Un refrain sur les murs : Yann Dumoget et Sylvie Romieu à la Galerie Annie Gabrielli

Jusqu’au 15 juillet 2017, Annie Gabrielli présente « Un refrain sur les murs, conversation d’images et de leitmotivs », un étonnant rapprochement entre les pratiques singulières de la photographie de Yann Dumoget et Sylvie Romieu.

Comme l’énonce clairement le dossier de presse, « indéniablement, les démarches des deux artistes sont éloignées dans leur propos comme dans les formes ». On évitera donc de trop s’interroger sur ce qu’il y a de commun entre leurs œuvres…

Yann Dumoget et Sylvie Romieu à la Galerie Annie Gabrielli
Yann Dumoget et Sylvie Romieu à la Galerie Annie Gabrielli

Avec la complicité de la galeriste, chaque artiste a su construire un accrochage très personnel et pertinent sans jamais parasiter l’espace de son partenaire.

Ces « conversations d’images et de leitmotivs » méritent sans aucun doute un passage par la galerie que dirige avec engagement Annie Gabrielli. Est-il encore nécessaire de rappeler la cohérence de sa programmation, la gentillesse et la chaleur de son accueil ?

Yann Dumoget, « L’œuvre au noir »

Yann Dumoget, L’œuvre au noir à la galerie Annie Gabrielli. Photo Yann Dumoget.
Yann Dumoget, L’œuvre au noir à la galerie Annie Gabrielli. Photo Yann Dumoget.

On a plusieurs fois évoqué le travail de Yann Dumoget et en particulier certaines de ces œuvres abordant la crise économique ( « More is not enough » au CRAC, en 2016 ou encore «  Vide aveuglant » dans le cadre de « Global Snapshot » à La Panacée, en 2015).

La série photographique « L’œuvre au noir » qu’il présente à la galerie Annie Gabrielli trouve son origine dans « Grândola, vila morena » chantée depuis la tribune réservée au public au parlement portugais, le 15 février 2013.

Inspiré par les militants turcs qui repeignaient les escaliers des villes turques des couleurs de l’arc-en-ciel, en marge des protestations de la place Taksim, Yann Dumoget conçoit le projet d’aller à Grândola pour lancer un mouvement populaire afin de « repeindre cette fois-ci leurs escaliers, leurs trottoirs, les murs de leurs maisons du brun de leur chanson révolutionnaire ». Mais confie-t-il dans le texte qui accompagne sa série photographique :

« (…) Je ne suis pas un meneur d’hommes, loin de là. Je fais habituellement dans le dérisoire, le presque rien.
Alors je me suis résolu à noircir un Portugal imaginaire, un Portugal imagé par mes soins. Mon action consisterait à recouvrir partiellement de noir opaque les photographies que j’allais prendre de Grândola… »

C’est avec l’humour et l’autodérision qu’on lui connaît que Yann Dumoget a peint une des cimaises de la galerie en noir afin d’y présenter une large sélection de son projet « L’œuvre au noir ».
S’il y a une évidente approche conceptuelle dans la démarche artistique de Yann Dumoget, et parfois une certaine distanciation, son travail critique qui sait multiplier les références à l’histoire de l’art, laisse aussi sourdre des émotions poignantes.
On lira avec intérêt, ci-dessous, son texte qui accompagne sa série « L’œuvre au noir ».

Sylvie Romieu

Sylvie Romieu à la Galerie Annie Gabrielli
Sylvie Romieu à la Galerie Annie Gabrielli

L’univers intime et délicat de Sylvie Romieu se construit autour d’un étrange agencement de modules carrés qui s’emboîtent. L’accrochage et une scénographie raffinée invitent le regardeur dans « son univers visuel avec jeu de cadrages et d’échelle, de profondeur de champ, surimpression, mise en scène et agencement, et blancheur aveuglante proche de la surexposition ».
La figure de Marguerite Duras et une étrange petite maison cubique peuplent avec charme et poésie le monde très particulier de l’artiste.

En savoir plus :
Sur le site de la galerie Annie Gabrielli
Sur la page Facebook de la galerie Annie Gabrielli
Sur le site de Yann Dumoget

Yann Dumoget, « L’œuvre au noir »

Le 15 février 2013, un frisson d’émotion parcourut les bancs du parlement portugais. Une chanson s’élevait de la tribune réservée au public, Grândola, vila morena. Le peuple debout donnait de la voix du balcon pour exprimer son désespoir face aux ravages des plans d’austérité imposés par la troïka. Trop c’était trop. Comme quarante ans plus tôt, en cette nuit du 25 avril 1974, quand la radio Renascença diffusa ce chant de José Afonso pour la postérité, vibrant signal du début de l’insurrection des œillets qui allait renverser le régime fasciste. Depuis, les manifestations de la misère rythmées par ce chant se sont multipliées dans toutes les grandes villes du pays et je me suis fait traduire Grândola, ville brune, l’hymne révolutionnaire portugais. Je ne doutais pas qu’il reprenne à son compte l’idéal de toute démocratie, celle d’un peuple fraternel, égalitaire et souverain.

Sans doute par déformation professionnelle, c’est le brun du titre qui a attiré mon attention. Qu’avait voulu exprimer le poète exactement par cette métaphore ? Quelle était l’influence d’une couleur sur une situation pour ne pas dire sur la marche du monde ? Qu’est-ce qui faisait par exemple que les extrémistes de tout poil fuient à ce point les teintes vives et joyeuses ? J’échafaudais une interprétation quand, à l’autre bout de l’Europe, j’appris justement qu’un commerçant stambouliote avait lancé une nouvelle mode : En marge de l’agitation de la place Taksim, Huseyin Cetinel et ses suiveurs se mettaient eux à repeindre les escaliers des villes turques des couleurs de l’arc-en-ciel pour exprimer leur envie de s’émanciper d’un pouvoir oppressant et corrompu.

C’est alors qu’une une idée me vint en mélangeant les deux histoires comme on mélange les pots de peinture.

J’allais descendre à côté de Lisbonne, à Grândola. J’allais lancer en grand mouvement de protestation populaire en incitant les habitants de cette ville symbole à repeindre cette fois-ci leurs escaliers, leurs trottoirs, les murs de leurs maisons du brun de leur chanson révolutionnaire. Ça aurait sacrément de la gueule un pays tout entier repeint en noir pour lancer à la face des comptables de Bruxelles le plus beau cri de désespoir que le monde ait jamais connu.

Oui l’économisme néo-libéral faisait passer peu à peu l’idéal européen à la grisaille, à la couleur poussiéreuse des ruines. Oui le brun du fascisme revenait sur l’Europe. Oui l’on n’avait plus qu’à porter le deuil du progrès social. Chiche, on allait le faire. Les habitants allaient se lever en masse pour signifier à coup de pinceaux que si le gouvernement voulait de la tristesse, de la sévérité, de la mortification, il allait être servi. Dans un délire, le chromoclaste huguenot reprenait le dessus sur le coloriste guilleret. Ce n’était sans doute pas mon confrère de Rodez qui allait me reprocher de vouloir me soulager de la sorte.

J’avais pensé à tout : Comme à l’aube de l’humanité, dans les cavernes de nos ancêtres, la peinture noire serait fabriquée avec de la cendre, celle de notre monde finissant. Je l’aurais mélangé au sang de l’Auroch pariétal, au sang du taureau ibérique, au sang de la bête fougueuse qui jadis enleva Europe pour satisfaire sa concupiscence et qui de deux corps étrangers fit naître une belle épopée. D’après les anciens, quand la situation est trop grave, il faut toujours procéder à un rituel païen de purification.

Malheureusement, je n’ai pas eu la ténacité d’aller jusqu’au bout. Pas du genre à avoir le couteau suffisamment aiguisé. Et je ne suis pas un meneur d’homme, loin de là. Je fais habituellement dans le dérisoire, le presque rien.

Alors je me suis résolu à noircir un Portugal imaginaire, un Portugal imagé par mes soins. Mon action consisterait à recouvrir partiellement de noir opaque les photographies que j’allais prendre de Grândola, à faire disparaître peu à peu la ville de mes vues comme si la civilisation entière disparaissait pour laisser la place au rien, au trou noir. Mais à la grande musique du big bang, j’allais opposer ma petite musique de chambre. Là où, dans le minuscule univers photonique se rejoue la lutte métaphorique de la lumière et de l’ombre, pour paraphraser Denis de Rougemont, j’allais tenter d’emprisonner l’âme dans la nuit de la matière.

Mais ne soyons pas manichéens, le noir lui-même, comme le rappelle Michel Pastoureau est un symbole ambivalent. A l’opposé du noir du deuil et de la finitude, il y a le noir matriciel, le noir du renouveau. Fille du Chaos, Nyx, déesse de la nuit est promise à une formidable descendance. Et dans ma petite alchimie photographique, cette œuvre au noir n’est, je l’espère, qu’une avancée vers le magnum opus, vers l’accomplissement ultime qui motive tous les artistes.

Je formule le même vœu pour notre histoire commune.

Nous vivons la fin d’un monde. Puisse le prochain faire fleurir les couleurs sur le chemin de notre destinée.

Yann Dumoget, repères biographiques :

Né en 1970. Vit et travaille à Montpellier.

Yann Dumoget est un artiste voyageur.

Souvent portées par une idée simple et marquante, ses œuvres prennent des formes variées (changer des dessins de billets de banque contre du vrai argent, repeupler une ville fantôme d’épouvantails à son effigie, transformer des conteneurs poubelles en pochettes-surprises pour SDF). Dans une économie de crise impliquant de nouvelles stratégies créatives, celles-ci ont pour constante une sobriété de réalisation qui contraste avec la minutie de leur préparation.

S’intéressant aux bouleversements d’un monde globalisé et numérisé, l’artiste débute son travail par de longues périodes d’investigations qui le poussent souvent à se rendre au plus près des situations qu’il examine. Associant différentes disciplines, mais également de multiples références stylistiques et symboliques, il procède alors par télescopage, sampling, dans le but d’aboutir à une mise à distance poétique d’une réalité sociale.

Dernières expositions (sélection)

2016
L’Odyssée, Alice Mogabgab Gallery, Beyrouth, Liban
More is not enough / Z.A.N Gallery, CRAC, Centre Régional d’art Contemporain, Sète
(Commissariat Florent Lamouroux)
Collages, Galerie N°5, Montpellier
Portaits, Galerie Izartea, Bayonne

2015
Global Snapshot, Centre d’art contemporain La Panacée, Montpellier (Commissariat Franck
Bauchard)
Precious and Nothing, Galerie Alice Mogabgab, Beyrouth, Liban (Commissariat Yves Michaud)
Ecritures contemporaines, Fondation du Pioch-Pelat, Castelnau-Le-Lez
Pictovirus, Espace d’art contemporain, Bédarieux (Commissariat Jean-Claude Lissieux)
Tabakmuseum, Heidelberg, Allemagne
Kunstverein Wasserschloss, Bad Rappenau, Allemagne
Maison de Montpellier à Heidelberg, Heidelberg, Allemagne

2014
Economie Humaine, Espace contemporain HEC, Jouy-en-Josas (Commissariat Paul Ardenne /
Barbara Polla)
Krisis, Centre d’art contemporain, Artothèque de Caen, Caen (Commissariat Claire Tangy)
One for the money, two for the show, Fondation du Pioch-Pelat, Castelnau-le-lez
Pictovirus, La Maison Fusier, La Ferney-Voltaire

2013
Vente Agrisud, Galerie Eric Dupont, Paris (Commissariat COAL)
Pictovirus, Atelier Thomas, Montpellier
Collection Parce que, Médiathèque Emile Zola, Montpellier

2012
Superfouilles, Villa Kokkino, Athènes, Grèce

2011
Ailleurs, Espace Culturel Louis Vuitton, Paris (Commissariat Paul Ardenne)
Superraditum, Ecole des Beaux-arts, Reykjavik, Islande

Sylvie Romieu, Repères biographiques :

Née en 1960. Vit et travaille à Portel des Corbières

Sylvie Romieu est une artiste plasticienne avant d’être une photographe. Elle a mis en place un concept de modules photographiques dans lesquels elle raconte des histoires. Son travail est basé sur la mémoire, le souvenir, la sensibilité.

Expositions personnelles

2016
Carte blanche, Castang Art Project, Perpignan
Moderato Cantabile, Maison des Arts, Bages

2015
The Others Fair, Galleria Weber&Weber,Turin
Moderato Cantabile, Galleria Weber & Weber, Turin
Galerie Chantal Mélanson, Annecy
MIA Fair, Milan (Foire internationale de
la Photographie)
Premio Fabbri, Palazzo Pepoli Campogrande, Bologne

2014
Marguerite D., Médiathèque de Port la Nouvelle

2013
Galerie 7 in Luxembourg, Luxembourg
Galerie Temps Présents, La Chapelle sur Erdre, Nantes

2012
Festival Surréalizm, Carcassonne
Gracias, Chapelle de Fitou, Fitou
Etes-vous ici ? Galleria Weber&Weber, Turin
Etes-vous ici ? CastanGalerie, Perpignan

2011 Entre Dix et Douze, Maison du Chevalier, Carcassonne

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