Jusqu’au 10 mai 2025, Joëlle Gay présente « Brise de terre » à la Galerie AL/MA, une exposition à la fois précise et délicate, qui prolonge avec justesse celle d’Arnaud Vasseux, proposée en mars dernier.
Dans cette exposition, Joëlle Gay réunit des œuvres récentes qui traduisent une relation attentive à un territoire proche, ainsi qu’un regard curieux et tendre porté sur des objets d’usage. Artiste, sculptrice, enseignante à l’École des Beaux-Arts de Montpellier, Joëlle Gay est aussi ethnologue. Elle revendique dans son travail la manifestation de la « pensée archipélique » chère à Édouard Glissant. On lira à ce propos le texte qu’elle a produit pour l’exposition, auquel on emprunte beaucoup et que l’on reproduit ci-dessous.
On se souvient de son exposition « Stanza » à Aperto, il y a près de dix ans, et du sens aiguisé de la mise en scène dont elle avait fait preuve pour présenter les petites sculptures fragiles, légères et délicates qui composaient sa série. Son intérêt pour les formes scéniques s’est affirmé à travers de nombreuses collaborations et la mise en œuvre de multiples actions.
L’accrochage de « Brise de terre », imaginé avec Marie Caroline Allaire Matte, prolonge cette attention dans un dispositif précis, équilibré et d’une parfaite élégance.
Une série de dix boomerangs en grès émaillé (Boom-a-rang, 2024-2025), de formats et de teintes variés, trace un horizon légèrement au-dessus du regard, comme un repère spatial. À l’origine du projet, cette collection marque pour la galeriste « une mesure du territoire et de l’espace, un repère originel et une relation au paysage ».
Joëlle Gay – Boom-a-rang, 2024-25. Céramiques en grès émaille. 7 à 65cm – Brise de terre à la Galerie AL/MA, Montpellier
Joëlle Gay raconte :
« Il y a plusieurs mois, j’ai fixé un boomerang au mur comme on accroche un cintre au clou – laissé là – et ce, tout en poursuivant la réalisation des vases et des outres d’eau.
Un jour d’évidence, j’ai commencé à modeler un boomerang en grès, puis dix, puis vingt… Établissant un niveau du regard, une ponctuation, ils rehaussent le ciel et déterminent un dessus, un dessous. Mes boomerangs ne volent pas. Ils ne sont ni conçus pour voler, ni disposés pour feindre un aérodynamisme illusoire, mais s’inscrivent dans l’espace du mur tel un motif, une crête, un horizon, la mer. »
Sous cette ligne de boomerangs, l’artiste dispose des pièces évoquant un archipel. Elles appartiennent sans doute à l’ensemble des îles de l’archipel « Les Hissés » sur lequel Joëlle Gay semble travailler depuis la préparation de son exposition à l’Atelier Dahu à Sète, en avril 2023.
À gauche de l’entrée, une cruche suspendue (Fontaine, 2024) accompagne trois délicates céramiques posées sur un banc de plâtre (Eau douce, 2025). De couleur ocre, ces poteries en grès non émaillé sont parsemées de paillettes de mica qui jouent subtilement avec les changements de la lumière. Façonnées au colombin, elles reprennent les formes d’objets usuels. Ces sculptures dont les petits tétons pourraient indiquer le genre évoquent une féminité ténue, proche de certaines figurines des Cyclades.
Joëlle Gay – Eau douce, 2025. Plâtre, 3 céramiques en grès, 54 x 68 x 39 cm – Brise de terre à la Galerie AL/MA, Montpellier
À propos de ces formes, Joëlle Gay écrit :
« J’observe les pots, les jarres, les cruches, les vases, j’apprécie leur creux, leur diversité, leur pertinence et leur justesse. Justesse dans la prise en main, justesse du bec verseur d’où l’eau s’écoule. J’ai une tendresse, un intérêt puissant pour ces objets. J’aime leur modestie, leur retrait, ils me parlent de sculpture, d’eau douce, de ma main et de celles des autres ».
Face à ces pièces, Outre-mer (2025) repose sur un tabouret. Il s’agit d’un récipient en plâtre, auquel une anse de récupération a été ajoutée, créant un objet hybride, fruit d’un processus de créolisation qui atteste sans doute du « lien et de l’attachement à une identité-rhizome » qu’elle revendique et dont manifeste le titre de l’œuvre.
En face de l’entrée, deux formes élancées en plâtre, posées sur des socles cylindriques en céramique, forment Sororité (2025). Elles évoquent deux figures féminines et rappellent l’installation Sœur Océanique, présentée dans l’exposition « + ou -1,5° » à l’Orangerie du jardin des plantes de Montpellier.
Entre les deux portes-fenêtres, une rame issue de la collection personnelle de l’artiste est suspendue, témoignant de son regard à la fois ethnographique et plastique sur les gestes, les pratiques, les objets de diverses cultures.
Un passage par la Galerie AL/MA s’impose pour respirer la « Brise de terre » qui se lève face aux « îles de l’archipel “Les Hissés”, où la mer lie plus qu’elle ne sépare » ! Là, où les boomerangs viennent se poser après leurs trajectoires tournoyantes.
À lire, ci-dessous, le texte de Joëlle Gay auquel on a beaucoup emprunté et quelques repères biographiques.
En savoir plus :
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Joëlle Gay à propos de Brise de terre à la Galerie AL/MA, Montpellier
« Si mon expérience du paysage s’enracine toujours dans un lieu particulier, ce particulier aimante toujours d’autres lieux, d’autres mobiliers du monde. Ainsi Brise de Terre comme Sœur Océanique font partie d’un ensemble de pièces, îles de l’archipel Les Hissés, où la mer lie plus qu’elle ne sépare.
J’ai un vœu enfantin persistant, celui de m’inscrire dans l’évidence d’un monde où les cultures, les êtres, les imaginaires, du proche et du lointain, entreraient en relation hors territoire fermé, tels des îles d’un archipel. Cette pensée archipélique investit par le poète et écrivain Édouard Glissant se manifeste dans le travail par des appositions, cohabitations, correspondances de formes et d’intentions non prévisibles. Je convie et reconduis tout autant des gestes, pratiques, mobiliers issus des peuples premiers que diverses cultures de proximité géographique, une manière de rendre visible, audible mon lien et mon profond attachement à une identité-rhizome*.
J’observe les pots, les jarres, les cruches, les vases, j’apprécie leur creux, leur diversité, leur pertinence et leur justesse. Justesse dans la prise en main, justesse du bec verseur d’où l’eau s’écoule. J’ai une tendresse, un intérêt puissant pour ces objets. J’aime leur modestie, leur retrait, ils me parlent de sculpture, d’eau douce, de ma main et de celles des autres.
Je fais confiance à mes cueillettes, aux matériaux glanés, à ceux qui me regardent. En dormance dans l’atelier, ils peuvent rester ainsi un jour, des mois à voisiner des pièces en train de se faire. Puis, de manière inattendue, selon une logique de coévolution des ensembles en présence, certains s’activent. Il y a plusieurs mois, j’ai fixé un boomerang au mur comme on accroche un cintre au clou – laissé là – et ce, tout en poursuivant la réalisation des vases et des outres d’eau.
Un jour d’évidence, j’ai commencé à modeler un boomerang en grès, puis dix, puis vingt… Établissant un niveau du regard, une ponctuation, ils rehaussent le ciel et déterminent un dessus, un dessous. Mes boomerangs ne volent pas. Ils ne sont ni conçus pour voler, ni disposés pour feindre un aérodynamisme illusoire, mais s’inscrivent dans l’espace du mur tel un motif, une crête, un horizon, la mer. »
Joëlle Gay, 2025
Joëlle Gay – Repères biographiques
Joëlle Gay, artiste, sculpteur, vit et travaille à Montpellier en tant que professeur de volume/installation à l’École des Beaux-Arts de Montpellier. MO.CO. Depuis 1989.
Son intérêt pour la dimension anthropologique et artisanale de la praxis se manifeste tant dans sa pratique d’artiste que dans son enseignement.
De 1984 à 2000, cet intérêt se traduit par son implication dans deux collectifs, l’un artistique A.C.A.L. et l’autre scientifique Clair de terre (Association d’ethnologues et d’artistes).
Ses expositions à partir de l’exposition Stanza en 2016 à la galerie Aperto, marquent une étape décisive dans son travail et ses préoccupations, liées à la fois à sa vision de l’espace scénique ainsi qu’à l’élaboration continue d’un vocabulaire lié à l’objet sculptural.
Ses inspirations viennent aussi de l’intérêt de ses recherches pour les questions liées au corps en scène, le corps performatif la rapprochant du champ de la danse, du cinéma et du théâtre expérimental. Cela se met en œuvre par trois actions concrètes :
– La fondation du collectif d’artistes DHS (DeHorSéries) de 2003 à 2014 avec Claude Sarthou, Rachid Sayet, Patrick Saytour, Annie Tolleter, Cédric Torne.
– Des interventions dans le cadre d’EXERCE, formation pour danseurs professionnels au Centre Chorégraphique National Languedoc Roussillon, où elle intervient en tant qu’artiste sous la proposition des chorégraphes Mathilde Monnier et Emmanuelle Huynh.
– Enfin au sein de son enseignement, de 2008 à 2018, par la création du programme de recherche Du périmètre scénique en art : re/penser la skéné dont elle est responsable et membre fondateur.
Depuis 2019, ses intérêts pour le vivant s’actualisent par la création d’un nouveau groupe de recherche avec sept autres enseignants artistes et philosophe, Le Champ du vivant qui propose un espace de réflexions et d’actions autour de la question de la biodiversité et du vivant.