Jusqu’au 2 novembre 2025, Luma Arles présente « Flux de nos yeux » (titre variable, anciennement « Danse avec les démons »), une proposition d’avant-garde qui interroge la forme même de l’exposition et l’expérience que peuvent en faire les visiteur·euses. Son titre changera au fil des semaines, selon les suggestions de ses acteur·rices.
« Danse avec les démons » est une nouvelle itération d’un projet ambitieux conçu conjointement par la Fondation Beyeler et LUMA Foundation. Elle prolonge l’exposition présentée l’an dernier à Bâle-Riehen, dont la radicalité et l’originalité avaient fortement marqué les esprits. Son caractère surprenant, voire iconoclaste, l’hétérogénéité de sa sélection et son dispositif novateur avaient suscité de nombreux commentaires, certains allant jusqu’à la qualifier de « sujet de conversation numéro un dans le monde de l’art contemporain ».
À Bâle, le bâtiment de Renzo Piano et son parc environnant avaient été entièrement reconfigurés en un lieu d’exposition expérimental pour accueillir un projet aux contours mouvants. La collection prenait vie à travers des accrochages inattendus, en partie renouvelés en présence des visiteurs. À l’extérieur, le paysage était périodiquement transfiguré.
Imaginée comme un organisme vivant qui change et se métamorphose, l’exposition s’était enrichie des contributions de nombreux participant·es, chacun intervenant à différentes étapes de sa réalisation. Son titre a évolué au fil du temps, passant de Dance With Daemons à Cloud Chronicles, All My Love Spilling Over, Echoes Unbound, et bien d’autres, jusqu’à Summer Is Over.
À Luma Arles, « Danse avec les démons » prend place dans la Galerie Principale au niveau -2 de la Tour dessinée par Frank Gehry et se déploie avec plusieurs installations dans le parc paysager conçu par Bas Smets.
L’approche expérimentale imaginée à Bâle est partiellement reconduite. L’ambition de « stimuler la liberté artistique, les échanges interdisciplinaires et la responsabilité collective » reste au cœur du projet, ainsi que l’approche décrite par Philippe Parreno et Precious Okoyomon, qui entend « reconnaître les complexités et les incertitudes qu’implique le fait de réunir des artistes, tout en se saisissant de ces enchevêtrements comme partie intégrante du processus créatif ».
Cependant, les expériences proposées au public sont en partie différentes. À Arles, le parc paysager beaucoup plus vaste et sa configuration ne permettent pas le même dialogue organique entre intérieur et extérieur qui caractérisait le projet à la Fondation Beyeler. L’exposition présentée dans la Tour est plus intimidante et moins fluide.
Le dispositif curatorial de Tino Sehgal, qui mettait en mouvement les œuvres à Bâle n’est malheureusement pas renouvelé à Arles. On ne retrouve pas les chorégraphies qui étaient alors activées dans une mise en scène évolutive et participative, métamorphosant le commissariat en performance. L’exposition ne génère plus cette impression de mutation permanente ni cette sensation d’assister à un montage en perpétuelle transformation, où les régisseurs intervenaient in situ.
Cela étant dit, Tino Sehgal continue de faire voler en éclats les catégories habituelles de l’histoire de l’art et les codes de l’accrochage traditionnel.
Il propose un parcours et une mise en espace iconoclaste et millimétré, conçu comme une « réaction en chaîne, où chaque œuvre devient la continuation d’une autre. Photographies, peintures et sculptures se succèdent et se répondent selon des principes de différence et de répétition, abordant notamment le portrait, l’architecture et l’abstraction ».
L’ensemble est stupéfiant, spectaculaire. Il transgresse les repères habituels et oblige les regardeur·euses à repenser leur manière de circuler et de voir.
À la Fondation Beyeler, certain·es critiques ont perçu dans cette démarche un déplacement des frontières traditionnelles de l’art, soulignant que « les œuvres ne sont pas des reliques intouchables, mais des entités vivantes destinées à résonner avec les spectateurs et à leur procurer du plaisir »… D’autres encore ont pu écrire que tout y était « mutant, transitoire, incertain, formant un manifeste d’une pensée autre et nécessaire sur le monde contemporain. Et pour le futur des expositions ». Ces observations restent valides pour la version arlésienne du projet. Mais il faut bien admettre qu’une partie de l’impertinence et de la poésie que l’on pouvait ressentir à Bâle-Riehen semble être restée dans les espaces conçus par Renzo Piano. Les dimensions imposantes et l’impression de froideur que dégage la Galerie Principale au niveau -2 de la Tour Gehry y sont sans doute pour quelque chose…
Entre « Chroniques des nuages », « Rêves de fantômes », « Miroirs qui fondent » et bien d’autres, « Danse avec les démons » s’impose toutefois comme un rendez-vous incontournable avant que « L’été se termine ».
L’équipe curatoriale réunie à Arles est composée de Vassilis Oikonomopoulos, directeur artistique, Hans Ulrich Obrist, conseiller général à Luma Arles, Tino Sehgal, curateur, Flora Katz, curatrice, et Franny Tachon, assistante curatrice. À la Fondation Beyeler, l’exposition avait été conçue par Sam Keller, Mouna Mekouar, Isabela Mora, Hans Ulrich Obrist, Precious Okoyomon, Philippe Parreno et Tino Sehgal en étroite collaboration avec les participant·es.
Compte rendu de visite à lire ci-dessous.
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« Danse avec les démons » : Regards sur l’exposition
Dans le parc…
Comme à la Fondation Beyeler, les 1000 buses à brouillard de Fujiko Nakaya (Untitled, 2025) engloutissent périodiquement le paysage et l’architecture d’une brume avec l’ambition de rendre « les choses visibles invisibles et les choses invisibles — comme le vent — visibles » selon les mots de l’artiste.
Chaque heure, pendant vingt minutes, le brouillard de cette sculpture éphémère flotte au-dessus de l’étang pour une mystérieuse conversation avec le vent et les Arles Lilies de Judy Chicago. La masse d’air humide joue avec la lumière du soleil et son reflet vient danser sur les surfaces vitrées du Seven Sliding Doors Corridor de Carsten Höller. L’œuvre de Fujiko Nakaya offre aux promeneurs du parc une expérience, particulièrement marquante pour les enfants, qui engage tous les sens.
Pionnière de l’art vidéo et des technologies liées au paysage, Fujiko Nakaya développe depuis les années 1970 des environnements immersifs destinés à traduire des phénomènes naturels. Membre du collectif interdisciplinaire E.A.T. (Experiments in Art and Technology), elle emploie pour la première fois le brouillard à l’occasion de l’Exposition universelle d’Osaka en 1970, pour le pavillon Pepsi-Cola. Cette œuvre historique est largement évoquée dans l’exposition Sensing the Future: Experiments in Art and Technology (E.A.T.), actuellement présentée dans la Galerie des Archives Vivantes, au niveau -2 de la Tour.
Sur les bords de l’étang, au détour du chemin qui longe la terrasse des Forges, une cabane de jardinier abrite une version réduite de The Sun Eats Her Children (2023), installation de Precious Okoyomon présentée dans une grande serre à la Fondation Beyeler. En franchissant la porte, les visiteur·euses pénètrent dans un environnement dérangeant où des papillons butinent des plantes vénéneuses dans une ambiance sonore composée par Kelsey Lu.
Dans un coin du cabanon repose un ours en peluche. Ses yeux, parfois mi-clos, et sa respiration irrégulière évoquent un sommeil agité. À intervalles réguliers, il émet un cri primal, interrompant le silence et prenant les visiteur·euses par surprise.
Le cartel nous apprend que celui-ci a été synthétisé à partir des voix de l’artiste et de deux personnes qui mènent un travail décolonial, l’artiste Okwui Okpokwasili et l’écrivaine Saidiya Hartman. Puis, il précise : « Le nom de la peluche animatronique, Beloved, a été choisi en référence au roman éponyme de Toni Morrison publié en 1987. Inspiré par un fait divers survenu pendant la guerre de Sécession, il raconte l’histoire de Sethe, une ancienne esclave hantée par le fantôme de sa fille, qu’elle a tué pour lui épargner un destin de servitude. »
Installée sur la pelouse du Parc des Aleliers, au niveau de la Grande Halle, Membrane (2024) de Philippe Parreno impose sa silhouette de tour/totem qui n’est pas sans évoquer celle d’une mystérieuse antenne. Dans cette structure en métal et géo-polymères réside un personnage dépourvu de nom et de forme physique. Des capteurs détectent divers phénomènes environnementaux – température, humidité, vitesse du vent, niveaux de bruit, pollution et toute vibration du sol. Dotée d’une perception non visuelle, elle traduit des signaux électroniques en sons modulés. L’actrice Bae Doona a prêté sa voix au personnage, auquel elle donne une profondeur émotionnelle humaine. « Membrane parle une langue construite dénommée ∂A, dont la syntaxe verbe-sujet-objet (VSO) est une fonction dérivée qui évolue en réaction à différentes conditions locales ».
Dans la Tour : « Une réaction en chaîne, où chaque œuvre devient la continuation d’une autre »…
Dans la Galerie Principale, au niveau -2 de la Tour, Tino Sehgal a conçu une proposition spectaculaire, iconoclaste et d’une extrême précision, qui transgresse tous les codes et les repères habituels de l’exposition. Au-delà des accrochages en perpétuelle transformation présentés à la Fondation Beyeler, Sehgal et l’équipe curatoriale se sont appuyé·es sur plusieurs projets expérimentaux soutenus par Luma Foundation. Le texte d’introduction mentionne en particulier Il Tempo del Postino (Manchester, 2007 ; Bâle, 2009), Vers la lune en passant par la plage (Arles, 2012), et Chroniques de Solaris (Arles, 2014). On y ajouterait volontiers Systematically Open ? en 2016 à La Mécanique Générale.
Dans le vestibule de la galerie, les pilules bicolores de Carsten Höller (Pill Clock, 2015) tombent du plafond toutes les trois secondes, créant au sol une forme qui marque le passage du temps. « Trois secondes, tel est le laps de temps que nous percevons comme étant le présent », explique l’artiste. Comme à Bâle, les visiteurs·euses sont invité·es à avaler une pilule « afin d’expérimenter autrement leur relation à l’espace, à l’exposition, mais aussi aux rêves qui pourraient s’ensuivre ». Le cartel précise que ces gélules ne contiennent ni principe actif ni substance allergène. L’expérience montrera à celles et ceux qui s’y prêtent l’effet psychique ou physique, réel ou supposé, que la prise de cette capsule peut produire sur leur organisme.
Sur la droite s’ouvre un espace sombre et circulaire dans lequel les visiteur·euses sont invité·es à faire l’expérience d’une heure de sieste sur un lit qui bouge légèrement pour simuler le mouvement d’un vol, tandis qu’un champignon « volant » s’anime au-dessus d’eux…
Cette installation (Dream Hotel Room #1: Dreaming of Flying with Flying Fly Agarics, 2024) s’inscrit dans la série de chambres d’hôtel que Carsten Höller conçoit depuis 2008 au sein de musées, permettant aux visiteur·euses de s’y installer, de dormir, et parfois d’y passer la nuit…
Avec Adam Haar, chercheur au MIT, Höller a développé une nouvelle série de sept « chambres de rêves », conçues pour influencer les songes de celles et ceux qui les expérimentent. C’est une de ces dream rooms qui est mise à disposition des visiteur·euses avant ou après leur passage dans Galerie Principale de la Tour…
Dans l’espace d’exposition, peintures et photographies sont accrochées bord à bord sur toute la hauteur et la largeur des murs périphériques. Cette frise presque continue, qui serpente du sol au plafond, met en mouvement des œuvres entremêlées de la Fondation Beyeler et de la collection Maja Hoffmann / LUMA Foundation.
Plusieurs installations majeures accompagnent cette présentation «subversive» et diaboliquement rigoureuse, conçu comme une « réaction en chaîne, où chaque œuvre devient la continuation d’une autre ».
Dans cette invraisemblable partie de domino, photographies, peintures et sculptures se répondent selon des associations où les « règles » sont parfois explicites, quelquefois plus opaques, souvent ouvertes à l’interprétation ou à l’imagination des regardeur·euses… L’ensemble laisse deviner l’enchaînement de plusieurs préoccupations : les relations entre la peinture et la photographie, la représentation de la figure, son absence et sa perception, la question du numérique, le paysage et l’abstraction, ou encore la manière dont le dialogue entre les œuvres peut ignorer la présence des visiteur·euses…
Tout est sous la surveillance de Magnus Opus (2013) de Ryan Gander, une paire d’yeux bleus et de sourcils noirs encastrés dans le mur qui suit chaque petit mouvement dans la galerie…
Peindre à partir d’une photo ? Photographier comme un peintre ?
À quelques dizaines de centimètres du sol, obligeant les visiteur·euses à se pencher ou à s’accroupir, quatre toiles et une photographie posent la question du portrait peint et de sa relation à la photographie.
Tout commence avec Missing Picasso [Sans Picasso] (2013) de Marlene Dumas. Pour cette toile, Dumas part d’une photographie de Man Ray issue d’une série où Meret Oppenheim pose nue devant une presse à imprimer, les mains couvertes d’encre. Dans sa peinture, Dumas choisit de ne pas représenter l’homme en costume qui, sur l’image d’origine, nettoie l’encre des mains de Meret. Le titre interroge. Pourquoi Picasso est-il absent ? Était-il l’homme en costume de la photo ? Ou bien est-ce à Dumas que Picasso manque ?
L’artiste a semble-t-il donné plusieurs interprétations de ce Missing Picasso. Dans une lettre adressée à la revue Parkett et publiée à l’occasion d’un article, elle accompagne la reproduction de sa toile avec ces mots : « J’essaie de dire bonjour à nouveau. L’humour nous manque dans les moments sombres. L’inspiration érotique. L’œuvre d’art me manque quand elle part, quand elle change de mains. La peinture vit sa propre vie, sans le peintre. »
(Trying to say hallo again. Missing the humour in the dark times. Erotic inspiration. Missing the artwork when it leaves, changes hands. The painting lives its own life, without the painter.)
Un peu plus loin, une seconde toile de Marlene Dumas (Amy-Pink [Amy-Rose], 2011) représente Amy Winehouse, peinte à partir d’une photographie extraite d’un magazine. Cette œuvre figurait dans l’exposition Close-up, organisée par la Fondation Beyeler en 2022. À son sujet, le communiqué de presse indiquait : « Aux portraits glamour d’Amy Winehouse, elle préfère Amy-Pink (2011) et sa vision spectrale saturée d’un rose qui dissimule le deuil. Ses œuvres doivent s’interpréter comme des exorcismes face aux images digitales qui inondent notre société. Qui ment ? Les images médiatiques ou le “regard” de l’artiste ? »
Wilhelm Sasnal – Sutro Tower, 2013. Huile sur toile, 46.0 x 55.8 cm et Anka, 2012 Huile sur toile, 40.0 x 35.0 cm. Avec l’aimable autorisation de la Fondation Beyeler, Riehen/Bâle
Entre ces deux toiles de Dumas, Tino Sehgal a choisi d’accrocher deux portraits réalistes proches du rendu photographique de Wilhelm Sasnal ( Sutro Tower, 2013 et Anka, 2012) dont les personnage tournent le dos aux regardeur·euses.
Cette première séquence s’achève sur une photographie très picturale, un portrait de la star du rap américain Frank Ocean réalisé par Wolfgang Tillmans (Frank Ocean, Berlin, 2015). Cette séance, initialement prévue pour une couverture du magazine Fantastic Man, est devenue emblématique. Outre l’image exposée ici, Tillmans y a aussi réalisé un portrait (In the Shower) qui sera repris comme couverture de Blond, le deuxième album du chanteur.
Aussi connu comme…
L’accrochage se prolonge par une longue séquence composée de seize photographies photographies jumelées, extraites de la série a.k.a (2008–2009) de Roni Horn, exposée lors des Rencontres d’Arles en 2009.
Ces photographies, sélectionnées par l’artiste dans ses archives personnelles et familiales, sont présentées par paires. À chaque image d’elle, enfant ou adolescente répond un portrait réalisé à l’âge adulte. La série, dont le titre a.k.a signifie also known as, pose la question de l’ambivalence de soi. Elle donne à voir l’identité fragmentée et plurielle de l’artiste, et, au-delà, celle de chaque individu.
Monter au ciel ou grimper au plafond ?
Commence alors une longue série d’œuvres à touche-touche dont les premières construisent une colonne qui gagne en largeur à mesure qu’elle s’élève.
Sur le dernier portrait de Roni Horn s’empilent deux images de la série A story with Vincent [Une histoire avec Vincent] (2017) dans laquelle Lily Gavin a documenté le tournage et les coulisses du biopic sur Vincent van Gogh réalisé par Julian Schnabel.
Viennent ensuite deux photographies emblématiques de la série « Self-portrait of You + Me » (2008) de Douglas Gordon, où l’artiste troue, brûle ou déchire des portraits iconiques. Sont ici présentés un portrait de Charlotte Rampling et le célèbre Most Wanted Men d’Andy Warhol. Cette série avait marqué les esprits lors de la double exposition de Douglas Gordon à la Collection Lambert et au Palais des Papes en 2008. À propos de ces images, Nicolas Bourriaud écrivait, à l’occasion d’« Une histoire intime de l’art » en 2023 : « Il cherche précisément à éprouver la résistance de l’image à sa défiguration, à trouver le point de butée au-delà duquel un visage devient méconnaissable, se transforme en un “vous et moi” anonyme ».
Puis viennent trois impressions lenticulaires d’Aura Rosenberg qui semblent avoir « grimper au plafond » – peut-être par pudeur, ou pour éviter de heurter les sensibilités les plus conservatrices.
Au-dessus, Marcellouise & Louisemarcel (2002-2007), un malicieux collage imaginé par Douglas Gordon et Anna Gaskell s’impose avec évidence. Ce qui est moins immédiat pour la photographie de Theaster Gates (White Dress with Silver Silkscreen, 2018), perchée en hauteur. On y distingue une femme noire vêtue d’une robe Paco Rabanne. Peut-être une image en lien avec son projet Black Image Corporation…
Aura Rosenberg – Lucretia, Colossal Head et Perseus, 2018. Impression lenticulaire montée sur aluminium
Dans cette série intitulée « Statues Also Fall In Love », Aura Rosenberg superpose à chaque fois deux images. La première représente une statue de marbre emblématique, photographiée par l’artiste dans les jardins ou les salles du Metropolitan Museum of Art de New York et de l’Alte Nationalgalerie de Berlin. La seconde, trouvée sur des sites pornographiques, montre un corps dans une posture équivalente à celle de la statue. Par ces associations, Rosenberg réintroduit dans le champ du désir érotique – que la bienséance muséale occulte – des figures comme Lucrèce, Hercule ou Persée.
Disparitions des figures et émergence des pixels…
Après la « redescente » des statues désirantes ou désirables, les figures humaines disparaissent brutalement avec, tel un domino double, deux photographies du même immeuble prises par Alastair Thain (Sarajewo [Sarajevo]). La première date de 1996, juste après la fin du siège qui avait fait des milliers de morts. La seconde témoigne de la reconstruction de la ville. Ces deux paysages urbains sont déserts, aucune présence humaine n’y est perceptible.
Principalement reconnu pour son travail de portraitiste, Alastair Thain a expliqué dans un entretien publié en 2006 par The Guardian, pourquoi aucun personnage n’apparaît dans ses images de Sarajevo : « Une grande partie de la photographie de guerre est un peu pornographique [alors que] l’étude des bâtiments est simple, marquante et méditative. La plupart des gens, heureusement, n’ont pas d’expérience directe de la guerre, mais ils peuvent se reconnaître dans ces constructions. »
L’accrochage se divise ensuite en deux directions.
Vers le haut, l’un des « jpegs » de Thomas Ruff (jpeg rn01, 2005) présente un agrandissement pixelisé d’une image trouvée en ligne représentant la Maison Taylor, construite par Richard Neutra en 1964. Si la pixellisation ajoute pour certain·es une composante picturale aux œuvres de cette série, aucune figure humaine n’apparaît dans cette villa californienne. Sur la droite, une grande impression jet d’encre de Jeff Wall (Headstone on an ossuary, 2007) est presque accrochée au plafond.
Contrairement à ses mises en scène élaborées qui donnent l’illusion d’un cliché tiré de la « réalité », cette image appartient à un groupe de trois vraies photographies documentaires prises en Sicile. Autour d’une pierre tombale, des herbes folles percent un dallage en ruine, et des fils électriques pendent d’un mur surmonté de fleurs fraîches.
Vers le bas, trois photographies de Doug Aitken (Three cords, 2005 ; The 4 th Light, 2004 ; Ultraviolet, 2001) sont associées à un tirage d’Arthur Jafa (L.A. Haze II, 2018). Toutes quatre représentent des paysages urbains nocturnes ou enveloppés de brume, vides de toute présence, et traversés par une atmosphère étrange et oppressante…
Retour inattendu de la figure humaine avec James Barnor
Une photographie de Wolfgang Tillmans (Young Man, Jeddah, a, 2012) vient réunir les deux branches de l’accrochage. Elle précède une présentation en damier d’une dizaine de photographies de James Barnor.
La plupart documentent le quotidien à Accra, au moment de l’indépendance du Ghana et durant les années 1970. La voiture semble avoir été un élément déterminant dans le choix de cette sélection. Le lien entre cette séquence et le reste de l’accrochage reste difficile à saisir. Il s’agit sans doute d’un rappel de l’exposition majeure consacrée au photographe lors des Rencontres en 2022, ainsi que de l’intégration du Portfolio présenté dans la collection Maja Hoffmann/LUMA Foundation, en lien avec le projet des Archives Vivantes.
Reflets dans l’eau et lignes d’horizon…
Une grande photographie de Thomas Struth (Epitaxie, JPL, Pasadena, 2014) semble relancer l’accrochage interrompu par la séquence précédente.
Cette image, prise au Jet Propulsion Laboratory de Pasadena et dépourvue de toute présence humaine, semble interroger « le degré croissant de fascination pour les outils que nous construisons pour étudier le progrès scientifique et matériel [qui] nous détourne du besoin égal de progrès aux niveaux social et politique ».
Cette œuvre introduit une séquence de paysages où les reflets dans l’eau jouent un rôle central.
La série River (1993-1994) de Naoya Hatakeyama engage un jeu optique subtil qui force les regardeurs et regardeuses à s’attarder pour comprendre que, dans les reflets au pied des immeubles, se dessine la rivière Shibuya (illustrée par Hokusai) qui traverse le centre de Tokyo tel un canal en béton à ciel ouvert.
Cette série est interrompue par Buenos Aires (2010) de Wolfgang Tillmans, accrochée de manière à ce que son bord inférieur s’aligne avec la césure entre les deux parties des images de Hatakeyama. L’eau qui s’échappe de la canalisation en PVC de Buenos Aires semble ainsi alimenter le canal à Tokyo…
La césure dans les assemblages photographiques de Naoya Hatakeyama se prolonge avec la ligne d’horizon des deux images de Wolfgang Tillmans (Day Disco, 2005). Elles s’appuient sur Still Water (The River Thames, for Example) (1999) de Roni Horn avec laquelle elles partagent leurs reflets dans l’eau…
Sur la droite, dans des tonalités proches de l’image de Roni Horn, un des Freischwimmer de Wolfgang Tillmans (Freischwimmer 85, 2005) semble nous entraîner sous la surface de l’eau. Celles et ceux qui connaissent le travail de l’artiste savent qu’il ne s’agit que d’une illusion : cette série a été réalisée en laboratoire, sans appareil photo. Comme le précise Tillmans : « Tous les travaux abstraits que vous décrivez comme organiques et liquides, ne proviennent pas de quelque chose. Ils sont purement fabriqués par la source lumineuse utilisée dans le procédé photographique. Il n’y a pas de liquides, pas de pigment, pas d’objet, tout est sec, produit à l’aide de la lumière dans la chambre noire. Après l’exposition lumineuse, la photographie suit un processus normal. »
Au-dessus, l’accrochage se poursuit avec plusieurs panoramas juxtaposés de manière à prolonger leur ligne d’horizon. Cette disposition reprend un accrochage imaginé par Tino Sehgal à la Fondation Beyeler, dans lequel des toiles de Vincent van Gogh, Ferdinand Hodler et Max Ernst se succédaient bord à bord, reliées par un horizon commun dans un enchaînement à la fois subversif et spectaculaire.
L’horizon d’une vue de Venise par Wolfgang Tillmans, dont la présence dans l’accrochage est marquante, se prolonge par celui de la Villa Malaparte (François Halard, Villa Malaparte No. 5, 1998), puis par celui de Big Sur (John Colao, Untitled (Big Sur), 28.11.2001), avant de se poursuivre dans un horizon nocturne de Munuwata (Munuwata Sky, 2011) capté par Tillmans, et enfin dans celui, imaginaire, de Max Ernst (Le courant de Humboldt, 1951-1952). Cette huile sur toile de soixante centimètre de large passe le relais à une magistrale lithographie d’Ellsworth Kelly (The River, 2004) dont les quatre panneaux se développent sur près de trois mètres.
La rivière de Kelly est surmontée par un « transit de Vénus » capturé par Tillmans en 2004. Dans un entretien accordé au Guardian en 2011, il affirmait considérer cette photo comme sa meilleure prise de vue.
Il expliquait : « Un « transit de Vénus » se produit lorsque le soleil, Vénus et la Terre sont parfaitement alignés. Depuis la Terre, on peut observer un petit disque noir – Vénus – qui se promène lentement sur le soleil pendant plusieurs heures. Ce phénomène se répète tous les 243 ans. Le 8 juin 2004, le transit le plus récent s’est produit, et c’est la première fois qu’un être humain vivant à l’époque a pu le voir. L’observation du passage de 2004 à l’aide de mon télescope, que j’ai conservé de mon adolescence obsédée par l’astronomie, n’avait aucune valeur scientifique, mais c’était émouvant de voir la mécanique du ciel. Voir une planète se déplacer devant une autre me donnait une idée visuelle de ma position dans l’espace. De temps en temps, je remplaçais l’oculaire du télescope par un adaptateur d’appareil photo pour mon reflex 35 mm. Pour que ce soit sûr, la lumière du soleil doit être tellement réduite que le temps d’exposition est d’un quart de seconde. Étant donné le fort grossissement du télescope, il est difficile d’éviter les secousses. En tout, j’ai réussi à prendre sept bonnes photos. La teinte rose est la couleur du filtre mylar que j’ai utilisé. »
Abstractions et têtes à têtes…
Plusieurs œuvres de Wolfgang Tillmans semblent jouer un rôle de point d’inflexion dans ce long enchaînement d’œuvres imaginé par Tino Sehgal. C’est de toute évidence le cas de Provo, Utah and the Wasatch Range of the Rocky Mountains (2023), dont les plis de la surface terrestre, à la fois texturés et évanescents, constituent une transition formelle manifeste entre les reflets à la surface de La rivière d’Ellsworth Kelly et les quatre toiles de Rudolf Stingel (Sans titre, 2019) sur lesquelles s’appuie l’accrochage du quatrième mur…
Ces tableaux abstraits de Stingel ont été créés pour l’exposition que la Fondation Beyeler lui a consacrée en 2019. Ils étaient alors décrits ainsi dans les documents à destination des visiteur·euses :
« [Ces peintures] racontent clairement, à travers la structure de leur surface, l’histoire de leur genèse. Les traces d’un processus d’élaboration complexe s’y disséminent en délicates textures. Comme dans la technique du drapé mouillé de la statuaire grecque (on jette des étoffes mouillées sur un modèle vivant, les plis gardent ensuite la forme voulue), les empreintes laissées par les plis du tulle transforment la surface plane de la toile en volumes tridimensionnels, en éveillant l’impression d’austères paysages parcourus de veines saillantes, de fins épidermes scintillants qui paraissent s’étendre dans l’espace. »
Les premières œuvres de ce type ont vu le jour à la fin des années 1980. Rudolf Stingel en a détaillé la fabrication dans son livre d’artiste Mode d’emploi publié en 1989. À l’aide de photographies, il y expose pas à pas, en six langues, le processus de création de ses œuvres abstraites, donnant à chacun·e les moyens de produire une œuvre à la manière de Stingel, tout en soulignant l’ambivalence entre un original et sa copie…
Une toile remarquable de Mark Tobey (Oncoming White, 1972) prolonge les œuvres de Stingel et introduit une séquence magistrale en noir et blanc qui interroge à nouveau les relations entre figure et abstraction, entre peinture et photographie.
Au centre, une œuvre de la série « Masculin/Féminin » de Ian Wallace dans laquelle sont associées des images extraites de films français et italiens de la Nouvelle Vague à des aplats monochromes de peinture acrylique. L’œuvre intitulée Masculin/Féminin (Scène de café) (1997–2007) insère, entre deux bandes verticales noire et blanche, une photographie de la première scène du film de Jean-Luc Godard où Paul (Jean-Pierre Léaud) rencontre Madeleine (Chantal Goya) dans un café.
À gauche et à droite, Sehgal a placé White Square et Black Square (1953), deux huiles sur bois parmi les dernières œuvres peintes à Paris par Ellsworth Kelly. Ces tableaux évoquent de manière évidente le Carré noir (1913) de Malevitch.
Au-dessus et en dessous de l’image tirée du film de Godard sont accrochés les deux portraits de Joseph Beuys (1980) réalisés par Andy Warhol, recouverts d’une fine couche de poussière de diamant et conservés dans la collection Beyeler.
L’ensemble est installé de façon à ce que toutes les lignes de séparation entre noir et blanc s’alignent avec précision. Cette rigueur formelle interroge les tensions et les oppositions entre masculin et féminin, avec l’assemblage de Wallace où le face-à-face entre Paul et Madeleine introduit l’étonnante série de têtes à têtes sculpturaux qui suivent.
Les deux sérigraphies en positif et en négatif du portrait de Beuys par Warhol interrogent la dualité d’une même image et les relations équivoques entre portrait photographique et son interprétation en « peinture », renforcées ici par l’illusion d’une poussière de diamant – en réalité trop poudrée et trop matte – qui n’est au bout du compte que du verre moulu…
Cette séquence en noir et blanc s’achève avec une œuvre de Tobias Rehberger (Untitled, 2012), proche de l’Op Art, qui joue de l’ambiguïté entre peinture et sculpture et constitue un nouveau point d’inflexion dans l’accrochage.
Son panneau mural repose sur une illusion d’optique : tantôt il semble surgir du mur, tantôt le traverser. Il prolonge le regard depuis la planéité du Black Square de Kelly jusqu’à deux grandes photographies très colorées de Shirana Shahbazi (Komposition-47-2012 et Komposition-22-2011), dont les compositions abstraites ne sont, elles aussi, qu’illusions. Shahbazi affirme vouloir montrer que « la perception est un processus de construction élaboré qui ne dépeint jamais la réalité, mais la met en scène »…
Cette question de la perception se retrouve dans No.105, September to December (1991) de Jean-Luc Mylayne, image composée à partir de trois négatifs qui, par un jeu de miroirs, laisse deviner une forme de poisson.
Un poisson qui semble capter l’attention d’un chaton photographié de face et de dos dans une paire d’images de Roni Horn (Untitled (Kitty Cat), 2000), mettant en évidence l’incapacité de la photographie à saisir un être vivant dans sa totalité. La boucle semble ainsi bouclée avec ces deux images qui font écho, à distance, aux photographies jumelées de la série a.k.a..
Posée sur un socle blanc, la partie sculptée de l’œuvre de Tobias Rehberger introduit une fascinante séquence de tête-à-tête entre sculptures qui se tournent les unes vers les autres, plutôt que vers les visiteur·euses.
On y retrouve en partie la magie de l’expérience éprouvée l’an dernier à la Fondation Beyeler.
À l’image de l’accrochage mural qui leur sert de toile de fond, ces duos oscillent entre figuration et abstraction, jouent des rendus de surface et dessinent une élégante courbe qui oblique vers la baie vitrée, conduisant les visiteur·euses vers la fin du parcours.
Ainsi le bronze poli de Mademoiselle Pogany II (1925) de Constantin Brancusi regarde avec timidité la figure sombre et rugueuse de Éli Lotar III (assis) (1965) d’Alberto Giacometti…
À côté, les figures fantomatiques empilées d’Enrico David (Putting Up With It et The Assumption of Weee, 2014) évoquent à la fois les corps enveloppés d’Edvard Munch, les mouvements décomposés d’un tableau futuriste ou encore les séquences photographiques de Muybridge.
Deux bustes féminins de Thomas Schütte (La femme de Walser, 2011 et Troisième sœur, 2013) semblent se défier comme la laque sur aluminium de la première paraît s’opposer au bronze patiné de la seconde…
Deux petites sculptures de Hans-Peter Feldmann, probablement en plâtre peint, semblent avoir été désunies. L’une est tournée vers une imposante Tête de femme (2006) de Thomas Schütte, l’autre observe de près un Dôme à champignons multiples (2012) de Carsten Höller. Dans cette structure mycologique hybride, on croit reconnaître le champignon « volant » qui s’anime au-dessus des dormeur·euses de la Dream Hotel Room conçue par Höller en collaboration avec Adam Haar, que l’on peut expérimenter en début de parcours.
A gauche : Thomas Schütte – Tête de femme, 2006. Bronze patiné et Hans-Peter Feldmann – Petite sculpture, 1960. A droite : Hans-Peter Feldmann – Petite sculpture, 1960 et Carsten Höller – Dôme à champignons multiples (Amanita muscaria/Coprinus comatus/Boletus edulis/Pleurotus ostreatus), 2012 – Danse avec les démons à Luma Arles
Ces deux « couples » se reflètent dans un miroir mural en deux morceaux de Jeff Koons (Split Walrus/Hippo, 2005), où fusionnent deux des figures emblématiques de l’artiste américain.
Plus loin, deux assemblages de pierres peintes d’Ugo Rondinone (montagne rouge jaune orange et montagne jaune orange rouge rose, 2015) précèdent le face-à-face entre Alpine (2004) de Rebecca Warren et Un rocher sur un autre rocher ; Alternative 5 (2010-2013) de Peter Fischli et David Weiss.
Ugo Rondinone – montagne rouge jaune orange et montagne jaune orange rouge rose, 2015. Pierre peinte et Peter Fischli et David Weiss – Un rocher sur un autre rocher ; Alternative 5, 2010-2013. Argile crue face à Rebecca Warren – Alpine, 2004. Argile peinte et socle – Danse avec les démons à Luma Arles
Derrière une vitre, on découvre Une accumulation d’objets (1984-2013) de Fischli et Weiss, parfois présentée sous le titre La consistance des choses. Depuis le milieu des années 1980, les deux artistes ont réalisé des répliques d’objets de consommation, à l’échelle 1:1, en mousse de polyuréthane expansé, qu’ils ont ensuite peintes. Cette entreprise de reproduction des « choses du monde » s’est étirée sur plusieurs décennies…
À propos de ce projet, certain·es ont noté :
« On pourrait se dire que ces sculptures, constituées à 90 % d’air, marquent la transformation de l’objet en signe. Paradoxalement, elles nous introduisent aussi à la singulière présence des choses. Comment ces coquilles vides peuvent-elles s’épaissir, acquérir de la profondeur ? Comment ces images sans consistance s’enflent-elles au point de coïncider avec les choses, dont la fréquentation quotidienne donne forme à notre vie ? »
Cette installation sculpturale ne manque pas d’évoquer aussi Le cours des choses (Der lauf der dinge), vidéo-performance-spectacle-sculpture sans acteurs humains visibles et œuvre iconique de Fischli et Weiss…
Au-delà, le parcours sculptural se conclut avec deux versions des Coupes superposées (1947 et 1960) de Hans Arp, séparées par une des trois formes géométriques en médium peint d’Angela Bulloch (Short Cardinal – Never Ending, 2015) qui rappelle inévitablement la Colonne sans fin de Brancusi.
Une version réduite de White Snow, Balloon Dog (light blue) de Paul McCarthy, qui accueillait les visiteur·euses lors de la Frieze Art Fair à New York en 2013, semble regarder avec attention ou avec incrédulité Le Bien contre le Mal (2003) de Maurizio Cattelan… à moins qu’avec indifférence il se contente d’observer ce qui se passe derrière la fenêtre…
Les Idioms de Pierre Huyghe
Comme à la Fondation Beyeler, trois masques dorés issus de la série Idioms (2024) de Pierre Huyghe sont placés à différents endroits de l’exposition. Équipés de capteurs, ils détectent des informations spécifiques, dont certaines imperceptibles aux humains. Ces données sont ensuite converties en syntaxe et en phonèmes singuliers, qui s’étoffent progressivement. Les Idioms, entités sans corps, se déplacent dans l’espace et deviennent peu à peu une communauté s’exprimant à partir d’une réalité qui n’est plus la nôtre…
Pierre Huyghe – Idiom, 2023. Voix générée en temps réel par l’intelligence artificielle, masques LED doré – Danse avec les démons à Luma Arles
Une bibliothèque aussi grande que le monde de Federico Campagna et Dozie Kanu
Cette bibliothèque de 800 livres, conçue et sélectionnée par le philosophe Federico Campagna et ses collaborateur·rices, constitue un « tout-monde » organisé selon le cycle des quatre saisons d’une vie.
L’été – dont la lumière éclatante vire au noir, symbolisée par des pastilles blanches – engendre la croyance que la réalité pourrait être circonscrite et expliquée par des structures conceptuelles rigides.
L’automne – tout en verdure et moisissure, matérialisé par des pastilles vertes – déconstruit les cadres théoriques et attise les doutes et les rébellions à l’égard de ce qui semblait incontestable.
Lorsque l’hiver arrive – blanc et incolore, figuré par les pastilles blanche -, la réalité redevient, mystérieuse, absurde, magnifiquement menaçante.
Enfin, le printemps rouge, couleur sang, (évoqué par des pastilles rouges) apporte la conscience que le monde est une fiction bâtie au bord d’un abîme.
Puis le cycle reprend de nouveau.
À Bâle, cette bibliothèque empruntait sa forme aux jardins de Pantelleria. Frida Escobedo avait imaginé un espace circulaire, clos et isolé du reste de l’exposition. Sa structure, composée de papier mâché ensemencé, devait être enfouie à la fin de l’exposition pour se décomposer et donner naissance à un jardin de fleurs…
À Arles, l’artiste et designer Dozie Kanu a imaginé une structure circulaire et ouverte sur les autres œuvres. Réalisée en fer forgé, en métal et en verre, elle est suspendue au plafond par de lourdes chaînes. En son centre, un espace de lecture se déploie autour d’assises individuelles, fabriquées à partir de matériaux trouvés. La bibliothèque est activée tout au long de l’exposition par un club de lecture mené en collaboration avec des professeur·es et chercheur·euses de la région.
Alto (2024) de Cildo Meireles
Comme à la Fondation Beyeler, la voix d’Íris Lettieri, connue pour ses interventions à la télévision et à la radio brésiliennes, ainsi que pour ses annonces à l’aéroport international de Rio de Janeiro, emplit un espace rigoureusement défini par Cildo Meireles. Dans les quatre coins d’une pièce, des haut-parleurs de tailles variées énoncent les mesures d’un mètre de charpentier (200 cm) : le plus grand émet le son le plus faible, tandis que le plus petit produit le son le plus fort, introduisant un jeu entre volume sonore et échelle des enceintes. Ce son répétitif et régulier crée une ambiance à la fois mystérieuse et presque spectrale, où se confondent des réalités sensuelles et mathématiques…