Du 29 juin au 22 septembre prochain, Estrid Lutz présentera « Chaos Sensible » dans le cadre du parcours d’art contemporain estival de La Citadelle – Centre d’art & Musées à Villefranche sur Mer. Elle y exposera un ensemble d’œuvres en verre soufflé conçues au Cirva, le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques à Marseille où elle est accueillie en résidence de création depuis 2020 pendant plusieurs semaines chaque année.
On se souvient d’avoir découvert son travail en 2017 à l’occasion d’Art-o-rama où elle était représentée par la galerie berlinoise Neumeister Bar-Am. Résidente des Ateliers de la ville de Marseille, elle y présentait une série d’œuvres lenticulaires avec Émile Mold. L’année suivante, on retrouvait ce travail dans la magistrale exposition « Crash test – la révolution moléculaire » que proposait Nicolas Bourriaud à la Panacée à Montpellier.
Après un voyage au Mexique en 2018, Estrid Lutz s’est installée sur la côte Pacifique, à deux pas de la plage de Zicatela, un des plus célèbres spots de surf au monde.
À la rentrée 2019, Nicolas Bourriaud l’avait à nouveau accueilli à La Panacée pour une exposition personnelle intitulée « The Body of Tears ». Elle présentait un ensemble d’œuvres créées à l’occasion d’une résidence de recherche et de production pendant l’été à Montpellier qui étaient fortement marquées par les éléments de Puerto Escondido… Certaines de ces œuvres étaient présentes dans « Street Trash : L’effet spécial de la sculpture », la trop confidentielle exposition imaginée par Amandine Guruceaga et Benjamin Marianne lors du premier confinement en 2020.
Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2016 et de l’Art Center College of Design de Pasadena à Los Angeles, Estrid Lutz ne cache pas une fascination pour les technologies appliquées aux domaines de l’aéronautique et de l’aérospatial. Dans ses œuvres, elle exploite des matériaux utilisés dans ces industries de l’armement (kevlar, honeycomb, fibre de carbone, résine époxy) pour produire des sculptures/peintures/collages où l’on perçoit des formes et des matières hybrides, aux limites indistinctes, aux reflets et aux teintes instables. Certaines émettent des lueurs fluorescentes vertes ou bleues qui évoquent la bioluminescence du plancton…
Morteza Herati, recherches en cours d’Estrid Lutz au Cirva, 2021. © Morteza Herati
Depuis 2020, Estrid Lutz poursuit au Cirva une recherche qui s’appuie sans doute sur l’expérience éprouvée au contact de l’océan. Les images qu’elle publie régulièrement sur Instagram en témoignent. Dans sa note d’intention (voir ci-dessous), elle évoque nombre des préoccupations qui étaient déjà présentes dans le projet « The Body of Tears ».
Dans les actualités de son site, la Villa Arson, où Estrid Lutz est en résidence du 28 mai au 2 juillet, rappelle à juste titre que « le verre a la particularité de revêtir une apparence solide lorsqu’il est froid tandis qu’il semble liquide porté à une certaine température. Cela est dû à sa structure moléculaire amorphe, non cristalline, autrement dit “chaotique”. Le travail du verre chaud est une expérience d’une intensité rare où le sentiment du danger, suscité par le feu, côtoie celui de l’émerveillement. La pulsion d’abandon qu’il suscite rejoint l’expérience du surf où chaque instant se cristallise en une jouissance de l’infinie ».
Ce même texte annonce ensuite ce que devrait être l’exposition à la Citadelle de Villefranche :
« L’exposition “Chaos sensible” nous invite à un voyage galactico-sous-marin entre ciel et mer : des images des profondeurs de l’océan se télescopent avec des évocations des trous noirs. Estrid Lutz fréquente les laboratoires de recherche où elle observe les scientifiques au travail et leurs machines hors normes. Ainsi, pour préparer l’exposition, elle a notamment visité le laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM) ou encore le laboratoire d’Océanographie de l’Institut de la Mer de Villefranche (IMEV). Les pièces en verre soufflé évoquent autant les microorganismes que l’on peut observer à l’aide d’un microscope que du matériel high-tech utilisé dans les stations spatiales. Entre apnée et apesanteur, le·la visiteur·euse perd ses repères entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, la biologie et la technologie de pointe »…
Estrid Lutz, Cyanée bleue, 2020–2023 ; Acid ocean particle, 2020-2023 et Sponge, 2020-2023 Production/réalisation Cirva, Marseille.© Estrid Lutz ; photo © Cirva / Bérangère Huguet
On attend avec curiosité de découvrir les pièces en verre soufflé de « Chaos sensible ».
On revient éventuellement sur l’exposition après un passage.
Commissariat de Camille Frasca, Directrice des Musées de La Citadelle et Stanislas Colodiet, directeur du Cirva.
Une publication Estrid Lutz – Cahier du Cirva accompagnera l’exposition. Sous la direction de Stanislas Colodiet, Camille Frasca et Estrid Lutz, elle rassemblera des textes de Dorothée Dupuis, Stanislas Colodiet, Camille Frasca et Estrid Lutz.
A lire, ci dessous, la note d’intention d’Estrid Lutz pour sa résidence au Cirva
En savoir plus :
Sur le site de La Citadelle
Sur le site du Cirva
Sur le site de la Villa Arson
Estrid Lutz sur Instagram
À écouter Incalmo #2 – Estrid Lutz, une émission proposée par *Duuu, enregistrée en décembre 2020 au Cirva.
Estrid Lutz — Note d’intention pour le Cirva, 2020
Je m’approprie des matériaux industriels de haute technologie afin de changer leur usage d’origine vers plus de poésie, de brutalité et de surprise à travers un champ d’application qui leur est étranger. Mes sculptures et mes collages récents sont réalisés à partir de matériaux résistants et légers dits lightcore incluant le kevlar, des structures aluminium en nid d’abeille, de la fibre de carbone, de la fibre de verre ou encore de la résine époxy. Ces matériaux sont communément utilisés lors de la fabrication de satellites, de vaisseaux spatiaux, d’avions, de voitures, armes, gilets pare-balles ou de dispositifs de communication à grande échelle.
Je souhaite mener au Cirva des voyages cosmiques expérimentaux sans limites. J’imagine des projections d’espaces comme des océans aériens, une fusion d’infra-vies des mers et des ciels, et aussi des cyberespaces en perdition dans des dispositifs poétiques de réalités virtuelles. Mon projet débute avec l’image d’une vague qui se décroche de la croûte terrestre pour rentrer en orbite et se balader autour de la terre, frôlant divers engins spatiaux, débris électroniques égarés, informations secrètes et microorganismes invisibles des abysses ayant étant été projetés lors de cette marée inter espaces. Ma recherche sur le verre pourrait être assimilée à une balade autour de diverses formes non identifiables, provoquant des collisions, des rencontres, des fusions, des diffractions, des disparitions, des recognitions inattendues dans une brume qui embrasse le syndrome Kessler. J’imagine une fabrique de « débris » de verre produisant de l’énergie, de la lumière par exemple, et des jeux de profondeurs optiques faisant apparaitre et disparaître des images selon la disposition des cellules, ou encore des coexistences d’entités psychiques technologiques errantes dans la transparence qui produisent de la matière connectique.