Delphine Wibaux et Caroline Duchatelet dans temps soulevés au Corridor – Arles


Jusqu’au 3 septembre 2022, « temps soulevés » réunit Caroline Duchatelet et Delphine Wibaux au Corridor. Une invitation « à l’expérience sensible du temps – donner le temps de voir, devenir perméable à ce qui nous entoure », selon les propos des galeristes Annick et Michel Rey.

Au travers de plusieurs chroniques, on a souvent rendu compte du travail exigeant et des installations délicates et subtiles de Delphine Wibaux. On a particulièrement souligné son étonnante capacité à construire des projets passionnants dans des lieux parfois difficiles. On se souvient de son utilisation habile, face à la mer, d’un espace étroit J1, hangar historique du Port de Marseille, dans le cadre de Art-O-Rama (By The Sea), en 2018. Pour « Lumière habitée », à l’occasion du Printemps de l’art contemporain 2019, elle engendrait une incroyable attraction sur le regard, en jouant avec huit lucarnes de la galerie art-cade, dans les anciens bains-douches de la Plaine.

L’automne suivant, Delphine Wibaux avait subtilement posé (au hasard ?) quatre pièces de sa série « témoins souples » entre le mikado en verre de Lieven De Boeck et les lancers de balles de John Baldessari, pour le deuxième volet de « Par hasard », une mémorable exposition coproduite par la Ville de Marseille et la Réunion des musées nationaux – Grand Palais.

L’hiver dernier, elle proposait une remarquable exposition d’un ensemble d’œuvres réalisées à partir de ses séjours en Géorgie, dans le cadre de « La montagne d’or » au Château de Servières.

Pour ces « temps soulevés », Delphine Wibaux réussit une fois encore à jouer avec les espaces singuliers aménagés dans une demeure du 18e siècle, au début de la rue de la Roquette à Arles.

Delphine WibauxAbsorption, Tbilisi, vent-1, 2022 – temps soulevés au Corridor – Arles – Photo Delphine Wibaux

Au milieu du long corridor, elle a accroché une nouvelle version, adaptée pour ce lieu, de Absorption ciel (Tbilisi) que l’on avait découverte au Château de Servières. Dans Absorption, Tbilisi, vent-1 (2022), on reconnaît les deux images assemblées l’une à côté de l’autre, « couture territoriale entre un monde ancestral minéral d’habitation troglodyte géorgienne combiné à vue urbaine de Tbilisi ».

La densité des teintes sombres et l’exiguïté du couloir exigent un peu plus de temps et d’attention pour s’immerger dans ce paysage hybride et laisser son regard et son esprit divaguer entre reliefs, architectures, fils éclectiques et végétaux. Celles et ceux qui passeront plusieurs fois cet été par ce Corridor pourront constater comment, avec la lumière venant de la rue et de la cour, cette image se sera éclaircie…

Dans leur catalogue, les galeristes qualifient, avec un peu de poésie, cette absorption et les suivantes comme des « œuvres sur papier, vivantes et évoluant en fonction du temps et de la lumière ».

Dans documents d’artiste, Delphine Wibaux est un peu plus explicite :

« Une Absorption est une image végétale vivante, évolutive, lentement incontrôlable. Cette image est réalisée à partir de solution végétale photosensible, préparée et récoltée dans mon environnement proche à partir de “mauvaises herbes”, selon l’endroit où je me trouve. Volontairement non fixée, les Absorptions vivent doucement, s’éclaircissent lentement au fil des années, lentement incontrôlable, interrogeant notre regard, notre perception et notre mémoire. Une fois que l’image aura totalement migré, il restera sur le papier un monochrome jaune pâle. »

Pour « temps soulevés », la plupart de ces « absorptions » sont toutes fixées à leur sommet sur une baguette de bois, elle-même suspendue au plafond. Les œuvres sont ainsi susceptibles de bouger légèrement dans l’espace en fonction des mouvements d’air produit par leurs visiteurs…

Au fond de la cour, sur la gauche d’une grande baie coulissante, Delphine Wibaux a tiré profit de la présence d’une borne milliaire pour poser un de ses « témoins souples » (Témoin souple, partition, 2014) où l’on reconnaît d’autres marqueurs des paysages contemporains.

Delphine WibauxTémoin souple, partition, 2014 – temps soulevés au Corridor – Arles

De l’autre côté de la vitre, sur le parquet du salon, une pierre calcaire creusée sert de socle à une autre pièce de cette série (Témoin souple du creux, 2020).

Delphine WibauxTémoin souple du creux, 2020 – temps soulevés au Corridor – Arles – Photo Delphien Wibaux

Sur la droite, un troisième témoin souple (Témoin souple, redon, 2014) coiffe le tambour d’un fût de colonne antique.

Delphine WibauxTémoin souple, redon, 2014 – temps soulevés au Corridor – Arles

Le dialogue entre les vestiges romains et ce qui semble être une pierre de gond, récupérée par l’artiste d’un chantier de rénovation marseillais, montre l’attention délicate et discrète de l’artiste à l’égard du lieu qui l’accueille.

À propos de cette série d’œuvres, Delphine Wibaux précise, toujours dans documents d’artistes :

« Les Témoins souples résultent d’observations photographiques fonctionnant comme des indices de territoires, des portions de paysages. Déposées sur la céramique ou la pierre, ces lamelles d’images deviennent les dernières strates temporelles visibles. Différentes teintes apparaissent entre les enveloppes de céramique par le biais des cuissons. Les couleurs muent, des saisons passent d’une pierre à l’autre. »

Le salon au rez-de-chaussée est utilisé avec beaucoup d’habileté et d’élégance.

Derrière la baie vitrée, Delphine Wibaux a installé deux absorptions de taille identique à une dizaine de centimètres l’une dernière l’autre. Le recto de Absorption, trame-1 (2022) est visible depuis la fenêtre et le verso de Absorption, trame de jour-1, (2022) peut être vu depuis l’intérieur de la pièce.

Les deux œuvres se répondent avec beaucoup de raffinement. En fonction de la luminosité dans la cour et selon le moment dans la journée, elles renvoient des teintes plus ou moins chaudes qui révèlent des « détails » et des impressions changeantes…

Les plus observateurs remarqueront sans doute la photographie que Delphine Wibaux a accroché entre ces deux absorptions.

Delphine WibauxAbsorption, trame-1, 2022 et Témoin souple du creux, 2020 – temps soulevés au Corridor – Arles – Photo Delphine Wibaux

Sur la gauche d’un canapé de cuir vert, Double Absorption, sombre-1 (2022), une des rares œuvres accrochée au mur, dialogue avec Témoin souple, retenue (2014) posé sur une petite table en métal noir.

Delphine WibauxDouble Absorption, sombre-1, 2022 et Témoin souple, retenue, 2014 – temps soulevés au Corridor – Arles

Face à l’entrée, Double Absorption, garedja-1 (2022) et sur la droite Double Absorption, accroupie-1 (2022) superposent des paysages du désert géorgien.

Delphine WibauxDouble Absorption, garedja-1, 2022 et Double Absorption, accroupie-1, 2022 – temps soulevés au Corridor – Arles – Photo Delphien Wibaux

À propos de ces Doubles Absorptions qui sont apparues avec l’installation sonore et visuelle Séquence (2021) au centre de l’étroit couloir, sous la voie ferrée, au fond du Château de Servières, Delphine Wibaux écrivait :

« (…) Ici, une image est derrière l’autre : l’une domine d’abord légèrement l’autre, puis les deux s’accordent. Il s’agit de vagues de perceptions, d’émergence et de transformation, qui se renouvellent et “s’épluchent” au fil du temps ».

L’exposition « temps soulevés » présente également des œuvres de Caroline Duchatelet avec laquelle Delphine Wibaux a collaboré dans le duo Cadèl, notamment pour Albedo, Marseille dans le cadre de Ouvertures des Ateliers d’Artistes OAA, en octobre 2019.

Dans le corridor, sur la gauche en entrant, trois photogrammes de Caroline Duchatelet, extraits d’une aube filmée, précèdent la première absorption de Delphine Wibaux. dans cette série, l’émergence des formes est à peine perceptible…

Au premier niveau de l’annexe, dans la pénombre d’une petite pièce, on peut apprécier vendredi 8 janvier, une vidéo de douze minutes réalisée en 2021 dans la Meuse avec Vent des Forêts.

Dans la seconde salle, Caroline Duchatelet présente une série inédite produite à l’occasion d’une résidence de création en Camargue proposée par le Corridor. Dans ce projet, elle explore un nouveau travail photographique, les regards-respirations, que les galeristes décrivent comme « un geste d’accueil guidé par l’écoute du paysage et le souffle de la respiration. L’image du paysage s’efface dans le flux d’une lumière qui s’imprime le temps d’un souffle ».

L’accrochage assez classique est construit pour la présentation de ces regards-respirations nocturnes réalisés selon un rythme et un principe sériel. Les sept tirages numériques aux nuances bleu sombre – intitulés vendredi 22 avril (1 et 2), dimanche 24 avril, matin (1, 3 et 4)  et dimanche 24 avril, soir (1 et 2) – invitent à la contemplation et à la méditation.

Dans le maelstrom photographique arlésien, « temps soulevés » apparaît comme une heureuse respiration. La proposition de Annick et Michel Rey mérite sans aucun doute un passage par leur Corridor !

En savoir plus :
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