Alice Guittard – échec — plaisir à la Double V Gallery, Marseille


Jusqu’au 26 juin 2021, la Double V Gallery présente « échec — plaisir », première exposition personnelle d’Alice Guittard.

On se souvient de la découverte du travail d’Alice Guittard à la rentrée 2017, à la Fiche de la Belle de Mai, dans « Inventeurs d’aventures» et pour le Show Room d’Art-O-Rama sous le commissariat de Gaël Charbau. Elle y montrait alors un ensemble d’émulsions photosensibles sur pierre dont une installation remarquée intitulée Overflow gently – don’t drown.

Quelques mois plus tard, on retrouvait plusieurs de ses pièces dans « La Saga » qui marquait le 1er anniversaire de la Double V Gallery à Marseille, puis en 2018 dans « La Saga II » où elle partageait une cimaise avec un grand dessin de None Futbol Club et trois diptyques de Gethan & Myles de leur série « Lazare/ The Space Between How Things Are And How We Want Them To Be Cyanotypes »…

Dans la vidéo qui accompagne cette exposition, Alice Guittard explique la place essentielle que représente la littérature et la photographie dans son processus de travail. Elle y raconte également sa rencontre avec la marqueterie de marbre lors d’une résidence en Turquie suite au Prix Révélations Emerige 2017 et à sa sélection par la Galerie The Pill, Istanbul.

C’est donc avec intérêt que l’on découvre un bel ensemble de pièces en marqueterie de marbre dans « échec — plaisir », une proposition confiée par Nicolas Veidig-Favarel à Thomas Havet.

Alice Guittardéchec — plaisir à la Double V Gallery, Marseille. Photo ©Jean-Christophe_Lett

Dans son texte, le commissaire commence par citer plusieurs extraits de « Éloge de la main » d’Henri Focillon avant de poursuivre autour de leur ballet « que rien n’altère, séparées (reliées) tout au plus par un cadratin : échec — plaisir »…

Alice GuittardDeux mains, 2021 ; Slime #2, 2021; Slime #1, 2021; Capote, 2021 et 5 mains, 2021 – échec — plaisir à la Double V Gallery, Marseille. Photo ©Jean-Christophe_Lett

Les mains sont donc au cœur de ce qu’Alice Guittard expose à la Double V Gallery ; dans ses cinq marqueteries marbres récentes (2021), comme dans ses émulsions plus anciennes (2018), mais aussi dans sa courte vidéo Notes d’une quatorzaine (2020).

Alice GuittardVanessa et les pierres, 2018 Photo ©Jean-Christophe_Lett ; Les mains, 2021; Les anneaux, 2018 et Lou, 2018 – échec — plaisir à la Double V Gallery, Marseille.

Même si elle est ici plus sage qu’à l’accoutumée, la mise en espace est comme toujours irréprochable. La galerie a discrètement évidé un espace dans ces cimaises pour rétro-éclairer deux œuvres dont l’opalescence d’un bleu exerce une troublante attraction… « la minéralité des pierres nous revoie à notre propre mort, par le vide qu’elles dégagent. Et c’est en ça que j’ai envie de les faire parler »…

Alice Guittard - échec — plaisir à la Double V Gallery, Marseille. Photo ©Jeanchristophe_Lett
Alice Guittard – échec — plaisir à la Double V Gallery, Marseille. Photo ©Jeanchristophe_Lett

L’édition est toujours essentiel dans les projets d’Alice Guittard.

« Échec — plaisir » se prolonge donc avec plusieurs ouvrages tirés en 35 exemplaires (Notes d’une trentaine – Notes de fin, 2021 et échec – plaisir, 2021).

On retrouvera Alice Guittard prochainement pour Art-O-Rama 2021. En effet, la Double V Gallery y invite la Galeria Fran Reus (Palma de Majorque, Espagne) pour un duo Alice Guittard & Marian Garrido

Faut-il une fois de plus souligner la cohérence de la programmation de la Double V Gallery, la complicité générationnelle que Nicolas Veidig-Favarel entretient avec nombre des artistes qu’il représente ? Il y a dans les pratiques inventives et singulières avec lesquelles ces derniers mettent en œuvre les matériaux et les techniques souvent liés aux arts décoratifs quelque chose qui semble les relier…

À lire, ci-dessous, le texte de Thomas Havet et quelques repères biographiques à propos d’Alice Guittard. Ces textes sont issus du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site de la Double V Gallery
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Sur le site d’Alice Guittard

Alice Guittard – échec — plaisir : Texte de Thomas Havet

«Elles ne sont pas un couple de jumeaux passivement identiques. (…) La gauche, cette main qui désigne injustement le mauvais côté de la vie. (…) Construite comme l’autre, elle a les mêmes aptitudes, auxquelles elle renonce pour l’aider. (…) C’est un bonheur que nous n’ayons pas deux mains droites. (…) S’il en était autrement, nous serions submergés par un affreux excès de virtuosité. Nous aurions sans doute poussé à ses limites extrêmes l’art des jongleurs – et probablement rien de plus»

Inlassablement, l’une et l’autre s’attèlent à leur besogne. Comme un ballet que rien n’altère, séparées (reliées) tout au plus par un cadratin : échec — plaisir. Au singulier, comme deux êtres d’un couple inséparable. Aux veines des marbres répondent les lignes des mains, elles témoignent de nos vies antérieures, d’héritages lointains et de futurs à fabriquer ; autant d’échec hier que de plaisir demain.

Ensemble elles s’activent, à la façon florentine, dans une nouvelle dialectique, celle des yeux et des mains, du voir et du faire. Sélectionner dans le hasard de la beauté des pierres pour transcrire l’image décomposée. Alice Guittard, pour sa première exposition personnelle présente cinq nouvelles images en marqueterie de marbre, technique découverte lors de déambulations ottomanes. Cinq mises en scène de celles qui les ont façonnée : les mains, gauche et droite, qui tiennent, s’unissent, caressent, ou à travers lesquelles l’eau glisse. Instants figés en image, sublimés par la lumière, enfermés au coeur de la pierre. Pas dans la simplification, pas dans la perte, plutôt dans le souvenir précis.

Ensemble elles imaginent, comme à lire dans les formes des nuages. L’imbrication de chacune des pierres est comparable au processus photographique. Tel le plaisir enfantin du carré et du cercle, il faut assembler, recomposer pour révéler les images. Ici égales à des tentations charnelles qui plus est à portée de mains. Prédatrices, ces pierres nous renvoient à l’absence, l’absence de mots. Ils sont avant ou après. Comme le minéral à l’eau et au feu ; dans le travail de Alice Guittard la littérature est tout à la fois préquel et séquelle. Une manière alléchée de toucher aux origines ou de frôler la mort.

À l’échec et au plaisir, l’éternité.

Thomas Havet

Alice Guittard  : Repères biographiques

Alice Guittard est née à Nice en 1986

Diplômée de la Villa Arson en 2013, elle vit et travaille à Paris.

« Préférant aux résultats tangibles des solutions imaginaires et aux routes toutes tracées leurs chemins de traverses » (Mathilde Villeneuve, Fables travesties, 2014), Alice Guittard analyse aussi sa relation au temps, au regardeur et à la mémoire collective. Son travail interroge la notion d’exposition en dévoilant les dessous de la création et de la production, en jouant sur la dérive spatio-temporelle. Pour elle, exposition rime avec expédition. Son désir de repousser les limites de l’exposition en inventant à chaque fois un autre format, un autre langage est pour elle une manière de faire naître des analogies surprenantes chez l’observateur.

C’est au travers d’éditions, de photographies, de vidéos, de sculptures et d’expérimentations qu’Alice Guittard dérive d’histoires en histoires en révélant par bribes les éléments qui constituent ses recherches. Dans ses installations, le visiteur devient alors acteur d’une réalité encadrée mais pas limitée. Partant à la dérive dans l’espace, il devient récitant d’un scénario à venir. Par ailleurs, ses installations ne sont jamais l’aboutissement d’un projet, mais simplement une étape. Les projets se prolongent, se racontent, se partagent, s’arrêtent puis reprennent.

Le marbre. Il est apparu dans le travail d’Alice Guittard à la fin de l’année 2016 avec la rencontre d’un jeune graveur lapidaire qui l’initia à la gravure funéraire. Après avoir parcouru les cimetières et marbreries d’Île-de-France et récolté de nombreux fragments, elle décide de faire parler les pierres non plus avec des mots mais avec des images.

Sa pratique de la photographie est pour elle chronophage et sans limite ; elle possède plusieurs milliers de clichés dans ses archives qu’elle n’a jamais montré. Le paradoxe entre cette photographie immatérielle et le fait de la rendre réel par un procédé archaïque – le développement aux sels d’argent en chambre noire sur un support noble – est pour elle un vrai retour à une pratique qu’elle affectionne.

La sensation délivrée par la plaque de marbre, qui renvoie directement à un univers funeste, est accentuée par la présence de la photographie qui a elle aussi pour enjeu de figer une image dans le temps. La pellicule délicate et fragile épouse et repose sur le matériau immuable qu’est la pierre.

Après Bourse Révélations Emerige en 2017, Alice Guittard arrive à Istanbul pour une résidence de trois mois et retrouve sa chimie photosensible bloquée à la douane. Elle découvre la technique de la marqueterie minérale dans l’architecture, lors de ses déambulations dans les palais ottomans et se forme donc à cette technique. L’artiste traite désormais de photographie simplement avec les minéraux et lui donne ainsi une dimension entièrement sculpturale, qui questionne également des problématiques picturales.

Le minéral dispose du pouvoir de nous installer dans une dynamique psychique marquée par l’expérience de dévitalisation. Faire halte dans l’univers des pierres, s’y retirer, c’est se défaire de toute volonté humaine, c’est éprouver jusqu’à l’oppression, en espace informe, un vide angoissant qui vous fait perdre tous les repères intérieurs.

Expositions personnelles

2021
Échec, plaisir, Double V Gallery – Marseille
2019
Noli me tangere, Musée des Arts Décoratifs – La Havane, Cuba Looking for
Marco Polo, Institut Culturel International de Venise – Venise, Italie
2018
Atrocement réel, Cité des Arts – Paris
2017
J’aurais pu être à Düsseldorf ce soir, Villa Belleville – Paris

Expositions collectives

2021
Le bonheur du jour, Poush – Paris
Notre jour viendra, Ceysson & Bénétière – Paris
Courber la ligne du temps, La Vague – St Paul de Vence
2020
Le Vaisseau d’or, Galerie Vallois – Paris
2019
Nous qui désirons sans fin, Fondation Fiminco, Villa Belleville – Paris
Bad Girls do it well, Cité des Arts – Paris
2018
Capture beauty, Wise Women x Chacoal, La Villa Rose – Paris
La mémoire et la mer, ENTRE I DEUX – Nice
Espaces Témoins, Galerie Praz-Delavallade – Paris
2017
En forme de Vertiges, Bourse Révélations EMERIGE, Palais de Tokyo –
Paris
SAGA, Double V Gallery – Marseille

Formation/Prix

2017
Prix Révélations EMERIGE, sélectionnée par la Galerie The Pill, Istanbul,
Turquie
2013
DNSEP obtenu avec mention, Villa Arson – Nice, Lauréate du prix de la
Fondation Bernart Venet

Publications

2019
Artiste intervenant, Correspondantes, Revue Possible – Paris
2018
Artiste intervenant, Publication, Bad to the bone 13 – Paris
Artiste intervenant, Publication, Objet de Tendresse, Galerie Michel
Journiac – Paris
2016
Directrice de publication, Manuel Parade, publication #4

Résidences

2019
Cité Internationale des Arts – Paris
2018
In-ruins – Borgia, Italie
Cité Internationale des Arts – Paris
The Pill – Istanbul, Turquie
2017
Villa Belleville – Paris

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