Jusqu’au 30 juin 2025, le Site archéologique Lattara - Musée Henri Prades accueille « Les historiens du futur » de Léo Fourdrinier. Il faut impérativement aller à leur rencontre et parcourir en leur compagnie les espaces consacrés à la collection permanente du musée. L’expérience est par certains aspects assez déroutante. Elle permet de reconsidérer à travers un prisme nouveau les objets exposés, mais aussi l’architecture du bâtiment. « Les historiens du futur » nous invitent avec une étonnante sérénité à réfléchir sur la place et l’avenir des musées dans une période où certains n’hésitent pas à remettre en cause en partie leurs missions…
Lors d’une rencontre avec Léo Fourdrinier à Lattara, celui-ci nous a ainsi expliqué la nature de son projet :
« L’exposition s’apparente à un film de science-fiction, imaginant un futur plus ou moins lointain où les ressources se raréfient. Mon point de départ a été le Lez, ce fleuve qui coulait autrefois juste en bas du musée, à l’emplacement de l’ancien port. Avec le temps, le paysage s’est transformé, l’eau a disparu… Cette évolution m’a poussé à envisager un avenir où l’humanité doit inventer de nouveaux modes de survie.
Dans ce monde hypothétique, de nouvelles technologies émergent, mais l’un des moyens les plus surprenants de subsistance repose sur l’observation et la contemplation de l’histoire. Les objets antiques conservés dans les musées deviennent une ressource essentielle, non plus seulement pour la culture, mais par nécessité vitale. Ainsi, un groupe de personnages parcourt les institutions, puisant dans ces vestiges du passé une forme d’énergie ou de savoir indispensable à leur existence.
Cette idée est une métaphore du rôle fondamental des musées : préserver, transmettre et donner du sens au passé. C’est à partir de cette réflexion qu’est né le projet, en dialogue direct avec la collection permanente du musée.
L’installation repose sur quinze mannequins – des visiteurs fictifs, sculpturaux – qui arpentent le musée et explorent la collection comme une source vitale. Une véritable communauté en mouvement, qui évoque immédiatement l’univers des motards et leur mode de vie nomade. Ce parallèle avec les clubs de motards renvoie à la notion de déplacement, de survivalisme, d’errance d’un musée à l’autre pour assurer leur survie. Ici, la nourriture puisée dans l’histoire et la culture ne se limite pas à une simple stimulation intellectuelle : elle revêt une dimension presque physique, ancrée dans la matérialité des objets ».
Léo Fourdrinier – Les historiens du futur – Site archéologique Lattara, Musée Henri Prades – 7° photo : Souffle De-Light
Celles et ceux qui connaissent le travail de Léo Fourdrinier ne seront pas surpris par sa démarche et la manière avec laquelle il a investi les espaces du musée. On se souvient notamment de « La lune dans un œil et le soleil dans l’autre », la superbe exposition personnelle qui avait conçu avec la complicité de Laureen Picault et Bertrand Riou pour l’inauguration du nouvel espace du CACN — Centre d’Art Contemporain de Nîmes en 2021. À l’occasion d’Art-o-rama 2023, il avait imaginé « Mas/seille : the limits of the Earth, at the end of Paradise », une proposition très cohérente autour de le figure de Janus qui lui avait valu le Prix de la collection Marval. Depuis sa participation remarquée la 16e Biennale d’art contemporain de Lyon en 2022, Léo Fourdrinier s’est affirmé comme un des artistes les plus intéressants de sa génération.
Le projet « Les historiens du futur » répond à une invitation conjointe de Diane Dusseaux, conservatrice du patrimoine et directrice du musée Henri Prades, et du MO.CO. Montpellier Contemporain. Il fait suite aux propositions qu’avait faites dans le cadre de ce dispositif Tiphaine Calmettes (2023), Aïcha Snoussi (2022), Raphaël Barontini (2021), Gaëlle Choisne (2020), Benoît Maire (2019) et Raphaël Zarka (2018). On se souvient également des expositions conçues pour Lattara par Arnaud Vasseux en 2017 et par Jean Denant en 2016 qui ont été les enseignants de Léo Fourdrinier aux Beaux-Arts de Nîmes…
Ci-dessous, quelques regards photographiques sur le parcours de l’exposition, accompagné des commentaires de Léo Fourdrinier enregistrés lors de notre conversation. On reproduit également le texte de présentation de son projet.
Celles et ceux qui n’ont pas encore rencontré « Les historiens du futur » et qui prévoient de passer à Lattes pourront éviter cette lecture avant leur visite…
En savoir plus :
Sur le site du Site archéologique Lattara - Musée Henri Prades
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Sur le site du MO.CO. Montpellier Contemporain
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Sur le site de Léo Fourdrinier
Léo Fourdrinier sur le site de la Galerie Les Filles du Calvaire
« Les historiens du futur » – Une conversation avec Léo Fourdrinier et quelques regards sur l’exposition
Comment as-tu articulé ton projet ? L’histoire que tu racontes s’inspire-t-elle du travail des archéologues que tu as rencontrés ici ?
Quand j’ai vu les archéologues en action, j’ai tout de suite été frappé par la complexité de leur travail. Sous une chaleur écrasante de 40 degrés, ils effectuaient un travail d’une précision extrême. Mais au-delà de la rigueur, il y avait cette énergie, cette excitation presque électrique face à la découverte. Par exemple, ils avaient trouvé un petit fragment de fibule, un objet minuscule, mais d’une finesse incroyable. Et là, tout de suite, cette magie opère : Qu’avons-nous trouvé ? De quoi s’agit-il ? Commence alors tout un processus d’analyse et d’identification.
C’est précisément cette dynamique qui a nourri ma réflexion sur les historiens du futur — un terme que j’ai choisi volontairement plutôt que archéologues du futur. Contrairement aux archéologues, ces historiens ne fouillent pas la terre, ils se contentent d’observer ce qui est déjà mis en valeur, présenté et conservé dans le musée. Mais ils partagent cette fascination pour les vestiges du passé, cette idée de « se nourrir » de l’histoire. C’est ce lien presque mystique avec les objets qui a aussi inspiré l’usage de la lumière dans mon travail : une énergie qui émane de l’observation, un dialogue entre le passé et le présent.
Léo Fourdrinier – Les historiens du futur – Site archéologique Lattara, Musée Henri Prades
Donc ton projet est plus une analogie avec le travail muséal qu’avec un site archéologique en lui-même ?
Exactement. Ici, c’est un cas particulier : les fouilles se déroulent directement sur le site du musée, ce qui est assez rare. Toute la chaîne de découverte est centralisée, des premières recherches sur le terrain jusqu’à la conservation et l’exposition des objets. Cela crée une connexion permanente entre les archéologues, la direction du musée, les conservateurs… Contrairement à d’autres musées où les artefacts arrivent parfois de fouilles lointaines et passent par de nombreuses étapes extérieures, ici tout se fait sur place.
Ce qui m’a frappé, c’est l’implication totale des équipes. Ils ne sont pas simplement là pour organiser des expositions, ils sont en première ligne de chaque découverte. Travailler avec eux durant un an a été fascinant, car j’ai pu suivre tout le processus : de la mise au jour de la fibule lors de la semaine où j’étais sur place, jusqu’à son analyse, sa restauration, son stockage dans les réserves, puis sa mise en exposition avec un cartel explicatif. Tout se déroule ici, sous un même toit, et c’est ce qui rend ce musée si particulier.
C’est cette dynamique, cette interaction constante entre passé et présent, qui m’a profondément inspiré dans la construction de mon projet.
Vénus
Peux tu dire quelques mots à propos de cette sculpture qui ouvre ton exposition ?
Le parcours s’ouvre sous le porche avec Vénus, une moto sculptée à la main dans du marbre de Carrare – un détail fondamental qui souligne la dimension artisanale de l’œuvre. En contraste, une main en résine repose sur le réservoir de la moto. Cette composition fait directement écho à la Vénus de Vienne, une sculpture conservée au musée du Louvre, où subsiste un fragment de main d’enfant appartenant au dieu Éros, posée sur Vénus. Ici, la main en résine est un moulage réalisé sur un modèle vivant : celle de mon petit neveu, âgé de trois ans. Ce choix était essentiel pour moi, car il permet d’inscrire une présence humaine contemporaine dans l’œuvre.
Léo Fourdrinier – Vénus, 2024. Moto Yamaha, marbre de carrare, acier, résine. 137 x 250 cm. Production MO.CO. Montpellier contemporain & Site archéologique Lattara – musée Henri Prades © Courtesy galerie Les filles du calvaire and the artist – Les historiens du futur – Site archéologique Lattara, Musée Henri Prades
Cette pièce s’inscrit dans ma réflexion sur la moto comme vecteur d’émotions. Je ne suis pas motard moi-même, mais mes parents le sont, et depuis mon enfance, j’ai vu ma mère et mon beau-père partir ensemble en moto, comme des amoureux. Il y a quelque chose de profondément sensuel dans cette expérience : les corps se frôlent, se serrent, fusionnent presque avec la machine. Même la carrosserie dégage une sensualité particulière. Pour moi, la moto a toujours symbolisé l’amour, la romance, le couple, et bien sûr la liberté – mais une liberté vécue à deux.
Ainsi, Vénus incarne cette idée : la moto, c’est l’amour. Et à travers cette installation, mes historiens du futur ne recherchent pas seulement la survie, mais aussi un mode de vie collectif, un vivre ensemble essentiel.
Les Historiens du futur
Comment as-tu créé tes « Historiens du futur » ?
À la base, ce sont des mannequins de magasins, mais je les ai entièrement retravaillés. J’ai découpé leurs articulations pour pouvoir les ré articuler à ma façon et leur donner les postures que je voulais. En les coupant et en les réassemblant, ils ont parfois gagné quelques centimètres. Mais à la base, je suis parti de silhouettes humaines classiques, que j’ai ensuite redessinées et adaptées.
Et leurs tenues, comment les as-tu conçues ?
Chaque figure porte un assemblage de combinaisons de moto et d’autres vêtements que j’ai soigneusement sélectionnés. J’y ai ajouté des accessoires de protection, notamment des casques personnalisés. D’ailleurs, les visières ne sont pas celles de casques de moto classiques : elles viennent de scooters. Comme elles sont plus grandes et souvent irisées ou colorées, elles accentuent l’aspect futuriste des personnages.
Ce néon qui revient dans toutes tes sculptures, quel est son rôle ?
Il symbolise un transfert d’énergie. C’est une façon d’illustrer ce flux vital qui nourrit les historiens du futur dans le musée. Ces personnages, que j’ai imaginés, se nourrissent littéralement du savoir et de l’histoire à travers les objets exposés. Ces néons ont été réalisés avec Souffle De-Light, un artisan d’art de Nîmes avec lequel je travaille régulièrement.
Les personnages que tu as créés, portent tous des ornements singuliers ?
Ils portent tous des éléments de moulage qui complètent leur combinaison. J’ai mélangé ça avec des câblages récupérés sur des carcasses de motos que j’avais utilisées par le passé. Il y a aussi des petits bijoux, des céramiques émaillées…
C’est intriguant. Et ces moulages, ils viennent d’où ?
Ce sont des morceaux de bustes que j’ai réalisés dans mon atelier. Mais ce n’est pas qu’un simple habillage esthétique. C’est comme si ces personnages collectaient des éléments, les stockaient pour la suite de leur voyage… Un peu comme nous, quand on ramasse des pierres ou des végétaux en balade.
Donc ils accumulent des fragments, un peu comme des souvenirs ?
Oui, exactement. Dans cette fiction, ils voyagent de musée en musée, collectant des objets au passage.
Et ce motif en nid d’abeille qu’on retrouve sur certaines pièces ?
Il évoque les structures moléculaires. J’aimais cette idée de connexion entre l’organisation biologique et l’idée de nourriture intellectuelle, celle qui alimente l’esprit et fait fonctionner le corps.
L’univers des motards
Pourquoi ces références à l’univers des motards ?
Ce groupe de personnages fonctionne comme une équipe, presque une tribu. Ça m’intéresse beaucoup, cette idée de collectif soudé que j’associe en partie de l’univers des motards. On pense souvent aux Hells Angels ou aux Bandidos, qui ont une image parfois violente, mais ce sont avant tout des passionnés. Et aujourd’hui, il existe aussi des collectifs plus récents, comme des groupes féministes à moto, qui détournent les codes traditionnellement masculins de cet univers.
C’est une vraie aventure collective…
Exactement. Ce que je trouve fascinant, c’est ce mélange entre autonomie et solidarité. Chaque motard est seul sur sa machine, mais ils avancent ensemble. Il y a un vrai besoin d’entraide, surtout quand on voyage sur de longues distances.
Et cette connexion, tu l’as ressentie aussi en montant l’exposition ?
Oui, totalement. Un exemple frappant : en arrivant au musée, j’ai rencontré Anthony, un motard passionné. En discutant de mon projet avec lui, il s’est tout de suite senti concerné. À tel point qu’il a voulu prêter sa propre moto pour l’expo ! C’est ça que j’adore dans cet univers : une passion qui crée du lien, qui se partage naturellement.
L’architecture du musée
On sent que l’architecture du musée a été une vraie source d’inspiration pour toi.
Complètement. L’architecture du lieu a guidé tout le projet. Notamment, ces gros modules en béton brut de décoffrage, avec leurs ouvertures lenticulaire qui me font penser à des gouttes… dès le début, j’ai vu ça comme une sculpture. Un truc minimaliste, presque à la manière de Wolf Vostell.
Autour des tombes découvertes près de Lattara, derrière le guerrier de Lattes
On sent que la mise en scène est ici très réfléchie.
J’y ai mis une attention particulière, oui. Ici, la collection du musée ne bouge pas, donc c’est à moi, en tant qu’artiste, de m’adapter à l’espace. J’ai eu la chance de pouvoir libérer ici un endroit qui ne contenait qu’un écran et une maquette. Dès le départ, j’ai su que ce serait la scène principale.
Et cet échafaudage avec les néons ?
Il était déjà présent à Art-O-Rama, mais ici, je l’ai réutilisé pour accueillir deux véritables amphores funéraires, issues des réserves du musée. Ça me tenait à cœur d’intégrer des objets authentiques à l’installation.
Cette moto, elle est dingue ! C’est autour d’elle que tu as construit ta mise en scène ?
Oui, c’est celle du gardien Anthony. Il l’a entièrement personnalisée. Il a refait le réservoir, coupé l’arrière, changé les pneus… Et par hasard, elle colle parfaitement avec mon univers, que ce soit en termes de couleurs, de formes ou de textures.
Tu as aussi ajouté des éléments ?
Oui, j’ai rajouté un porte-bagages et quelques détails design, comme ce miroir, pour accueillir une autre amphore. Celle-ci, en revanche, est une reproduction contemporaine, initialement destinée à la déco de jardin.
C’est intéressant, ce dialogue entre vrai et faux. Tu peux en dire un peu plus ?
C’est justement l’idée : confronter l’authentique à la copie, et interroger la valeur qu’on attribue aux objets selon l’époque et leur fonction. À l’origine, ces amphores servaient à contenir les cendres des défunts. Elles font écho à l’accrochage du musée, qui ici aborde les rituels funéraires.
Tes personnages, ils ont une posture assez paisible…
Oui, c’était un choix important. J’ai hésité à leur donner des postures dramatiques, comme s’ils étaient en quête urgente de nourriture. Mais finalement, je voulais une métaphore de notre façon de nous nourrir intellectuellement dans les musées. Ils prennent leur temps, ils observent, ils réfléchissent. Ils vivent dans un futur difficile, mais sans panique… Cette sérénité dans leurs postures était essentielle.
Devant les amphores étrusques
Peux-tu m’en dire un peu plus sur ce personnage qui fixe les amphores étrusques ?
C’est un jeu sur les regards. J’essaie d’éviter la répétition, pour que chaque scène raconte quelque chose de différent. Il a autour de son cou un réservoir de liquide récupéré dans une casse auto. Je ne sais pas exactement à quoi il servait, mais ici, il s’inscrit dans l’univers du déplacement et du transport.
Et son sac à dos ?
Toujours cette idée de collecte, de déplacement. Ce ne sont pas des pilleurs, mais l’archéologie a souvent flirté avec cette frontière… Et finalement, l’histoire de l’archéologie, c’est aussi celle du pillage : des objets qui n’appartiennent plus à leur pays d’origine et qui se retrouvent exposés ailleurs.
Commerce et amphores
On m’a autorisé à utiliser un des plus beaux objets de la collection : cette boucle de ceinture en argent et en or. J’ai voulu l’intégrer dans un dispositif qui reprend en fait le conditionnement des réserves avec cette caisse en plastique, la mousse de protection, le papier de soie… Comme une mise en scène du transport et de la protection des objets.
Tout est placé dans une vitrine immense, que j’ai associée à une sculpture que j’ai réalisée à l’atelier. C’est un assemblage : une pierre, un visage moulé d’une statue antique et une ceinture contemporaine sans valeur…
Et ce personnage, là ?
C’est un historien, un peu plus grand que les autres. Son casque a été modifié avec la visière d’un gros scooter. Dans son sac de golf, il y a des carottages « archéologiques » que j’ai réalisé à partir de sable de terre de minéraux et végétaux que j’ai trouvé aux alentours du musée.
Il a une expression un peu différente des autres, mais surtout, il dirige son regard vers un autre personnage, là-haut… que l’on ne le voit pas tout de suite quand on arrive.
Ici, tu joues à nouveau avec l’architecture du musée ?
Exactement ! Ce musée est incroyable, il offre des points de vue partout. Quand tu montes, tu redécouvres la scène avec la moto sous un autre angle.
Donc tes personnages, c’est un peu ta façon de guider le regard des visiteurs ?
Oui, leur position et leur regard orientent ceux des visiteurs, parfois vers une vitrine, parfois vers d’autres sculptures, parfois même vers mes faux enfants…
Autour et dans la maison gauloise
Faux enfants ?
Oui, ce sont les deux seuls enfants historiens de l’exposition. Ils ont des visages en céramique émaillée, avec un motif qu’on retrouve ailleurs.
Pourquoi eux seuls ont-ils des visages ?
Peut-être pour symboliser une nouvelle étape dans l’évolution de l’humanité. Une hybridation encore plus marquée dans cette génération. ils sont liés à la médiation du musée… Sur une page du catalogue officiel du site de Lattara, en 2024, on voit une amphore où ces enfants auraient dessiné des fleurs. Bien sûr ce n’est pas vrai ! C’est une incohérence volontaire, un jeu de piste pour rappeler que, dans un musée, il faut comprendre le contexte des objets et pas juste s’émerveiller. J’aime bien cette idée de médiation, ça fait réfléchir… C’est ce qui m’a marqué ici, l’équipe de médiation est incroyable, et ce travail de transmission est essentiel.
Quelle est cette étrange sculpture dans la cabane ?
Cette reconstitution de maison possède une dimension à la fois cinématographique et théâtrale. J’y ai intégré une sculpture directement, en l’associant aux éléments du champ lexical de toute l’exposition. On retrouve notamment une rencontre presque écrasante entre deux casques, dans une esthétique plus traditionnelle de ma pratique, ainsi que la sphère miroir, récurrente dans mes compositions depuis plusieurs années, accompagnée d’autres éléments en lien avec l’ensemble.
Mon intention était de créer quelque chose de plus libre, ancré dans un univers domestique tout en restant en résonance avec l’exposition. Cela pose aussi la question de l’utilité de cette mise en scène. Elle invite à porter un regard plus attentif sur la maison et à découvrir les petits détails qui s’y cachent.
Et cet autre personnage, caché au fond, drapé comme une statue ?
Ah, lui ! Il porte un manteau fait de moulages de mains, que j’ai réalisés avec des scolaires. Chaque année, on fait des ateliers de moulage. Les enfants m’avaient offert leurs empreintes de mains, et elles sont restées dans mon atelier en attente d’un projet. Mon atelier, c’est un peu comme une réserve archéologique ! Il y a des étagères pleines de pierres trouvées en bord de mer ou en montagne, et plein de moulages.
Devant les fouilles…
Ce personnage à l’air très méditatif devant les ruines des fondations du port ?
Il observe, contemple l’extérieur qui n’est n’est pas accessible librement public mais uniquement dans le cadre de certaines visite.
Quelques mots sur cette dernière œuvre au premier niveau ?
C’est bien une fiction, tout comme la boucle de ceinture. Ici, j’ai associé une photographie d’amphores prise au Musée de la Romanité à Nîmes avec un vase Ikea, illustrant une fois encore l’évolution de l’artisanat. Cette mise en scène, que j’ai librement conçue, repose sur le principe du recouvrement.
On retrouve cette idée dans le dialogue instauré entre un panneau publicitaire et un présentoir de magasin, une rencontre entre deux univers opposés. Cette pièce est la dernière que j’ai réalisée pour l’exposition, mais elle existait initialement en tant qu’œuvre autonome, déjà exposée au CACN.
Réintégrer une œuvre antérieure, surtout lorsqu’elle met en avant des objets provenant d’un autre musée archéologique, permet de renouer avec le fonctionnement des musées, qui reposent largement sur les échanges et les prêts d’œuvres. Cet aspect me fascine particulièrement. Comme beaucoup d’autres éléments du projet, cette œuvre s’est imposée naturellement en toute fin de processus.
Sur la mezzanine, un étrange personnage…
Cet historien du futur avec sa toge rouge a l’air bien différent ?
Ce personnage, installé sur la mezzanine, observe ce qui se passe en contrebas ainsi que l’arrivée des visiteurs par la rampe. C’est le seul à être drapé dans un tissu rouge. Il se tient à côté de la vitrine consacrée à l’écriture. Son drapé fait un clin d’œil à ma sculpture préférée du musée : une pièce unique en son genre, puisqu’il s’agit du seul corps sculpté avec un drapé dont la tête est interchangeable.
À l’époque, plutôt que de sculpter une statue entière à chaque décès, on ne renouvelait que la tête, adaptée au défunt. Je ne savais pas que les statues antiques fonctionnaient un peu comme des LEGO, avec des éléments interchangeables ! Cette œuvre est discrètement placée dans un coin du musée, et pourtant, d’un point de vue artisanal et technique, elle est fascinante.
Un couple sur la mosaïque à décor géométrique…
Sur la très belle mosaïque qui pavait sans doute un petit espace de réception au sein d’une maison de Lattara, un couple est en train de se nourrir d’histoire. Il me semblait essentiel d’intégrer une scène qui évoque le partage d’un repas, soulignant à la fois l’acte de se nourrir et la dimension collective de cette expérience.
La femme tient dans sa main un vase en verre, qui n’est pas un original mais une reproduction contemporaine, réalisée de manière artisanale. C’est un modèle que l’on peut retrouver dans la boutique du musée, fabriqué par un artisan verrier en Dordogne, et directement inspiré des vases antiques visibles dans la vitrine toute proche.
Cet objet illustre bien la façon dont nous sommes nourris à la fois par les pièces authentiques, par leurs reconstitutions et par toute une esthétique qui s’en inspire. Il s’inscrit dans un dialogue plus large, rendant hommage aux artisans qui perpétuent ces savoir-faire et participent à la transmission des formes et des techniques à travers l’histoire de l’art. Sa présence ici avait donc tout son sens.
Lattara, dans le futur – Texte de présentation par Léo Fourdrinier
L’eau potable a quasiment disparu. La croissance démographique, l’urbanisation et les effets du changement climatique ont engendré des périodes de sécheresse prolongées et une diminution des précipitations: les ressources en eau sont devenues rares. Face à cette pénurie, les infrastructures peinent à trouver des solutions durables. Pour assurer la survie de l’humanité, une nouvelle approche vitale doit être adoptée.
Au cours des siècles suivants, les technologies se sont développées à un rythme effréné, dans la quête d’une solution qui pourrait soutenir le fonctionnement biologique de l’organisme humain. Après de nombreux échecs et la disparition tragique d’une grande partie de la population mondiale, les intelligences artificielles ont trouvé une issue. Elles ont fusionné avec les humains, créant une nouvelle forme d’existence hybride. Ces nouveaux-nés, issus d’une humanité augmentée dans un monde asséché, ont découvert un moyen de stimuler leur survie: l’Histoire.
À travers des combinaisons technologiquement avancées, connectées aux organes vitaux, ces êtres augmentés sont capables de recycler et de transformer les informations et les récits historiques en un puissant stimulant mental. L’Histoire, loin d’être simplement un récit du passé, devient un catalyseur pour la régénération physique et mentale. Chaque événement historique, chaque construction narrative, chaque mémoire collective est assimilée par le cerveau et convertie en énergie mentale, renforçant l’esprit et optimisant les fonctions biologiques. Ces récits nourrissent non seulement leur cognition, mais aussi leur bien-être physique, réduisant leur dépendance à des ressources matérielles comme l’eau et la nourriture.
En puisant dans les connaissances du passé, ces hybrides peuvent augmenter leur endurance, stimuler leur créativité et mieux gérer leur survie dans un environnement devenu hostile. L’Histoire, désormais une ressource vivante, est devenue la clé de leur existence.
Les musées, véritables centres vitaux, sont des lieux essentiels pour cette nouvelle Humanité. Elle y trouve l’énergie nécessaire à sa survie en absorbant les récits et les artefacts du passé. L’Histoire, conservée et transformée dans ces temples de mémoire, est devenue sa seule ressource. Porteurs de la mémoire collective pour assurer leur existence, les humains sont devenus « les historiens du futur».