Du 10 juin au 24 septembre 2017, Jean-Michel Othoniel investit l’ensemble du CRAC, Centre Régional d’Art Contemporain à Sète avec une spectaculaire exposition d’œuvres récentes et monumentales.
Dans un entretien avec Noëlle Tissier, directrice du CRAC et commissaire de l’exposition, Jean-Michel Othoniel évoque ainsi ce qui structure ce projet :
« Les différentes couleurs du noir et l’épure des formes inspirées de la nature sont la ligne directrice de cette exposition. Tous les éléments convoqués, tels que le verre, le miroir, le métal, l’encre ou l’obsidienne des volcans arméniens, participent de ce désir d’enchantement violent, minimal et tellurique.
La visite se déroule ainsi du noir de l’océan originel, passant par la puissance de la nature indomptable et de ses reflets, jusqu’à l’apaisement né de la simple contemplation d’une fleur fragile. Une pensée sauvage, un violet profond, suggère un désir d’élévation et de calme ».
Les œuvres puissantes interpellent le visiteur. La magie des matériaux, les jeux infinis avec la lumière, la multiplication des reflets, la dimension des sculptures et leur présence dans les espaces dominent de spectateur. Sans jamais l’écraser, elles lui offrent l’occasion d’être à la fois partie intégrante des œuvres et acteur de leur exposition.
L’ensemble reste toujours léger et délicat, à la fois « poétique et politique », même si l’on semble percevoir assez souvent de sombres grondements assourdis et indistincts.
Il faut un regard aigu et rationnel pour entrevoir l’exigence des études préparatoires, l’envergure des projets en 3D, la rigueur des analyses mathématiques, l’anticipation des contraintes et des déformations des matériaux qui ont précédé ces sculptures où le beau semble une évidence !
La magie de ces « Géométries Amoureuses » place le spectateur face à des œuvres où l’importance du travail préparatoire et l’engagement des 14 personnes qui collaborent dans le studio Othoniel semblent s’évaporer.
À l’évidence, cette exposition de Jean-Michel Othoniel, à Sète comme à Montpellier, marquera l’été 2017 dans le sud de la France.
La Grande Vague et Œuvres nouvelles
La Grande Vague
Dès la première salle, le regardeur est clairement submergé par la puissance et la monumentalité de The Big Wave (2016). Cette pièce impressionnante de 6 mètres de haut et 15 mètres de long est composée de plus de dix-mille briques de verre noir. Elle évoque à la fois le tsunami de Fukushima, l’expérience du Surf par Othoniel à Hawai, mais aussi la La Grande vague, une photographie réalisée à Sète par Gustave Le Gray en 1857…
Cette dernière renvoie aux Insuccès Photographiques, montrés à Sète à la Caserne Vauban, en 1988, après sa résidence à la Villa Saint Clair, en même temps que les fresques de Yan Pei Ming.
Jean-Michel Othoniel est en effet le « dernier » du projet « les premiers seront les derniers ». Pour terminer une programmation de plus de vingt ans à la tête du CRAC, Noëlle Tissier avait à cœur de ré-exposer trois jeunes artistes qu’elle avait invités à partir de 1988… Elle nous aura ainsi offert trois moments d’exception avec Yan Pei Ming, puis avec Johan Creten et aujourd’hui avec Jean-Michel Othoniel !
Autoportraits en obsidienne
Les salles suivantes présentent un ensemble de mystérieux autoportraits en obsidienne ramenée d’Arménie, Invisibility Face (2015).
Les faces polies de ces masses noires reflètent une image blême, changeante, déformée et énigmatique du regardeur…
Sculptures et peintures
Entre ces deux séries de monolithes sertis dans leurs socles de marronniers, une salle carrée, telle une chapelle, rassemble un ensemble captivant de peintures à l’encre noire sur des fonds de feuilles d’or blanc…
Pour Othoniel, ces lotus noirs « représentent la pureté de la fleur noircie par l’encre, le monde noirci par l’homme ». Les toiles semblent être les ombres incertaines de deux sculptures de perles noires qui portent le même nom, Black Lotus.
Sculptures mobiles
Les dernières salles mettent en scène des sculptures mobiles en perles en aluminium noires, blanches et chromées ou en verre miroité violet. Ces Tornado, Puple Tornado ou Black Tornado occupent magistralement l’espace.
Elles encerclent le corps du visiteur, multiplient à l’infini son reflet dans les miroirs de leurs perles et semblent l’emporter dans un tourbillon infernal.
The Wild Pansy
Le parcours s’achève avec The Wild Pansy, nœud borroméen, seule sculpture qui échappe aux noirs de l’exposition…
Aquarelles et maquettes des fontaines de Versailles
À l’étage, une centaine de dessins réalisés entre 1996 et 2017, montrent l’itinéraire de l’artiste.
Une première salle regroupe des projets qui ont marqué sa carrière depuis le Kiosque des Noctambules pour la station de métro de la place Colette à Paris jusqu’aux Belles Danses pour le bosquet du Théâtre d’Eau dans les jardins du château de Versailles.
La deuxième section présente des dessins plus personnels dont certains n’ont pas été réalisés. Certains sont les études d’œuvres exposés à Montpellier, au Carré Sainte-Anne.
En fin de parcours, on découvre également les aquarelles préparatoires aux œuvres montrées au CRAC.
À lire ci-dessous l’entretien Jean-Michel Othoniel avec Noëlle Tissier et quelques repères biographiques extraits du dossier de presse.
Bien entendu, cette exposition est incontournable !
En savoir plus :
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À lire la chronique de l’exposition au Carré Sainte-Anne à Montpellier
Interview de Jean-Michel Othoniel par Noëlle Tissier (extrait du dossier de presse) :
Pourquoi avoir choisi ce titre pour couvrir les deux expositions ?
« Géométries Amoureuse » est le titre de l’une des œuvres présentées au Louvre en 2004, j’ai décidé de la garder dans ma collection personnelle et elle sera présentée à Montpellier avec les autres pièces de ma collection. Ce titre réunit à lui seul certaines ambivalences qui caractérisent mon travail depuis le début, la sensualité et la rigueur, le caché et le révélé, la blessure et la beauté.
Le fait que la rigueur de la géométrie soit perturbée par l’amour est une figure de l’oxymore qui caractérise aussi mes dernières créations présentées à Sète. Dans ces œuvres nouvelles, je lie la lumière et l’obscurité, le monumental et le fragile, l’austérité et le merveilleux, le minimal et le baroque.
La Grande Vague est une oeuvre monumentale qui prend une dimension architecturale surprenante. Est-ce la configuration du lieu qui a été déterminante, d’où vient cette nouvelle inspiration ?
Les œuvres nouvelles sont presque toutes monumentales, The Big Wave est construite comme une architecture de métal recouverte de verre. Elle a nécessité deux années de travail et plusieurs mois de dessins techniques. C’est vraiment la beauté du lieu qui m’a poussé à construire cette folie radicale, monochrome et abstraite. Elle est composée de plusieurs milliers de briques toutes soufflées en Inde suite à ma résidence chez les verriers indiens.
Cette vague à l’échelle un nous submerge. Elle est pleine de sentiment contradictoire entre tristesse et joie. En 2011, je préparais une exposition au Japon quand le tsunami a frappé Fukushima et comme beaucoup cela m’a bouleversé. Paradoxalement quelques années auparavant j’enseignais à Hawaï et j’avais pu goûter aux joies du surf et expérimenter la violence et la chaleur des rouleaux.
Cette vague est aussi un hommage direct à la première photographie de La Grande vague réalisée à Sète il y a 160 ans par Gustave Le Gray en 1857. J’ai toujours été passionné par la photographie ancienne et mes premières œuvres de jeunesse, étaient des plaques photosensibles qui rendaient hommage à l’alchimie des tout premiers photographes, ces Insuccès Photographiques ont d’ailleurs été montrés à Sète à la Caserne Vauban en 1988 après ma résidence à la Villa Saint Clair.
Les différentes couleurs du noir et l’épure des formes inspirées de la nature sont la ligne directrice de cette exposition. Tous les éléments convoqués, tels que le verre, le miroir, le métal, l’encre ou l’obsidienne des volcans arméniens, participent de ce désir d’enchantement violent, minimal et tellurique.
La visite se déroule ainsi du noir de l’océan originel, passant par la puissance de la nature indomptable et de ses reflets, jusqu’à l’apaisement né de la simple contemplation d’une fleur fragile. Une pensée sauvage, un violet profond, suggère un désir d’élévation et de calme.
Vos premières œuvres en verre étaient en obsidienne, quelle place lui donnez-vous dans votre travail aujourd’hui ?
Ma première œuvre en obsidienne est aujourd’hui montrée dans l’exposition au Carré Sainte-Anne à Montpellier. Elle sera le point de mire de l’installation. Réalisée en 1992 au CIRVA à Marseille, cette oeuvre représente un morceau de corps tronqué posé à même le mur. Ce fragment dont le centre possède un orifice ressemble aussi à un volcan posé sur l’eau. Intitulée Le Contrepet, cette oeuvre a été réalisée suite à un voyage en Italie sur les îles Éoliennes. J’étais parti à la recherche de soufre natif mais durant ce voyage j’ai rencontré une vulcanologue et archéologue qui m’a fait part d’une matière disparue, l’obsidienne de Lipari.
La pierre ponce qui recouvre aujourd’hui Lipari et qui a enfouie à jamais les carrières d’obsidienne depuis le Haut Moyen Âge, est composée du même basalte que l’obsidienne, sauf que l’un s’expanse et l’autre se vitrifie. La vulcanologue m’expliquait que celui qui pourrait refondre la pierre ponce blanche en tirerait l’obsidienne noire.
Porté par cette aventure alchimique, j’ai contacté le CIRVA à Marseille et pendant plus de deux ans avec les chercheurs nous avons travaillé ensemble à ressusciter ce matériau disparu. De cette aventure, seules trois œuvres sont nées, permettant ainsi à cette obsidienne disparue de revoir le jour. La proximité avec les verriers pendant ces recherches m’a séduite, cela m’a ouvert la voie vers un nouveau travail en équipe faisant appel aux savoirs d’artisans d’exception. C’était ma première rencontre avec ce matériau.
Aujourd’hui à Sète dans les salles suivant The Big Wave, je présente de mystérieuses météorites en obsidienne que j’ai ramenées d’Arménie. Ces « Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur », en verre noir des volcans, sont posés sur des socles en bois de marronnier sculptés par les menuisiers anthroposophes de la cité de Dornach en Suisse. L’énergie de la pierre de lave dialogue ainsi avec celle du bois. Ces masses noires, que j’ai sculptées grâce à l’aide de mes verriers, absorbent la lumière et laissent transparaître un pâle reflet de notre propre image. Elles rappellent le polyèdre de la Melancholia de Dürer et imposent une gravité et un mystère par leur présence. Semblables au tombeau célébré par Mallarmé, ces formes noires évoquent le Cube de Giacometti, objet de haute solitude si justement décrit par Georges Didi-Huberman comme étant « un cristal d’absence utilisant le paradoxe de sa propre géométrie ». Mais avant tout, pour moi, ce sont des autoportraits, des faces invisibles qui regardent le spectateur et le dominent depuis leurs grandes hauteurs. A l’occasion de cette exposition nous publions avec Actes Sud un livre qui retrace, sous la plume de Lawrence Rinder directeur du Berkeley Art Museum & Pacific Film Archive (BAM/PFA), ma fascination pour cette matière noire.
Jusqu’à aujourd’hui, Vous avez très peu montré vos peintures et vos dessins, quelle importance leur accordez-vous et quel statut ont-ils dans votre oeuvre ?
Au premier étage du CRAC, 112 dessins prennent la forme intime d’un grand carnet de voyage. Réalisés entre 1996 et 2017, ils montrent le cheminement de ma pensée et la genèse de nombreuses de mes œuvres. On y retrouve certains de mes projets emblématiques comme les aquarelles du Kiosque des Noctambules à Paris place Colette ou celles plus récentes des Belles Danses dans les jardins du château de Versailles. Sont présents aussi de nombreux projets utopiques, jamais réalisés, comme les multiples variations que j’ai imaginées autour de mon propre tombeau.
À Montpellier, les dessins aussi sont présentés comme un carnet de note. Aux murs de l’église peints en rouge pompéien sont accrochées de nombreuses aquarelles mélangées à des textes ; ce sont les planches enluminées de l’Herbier Merveilleux. J’ai toujours conservé, depuis mon adolescence, mes écrits sur le sens caché des fleurs dans la peinture ancienne. Cet ensemble, que j’ai illustré par la suite, a donné lieu à une publication par Actes Sud en 2015, à l’occasion de mon exposition au Isabella Stewart Gardner Museum à Boston.
Pour la première fois, je montre à Sète une série de peintures comme des œuvres autonomes. J’ai déjà exposé des œuvres sur toile, peintures en cire ou en grattoirs d’allumettes, notamment au Centre Pompidou, mais je les ai toujours montrées de façon isolée. Sous une apparente simplicité rhétorique, le lotus noir, sujet de ces peintures, représente la pureté de la fleur noircie par l’encre, le monde noirci par l’homme. Comme des figures abstraites qui se répètent sur des fonds de feuilles d’or blanc, ces icônes maculées nées de l’observation des fleurs entourent des sculptures de perles noires du même nom, Black Lotus. Elles montrent aussi l’importance du mouvement et du geste dans mon travail, elles sont pour moi une pratique autonome plus légère qui ne m’impose pas la lourde infrastructure de la sculpture monumentale, un moment de solitude retrouvé.
Comme on le voit dans les œuvres montrées à Montpellier, la période où vous utilisez majoritairement le verre est fortement marquée par l’obsession d’un corps à la fois souffrant et sensuel. Au CRAC à Sète, les œuvres monumentales dominent le visiteur, est-ce un autre rapport au corps dans votre travail ?
C’est vrai, à Montpellier la grande installation colorée dissimule de nombreuses œuvres qui ressemblent à des bijoux érotiques et torturés. Suspendues au centre de la nef, flottant au-dessus d’un lit de briques bleues réalisées avec les verriers indiens de Firozabad, se côtoient une vingtaine d’œuvres de périodes différentes. Toutes ces œuvres, je les ai gardées précieusement tout au long de ces quinze dernières années car elles témoignent de moments clefs et importants dans mon parcours : Le Collier Cicatrice en verre rouge de Murano, les fruits défendus du jardin de Peggy Guggenheim à Venise, les Bannières qui ont ponctué le parcours enchanté de mon exposition à la fondation Cartier, les larmes de verre prises entre deux eaux réalisées au Mexique, Le Collier Seins soufflé sur l’île de Hawaï dans les mêmes couleurs que les colliers de fleurs de bienvenue, La Mandorle d’or inspirée par le savoir-faire des verriers Japonais d’Hokkaido, la Géométrie Amoureuse de la salle Mésopotamienne du musée du Louvre, Black is beautiful, hommage que j’ai voulu rendre au peuple noir de Louisiane martyrisé, sous la forme d’un grand collier aux perles noires portant nombre de cicatrices, La Vierge du jardinier, petite pièce de verre soufflée à Brooklyn et destinée à servir d’abreuvoir aux oiseaux du cloître des Augustins à Toulouse, Le Collier Alessandrita dont la couleur vient d’un minerai aujourd’hui disparu, les Amants suspendus aux perles baroques dissimulant de nombreux orifices sensuels… Autant de souvenirs de voyages, de rencontres et d’étapes émerveillées dans la construction de mon univers. Tel un jardin clos, un monde onirique, une carte personnelle du tendre, l’installation fait rayonner pudiquement les œuvres comme de précieux talismans sacrés. J’ai soigneusement gardé au sein de la collection personnelle de mes propres œuvres toutes ces pièces clefs afin de pouvoir y revenir et m’y ressourcer. Les dessins de mon carnet de note montrés à Sète participent de ce même désir de garder auprès de moi un ensemble d’œuvres matricielles, cœur indestructible de l’intimité nécessaire à ma création.
Les dernières salles à Sète placent le corps sous le signe de la tempête et de la violence des éléments. Elles mettent en scène des tornades et un grand nœud de perles de verre. Accrochées comme des mobiles suspendus dans l’espace, ces sculptures cherchent la violence des formes dans l’observation des combinaisons mathématiques des reflets. Le corps est dominé et diffracté, le spectateur est partie intégrante de l’oeuvre, son reflet est démultiplié à l’infini dans les miroirs de perles ou de briques de verres.
Les tornades en équilibre comme de grands mobiles entourent le corps de ceux qui s’en approchent. Pour moi, la tornade est une métaphore de la création elle-même. Plus puissante que l’artiste, elle le domine et si celui-ci ne reste pas centré, elle l’éjecte. Il devient alors lui-même spectateur de son propre travail.
The Wild Pansy est la dernière oeuvre présentée au CRAC. Elle fonctionne comme un trou noir dans lequel le regardeur se perd et se laisse hypnotiser : son corps est happé. Cette pensée sauvage est le portrait d’un homme libre. C’est la seule oeuvre à échapper aux différents noirs de l’exposition, elle déploie une gamme de pourpres, de violets et d’indigo.
Que représente pour vous d’avoir deux grandes expositions personnelles en France et en région ?
Entre intimité et dévoilement, nouveautés spectaculaires et trésors cachés, ces deux grandes expositions singulières regroupent 50 sculptures, 9 peintures et 140 œuvres sur papier. C’est la première fois que je présente autant d’œuvres inédites en France depuis mon exposition rétrospective « My Way » au Centre Pompidou à Paris, en 2011. C’est une chance pour moi que « Géométries Amoureuses » soit montrée à Montpellier et à Sète durant tout l’été 2017. À Montpellier, la présentation de ma collection offrira à ceux qui n’ont pas pu venir à Paris, à Séoul ou à New York une vision rétrospective de mon travail. Hors mon attachement profond pour la ville de Sète et pour le CRAC, exposer en région Occitanie au moment des festivals d’été est aussi l’occasion de bénéficier d’une visibilité exceptionnelle. En cette année de documenta et de Biennale de Venise, la région est sur le parcours obligé du public international de l’art.
Repères biographiques (extrait du dossier de presse) :
Privilégiant, par goût des métamorphoses, sublimations et transmutations, les matériaux aux propriétés poétiques et sensibles, Jean-Michel Othoniel est un artiste majeur de la scène artistique française et internationale. Du dessin à la sculpture, de l’installation à la photographie et de l’écriture à la performance, l’artiste a, depuis la fin les années 1980, inventé un univers aux contours multiples.
Explorant d’abord des matériaux aux qualités réversibles tels le soufre ou la cire, il utilise le verre depuis 1993.
Ce matériau devient sa signature. Ses oeuvres ont une dimension architecturale forte et rencontrent volontiers des jardins ou des sites historiques à travers des commandes publiques ou privées dans le monde entier.
Métamorphoses, sublimations et transmutations
Privilégiant les matériaux aux propriétés poétiques et sensibles, Jean-Michel Othoniel commence par réaliser, au début des années 1990 des œuvres en cire ou en soufre qui seront présentées dès 1992 par Jan Hoet à la documenta de Cassel. L’année suivante, l’introduction du verre marque un véritable tournant dans son travail. Collaborant avec les meilleurs artisans de Murano, il explore les propriétés de ce matériau qui devient dès lors sa signature. La délicatesse du verre et la subtilité de ses couleurs participent du vaste projet de l’artiste : poétiser et réenchanter le monde. En 1994, il participe à l’exposition «Féminin/Masculin» au Centre Georges Pompidou à Paris dans laquelle il présente une série d’oeuvres en soufre ainsi qu’une installation-performance My Beautiful Closet mettant en scène des danseurs filmés dans l’obscurité d’un placard. En 1996, il est pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. C’est à partir de ce moment qu’il commence à faire dialoguer ses oeuvres avec le paysage, suspendant des colliers géants dans les jardins de la Villa Médicis, aux arbres du jardin vénitien de la Collection Peggy Guggenheim (1997), ainsi qu’à l’Alhambra et au Generalife de Grenade (1999). Ses oeuvres, sortes de fruits défendus, vivent et s’intègrent au paysage, aux feuillages, comme autant d’excroissances organiques absorbant l’ombre et diffractant la lumière.
Entre le musée et l’espace public
En 2000, Jean-Michel Othoniel répond pour la première fois à une commande publique et, un siècle après Hector Guimard, transforme la station de métro parisienne Palais-Royal – Musée du Louvre en Kiosque des Noctambules : une double couronne de verre et d’aluminium dissimule un banc destiné aux rencontres fortuites dans la ville endormie. Sa création se partage dès lors entre les lieux publics et les espaces muséaux ; oeuvres in situ ou expositions sont pour lui autant d’occasions renouvelées d’expérimenter les multiples possibilités de ses matériaux de prédilection et de décliner les thématiques qui lui sont chères. En 2003, pour l’exposition «Crystal Palace» présentée à la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris et au MOCA de Miami, il fait réaliser à Venise et au Centre international du Verre à Marseille (Cirva) des formes de verre soufflé, destinées à devenir d’énigmatiques sculptures, entre bijoux, architectures et objets érotiques. L’année suivante, en 2004, une invitation du musée du Louvre à exposer dans les spectaculaires salles mésopotamiennes, dans le cadre de l’exposition « Contrepoint», est pour lui l’occasion de réaliser ses premiers colliers autoportants, dont la grande Rivière Blanche aux perles constellées de pointes de seins, acquise ensuite par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
Une oeuvre en voyage
Dès 1991, à l’occasion d’un long séjour à Hong Kong pendant lequel Jean-Michel Othoniel installe un atelier éphémère sur le toit du musée d’art contemporain pour la préparation de l’exposition «Too French», le voyage devient l’un des thèmes récurrents de son travail. Il gardera ensuite ce goût pour une création nomade, réalisant des pièces avec des souffleurs de verre au Mexique, au Japon ou en Inde. C’est également cette idée de voyage qui est mise en lumière avec le projet Le Petit Théâtre de Peau d’Âne (2004, collection Centre Pompidou), inspiré de petites marionnettes trouvées dans la maison du grand voyageur Pierre Loti et présenté sur la scène du Théâtre de la Ville de Rochefort puis au Théâtre du Châtelet à Paris. Cultivant l’art de réconcilier les contraires, l’artiste fait dialoguer le poétique et le politique, dans son Bateau des larmes : hommage aux exilés, réalisée à partir d’une barque de réfugiés cubains trouvée à Miami couverte d’une cascade de perles de couleurs, se transformant en d’énormes larmes de cristal limpide, cette oeuvre est exposée à l’occasion de Art Unlimited 2005, dans le bassin situé devant l’entrée de la foire de Bâle. A l’occasion d’un séjour en Inde en 2010, il travaille avec les verriers de Firozabad avec lesquels il réalise une série d’oeuvres qui seront présentées l’année suivante au Centre Georges Pompidou à Paris dans son exposition «My Way». Retraçant son parcours artistique depuis sa sortie de l’école des Beaux-arts de Cergy-Pontoise en 1988 jusqu’à ses toutes dernières oeuvres, cette rétrospective rend compte de la multiplicité de ses pratiques et de ses inspirations. Après Paris, «My Way» a été présentée en 2011 au Leeum Samsung Museum of Art/Plateau de Séoul, puis en 2012 au Hara Museum of Contemporary Art à Tokyo, au Macao Museum of Art de Macao et au Brooklyn Museum de New York.
Dialogues avec l’histoire et le contemporain
En 2012, une invitation du musée-atelier Eugène Delacroix à Paris permet à Jean-Michel Othoniel de dialoguer avec ce lieu chargé d’histoire, à travers une série de sculptures inspirées de l’architecture des fleurs et de planches de son Herbier Merveilleux – un ouvrage dans lequel il explore la symbolique des fleurs à travers des textes et des aquarelles. D’installation en commande, l’artiste crée des oeuvres qui répondent à la poésie d’un lieu et en prolongent la magie. Au printemps 2013, le Mori Art Museum de Tokyo lui commande, pour son 10e anniversaire, Kin no Kokoro, monumental coeur de perles de bronze doré installé de façon pérenne dans le jardin japonais Mohri Garden, lui offrant ainsi l’occasion d’orchestrer la rencontre entre les thèmes récurrents de son travail et la symbolique sacrée extrême orientale. La même année, dans le cadre de l’aménagement des rives de Saône à Lyon, il imagine sur l’ancienne écluse de Caluire un belvédère constitué de perles de verre coloré qui répond à des lanternes installées sur l’île Barbe qui lui fait face.
L’année 2015 est marquée par la réalisation d’un projet d’exception : le réaménagement avec le paysagiste Louis Benech du bosquet du Théâtre d’Eau dans les jardins du château de Versailles. Pour cette commande, passée à l’issue d’un concours international, Jean-Michel Othoniel crée trois sculptures fontaines en verre doré, inspirées des chorégraphies du Maître de danse du roi Louis XIV, Raoul-Auger Feuillet. L’artiste trouve à Versailles un prestige et une échelle sans précédent et réalise, avec Les Belles Danses, la première oeuvre pérenne au sein du palais commandée ainsi à un artiste contemporain.
Développées comme un projet d’architecture, ces trois sculptures fontaines répondent à quelques-unes des grandes orientations que le travail de l’artiste a récemment empruntées : la dimension monumentale et la relation à l’histoire qui sont de plus en plus au nombre de ses singularités.
En septembre 2016, Jean-Michel Othoniel dévoile une oeuvre d’art totale et monumentale, Le Trésor de la cathédrale d’Angoulême, sur laquelle il a travaillé pendant plus de huit ans.
Régulièrement invité à créer des oeuvres in situ, en dialogue avec des lieux historiques, Jean-Michel Othoniel se plaît aussi à rencontrer des architectures d’aujourd’hui. Ainsi a-t-il, à de multiples reprises, créé des sculptures pour Peter Marino ou Jean Nouvel. Jean-Michel Othoniel est représenté par les galeries Perrotin (Paris, New York & Hong Kong), Karsten Greve (Cologne and Saint-Moritz) et Kukje (Séoul). Ses oeuvres sont conservées dans les plus grands musées d’art contemporain, fondations et collections privées du monde.