Quelques notes sur Paréidolie 2022, neuvième édition du salon international du dessin contemporain de Marseille qui se déroulait les 27 et 28 août 2016..
C’est toujours avec beaucoup de plaisir que l’on retrouve l’ambiance chaleureuse et le caractère convivial de ce salon dont le format volontairement court et intimiste se limite à 14 exposants.
Faut-il encore souligner la qualité de l’accueil de l’équipe organisatrice (Françoise Aubert, Martine Robin, Michèle Sylvander) ? Son savoir-faire et sa disponibilité font de Paréidolie un moment rare partagé par les galeristes, les artistes, les collectionneurs et le public.
Une nouvelle fois, on a pu apprécier l’exigence et la cohérence de la sélection présentée. Le comité artistique, toujours présidé par Jean de Loisy, était composé de Nicolas Daubanes, Thierry Forien, Josée Gensollen, Laurent Godin, Pascal Neveux, Marine Pagés, Michèle Sylvander et Gérard Traquandi.
Cinq galeries faisaient leur apparition dans les espaces du Château de Servières : Modulab (Metz), Françoise Besson (Lyon), Rhizome (Alger), Nosbaum Reding (Luxembourg/Bruxelles), et Lhoste (Arles).
Paréidolie 2022 proposait des accrochages particulièrement réussis et sobres, presque trop sages, où les audaces étaient absentes. On y trouvait moins les impressions de « trop plein » qui ont parfois marqué certaines éditions précédentes.
Il est impossible de rendre compte de toutes les propositions artistiques présentées par les 14 galeries et les invités du salon. Les impressions de visite qui suivent, nécessairement subjectives, portent un regard sur quelques accrochages ont particulièrement attiré mon attention.
Paréidolie 2022 : Du côté des galeries…
On a retrouvé avec plaisir la Galerie AL/MA de Montpellier qui proposait un accrochage où la question du geste est partagé par les trois artistes sélectionnés.
Maëlle Labussière prolongeait à Marseille l’exposition que Marie-Caroline Allaire-Matte avait montrée à Montpellier jusqu’au début de l’été. En face, quelques feuilles captivantes d’Ève Gramatzki accompagnaient une très belle sélection d’œuvres dont une série de masques de Dominique de Beir.
Pour la Galerie 8 +4, Bernard Chauveau et Damien Sausset proposait un accrochage riche, dense et assez éclectique avec des feuilles d’Amélie Barnathan, Christian Lhopital, Claire Trotignon, Gilles Pourtier et Vera Molnar.
Gilles Pourtier présentait une nouvelle série de dessins, « Labor Sculptures ». On connaît le sens très particulier du détail, à tous les sens du terme, dont il fait souvent preuve. Pour ses « Labor Sculptures », il a examiné avec beaucoup d’attention la série photographique de Bernd et Hilla Becher intitulée « Framework Houses ». Entre 1959 et 1973, les Becher ont photographié différentes façades de maisons à colombage dans la région de Siegen, en Allemagne. Ces images ont plusieurs fois inspiré Gilles Pourtier, notamment pour un ensemble de xylogravures produites à l’URDLA de Villeurbanne (FW, 2020) et pour Avez-vous peur de nous (2019), une imposante sculpture, déclinaison d’une de ces xylogravures, co-produite par les Arts Ephémères et le Château de Servières. On se souvient de leur présence, ici même, en 2021, dans la mémorable exposition monographique « Rodéo Sauvage » pour le 13e Printemps de l’Art Contemporain à Marseille.
En regardant avec beaucoup d’attention, les clichés de Bernd et Hilla Becher, Gilles Pourtier a remarqué la présence de personnages presque invisibles. Ces « détails », probablement ignorés des Becher ne pouvaient laisser indifférent cet ancien de l’ENSP d’Arles.
Galerie 8 + 4 – Gilles Pourtier – Labor Sculptures, 2022
Les cinq « Labor Sculptures » qu’il présente pour Pareidolie 2022 sont des agrandissements dessinés (laborieusement ?) au crayon de ces acteurs « invisibles » de la série du couple de photographes allemands dont les sujets sont fréquemment qualifiés de « sculptures anonymes »…
On ne doute pas que la proximité de la série « Labor Sculptures » avec les photogrammes de Vera Molnar en hommage à György Kepes ne peut que satisfaire Gilles Pourtier…
Nouvelle venue sur le salon Pareidolie, la Galerie Françoise Besson de Lyon présentait un duo show très remarqué avec Barbara Carnevale et Xiaojun Song.
À propos de sa série « Meditation », l’artiste chinoise formée à l’École des Beaux-Arts du Hubei à Wuhan dit qu’elle est « le reflet de ma pensée sur la vie, composée de gestes inlassablement répétés. (…) À l’instar du principe de genèse taoïste, le premier trait engendre le second, puis le troisième et enfin la totalité de la composition. La raison d’être du trait n’est pas ailleurs que dans l’engendrement successif et répété des autres, lorsque le principe pictural du geste s’efface peu à peu pour devenir pleinement méditatif ».
Galerie Françoise Besson – Xiaojun Song – Méditation n°28 et n°29, 2022
À lire les échos de la presse sur Pareidolie 2022 (Quotidien des Arts du 31 aout), la galerie aurait fait « un sold out avec les dessins méditatifs de Xiaojun Song dès le premier jour »…
Mais, c’est surtout les dessins de Barbara Carnevale qui ont attiré notre attention. On avait découvert son travail au printemps dernier, grâce à Isabelle Carta, dans un duo avec Jean Charasse intitulé « Trame du silence » au 33 de la rue Saint-Jacques . On regrette de n’avoir pas eu le temps de chroniquer son remarquable travail et notamment les superbes volumes qu’elle y avait exposés.
Pour Pareidolie 2022, Barbara Carnevale proposait un remarquable accrochage qu’elle accompagnait d’un texte sensible dont on reproduit les deux derniers paragraphes :
« L’évasion poétique, la construction d’une méthode et l’achoppement au réel me conduisent à une recherche d’équilibre qui m’intéresse autant dans son développement, les expériences qu’elle suscite et l’aboutissement qu’elle provoque.
Je développe de façon formelle, un axe de recherche sur la mémoire de l’image, de la perception de l’espace et de l’expérience. Je m’intéresse aux tentatives plastiques prospectives, liées à la conservation de ce vécu, par la collecte et la restitution des ruines mnésiques. J’aimerais raccrocher cela à des questions d’harmoniques de formes. La recherche d’une fréquence fondamentale émise par les formes perceptives me questionne. Fabriquons-nous un vocabulaire plastique avec une signature intime, ou percevons-nous les signaux faibles de formes universelles — ayant une vibration propre ? »
Chez Eva Vautier (Nice), c’est surtout el travail de Charlotte Pringuey-Cessac qui attirait l’œil.
Dans une remarquable composition murale, le charbon de bois « enfoncé » dans la cimaise reliait des papiers fabriqués par l’artiste, couverts de la même matière avant d’être découpés et/ou collés. Sur la droite et en hauteur, l’accrochage se terminait avec Existe (2021) sur papier Arches…
Le site de la galerie reproduit un texte du philosophe et critique d’art Klaus Speidel consacré au travail de Charlotte Pringuey-Cessac dont on extrait ces lignes qui décrivent assez justement son travail :
« Les compositions de Pringuey-Cessac montrent son goût prononcé pour le noir, le charbon, le graphite, les traces de vie organique brulée ou comprimée. Le mur lui devient arène verticale, lieu de danse avec la matière, endroit de cadences, de formes organiques, aquatiques ou ardentes. Mais elle ne cesse de contreponctuer ses mouvements expressifs rigoureusement de traits nets, de blancheurs et de silences ».
Pour sa première participation à Pareidolie, Rhizome (Alger) présentait dans un accrochage sobre, presque austère une très intéressante sélection d’œuvres d’Adel Bentounsi et Fares Yessad.
On avait découvert le travail du premier dans « En attendant Omar Gatlato — Regard sur l’art en Algérie et dans sa diaspora », une passionnante proposition de Natasha Marie Llorens à la Friche la Belle de Mai, au printemps 2021. Il y présentait une installation (Bibliothèque arabe, 2017) au centre du premier plateau où casseroles, cocotte-minute, plats à tajine, verres à thé, et autres objets du quotidien accompagnaient un coran et un manuel théologique d’interprétation des rêves… Les visiteurs.euses étaient invités, s’ils/elles le souhaitaient à enrichir cette bibliothèque…
Rhizome – Alger – Adel Bentounsi, série « La récolte », 2022 – Paréidolie 2022
Rhizome proposait six dessins d’Adel Bentounsi appartenant à une série de 2022 intitulée « La récolte ». Leurs titres (Sous les vents, La foudre, Poussière, L’Ascencion et Fuite), comme leurs sujets sont sans équivoques. Seul Comète (2022) laisse un peu plus songeur.
Sur son site, l’artiste présente ainsi son travail : « Ma démarche consiste à répondre aux questions de l’existence ainsi qu’à s’intéresser au déroulement et fonctionnement des sociétés. Je considère que l’acte artistique est un acte de résistance ».
Les quatre très belles feuilles de Fares Yessad extraite de sa série « Amachahu /Fables de Slimane Azem » illustraient des fables du musicien, chanteur et poète kabyle.
Rhizome – Alger – Fares Yessad – Paréidolie 2022
Les dessins très travaillés de Fares Yessad, comme les textes de Slimane Azem expriment une critique évidente à la fois du colonialisme français, mais aussi du pouvoir algérien.
Première participation aussi pour Nosbaum Reding (Luxembourg/Bruxelles) avec Thomas Arnolds, Damien Deroubaix, Boryana Petkova et Sophie Ullrich.
Le superbe ensemble d’encre de chine sur papier de Boryana Petkova attirait particulièrement le regard. Les 18 feuilles présentées appartiennent à une imposante série de 411 dessins, intitulée « Le langage des fleurs, 2013-2015 ».
Nosbaum Reding – Luxembourg-Bruxelles – Boryana Petkova – Paréidolie 2022
La Galerie Valeria Cetraro (Paris) présentait un accrochage très équilibré avec deux grand formats (Les chagrins, 2021 et Stratification, 2022) et une série de monotypes de Pia Rondé & Fabien Saleil qui faisait face à deux ensembles de Pierre Weiss (Marché des émotions, 1993-2021 et Outils, 2014).
Un texte de la galerie présentait ainsi Les chagrins, 2021 et Stratification, 2022 du duo Rondé & Saleil deux œuvres fascinantes :
« Les œuvres de Pia Rondé (1986) & Fabien Saleil (1983) s’inscrivent dans des formes plastiques ouvertes, pouvant renvoyer à des récits labyrinthiques, à des structures minimales, marquées par une rigueur architecturale et un besoin géométrique, mais également par une sensibilité au monde du vivant.
L’œuvre Les chagrins, 2021 a été réalisée par le duo d’artistes dans le cadre de leur dernière résidence organisée par le Centre d’art Le Lait, en collaboration avec la mégisserie Eurêka à Graulhet. Les peaux en cuir vouées à la perte deviennent les pages sur lesquelles dessiner à grande échelle et suivant différentes techniques. Dans ce cas c’est une fraiseuse qui a tracé le dessin initialement réalisé par les artistes à plus petite échelle. Ici, la couleur des cuirs intervient dans la géométrie d’un espace dessiné en filigrane.
Poursuivant l’expérimentation des supports, l’œuvre Stratifications, 2022 est un dessin à l’encre de Chine réalisé sur des plaques de verre céramique. Nous sommes ici face à une œuvre à la double lecture. Si la proximité avec le dessin dévoile une multiplicité de détails évoquant aussi bien des textures végétales que minérales, ces derniers sont pris dans une forme géométrique dont la brillance, estompant leur perception, amène le spectateur éloigné à s’engouffrer dans une noirceur vertigineuse ».
Première présence au salon pour Lhoste (Arles) avec un solo show très réussi de Reeve Schumacher. Installé à Arles depuis 2010, l’artiste américain est co-fondateur, avec Mélanie Bellue, de Lhoste, conçu comme un espace alternatif consacré à l’art contemporain et au son expérimental.
L’accrochage s’articulait autour de trois sculptures en corde d’amarrage, dont l’imposant « Talisman ». Avec ses 120 m d’amarre pour un poids de 150 kg, son installation se développait sur plus de trois mètres de haut et deux en largeur.
Une série de dessins de labyrinthe sur papier millimétré exposait des croquis préparatoires d’installations en cordage de grande envergure.
L’ensemble était accompagné par deux photographies qui témoignent d’une performance de Reeve Schumacher en Camargue autour de la spirale. Towards a circle (2022) est un dessin « live » produit avec une boue noire faite de vase et d’algues sur une surface de sel blanc.
Reeve Schumacher – Towards a circle, 2022. Dessin live vase et algues sur sel performance – Vue drone et en action
La référence à Spiral Jetty de Robert Smithson est évidente et probablement revendiquée…
Entre art et musique, Reeve Schumacher présentait également des éléments de son projet Sonic Braille. Pour celui-ci, il utilise des disques vinyle qu’il incise avec un cutter pour créer un son littéralement « fait main » sur la partie non enregistrée du microsillon…
En live, il enchaîne ses disques préparés sur trois platines qu’il mixe pour créer une expérience sonore…
Cet automne, Reeve Schumacher devrait être invité par la Collection Lambert à investir les trois salles du programme Rendez-vous, Sous-sol. On aura alors l’occasion de revenir plus longuement sur cet artiste inclassable.
Paréidolie 2022 : Du côté des invités…
À l’entrée du salon, une proposition de Mayura Torii, artiste invitée, ouvrait le parcours de Pareidoloie 2022. Dans un accrochage dense, elle exposait plusieurs séries où avec humour et dérision, le langage et la traduction sont l’objet de « jeux de mots ou d’images, à l’équivoque sexuelle et au non-sens »…
Dans le couloir qui conduisait aux espaces des galeristes, dans le cadre de cartes blanches, on découvrait des œuvres de Magali Daniaux et Cédric Pigot sélectionnées par Polaris centre d’art (Istres) et deux très beaux dessins de Jean-Jacques Ceccarelli dans un hommage mérité que lui rendait la Galerie Territoires Partagés (Marseille). D’autres feuilles de cet artiste marseillais disparu en 2017 étaient exposées plus loin dans le parcours du salon, au niveau du « corridor » en contrebas de la voie ferrée.
Territoires partagés -Marseille – Jean-Jacques Ceccarelli, La poule d’andré, 2012 – Paréidolie 2022
C’est dans ce même espace, que Jeanne Susplugas, seconde artiste invitée, avait installé deux casques de réalité virtuelle pour permettre aux visiteurs de faire l’expérience de son application « I will sleep when I’m dead ».
On avait découvert cette œuvre à l’occasion du festival ON (Octobre Numérique) à Arles, puis à l’Ardenome — Ancien grenier à sel à Avignon à l’automne 2020.
Le voyage que Jeanne Susplugas propose dans le labyrinthe d’une boîte crânienne entre neurones et synapses a de toute évidence conquis le public. Deux dessins extraits de ce travail accompagnaient son installation…
Hors les murs, la programmation propose jusqu’au 25 septembre « Le geste de Phyllis », une exposition de Ramiro Guerreiro au plateau expérimental du Frac (Fonds Régional d’Art Contemporain), partenaire historique du salon.
Paréidolie 2022 inaugurait La Saison du Dessin qui prolonge le salon avec des projets curatoriaux et des temps d’exposition longs sur le dessin dans une trentaine de lieux partenaires à Marseille et sur le territoire, de fin août à fin décembre 2022.
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