paraissent révéler d’indiscernables formes…
En réserve, quelques pépites attendent les visiteurs curieux et notamment un superbe Report bleu (2005-2011) ou les lignes d’encres sur un registre timbré par un tribunal d’instance « additionnent » d’improbables opérations « engageant erreurs et tâches »…
Une très belle Correspondance bleue de 2010 laissent entrevoir les ondulations d’un carton martyr sur lequel s’appuyait carbone et papier toilé lors du passage d’une brosse…
Naturellement, un passage par la Galerie AL/MA s’impose pour les collectionneurs de la région pour celles et ceux qui auront découvert « Accroc et Caractère » au musée Musée Fabre.
À lire, ci-dessous, le communiqué de presse publié par la galerie AL/MA.
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Cette deuxième exposition de Dominique De Beir à la galerie AL/MA rassemble une vingtaine de dessins, depuis 1996 jusqu’à 2023, non sous une forme rétrospective, mais plutôt selon le principe d’un inventaire, non exhaustif, des pratiques qui caractérisent son travail depuis 1990. « Trouer, frapper, frotter, griffer, projeter, perforer, inciser, éplucher, brûler, creuser, découper… »(1). Tous ces verbes convoquent une succession d’actions et d’univers aussi précis qu’improbables inspirés par l’origine et les spécificités du support. La constance de la démarche de Dominique De Beir est telle que toutes ces œuvres sont à regarder comme une actualité. « L’acte lui-même, loin d’être une froide leçon, ne s’explique pas autrement que par analogie et métaphore. »(2)
Rares sont les œuvres qui inspirent un champ lexical aussi complexe, inépuisable même. Il suffit de choisir un mot parmi les plus fréquemment employés quand il s’agit de définir les gestes de Dominique De Beir, trouer, par exemple pour que surviennent aussitôt les images des cartons perforés des orgues de barbarie, de la mitraille, de l’usure, de la piqure d’une seringue, de la crucifixion, c’est Sans fin mais pas sans début, pour faire écho au titre de son exposition au musée des Beaux-arts de Caen en 2023. La suite des actions rejoint celle des listes d’outils et de mots.
Une œuvre issue de la série Sils, de 1996, a été choisie pour le carton d’invitation. Une nuée de boucles, à moins que ce ne soient de zéros, comme en ébullition, à l’encre verte, traverse les pages d’un cahier de dépenses et de recettes. Non plus des trous mais des vides répétés indéfiniment. « Sils, un pronom personnel (il) coincé entre deux marques de pluriel(s) »(3) devient le titre générique de beaucoup d’œuvres entre 1996 et 2001. Contemporaine de la série Report (1996), suite de 21 dessins à l’encre, et de la série Où se mettre ? (1996) ‒ toutes deux présentées au musée Fabre dans le cadre de l’exposition Accroc et Caractère de Dominique de Beir jusqu’au 2 mars 2025 – Sils concentre quelques principes récurrents : « du rythme, des arrêts, des bouts… et surtout de l’air et de la non-figure. »(4)
Ce grand dessin rappelle aussi certaines filiations avec en particulier deux artistes, Pierrette Bloch et Eve Gramatzki, dont les œuvres dialoguent avec celles de Dominique De Beir au musée Fabre.
L’exposition rassemble les œuvres de plusieurs séries, Report (2005-2012) Correspondance bleue (2010), Digression (2018-2019), Sous le velours (2022), Sandpaper (2023), chacune impliquant un support, des outils et un geste différents. Chaque matière inspire et définit un nouveau protocole, parfois l’abrasion se substitue à la perforation, révélant sous l’usure du velours un usage invisible, celui de la comptabilité et du langage administratif. À l’inverse, le geste peut effacer le motif, le dissoudre sous les altérations répétées (Planche Dentelle, 2021). « Le fond devient alors le sujet et le maillage des fils crochetés participe à cette nouvelle trame à l’aide de ces outils permettant de trouer ou percuter la matière. C’est à coup de maltraitance que l’image se dissout et paradoxalement acquiert toute sa vitalité. »5
L’exposition, Accroc et Caractère, consacrée à l’œuvre de Dominique De Beir est visible jusqu’au 2 mars 2025 au musée Fabre. Un catalogue a été publié à cette occasion avec un entretien de l’artiste avec Maud Marron-Wojewodzki, un texte d’Emilie Ovaere-Corthay et un texte de Camille Paulhan, éditions SilvanaEditoriale.
1 Dominique De Beir, une mise à jour, (août 2010), op. cit.p.213
2 Dominique De Beir, Accroc et Caractère, une collection, La joue du petit paresseux, Camille Paulhan, page 138, éd. SilvanaEditoriale
3 Dominique De Beir, Accroc et Caractère, une collection, La joue du petit paresseux, Camille Paulhan, page 141, éd. SilvanaEditoriale
4 / 5 Dominique De Beir, Accroc et Caractère, une collection, texte de Dominique De Beir, page 141 et page 41, éd. SilvanaEditoriale