Jusqu’au 21 septembre 2025, Sophie Calle répond à l’invitation du Mrac à Sérignan avec « Êtes-vous triste ? », une exposition dont le titre reprend une interrogation de La Visite médicale, une œuvre de la série des « Autobiographies » présente dans le parcours.
Le texte de présentation de ce projet indique qu’en relevant le défi de l’invitation, l’artiste souhaite questionner « la réception critique de son œuvre et son souci de transmission aux générations futures ». Parmi les séries qui sont exposées, on retrouve plusieurs de celles qu’elle avait utilisées pour construire « Cinq », son jeu de pistes en cinq actes dans cinq musées de Marseille, et une partie de celles que Carré d’Art avait réunies pendant le confinement dans « Des Visages – Le temps de l’Autre ».
Après le remarquable et remarqué « À toi de faire, ma mignonne » au musée Picasso à l’hiver 2023/2024, on attendait avec curiosité de découvrir la manière avec laquelle elle posera la question « Êtes-vous triste ? » à Sérignan…
On retrouve, en partie, dans les espaces du Mrac le sens aigu de la mise en scène dont elle avait fait preuve pour « Finir en beauté » dans les galeries des cryptoportiques, l’été dernier pour les Rencontres d’Arles.
Sophie Calle – « Êtes-vous triste ? » au Mrac, Sérignan. Vues de l’exposition. Photo Coordination AirdeMidi
Commissariat de Clément Nouet.
L’exposition est accompagnée chez Actes Sud de la réimpression de l’édition Douleur Exquise avec la participation du Musée régional d’art contemporain Occitanie.
Chronique à suivre.
À lire, ci-dessous, la présentation par Sophie Calle des séries qu’elle a sélectionnées pour « Êtes-vous triste ? »
En savoir plus :
Sur le site du Mrac
Suivre l’actualité du Mrac sur Facebook et Instagram
Sophie Calle sur le site de la galerie Perrotin
Sophie Calle dans les collections publiques
Sophie Calle « Êtes-vous triste ? » à propos des séries sélectionnées
La visite médicale, 2002 (série des Autobiographies, 1988-2025)
J’ai passé une visite médicale. Il m’a fallu remplir un questionnaire de six pages, près de trois cents questions. À toutes, sauf une, j’ai répondu NON. Avais-je contracté la rubéole, la variole, le choléra, le tétanos, la tuberculose, la fièvre jaune, la scarlatine, ou le typhus… Étais-je sujette aux vertiges, avais-je du cholestérol, du diabète, de la tension, des maux de tête, de cœur, de ventres, des enfants, des allergies, des calculs, des palpitations, des bouffées de chaleur, des problèmes cardiaques, dentaires, auditifs, des crises de tétanie, d’épilepsie, des douleurs lombaires, des étourdissements, des évanouissements, des éblouissements, des embarras gastriques, des désordres intestinaux, des troubles visuels ? Et, soudain, comme si de rien n’était, perdue dans le flot, cette interrogation : « Êtes-vous triste ? »
Inventaire des projets achevés, 2023-2025
J’ai dressé la liste de tous les projets que j’avais réalisés depuis mes débuts. J’en ai comptabilisé soixante-sept. J’ai joué à les associer à des titres de la Série noire et j’ai eu l’impression que ces titres m’attendaient.
Douleur exquise, 1984-2003
En 1984, le ministère des Affaires étrangères m’a accordé une bourse d’études de trois mois au Japon. Je suis partie le 25 octobre sans savoir que cette date marquait le début d’un compte à rebours de quatre-vingt-douze jours qui allait aboutir à une rupture, banale, mais que j’ai vécue alors comme le moment le plus douloureux de ma vie. J’en ai tenu ce voyage pour responsable. De retour en France, le 28 janvier 1985, j’ai choisi, par conjuration, de raconter ma souffrance plutôt que mon périple. En contrepartie, j’ai demandé à mes interlocuteurs, amis ou rencontres de fortune : « Quand avez-vous le plus souffert ? » Cet échange cesserait quand j’aurais épuisé ma propre histoire à force de la raconter, ou bien relativisé ma peine face à celle des autres. La méthode a été radicale : trois mois plus tard, j’étais guérie. L’exorcisme réussi, dans la crainte d’une rechute, j’ai délaissé mon projet. Pour l’exhumer quinze ans plus tard.
Où et Quand ? Berck, 2004-2008
J’ai proposé à Maud Kristen, voyante, de prédire mon futur afin d’aller à sa rencontre, de le prendre de vitesse. Le 17 mai 2004, les cartes m’ont envoyée à Berck.
Où et Quand ? Lourdes, 2005-2008
J’ai proposé à Maud Kristen, voyante, de prédire mon futur afin d’aller à sa rencontre, de le prendre de vitesse. Le 22 janvier 2006, les cartes m’ont envoyée à Lourdes.
Sophie Calle – Où et quand Lourdes, 2005-2008 © Sophie Calle ADAGP, Paris 2025. Courtesy de la galerie Perrotin. A gauche, photo de Jean-Baptiste Mondino
Pas pu saisir la mort, 2007
Elle s’est appelée successivement Rachel, Monique, Szyndler, Calle, Pagliero, Gonthier, Sindler. Ma mère aimait qu’on parle d’elle. Sa vie n’apparaît pas dans mon travail. Ça l’agaçait. Quand j’ai posé ma caméra au pied du lit dans lequel elle agonisait, parce que je craignais qu’elle n’expire en mon absence, alors que je voulais être là, entendre son dernier mot, elle s’est exclamée : « Enfin ». 22 janvier 2006
Pôle Nord, 2009
J’ai enterré les bijoux et le portrait de ma mère sur le rivage du glacier du Nord. Ma mère avait toujours projeté d’aller un jour au pôle Nord. Elle est morte sans accomplir ce rêve. Pour le garder intact peut-être. Invitée à naviguer dans l’Arctique, j’ai accepté pour elle. Pour l’emmener. Dans ma valise : son portrait, son collier Chanel et son diamant.
La Dernière Image, 2010
Je suis allée à Istanbul. J’ai rencontré des aveugles qui, pour la plupart, avaient subitement perdu la vue. Je leur ai demandé de me décrire ce qu’ils avaient vu pour la dernière fois.
Sophie Calle – La Dernière Image. Aveugle au divan et Aveugle au revolver, 2010 © Sophie Calle ADAGP, Paris 2025. Courtesy Perrotin
Voir la mer, 2011
À Istanbul, une ville entourée par la mer, j’ai rencontré des gens qui ne l’avaient jamais vue.
J’ai filmé leur première fois.
Sophie Calle – Voir la mer (détail), 2011 © Sophie Calle ADAGP, Paris 2025. Courtesy Perrotin