Dès le 1er mai 2025, Luma Arles présentera « Danse avec les démons », une exposition dont le titre changera au fil des semaines. Cette nouvelle itération d’un projet construit en partenariat entre la Fondation Beyeler et LUMA Foundation prolonge une première édition l’an dernier à Bâle, du 19 mai au 11 août. Cette proposition avait alors particulièrement marqué les esprits de celles et ceux qui ont eu le bonheur d’en faire l’expérience. Son caractère surprenant, novateur, voire iconoclaste, la richesse de son casting et la difficulté à la décrire ont suscité de multiples commentaires au point d’être parfois qualifié de « sujet de conversation numéro un dans le monde de l’art contemporain ».
À Bâle-Riehen, le musée conçu par Renzo Piano et son parc environnant avaient été transformés en un lieu d’exposition expérimental. La collection prenait vie à travers des accrochages inattendus, en partie renouvelés en présence des visiteurs. À l’extérieur, le paysage était périodiquement métamorphosé.
Imaginée comme un organisme vivant qui change et se métamorphose, l’exposition s’est enrichie des contributions de nombreux participants, chacun intervenant à différentes étapes de sa réalisation. Son titre a évolué au fil du temps, passant de Dance With Daemons à Cloud Chronicles, All My Love Spilling Over, Echoes Unbound, et bien d’autres, jusqu’à Summer Is Over.
L’itération de Luma Arles prendra place dans le parc paysager conçu par Bas Smets et dans la Galerie Principale au niveau -2 de la Tour imaginée par Frank Gehry.
Une partie de l’équipe curatoriale réunie à Bâle devrait être reconduite. Sam Keller, Mouna Mekouar, Isabela Mora, Hans Ulrich Obrist, Precious Okoyomon, Philippe Parreno et Tino Sehgal avaient travaillé en étroite collaboration avec les participants et le personnel de la Fondation Beyeler. Elle sera sans doute enrichie par plusieurs acteurs de Luma Arles
Si les expériences proposées au public différeront en partie, l’esprit de cette exposition expérimentale sera préservé, avec l’ambition de « stimuler la liberté artistique, les échanges interdisciplinaires et la responsabilité collective »… Une approche qui était alors définie par Philippe Parreno et Precious Okoyomon comme reconnaissant « les complexités et les incertitudes qu’implique le fait de réunir des artistes, tout en se saisissant de ces enchevêtrements comme partie intégrante du processus créatif »…
Dans le parc…
Le parc accueillera probablement certaines installations de Riehen, dont l’imposante tour/totem de Philippe Parreno (Membrane 2, 2024).
Philippe Parreno – Membrane 2, 2024. Géo-polymère, acier, PLA, LED, 42 capteurs, moteurs, microphones et enceinte – « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024
Dans cette structure en métal et géo-polymères réside un personnage dépourvu de nom et de forme physique. Des capteurs détectent divers phénomènes environnementaux. Dotée d’une perception non visuelle, elle traduit des signaux électroniques en sons modulés. L’actrice Bae Doona a prêté sa voix au personnage, auquel elle donne une profondeur émotionnelle humaine. « Membrane parle une langue construite dénommée ∂A, dont la syntaxe verbe-sujet-objet (VSO) est une fonction dérivée qui évolue en réaction à différentes conditions locales ».
Precious Okoyomon – The sun eats her children, 2024. Fleurs, papillons, son et animatronique – « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024. © Precious Okoyomon, Photo Stefan Bohrer et Mark Niederman
On devrait également retrouver la serre de Precious Okoyomon (The Sun Eats Her Children, 2024), où des papillons butinent des plantes vénéneuses, et y découvrir dans un sommeil agité, Beloved, un ours en peluche animatronique semblant tout droit sorti de Five Nights at Freddy’s.
Fujiko Nakaya, Untitled, 2024. Eau potable, 1000 buses à brouillard MeeFog, moteur de pompe haute pression – « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024. © Fujiko Nakaya, photo Stefan Bohrer
Comme à la Fondation Beyeler, les 1000 buses à brouillard de Fujiko Nakaya (Untitled, 2024) engloutiront périodiquement le paysage, l’architecture et les œuvres d’art d’une brume avec l’ambition de rendre « les choses visibles invisibles et les choses invisibles – comme le vent – visibles ».
Le nuage mystérieux de Dominique Gonzalez-Foerster (Untitled (nuage), 2024) et ses créatures volantes pourraient également être de la partie.
Collections en mouvement…
Le programme qui se développera dans la Galerie Principale au niveau -2 de la Tour demeure l’inconnu de cette nouvelle itération du projet… On peut toutefois imaginer que le concept curatorial pensé par Tino Sehgal pour mettre en mouvement l’exceptionnelle collection permanente de la Fondation Beyeler soit renouvelé ici. Reste à découvrir les œuvres qui entreront dans les chorégraphies qu’il proposera.
À Bâle, Tino Sehgal avait fait voler en éclats les barrières entre périodes picturales et les codes de l’accrochage traditionnel. Une mise en scène iconoclaste et en permanente évolution avait transformé le commissariat en performance. L’exposition était en remaniement constant, donnant l’impression qu’elle était toujours en cours d’installation. Les régisseurs déplaçaient des œuvres sous les yeux des visiteurs·euses pour modifier leur présentation.
Pour celles et ceux qui ont pu les voir, plusieurs séquences restent inoubliables.
On peut citer par exemple le démembrement d’un triptyque de Francis Bacon dont le panneau central était accroché bord à bord avec une toile abstraite de Rudolf Stingel, tandis qu’une sculpture d’Alberto Giacometti regardait avec intensité le tableau de Bacon.
Collection en mouvement : Alberto Giacometti, Francis Bacon et Rudolf Stingel – « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024.
Autre moment singulier, l’enchaînement subversif et spectaculaire de toiles de Vincent Van Gogh, de Ferdinand Hodler et Max Ernst accrochées bord à bord et reliées par une ligne d’horizon commune… Cette ligne s’achevait par une courbe ascendant vers un espace matérialisé par deux superbes images de Wolfgang Tillmans…
Entre les Nymphéas (1916-1919) et La Cathédrale de Rouen : Le Portail (Effet du matin) (1894) de Claude Monet, Tino Sehgal avait placé le grand Nuage (1976) de Gerhard Richter.
En face, La malade (1914-1915) de Ferdinand Hodler précédait Le désespoir de la vieille (2020), Missing Picasso (2013) et Nuclear Family (2013) de Marlène Dumas, séparés par deux portraits de Joseph Beuys (1980) sérigraphiés par Andy Warhol.
Plus loin, une ligne réunissait Roni Horn, Josef Albers, Piet Mondrian, Wassily Kandinsky et George Braque. Dans la salle suivante, un accrochage très en hauteur s’achevait par la chute inexorable de tableaux d’Ellsworth Kelly…
Cote à côté et sagement alignées par le haut, deux toiles de Picasso et deux tableaux de Fernand Léger encadraient la superbe Femme lisant (1911) de Georges Braque.
L’exposition bâloise offrait encore d’étonnants face-à-face entre des sculptures de la collection que l’on espère sans trop d’illusions voir également à Arles…
On se souvient de This Element, la performance réalisée à intervalle régulier par des membres du personnel qui chantent un air composé par Tino Sehgal pour La Tour lors de l’ouverture de Luma Arles en 2021…
Avec This Joy, Tino Sehgal rendait hommage l’été dernier à Bâle, à six compositions de Beethoven et transposait dans une dimension physique la joie qui émane de cette musique… On peut supposer que cette pièce ou une autre soit également présentée à Arles.
Œuvres et installations…
Plusieurs œuvres et installations présentes en Suisse devraient faire le voyage en Camargue. Le communiqué de presse mentionne les contributions, entre autres, de Federico Campagna, Dozie Kanu, Carsten Höller et Adam Haar, Pierre Huyghe, Cildo Meireles…
On devrait donc retrouver la forme circulaire de la bibliothèque imaginée par Frida Escobedo pour présenter les 800 livres en cycle à quatre sections de A Library As Large As The World (2024) de Federico Campagna.
Federico Campagna et Frida Escobedo, A library as big as a world, 2023, Courtesy of the artists – « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024. Photo Mark Niedermann
Les sièges (Chair (xx) (Fondation Beyeler Security), 2024) dessinés par Dozie Kanu pour le public et les gardien·ne·s devraient certainement être ici et là dans la Galerie Principale de la Tour. Il en sera sans doute de même pour les masques (Idiom, 2024) de Pierre Huyghe. On peut imaginer que la commande faite à Rachel Rose d’une série d’images montrant des espaces de la Fondation Beyeler que l’on voit sans y accorder une grande attention sera renouvelée pour les mêmes lieux à Luma Arles.
Dozie Kanu – Chair [ xx ] (Fondation Beyeler Security), 2024 – Pierre Huyghe – Idiom, 2024 – Rachel Rose – What Time Is Heaven, 2024. « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024.
Le Dream Bed de Carsten Höller et Adam Haar (Dream Hotel Room 1: Dreaming of Flying with Flying Fly Agarics, 2024) sera également réinstallé à Arles. Les visiteurs·ses pourront en faire l’expérience pendant leur visite pour une durée de 60 minutes et réserver pour les nuits du vendredi au samedi. Le « Dream Bed » est un robot qui se déplace pendant le sommeil. Les rêves sont décelés par des capteurs intégrés au matelas et les phases de sommeil et l’intensité des rêves sont synchronisées avec les mouvements du lit. Au moment de s’endormir et au réveil, un champignon tourne au-dessus du lit…
Retrouvera-t-on aussi les Pill Clock (2015) de Carsten Höller qui tombaient du plafond toutes les trois secondes ?
Carsten Höller – Pill Clock, 2015 – « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024
À la Fondation Beyeler, un espace rigoureusement conçu et défini par Cildo Meireles pour Alto (2024) avait été aménagé pour accueilli les quatre enceintes qui diffusaient inlassablement la voix d’Íris Lettieri… L’installation devrait être reproduite à Arles…
Faudra-t-il comme à Bâle traverser le rideau de perles de Felix Gonzalez-Torres (Untitled (Beginning), 2002) pour entrer dans l’exposition ? Pourra-t-on revoir le très beau LomI (2022) d’Arthur Jafa,découvrir le film stéréoscopique en 3D de Cyprien Gaillard (Retinal Rivalry, 2024) et les simulations d’écologies numériques actives d’Adrián Villar Rojas (The End of Imagination VI et VII, 2024) ?
Cyprien Gaillard – Retinal Rivalry, 2024 – Adrián Villar Rojas – The End of Imagination VI et VII, 2024 et Felix Gonzalez-Torres – Untitled (Beginning), 2002 – « Danse avec les démons » à la Fondation Beyeler, Bâle-Riehen 2024.
Luma Arles pourrait réserver d’autres surprises…
À la Fondation Beyeler, certains ont cru percevoir une forme de nostalgie de l’esthétique relationnelle… D’autres y ont décelé une proposition repoussant les frontières traditionnelles de l’art où « les œuvres ne sont pas des reliques intouchables, mais des entités vivantes destinées à résonner avec les spectateurs et à leur procurer du plaisir »… D’autres encore ont pu écrire que tout y était « mutant, transitoire, incertain, formant un manifeste d’une pensée autre et nécessaire sur le monde contemporain. Et pour le futur des expositions »…
Entre « Chroniques des nuages », « Rêves de fantômes », « Miroirs en fusion » et bien d’autres, « Danse avec les démons » s’annonce comme un rendez-vous incontournable avant que « L’été se termine ».
Chronique à suivre après le vernissage.
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