Jusqu’au 15 février 2026, le Crac Occitanie présente à Sète « Yvonne Rainer: A Reader », une exposition essentielle consacrée à l’une des figures majeures de la danse postmoderne et du cinéma féministe. Conçu par Arlène Berceliot Courtin, ce projet ambitieux dépasse la forme de la rétrospective pour interroger la manière d’exposer une œuvre fondée sur la déconstruction du geste, du récit et du regard. Le projet réunit un ensemble important d’archives et l’intégralité des longs-métrages de Rainer. Dense et exigeante, l’exposition demande une attention soutenue pour en saisir les enjeux historiques et politiques, ainsi que les liens entre danse, cinéma et engagement.
Avec : Charles Atlas • Florencia Aliberti • Caterina Cuadros • Gala Hernández López • Gregg Bordowitz • Pauline L. Boulba • Lucie Brux • Aminata Labor • Pauline Boudry • Renate Lorenz • Madison Bycroft • Nick Mauss • Paul Maheke • Babette Mangolte • Josèfa Ntjam • Ulrike Ottinger • Adam Pendleton • Jean-Charles de Quillacq • Yvonne Rainer • Robert Rauschenberg
Performances annoncées de Cécile Bouffard, Ruth Childs et Lenio Kaklea et rencontre programmée avec Hélène Giannecchini.
Commissariat : Arlène Berceliot Courtin
Une figure essentielle de la danse postmoderne et du cinéma expérimental
Danseuse, chorégraphe et cinéaste, Yvonne Rainer occupe une place majeure dans l’histoire de l’art contemporain depuis le début des années 1960. Figure pionnière de la danse postmoderne, elle est également une réalisatrice engagée dans un cinéma indépendant, féministe et lesbien. Si sa contribution à l’histoire de l’art et de la danse est largement reconnue aux États-Unis, les occasions de voir son travail en Europe, et particulièrement en France, demeurent rares.

Outre la reconstitution de Continuous Project–Altered Daily (1970) présentée au Festival Montpellier Danse en 1996, on se souvient du projet The Yvonne Rainer Project en 2011, avec l’exposition collective Lives of Performers à la Ferme du Buisson et le colloque Nexus Rainer au Palais de Tokyo et au Jeu de Paume. Plusieurs de ses créations chorégraphiques avaient également été évoquées dans l’exposition A Different Way to Move, organisée par Marcella Lista en 2017 à Carré d’Art, Nîmes ainsi que dans « Inventing Dance: In and Around Judson, New York, 1959-1970 » à la Galerie contemporaine du MAMAC à Nice pendant l’hiver 2018-2019.
Ces événements avaient montré combien le parcours singulier de Rainer, entre danse, performance et cinéma, exigeait une approche curatoriale particulière. C’est à cette ambition que répond le projet d’Arlène Berceliot Courtin au Crac Occitanie. « Yvonne Rainer : A Reader » entend célébrer une personnalité incontournable de l’art et du féminisme des XXᵉ et XXIᵉ siècles tout en interrogeant la manière d’exposer une œuvre qui, dès l’origine, a cherché à déjouer toute forme d’autorité.
Un projet de recherche et de transmission
Lors de la visite de presse, la commissaire présentait ainsi le cadre de sa recherche et les ambitions de son exposition :
« Ce projet de recherche a été initié en 2019 et a pu voir le jour grâce au soutien de plusieurs institutions, notamment l’Institut français, le Centre national des arts plastiques et la Villa Albertine, dont j’ai été lauréate en 2022. Ces bourses m’ont permis d’effectuer plusieurs séjours de recherche aux États-Unis – principalement à New York, Los Angeles et San Francisco. Elles ont contribué à nourrir la réflexion qui sous-tend cette exposition intitulée “Yvonne Rainer: A Reader”.
Le terme Reader, emprunté à la tradition anglo-saxonne, désigne une anthologie de textes d’un·e même auteur·ice ; il renvoie ici à l’idée de lecture comme acte performatif, comme prise de parole et comme manière de circuler d’une discipline à une autre. L’exposition cherche ainsi à détourner les codes de la rétrospective pour célébrer la figure d’Yvonne Rainer à travers une approche à la fois rigoureuse et située, empruntant parfois aux pratiques de fans.
Ce positionnement implique de s’éloigner de l’objectivité attendue dans la recherche académique pour revendiquer une proximité affective avec le sujet, en l’occurrence le parcours d’Yvonne Rainer. Il s’agit aussi d’inscrire cette perspective dans l’histoire de l’art et de la pensée des XXᵉ et XXIᵉ siècles, en dialogue avec une pensée féministe et avec une nouvelle génération d’artistes, pour la plupart français·es ou européen·nes.
Yvonne Rainer est une figure majeure de la scène artistique nord-américaine, anglo-saxonne et européenne, mais elle demeure encore peu connue dans le contexte français. L’un des enjeux de cette exposition est précisément de contribuer à cette reconnaissance, en réinscrivant son œuvre dans un dialogue plus large avec des artistes et des penseur·ses en France et en Europe.
Née en 1934 à San Francisco, Yvonne Rainer s’installe à New York au début des années 1950. Elle y étudie d’abord le théâtre, puis la danse, et crée ses premières chorégraphies à la fin des années 1950, alors qu’elle a une vingtaine d’années. Au début des années 1970, elle délaisse la danse pour se consacrer au cinéma expérimental et indépendant — un cinéma que l’on qualifiera plus tard de queer ou de lesbien.
Au début des années 2000, à la suite d’une invitation de Mikhaïl Baryshnikov – danseur, chorégraphe et directeur du White Oak Dance Project -, elle revient à la danse. Elle y poursuit son exploration du geste et de la composition chorégraphique, nourrie par ses lectures et par une pensée de la déconstruction largement inspirée par la French Theory. Chaque décennie marque ainsi pour elle une forme de renaissance artistique. Son parcours témoigne d’une exceptionnelle longévité et d’un engagement constant dans les luttes féministes, antimilitaristes et dans la critique du néolibéralisme américain, toujours d’actualité aujourd’hui ».

Cette posture curatoriale, exigeante et revendiquée, confère au projet une dimension à la fois analytique et émotionnelle : une tentative d’exposer Rainer à partir de ce qu’elle a elle-même toujours défendu – la tension entre rigueur et déconstruction.
Un parcours fragmenté, entre densité et latence
Après cette visite de presse en compagnie de la commissaire à l’écoute de ses nombreux commentaires, reproduits ci-dessous, un second passage dans les espaces du Crac, accompagné de visiteur·euses qui ne les avaient pas entendus, a mis en évidence les difficultés à partager les ambitions de ce projet.

Le parcours de l’exposition alterne des espaces denses, où la présence d’archives et d’œuvres vidéo impose une attention soutenue, et des phases de latence, des moments qui laissent les murs vides. Cette « respiration » pourrait évoquer la structure de certaines pièces chorégraphiques de Rainer, fondées sur la répétition et l’interruption, mais elle produit ici une impression d’instabilité.
Les artefacts peinent parfois à habiter les vastes salles du centre d’art. L’accrochage donne par moments l’impression d’un « work in progress », en attente de compléments.
Les intentions de la commissaire – sa volonté affirmée de « s’éloigner de l’objectivité attendue dans la recherche académique pour revendiquer une proximité affective avec le sujet » et son ambition de concevoir le projet « comme un portrait collectif » – expliquent sans doute cette impression d’un parcours à la fois foisonnant et déstructuré. Cette ouverture aux affects et aux lectures multiples permet sans doute d’interroger le regard des visiteur.euses, mais elle fragilise la lisibilité de l’ensemble.
Des choix curatoriaux qui interrogent
Plusieurs aspects de la scénographie, de l’accrochage et de la sélection d’œuvres suscitent un troublant sentiment d’inachevé, d’incomplétude et de frustration.

Le rapprochement entre les repères chronologiques du début du parcours et la frise de quarante-huit fac-similés issus des archives du Getty Research Institute, ainsi que quelques titres et intertextes auraient permis de mieux articuler la lecture de ces documents.
On peut également s’interroger sur le manque d’informations concernant la création et les enjeux de Parts of Some Sextets et de Trio A, deux chorégraphies charnières dans l’œuvre de Rainer, régulièrement évoquées tout au long du parcours.


De même, les 9 Evenings: Theater & Engineering (1966) ne sont pas mentionnés, même s’ils sont largement documentés dans l’exposition « Sensing the Future: Experiments in Art and Technology (E.A.T.) » visible à Luma Arles jusqu’en janvier prochain. La présentation chaotique de Carriage Discreteness, suivie par l’hospitalisation en urgence de Rainer, puis par la création sur son lit d’hôpital de Hand Movie, son premier film en 16 mm aurait sans doute mérité d’être mentionnées.
Pourquoi les cinq courts-métrages dont Hand Movie réunis dans Five Easy Pieces (1966-69) n’ont-ils pas trouvé place dans cette première salle dont un des grands murs est pratiquement vide ? Leur projection dans la dernière salle, sous prétexte qu’elle pourrait être la première du parcours, est-elle réellement pertinente ?
Plus largement, plusieurs œuvres et engagements de Rainer au tournant des années 1960‑1970 sont peu ou pas évoqués, à l’exception de Trio A with Flags. On pense notamment à la version finale de The Mind is a Muscle, à l’élaboration de la pièce Continuous Project Altered Daily, à la participation de Rainer dans l’Arts Workers’ Coalition puis à la fondation de The Grand Union. Ces engagements sont, au moins en partie, à l’origine de ses nouvelles démarches : le passage de la danse à la performance, l’exploration du cinéma et la prise de conscience politique qui nourrit alors son travail artistique.
Il aurait également été pertinent de préciser les liens de Rainer avec le mouvement féministe au début des années 1970. Comme le rappelle Johanna Renard dans sa thèse Poétique et politique de l’ennui dans la danse et le cinéma d’Yvonne Rainer : « La prise de conscience politique de l’artiste se manifeste à la fois sur le plan de l’action sociale, avec un engagement qui fait écho à la politisation généralisée des milieux artistiques au début des années 1970, et sur le plan intime, avec une graduelle prise de conscience de l’oppression individuelle subie en tant que femme dans la sphère privée. Cet itinéraire personnel se concrétise par la volonté de changer de médium d’expression, afin de conférer une place plus importante au langage et au matériau émotionnel ». Cette orientation, fondamentale dans la trajectoire de Rainer, aurait gagné à être plus clairement exposée.
De la danse au cinéma…

On peut regretter que la projection des longs-métrages d’Yvonne Rainer ne suive pas directement la présentation des archives, qui évoquent son passage de la danse au cinéma expérimental. La diffusion du film de Babette Magolte, des vidéos d’Adam Pendleton et de Charles Atlas, ou du mash-up À travers le miroir, aurait sans doute été tout aussi pertinente, et peut-être plus éclairante, après la découverte de certains films de Rainer.




Il faut toutefois reconnaître que la salle choisie, isolée au fond du centre d’art, assure une plus grande tranquillité pour les spectateur·rices et facilite la circulation du public.
Retour à la danse…

Il aurait sans doute été plus éclairant de consacrer les deux dernières salles du rez-de-chaussée exclusivement au retour à la danse d’Yvonne Rainer dans les années 2000. On peut regretter que la création After Many a Summer Dies the Swan après la rencontre de Rainer avec Baryshnikov ne soit pas davantage documentée et enrichie, au-delà de la diffusion de After Many a Summer Dies the Swan: Hybrid (2002) sur un simple moniteur…

De la même manière, le portrait vidéo de Charles Aubin (Yvonne Rainer: Work 1999‑2022) aurait gagné à être complété par un focus sur les enjeux de la recréation de Parts of Some Sextets, sur la participation de Nick Mauss à ce projet et sur le rôle de Performa.
Les dialogues contemporains : un portrait collectif à géométrie variable
La présence des artistes rassemblé·es au rez-de-chaussée – Babette Mangolte, Pauline Boudry et Renate Lorenz, Adam Pendleton, Gregg Bordowitz ou encore Nick Mauss et Paul Maheke – s’inscrit logiquement dans le cadre d’un portrait collectif. Leurs œuvres prolongent ou revisitent les questionnements de Rainer sur le corps, la représentation et la performativité.
En revanche, les correspondances établies à l’étage avec Josèfa Ntjam, Madison Bycroft et Jean-Charles de Quillacq paraissent plus ténues. Leurs liens avec Rainer relèvent parfois d’un écho lointain plutôt que d’un dialogue réel.
La présentation de « Yvonne Rainer : A Reader » dans le cadre de ¡Viva Villa! explique peut-être en partie cette sélection… En effet ce festival est le rendez-vous des résidences artistiques françaises à l’étranger, fruit de la collaboration entre la Casa de Velázquez (Madrid, Espagne), la Villa Albertine (États-Unis), la Villa Kujoyama (Kyoto, Japon) et la Villa Médicis (Rome, Italie). Arlène Berceliot Courtin a été résidente à la Villa Albertine où elle a croisé Josèfa Ntjam et Paul Maheke actuellement pensionnaire à la Villa Médicis qui avait accueillie Madison Bycroft en 2023-2024. Si ces rapprochements institutionnels ont sans doute facilité certaines collaborations, ils brouillent parfois la cohérence du propos général.
Entre ambition et fragilité
Malgré ces réserves, Yvonne Rainer : A Reader demeure une entreprise rare et précieuse. L’exposition témoigne d’une volonté réelle de repenser la manière d’exposer une artiste dont la pratique s’est toujours située à la croisée du geste et du regard politique.
Sa « lecture » reste exigeante, parfois déroutante, mais elle invite à un engagement actif du visiteur ou de la visiteuse.
« Yvonne Rainer : A Reader » s’impose comme une proposition incontournable qui exige sans doute plusieurs passages par le Crac Occitanie pour découvrir la richesse et la complexité du travail de Rainer et voir un ou plusieurs de ses longs-métrages. Une visite commentée ou les échanges avec les médiateur·trices en salle seront sans doute indispensable, et le recours au guide de visite presque incontournable.
Prolongements et ressources
En attendant la parution en 2026 de l’ouvrage Yvonne Rainer : A Reader chez JRP Éditions (collection « Documents »), plusieurs ressources permettent de préparer ou enrichir une visite de l’exposition :
– le catalogue de l’exposition « A Different Way to Move » (Carré d’Art, 2017)
– les documents liés à l’exposition « Judson Dance Theater. The Work Is Never Done » (MoMA, 2019)
– les archives du Getty Research Institute autour de l’exposition « Yvonne Rainer : Dances and Films » (2014)
– le dossier de presse et le journal d’exposition du projet « The Yvonne Rainer Project » (Ferme du Buisson, 2014–2015).
On lira également avec intérêt Un ennui radical – Yvonne Rainer, danse et cinéma de Johanna Renard (De l’incidence éditeur, 2022), issu de sa thèse soutenue à l’Université Rennes 2 dont le texte est disponible en ligne.
À lire également :
– Danse publique et communauté : Trio A et autres pièces ou films d’Yvonne Rainer, les propos d’Yvonne Rainer recueillis lors d’une séance du séminaire « Le public au singulier pluriel » en 2009,
– Un arrangement d’objets et de personnes : étude de Parts of Some Sextets d’Yvonne Rainer, une analyse de Johanna Renard publié en 2011
– Après et à propos de Parts of Some Sextets (1965-2019), un entretien avec Nick Mauss, par Arlène Berceliot Courtin.
Enfin, on pourra (ré)écouter la conversation d’Yvonne Rainer avec Christophe Wavelet, diffusée sur France Culture en 2002 : « Mes premiers solos étaient bâtis sur la répétition, une même phrase et d’infimes variations ».
Ci-dessous, quelques regards photographiques accompagnés des textes extraits du guide de visite et de commentaires d’Arlène Berceliot Courtin enregistrés lors de la visite de presse.
En savoir plus :
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Sur le site d’Arlène Berceliot Courtin
Sur le site du Getty Research Institute
Regards et impression sur le parcours de l’exposition « Yvonne Rainer : A Reader »
« L’exposition s’ouvre sur un court texte qui situe Yvonne Rainer dans son contexte historique et artistique, en soulignant les dialogues qu’elle entretient avec d’autres générations d’artistes. Ce projet se conçoit comme un portrait collectif : il ne s’agit pas d’un regard unique, mais d’une vision partagée, construite avec les artistes qui ont accepté d’y participer. Ensemble, nous signons une nouvelle image d’Yvonne Rainer – une manière de repenser comment l’exposer, la voir et la lire aujourd’hui ». Arlène Berceliot-Courtin, commissaire de l’exposition

Yvonne Rainer rencontre l’artiste américain Robert Rauschenberg dans le studio de Merce Cunningham en juin 1959 où il travaille en tant que scénographe. Ils deviennent proches alors qu’elle étudie la danse auprès de Merce Cunningham puis de Robert Ellis Dunn. Elle commence à se rendre à des fêtes organisées dans le building de Robert Rauschenberg situé à 381 Lafayette Street et devient membre de son entourage avec notamment les danseur·euses Deborah Hay, Steve Paxton et Lucinda Childs. En 1963, Robert Rauschenberg conçoit l’éclairage d’un de ses spectacles de danse intitulé Terrain qui a eu lieu au Judson Memorial Church. Ce Polaroïd a été réalisé alors même qu’Yvonne Rainer commence à signer ses propres chorégraphies. En 1965, elle invite Robert Rauschenberg à participer à Parts of Some Sextets. Texte du guide de visite.
Le parcours débute devant un fac-similé d’un Polaroid représentant Yvonne Rainer en 1964, à l’âge de trente ans. Cette photographie, réalisée par Robert Rauschenberg – figure du Pop Art, performeur et soutien essentiel de la communauté d’artistes dont faisait partie Rainer – évoque le rôle central du Judson Memorial Church, à Manhattan. Ce lieu emblématique de l’avant-garde chorégraphique new-yorkaise a vu naître le Judson Dance Theater, collectif auquel participaient Yvonne Rainer, Lucinda Childs, Steve Paxton et d’autres danseur·ses et chorégraphes dont certaines images sont présentées dans l’exposition.
Salle 1
« Sur votre gauche, vous trouverez des repères biographiques. Il s’agit ici d’offrir une vision plus détaillée de son parcours de vie et de création. Comme je le rappelais, l’exposition cherche à célébrer la manière dont elle traverse le XXe et le XXIe siècle, mais aussi la façon dont elle envisage la danse : son écriture, son archivage, sa représentation, aussi bien sur scène qu’à l’écran ou à l’écrit. Car un travail textuel accompagne étroitement sa compréhension de la danse à ces deux époques.
Cette exposition, présentée dans l’ensemble des espaces du Crac, se veut donc une célébration de cette figure – amante, collaboratrice – tout en refusant les codes d’une rétrospective classique. Vous êtes entré·e par la gauche, mais il est aussi possible de commencer la visite par la droite : chaque parcours propose alors une expérience différente, permettant à chacun·e de construire sa propre traversée chronologique ». Arlène Berceliot-Courtin

Yvonne Rainer : Repères biographiques
1934-1956
Née en 1934 à San Francisco, Yvonne Rainer s’installe à New York en 1956, afin d’étudier le théâtre puis commence l’année suivante sa formation en danse.
1959-1961
Entre 1959 et 1960, elle étudie successivement auprès de Martha Graham (1894-1991), Merce Cunningham (1919-2009, Robert Ellis Dunn (1928-1996) et participe en 1960 au Summer Workshop d’Ann Halprin (1920-2021) en Californie en compagnie de Simone Forti (*1935). Des 1961, elle commence à présenter ses chorégraphies.
1962-1964
Entre 1962 et 1964, elle initie avec Steve Paxton (1939-2024) un groupe informel de chorégraphes rapidement nommé Judson Dance Theater dans lequel s’investissent notamment Trisha Brown (1936 2017), Lucinda Childs (*1940) et David Gordon (1936-2022) en se retrouvant tous les lundis soir à la Judson Memorial Church.
1965-1966
Yvonne Rainer a formulé son approche de la danse dans un texte devenu célèbre intitulé : No Manifesto (1965) motivé par une simple volonté de faire table rase qui fut sans doute trop largement commenté. De fait, elle a souhaité l’enterrer à plusieurs reprises et elle est même revenue sur son contenu à travers Manifesto Reconsidered (2008).
La vision novatrice d’Yvonne Rainer se détache d’une approche conventionnelle de la danse en incorporant l’interrelation aux objets, l’analyse des dispositifs formels et structurels : répétition, interruption, simultanéité ou encore la juxtaposition d’éléments sans rapport entre eux. Les critiques associent son œuvre des années 1960 au minimalisme états-unien, à Fluxus, à l’apparition de la performance ou encore au happening.
En 1966, Yvonne Rainer signe et performe Trio A-The Mind is a Muscle, Part 1 à la Judson Memorial Church, une pièce qui reste incontestablement son œuvre la plus remarquée.
1966-1975
Entre 1966 et 1969, Yvonne Rainer réalise cinq courts-métrages, Five Easy Pieces, forme d’objectification maladroite de corps et/ou parties de corps. Entre 1962 et 1975, elle présente ses chorégraphies à travers les États-Unis et l’Europe.
1970-1996
De 1970 à 1974 performances et films se chevauchent.
En 1975, elle passe entièrement à la réalisation de longs-métrages. Ses films réalisés entre 1971 et 1996 abordent un large éventail de sujets tels que la sexualité, les conflits domestiques, l’impérialisme états-unien, les privilèges sociaux, l’inégalité entre les sexes, la maladie, le vieillissement, le quotidien, la ménopause, l’hormonothérapie, la gentrification. Ils contiennent pour cela un large éventail d’éléments autobiographiques utilisés à des fins politiques et artistiques.
2000
À l’aube de l’an 2000, alors qu’elle décide de ne plus réaliser de nouveaux films tant elle semble désintéressée par l’économie du cinéma, elle reçoit un appel de Mikhail Baryshnikov (*1948) qui lui commande une nouvelle pièce pour sa compagnie. Cet événement signe son grand retour à la danse. Intitulé After Many a Summer Dies the Swan (2000), cette œuvre marque un renouveau de sa production chorégraphique par lequel elle s’attache à défaire, voire à démolir, une pratique établie sur plusieurs décennies. Cette volonté d’examiner et de remettre en jeu sa propre contribution à l’histoire de l’art et de la danse incarne la vitalité et la vivacité d’un travail qui résonne particulièrement avec les crises de ce siècle qui commence.
Tout au long de sa carrière, Yvonne Rainer n’a eu de cesse d’échapper à un rôle, un cadre, un contexte, un genre.
Aujourd’hui encore, elle réexamine l’héritage de son œuvre à travers une volonté de déconstruire sa dimension autoritaire voire patrimoniale. Elle a toujours refusé d’établir une compagnie de danse strictement consacrée à l’exécution d’un répertoire, elle conteste l’administration d’une danse et lui préfère l’expérimentation et l’invention en continu.
Depuis les années 1960, elle a publié de nombreux essais et articles revenant sur son travail et son engagement politique au long cours. Elle a également reçu de prestigieux prix et bourses.
2006-2025
En 2006, le Getty Research Institute de Los Angeles acquiert ses archives et l’année suivante, la biennale Performa – New York initie une représentation de son travail chorégraphique à travers la production de nouvelles œuvres et un projet d’histoire orale revenant sur son retour à la danse au début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui.
Salomania de Pauline Boudry et Renate Lorenz
Sur un écran suspendu au milieu de l’imposante salle qui ouvre sur la gauche, est projeté Salomania de Pauline Boudry et Renate Lorenz, une vidéo de 2009 qui fait d’une certaine manière écho au portrait d’Yvonne Rainer attribué à Rauschenberg.

Salomania reconstitue la « danse des sept voiles » du film muet Salomé d’Alla Nazimova datant de 1923. Dans ce film apparaissent également des extraits du Solo de Valda, créé par Yvonne Rainer après avoir vu le film de Nazimova. Au début du XXè siècle, le personnage de Salomé suscite un engouement qui lui vaut bientôt le nom de « Salomanie ». Des femmes se rassemblent et imitent la danse des sept voiles. Plusieurs danseuses deviennent célèbres pour leurs interprétations de Salomé. La figure de Salomé symbolisait l’indépendance entrepreneuriale et la liberté sexuelle, devenant ainsi une icône de la subjectivité « sodomite ». Il semble que, même au milieu de circonstances sociales violentes telles que le colonialisme, l’homophobie et le début du capitalisme industriel, cette figure ait permis de vivre et de fantasmer sur la sexualité et le genre en dehors d’une appréhension binaire, en dehors de l’Orient et de l’Occident, et sans recourir à de nouvelles formations identitaires fixes.
Pauline Boudry et Renate Lorenz invitent Yvonne Rainer à jouer son propre personnage à l’écran. Elle introduit le film et transmet à l’artiste Wu Tsang le Solo de Valda. Yvonne Rainer a composé ce solo pour la danseuse britannique Valda Setterfield. Il apparaît en intégralité dans son premier long-métrage Lives of Performers (1971). (source : site internet des artistes https://www.boudry-lorenz.de/salomania). Texte du guide de visite.
« Devant vous se trouve une œuvre de Pauline Boudry et Renate Lorenz, duo d’artistes formé en 2007, qui a notamment représenté la Suisse à la Biennale de Venise. Réalisée en 2009, Salomania met en scène, à droite, Yvonne Rainer et, à gauche, Wu Tsang, artiste et performeuse nord-américaine.
Cette œuvre concentre l’un des enjeux centraux de l’exposition : comment filmer une danse, comment la transmettre, et comment l’archive devient à son tour une forme d’exposition et de partage avec le public.
Le titre fait référence à Salomania et à la danse de Salomé, ainsi qu’à un film de danse majeur d’Alla Nazimova, projeté un peu plus loin dans l’exposition. Wu Tsang y performe face à la vidéo, créant un jeu d’échos entre direct et différé, représentation et répétition — un trouble fondateur dans la réflexion d’Yvonne Rainer, qui est au cœur de cette œuvre.
Invitée ici en tant qu’elle-même, Rainer ne joue pas un rôle : elle incarne cet héritage, toujours en mouvement, et interroge la notion même de patrimoine chorégraphique. Comment le maintenir vivant ? Comment l’archiver ? Comment inscrire le mouvement des corps dans la mémoire, sans le figer ? ». Arlène Berceliot-Courtin.
Une frise chronologique de 48 documents d’archives de la fin des années 1950 au début des années 2000
L’ensemble du grand mur de cette vaste salle est consacré à une frise chronologique qui rassemble quarante huit fac-similés de documents empruntés au fonds Yvonne Rainer conservé par le Getty Research Institute à Los Angeles dont huit photographies extraites de ses longs-métrages.

« Une large sélection d’archives est ici présentée sous forme de fac-similés à l’échelle 1. Ces documents proviennent du fonds acquis par le Getty Research Institute, basé à Los Angeles. Il s’agit d’un ensemble très complet, retraçant presque toute la vie personnelle et professionnelle d’Yvonne Rainer, depuis le milieu des années 1940 – on y trouve par exemple ses carnets tenus dès l’âge de quinze ans – jusqu’à l’acquisition du fonds en 2006. Ces archives offrent un regard intime sur son travail, une véritable vision de l’intérieur.
Lors de mon travail dans ces archives en 2019, j’ai découvert une personnalité déterminée à transformer le cours de l’histoire, soucieuse aussi de s’inscrire dans une histoire de l’art alors dominée par des codes de canonisation très masculins et très blancs. C’est notamment à travers ses lectures, ses rencontres et son engagement dans une pensée de la déconstruction qu’elle s’émancipe des mouvements artistiques auxquels elle avait été associée, en particulier du minimalisme ». Arlène Berceliot-Courtin
Le Summer Dancers’ Workshop organisé par Anna Halprin

Lors de l’été 1960, Yvonne Rainer assiste à un Summer Workshop, enseigné par la chorégraphe Ann Halprin (1920-2021) pionnière de la danse en rapport avec les éléments naturels, installée en Californie depuis 1945. Sur une invitation de Simone Forti alors mariée à Robert Morris, Yvonne Rainer traverse en voiture les États-Unis afin de retourner dans la baie de San Francisco. Ce moment sera déterminant dans son apprentissage de la danse et notamment son recours aux objets et à l’improvisation. (Cartel)
« La frise de portraits que vous voyez ici débute à San Francisco dans les années 1950. Un moment décisif pour Rainer se situe dans les années 1960, avec le Summer Workshop organisé par Anna Halprin. Cet atelier marque une étape essentielle pour nombre de danseur·euses et chorégraphes présent·es sur ces images, parmi lesquel·les Simone Forti, Yvonne Rainer bien sûr, et Trisha Brown, plus tard reconnue comme l’une des grandes figures de la danse contemporaine.
Ce workshop, d’une durée de quelques semaines, fut déterminant pour Rainer. Revenue en Californie – qu’elle avait quittée pour New York – en compagnie de Simone Forti et de Robert Morris, alors compagnon de Forti, elle y explore de nouvelles approches de l’écriture chorégraphique, fondées sur l’improvisation et sur la danse en milieu naturel.
L’estrade que vous voyez ici fait face à une scène en bois construite par Lawrence Halprin, architecte californien et compagnon d’Anna Halprin, connu pour son travail sur les relations entre architecture et environnement. Sur ce dance deck, les danseur·euses expérimentent la composition chorégraphique à partir d’éléments naturels — branches, bois flotté — mais aussi d’états émotionnels ou corporels intermédiaires. On s’éloigne ici radicalement du cadre du studio : plus de miroir, plus de barre imposant rigueur et horizontalité. Ce moment marque une rupture dans la pratique de Rainer, une ouverture vers une autre manière d’écrire et de penser la danse ». Arlène Berceliot-Courtin
Judson Dance Theater

« Le premier programme d’Yvonne Rainer marque ses débuts publics en tant que chorégraphe. Elle y présente pour la première fois une danse au Living Theatre — un lieu significatif puisque le studio de Merce Cunningham se trouve juste à l’étage inférieur. Devant vous, une image de l’une de ses premières chorégraphies, Three Seascapes, présentée à la Judson Memorial Church, espace fondamental du Judson Dance Theater. Ce lieu, comme je le mentionnais en introduction, est à la fois le point d’ancrage du collectif et un centre névralgique de l’avant-garde artistique et chorégraphique new-yorkaise des années 1960.

J’ai choisi cette image parce qu’elle montre à la fois la puissance physique de Rainer – la force musculaire issue de ses entraînements – et la proximité avec le public. L’absence de scène marque une rupture : le corps n’est plus séparé du spectateur·rice.




Ce principe, fondateur du Judson Dance Theater, a profondément déstabilisé la critique et le public de l’époque, qui découvraient un langage chorégraphique débarrassé de ses conventions. Certain·es s’interrogeaient dans la presse : « Pourquoi sont-ils si obstinés à être eux-mêmes ? »
Cette remarque résume bien la réflexion que Rainer engage alors : qui performe ? Le ou la performeur·euse sur scène incarne-t-il ou elle-même ? S’agit-il d’interpréter des émotions, une partition, un discours ? Rainer, comme Steve Paxton, observe le monde depuis les fenêtres du studio de Cunningham : les passants dans la rue, les gestes anodins dans le métro, les mouvements des mains. Ces fragments du quotidien deviennent matière chorégraphique. Elle ne cherche pas à les « mettre en scène », mais à les déplacer dans l’espace de la représentation.

En comparaison avec la danse moderne qu’Yvonne Rainer a apprise auprès de Martha Graham ou de Merce Cunningham, la rupture est nette. Si Cunningham est souvent considéré comme une figure de transition vers le postmodernisme, Rainer et ses pairs franchissent un pas supplémentaire : il n’y a plus de musique, ou très peu, plus de scène à proprement parler, et la performativité du ou de la danseur·euse est radicalement réduite.
Cette volonté de dépouillement — d’épure du geste, du son et de la mise en scène — ne rencontre pas immédiatement l’adhésion. Le public comme les institutions peinent à accueillir ces formes nouvelles, si bien qu’elle ne peut pas, à ce moment-là, se produire dans les circuits chorégraphiques traditionnels ». Arlène Berceliot-Courtin.
Premiers voyages en Europe

« Un autre moment important de la carrière d’Yvonne Rainer est son premier voyage en Europe. Son père, originaire du nord de l’Italie, avait émigré aux États-Unis en passant par Ellis Island, où il avait anglicisé son nom. Cette filiation européenne, et italienne en particulier, a toujours compté pour elle.
Elle a également entretenu une réelle affinité avec la France – pour sa langue, sa pensée, et plus largement pour le contexte intellectuel européen. Dans les années 1960, la jeune avant-garde chorégraphique new-yorkaise se nourrit d’ailleurs largement de lectures venues de France : les auteur·es du Nouveau Roman, mais aussi celles et ceux que les Américain·es ont réuni·es sous l’étiquette de la French Theory.
Ce premier voyage en Europe marque ainsi une ouverture décisive, à la fois personnelle et intellectuelle, dans le parcours de Rainer. Son passage à Londres, puis à Stockholm constitue une étape marquante de son parcours. Invitée par Pontus Hultén, alors directeur du Moderna Muset, Yvonne Rainer y présente une performance et une conférence consacrée à son travail. Hultén rejoindra quelques années plus tard Paris, où il participera à l’ouverture du Centre Pompidou. Cette présentation a lieu dans le cadre d’un forum étudiant, témoignant déjà de l’intérêt porté à son œuvre au-delà du cercle new-yorkais ». Arlène Berceliot-Courtin.
Parts of Some Sextets

« (…) Dans Parts of Some Sextets, une pièce de groupe fondée sur un intervalle, implacable de 30 secondes pendant une durée globale de 45 minutes, le tempo de chaque élément individuel restait constant, tandis que l’arrangement des matériaux dans l’espace variait. (…) Il me semble que la répétition fournissait une sorte de travail de base ou un point de départ pour des variations de tempo et de disposition spatiale ». Yvonne Rainer, mai 1965

« L’année 1965 correspond également à un moment clé de sa création chorégraphique, avec l’œuvre Parts of Some Sextets. Son titre s’inspire d’une pièce de Robert Morris, avec qui Rainer entretient alors une relation artistique et personnelle qui durera six à sept ans. Les images exposées ici alternent entre extraits de représentations et vues de répétitions, notamment dans le loft où elle vivait et travaillait avec Morris.

Cette œuvre marque une transition dans sa pratique : Rainer y introduit des objets — en particulier des matelas, que l’on retrouvera ailleurs dans l’exposition — et explore les relations entre le corps et la matière inanimée. Elle interroge la frontière entre ce qui est perçu comme vivant et ce qui ne l’est pas, jouant sur cette perméabilité. Les corps sont souvent disposés à l’horizontale, les matelas dressés à la verticale ; dans cette pièce, il y a d’ailleurs plus de matelas que de danseur·euses. Deux d’entre eux ne sont pas des interprètes professionnel·les : Robert Rauschenberg et Robert Morris participent à la performance, rejoignant cette communauté d’artistes qui redéfinissent ensemble les contours de la danse et de la performance.

Aux États-Unis comme en Allemagne, Yvonne Rainer et Robert Morris sont invité·es à exposer conjointement. Morris, dont la pratique comprend une forte dimension performative, occupe alors une place centrale dans ce que la critique d’art américaine — notamment Barbara Rose — a qualifié d’« art minimal ». À cette période, les deux artistes développent des démarches distinctes mais étroitement liées, brouillant parfois les frontières entre leurs œuvres ». Arlène Berceliot-Courtin.
Trio A

« Devant vous se trouvent des images de répétitions et de représentations de Trio A, l’une des pièces les plus connues d’Yvonne Rainer et un jalon fondamental dans l’évolution de son écriture chorégraphique. À votre droite est projeté un film plus tardif, réalisé en 1978 par Sally Banes, critique de danse new-yorkaise, dans le studio de Merce Cunningham. La chorégraphie, quant à elle, date de 1966 et continue d’être reprise et transmise par Rainer jusqu’à aujourd’hui ». Arlène Berceliot-Courtin.



Yvonne Rainer – Trio A, 1978. Vidéo, noir et blanc, muet, 10 min. 30 – « Yvonne Rainer : A Reader » au Crac Occitanie à Sète.
En 1965, alors qu’elle voyage à Düsseldorf en Allemagne, Yvonne Rainer travaille pendant six mois sur la chorégraphie de Trio A. La danse consistait initialement en une séquence de mouvements de cinq minutes présentée sous le titre The Mind is a Muscle, Part I à la Judson Church le 10 janvier 1966.
Depuis son achèvement, Trio A a connu de nombreuses reprises. En 1967, Yvonne Rainer l’a interprété en solo sous le titre : Convalescent Dance. En 1970, Yvonne Rainer et quelques membres du Grand Union l’exécutent nus à la Judson Church, recouverts de drapeaux états-uniens. En 1973, Yvonne Rainer l’intègre à son œuvre multimédia This is the story of a woman who…
La version présentée dans l’exposition résulte d’un tournage en format 16 mm par la critique de danse Sally Banes dans le studio de Merce Cunningham en 1978. À partir de 1999, Yvonne Rainer travaille à de nouvelles versions intitulées : Trio A Pressured. Depuis 2020, elle déconstruit encore davantage cette œuvre chorégraphique en collaboration avec la danseuse nord-américaine Brittany Bailey. Intitulé Remembering and Dismembering Trio A (depuis 1966), ce projet prend plusieurs formes et notamment, Trio A Demolition (1966- 2022). (Guide de visite)
« À l’origine Trio A a été créé en 1966 et composé pour deux hommes et une femme, les deux hommes étaient David Gordon et Steve Paxton qui étaient également membres du Judson Dance Theater. Depuis, cette chorégraphie a été enseignée à de nombreux danseurs, à des générations successives de danseurs ; elle a été représentée avec plus de cinquante danseurs à la fois, ou sur de la musique rock ; elle a été dansée à l’envers, ainsi que sur des textes divers et variés et plus récemment je l’ai enseignée aux danseurs de Baryshnikov dans le cadre du White Oak Dance Project de Baryshnikov. Au cours des répétitions les danseurs me demandaient pourquoi cette chorégraphie était si importante. La réponse est très simple, c’est qu’elle a survécu et c’est la seule chorégraphie intacte qui nous soit parvenue sous forme de documentation. Il s’agit à l’origine d’un film en 16 mm transféré sur vidéo, qui a été réalisé en 1978. La danseuse soliste, c’est moi ; en fait, j’avais arrêté de danser en 1975, alors je dois dire que je suis assez critique par rapport à mon travail de danseuse sur ce film, mais il n’en reste pas moins que cela constitue une ressource et même une source de connaissance sur mon travail, du moins sur une partie de mon travail ». Yvonne Rainer propos recueillis lors d’une séance du séminaire « Le public au singulier pluriel »
« Trio A dure un peu plus de cinq minutes et demande une grande maîtrise technique. On y retrouve les principes formulés dans son No Manifesto, texte emblématique dans lequel elle déconstruit la dimension exhibitionniste du danseur ou de la danseuse, ainsi que l’expressivité attendue de la performance scénique. La pièce se compose d’une succession de mouvements horizontaux, verticaux et au sol, caractérisés par une désynchronisation entre le haut et le bas du corps, entre le côté gauche et le côté droit. Aucun geste n’est conçu pour être gracieux ou décoratif : la virtuosité se déplace vers la précision, la continuité, la rigueur.

Écrite après six mois de répétitions, Trio A impose aussi une règle stricte : les interprètes ne doivent jamais croiser le regard du public. Ce refus de l’adresse directe incarne l’une des positions centrales de la danse postmoderne selon Rainer — une danse dont le sujet n’est plus la performance ou l’émotion, mais la danse elle-même ». Arlène Berceliot-Courtin.

« L’œuvre présentée ici, Trio A with Flags, constitue une nouvelle version de Trio A, réalisée à un moment particulièrement significatif pour l’avant-garde new-yorkaise : celui de la censure d’une exposition comportant des drapeaux américains.
Cette exposition avait été interdite à la suite d’une décision administrative — l’équivalent d’un Conseil d’État — qui jugeait l’usage du drapeau contraire au respect des symboles nationaux. En réaction, plusieurs artistes, parmi lesquels Faith Ringgold, organisèrent à la Judson Memorial Church une exposition de résistance, rassemblant des œuvres intégrant le drapeau américain. Ce geste s’inscrivait dans un contexte de contestation de la guerre du Vietnam et, plus largement, de la politique américaine en Asie du Sud-Est.
Ici, vous découvrez une nouvelle version de Trio A, dans laquelle les danseur·euses sont nu·es et recouvert·es d’un drapeau américai n». Arlène Berceliot-Courtin.

De la danse au cinéma
Après la présentation de Trio A with Flags, Yvonne Rainer tente de fonder un collectif d’improvisation sur le modèle d’un syndicat, The Grand Union, avant d’aborder le politique par l’écriture cinématographique en explorant les rapports entre performance, rôle et identité.

En 1972, Yvonne Rainer interrompt progressivement sa carrière de chorégraphe pour se consacrer à la réalisation de long-métrages. Son premier film, Lives of Performers, marque un retour à la préoccupation biographique. La bande sonore est enregistrée au Whitney Museum of American Art, lors de l’une de ses dernières productions scéniques de l’époque : Performance (interprétée en public au musée le 21 avril par James Barth, John Erdman, Epp Kotkas, Valda Setterfield, Shirley Soffer, Fernando Torm et par elle-même), dont le film reprend les matériaux.

Babette Mangolte joue un rôle décisif dans le montage de Lives of Performers. « Ce premier long-métrage se concentre sur la vie des performeur·se·s qui interprètent leurs propres rôles sur scène et à l’écran. Il a ainsi la particularité de subvertir les subjectivités du médium filmique en créant un trouble entre répétition et représentation, documentaire chorégraphique sur fond de mélodrame et de tableaux vivants ».

En 1974, elle tire Film About A Woman Who … de sa performance This is the story of a woman who… (1972 et 1973). Elle ne reprendra ensuite la chorégraphie qu’à la fin des années quatre-vingt-dix.
« À partir de là, Yvonne Rainer amorce un tournant décisif vers le cinéma. Elle s’inscrit dans une autre lignée artistique, celle du cinéma indépendant et expérimental, avant d’explorer, plus tard, des formes de narration davantage marquées par les perspectives queer et lesbiennes.
Ce passage du corps à l’image s’accompagne d’un déplacement thématique : elle quitte la danse postmoderne qu’elle avait contribué à définir, ainsi que le milieu du minimalisme, pour aborder des questions liées aux relations humaines, sociales et sexuelles. Elle introduit la parole, qu’elle avait déjà tentée sur scène sans en être pleinement satisfaite. C’est finalement le montage cinématographique qui lui offre un espace d’expression plus juste, lui permettant de traduire ses frustrations, ses blessures, mais aussi de réfléchir à sa propre trajectoire d’artiste.
Cette orientation rejoint l’histoire plus large du féminisme au XXe siècle. Rainer s’inscrit d’abord dans une écriture féministe, puis dans une écriture dite « féminine », avant de chercher à s’affranchir de cette catégorisation, en explorant des formes d’expression qui échappent à toute assignation de genre ou de subjectivité ». Arlène Berceliot-Courtin.

« Devant vous se trouve une image extraite du film Kristina Talking Pictures, dans lequel Yvonne Rainer apparaît aux côtés de son frère. À votre droite sont présentés plusieurs documents issus, une fois encore, des archives conservées au Getty Research Institute. Ils illustrent la manière dont son travail s’inscrit dans une réflexion plus large sur les formes et les contextes de la création.

On y voit notamment des traces d’un symposium organisé par The Kitchen, espace autogéré par des artistes à New York. Ce lieu, essentiel pour comprendre l’histoire de l’art expérimental new-yorkais, a joué un rôle majeur dans la reconnaissance de la vidéo, de la télévision et de la performance comme médiums artistiques à part entière. Rainer y trouve un cadre d’affinité et de dialogue, prolongeant ainsi son engagement dans les pratiques interdisciplinaires de l’avant-garde». Arlène Berceliot-Courtin.
« Devant vous se déploie également l’engagement d’Yvonne Rainer à travers le cinéma, ainsi que les réflexions que ce médium a suscitées chez elle. Nous sommes ici en 1988 : son œuvre cinématographique devient alors plus ouvertement engagée et féministe. Dès ses débuts, Rainer s’était nourrie de références psychanalytiques, notamment issues de la psychanalyse française, pour mieux en déjouer les codes et inventer d’autres formes de narration.
Elle intègre ensuite des perspectives issues de la pensée queer, notamment celles de Teresa de Lauretis — l’une des théoriciennes pionnières du champ et amie proche de Rainer — ainsi que celles de Laura Mulvey, réalisatrice et autrice du texte fondateur sur la notion de male gaze (« regard masculin »). Ces réflexions traversent et nourrissent sa pratique de cinéaste.
En 1988, Rainer coorganise à New York, avec la critique et théoricienne française Bérénice Reynaud, le colloque Sexism, Colonialism, Misrepresentation. L’événement, composé de projections, de séminaires et de discussions ouvertes, proposait une analyse critique du regard cinématographique envisagé comme un outil d’oppression sexiste et colonialiste.

Cet évènement initié par The Collective for Living Cinema (une coopérative d’artistes qui servait à la fois de lieu d’exposition et de centre de réflexion autour du cinéma expérimental) était axé sur le regard cinématographique comme outil d’oppression sexiste et colonialiste. Son objectif était d’impulser une discussion collective autour des voix issues des minorités encore peu visibles dans le champ du cinéma. (Cartel)
À cette époque, dès que les essais français sont traduits, le milieu artistique et intellectuel new-yorkais s’en empare avec enthousiasme. Mais ces textes sont souvent lus sans distinction : Monique Wittig, Luce Irigaray ou Hélène Cixous — dont les positions relèvent pourtant de courants très différents, voire opposés, entre féminismes essentialistes, matérialistes ou radicaux — se retrouvent rassemblées dans des anthologies sous l’étiquette générale de French Feminism.
Cette assimilation, vue depuis la France, pose problème : elle efface les divergences profondes de pensée, et parfois même d’éthique ou de mode de vie, qui traversent ces autrices. Yvonne Rainer, comme beaucoup d’artistes et intellectuelles américaines de sa génération, commence par absorber cet ensemble théorique dans son intégralité, avant de le relire de manière critique. Ce regard distancié, cette déconstruction des simplifications initiales, viendront plus tard dans son parcours». Arlène Berceliot-Courtin.

« Ici, l’affiche d’une programmation de films à l’American Center à Paris en 1995, qui inclut notamment Yvonne Rainer parmi une sélection de cinéastes explorant, à travers le médium cinématographique, les rapports de pouvoir et les asymétries sociales ou de classe». Arlène Berceliot-Courtin.

« À droite, on peut voir une affiche annonçant la projection de son dernier film, Murder and Murder. Ce film, singulier dans la production de Rainer, adopte un ton à la fois populaire et atypique. Il s’agit d’une comédie romantique dont le couple principal est formé de deux femmes lesbiennes ménopausées. L’œuvre s’inspire en partie de la vie personnelle de l’artiste, puisqu’à partir des années 1990, elle rencontre Martha Gever, théoricienne queer et universitaire, avec qui elle s’installe à New York.
Le film, devenu culte, détourne les codes et l’iconographie du cinéma hollywoodien pour mettre en lumière un couple jusque-là resté absent ou marginalisé sur les écrans». Arlène Berceliot-Courtin.

« On voit ici une photographie tirée de The Man Who Envied Women, utilisée comme image de communication lors de la restauration des films d’Yvonne Rainer par le Museum of Modern Art (MoMA). Un peu plus loin dans le parcours, une affiche évoque également cette rétrospective récente consacrée à son œuvre cinématographique ». Arlène Berceliot-Courtin.

« Ce portrait réunissant les ami-e-s d’Yvonne Rainer a été réalisé sur un toit new-yorkais afin de lui envoyer des vœux pour son anniversaire. En effet, pendant l’année 1976, elle séjourne six mois à Berlin-Ouest suite à l’obtention d’une bourse attribuée par la D.A.A.D. Elle revient sur cette expérience dans son cinquième long-métrage Journeys from Berlin/1971. Dans ce contexte, elle rencontre la réalisatrice allemande Ulrike Ottinger associée au programme ainsi que sa compagne, Tabea Blumenschein ». Arlène Berceliot-Courtin.
Pauline L. Boulba, Lucie Brux et Aminata Labor – JJ (Extrait), 2024

Face à la frise chronologique, un moniteur vidéo diffuse un extrait du film JJ (2024) d’Amina Falhuber, Lucie Bruce et Pauline Albouy autour de la figure de Jill Johnston. Cette critique de danse pour The Village Voice a joué un rôle majeur dans la reconnaissance du Judson Dance Theater. Le film est présenté en intégralité dans la programmation qui est proposée en salle 4.
Salle 2
Babeth Mangolte, The Camera: Je, La Camera:I, 1977

Babette Mangolte a collaboré pendant de nombreuses années avec Yvonne Rainer qu’elle a rencontrée lors de son arrivée à New York en 1970 par l’intermédiaire de la critique d’art et de cinéma américaine Annette Michelson (1922-2018). Proposant une véritable exploration de l’acte de la prise de vue photographique, The Camera : Je ou La Camera : I (1977), cherche à pousser le public à s’identifier au regard de la photographe sur ses sujets de prédilection tels que le corps, la danse, le jeu, le théâtre et sa ville de résidence, New York. Babette Mangolte utilise la technique de la « caméra subjective » afin de faire ressentir aux spectateur·ices la tension, l’agitation et l’asymétrie de pouvoir inhérent à l’acte de photographier. Le titre laisse également entendre qu’il s’agit d’un autoportrait détourné. (Guide de visite)
« Babeth Mangolte, critique et théoricienne du cinéma, est la première à avoir fondé un département de cinéma à l’université d’El-Wayo. Elle rencontre Yvonne Rainer et réalise le montage ainsi que la photographie de ses trois premiers films. L’œuvre présentée ici, The Camera: Je, La Camera: I, tient lieu de manifeste, presque d’autoportrait. Le titre – un jeu de mots bilingue – renvoie à la fois à la vision, à l’acte de voir et à la première personne du « je ».
Le film se compose de deux parties. Dans la première, on découvre certains ami·es de Mangolte, qu’elle filme dans un style proche du portrait photographique. Dans la seconde, elle propose un portrait de New York, ville à laquelle elle reste profondément attachée et où elle vit toujours. Le début du film interroge la position du regard : la supériorité implicite ou l’asymétrie de pouvoir entre la personne qui photographie et celle qui est photographiée — consentante, mais placée dans une forme de vulnérabilité face à l’objectif. Mangolte y intègre même le son du diaphragme, rendant perceptible le moment de la capture de l’image.
Photographe majeure de la danse, elle développe une esthétique singulière qui dépasse le simple document. Son travail propose une véritable écriture photographique de la danse à travers l’image fixe. Elle a collaboré étroitement avec Yvonne Rainer, Trisha Brown et Richard Foreman ». Arlène Berceliot-Courtin.
Florencia Aliberti, Caterina Cuadros et Gala Hernández López – À travers le miroir, 2016

À travers le miroir propose de réunir une sélection d’œuvres abordant la représentation de la subjectivité féminine au cinéma. En se concentrant sur le format de l’autoportrait, les artistes choisissent de célébrer l’autoreprésentation ou comment échapper à la vision masculine (aussi appelée male gaze / « regard masculin », cette notion a été théorisée par Laura Mulvey) qui domine l’histoire du cinéma. Le corps est regardé et se regarde à travers un geste de célébration. Ce montage a été réalisé dans le cadre de l’émission « Soy Cámara » du CCCB – Centre de Culture Contemporaine de Barcelone. Yvonne Rainer et plus particulièrement Hand Movie (1966) apparaissent dans cet ensemble d’images reconditionnées. En reprenant un extrait de ce film réalisé alors qu’Yvonne Rainer est alitée, en convalescence d’une lourde opération chirurgicale, les artistes poursuivent son exploration du cinéma en repoussant, elles aussi, les limites de sa structure narrative. (Guide de visite)
« À gauche, on découvre une œuvre collective intitulée À travers le miroir. Ce montage cinématographique revient sur les représentations et les autoportraits réalisés par des cinéastes femmes. Il s’agit d’un mash-up qui rassemble des extraits de films marquants : on y voit notamment Jackie Raynal dans Deux fois, œuvre censurée en raison d’une scène de nudité, ce qui l’a conduite à s’exiler aux États-Unis, ainsi que Chantal Akerman dans Sauve qui peut la ville, son premier long métrage.
L’idée de ce montage est de célébrer la narration cinématographique lorsqu’elle est pensée, mise en scène et affirmée par des réalisatrices. L’œuvre date d’environ deux ou trois ans ». Arlène Berceliot-Courtin.
Ulrike Ottinger Madame X – An Absolute Ruler, 1978-2025

Cette série d’images est extraite du long-métrage Madame X – An Absolute Ruler réalisé par Ulrike Ottinger. Le mystère de ce film réside dans le recours à X comme pouvoir de représentation du féminin. Au cœur de son casting, nous retrouvons une multitude exagérément stéréotypée de personnages féminins cherchant à fuir leur quotidien. Parmi celles-ci, nous retrouvons Yvonne Rainer interprétant Joséphine de Collage – une poète excentrique, fille d’un ancien officier de la Wehrmacht, souhaitant rejoindre l’aventure afin d’échapper au contexte culturel et académique qui l’ennuie à mourir… Dans ce film, Ulrike Ottinger a travaillé avec des amies et actrices non-professionnelles. Un mode opératoire qui n’est pas sans rappeler celui d’Yvonne Rainer qui réunit ses proches tels que Robert Morris, Robert Rauschenberg, Annette Michelson, Jackie Raynal, Trisha Brown, Vito Acconci ou encore son frère Ivan Rainer. (Guide de visite)
« Les images photographiques que vous voyez sont extraites d’un film réalisé par Ulrike Ottinger, cinéaste allemande féministe et lesbienne. Elle rencontre Yvonne Rainer en 1976, alors que celle-ci est en résidence en Allemagne, et l’invite à participer à l’un de ses films, non pas comme danseuse mais comme actrice.
Rainer y interprète le rôle de Joséphine de Collage, une artiste vêtue d’une chemise ornée de palettes de peintre et chaussée de patins à roulettes. À un moment du film, elle récite un poème de Flaubert. Ce personnage, lassé de l’académisme, rêve de tout abandonner pour embarquer sur un navire conduit par Orlando.
Le film, intitulé Madame X, est une odyssée lesbienne se déroulant sur le lac de Constance, lieu d’enfance d’Ulrike Ottinger ». Arlène Berceliot-Courtin.
Salle 3
Charles Atlas Rainer Variations, 2002

Au printemps 2002, Yvonne Rainer remet à Charles Atlas une collection de films et de cassettes vidéo de différents formats accumulés en vue de les éditer dans un « faux portrait ». Il en résulte un portrait non conventionnel, dans lequel Yvonne Rainer joue à la fois son propre rôle et celui d’autres personnages ayant eu un impact profond, positif ou négatif lors de son apprentissage de la danse. À travers ce subterfuge, elle convoque avec joie, humour et irrévérence sa contribution à l’art du XXe siècle et trouble encore davantage la compréhension de son travail, de sa subjectivité d’artiste, d’interprète et de réalisatrice. (Guide de visite)
« Pour conclure, deux films permettent d’envisager l’exposition dans son ensemble à travers la question du portrait. À gauche, un film d’Adam Pendleton consacré à Yvonne Rainer ; à droite, Rainer Variations de Charles Atlas. Ce dernier, réalisé en 2002, précède de peu l’acquisition des archives de l’artiste par le Getty Research Institute.
Yvonne Rainer confie alors à Charles Atlas un ensemble de documents — notes, répétitions, extraits filmés — couvrant près de quarante ans de travail. Atlas, artiste visuel reconnu pour sa collaboration avec des chorégraphes et son attention au geste dansé, en tire un portrait filmique.
À l’écran, on voit Yvonne Rainer à droite et, à gauche, un performeur incarnant Martha Graham, figure majeure de la danse moderne. Ce face-à-face prend une dimension symbolique : Rainer y revient sur l’influence, parfois contraignante, peut être traumatisante de Graham, dont elle détourne ici les codes. Elle lui indique comment interpréter Trio A, œuvre emblématique d’une danse débarrassée d’émotion et de théâtralité, à l’opposé du lyrisme et des arabesques caractéristiques de Graham ». Arlène Berceliot-Courtin.
https://vimeo.com/346416839
Adam Pendleton Just Back from Los Angeles: A Portrait of Yvonne Rainer, 2016-2017

Just Back From Los Angeles: A Portrait of Yvonne Rainer met en scène Adam Pendleton et Yvonne Rainer partageant un repas dans un des restaurants préférés de l’artiste à Manhattan. À travers un échange, scénarisé ou non, les deux artistes déploient la polysémie du mot « mouvement », tantôt associé à la chorégraphie, tantôt à un soulèvement social ou au champ lexical de l’émotion. Adam Pendleton invite également Yvonne Rainer à lire à voix haute des extraits choisis de textes du militant africain-américain Stokely Carmichael, de Malcolm X, figure emblématique du mouvement des droits civiques, du poète Ron Silliman et de la chercheuse et autrice Keeanga-Yamahtta Taylor. À la fin de leur échange, Yvonne Rainer partage de manière informelle des extraits de Trio A sur fond du chant gospel I Am Saved des Silver Harpes. (Guide de visite)
« À ce moment-là, Yvonne Rainer a 84 ans. Elle transmet à Adam Pendleton quelques mouvements de Trio A. Leur échange aborde également un thème central pour l’un comme pour l’autre : les violences sexistes et racistes aux États-Unis. Ensemble, ils reviennent sur des événements récents qui ont marqué le mouvement Black Lives Matter.
Le film est par ailleurs une commande de Performa, la biennale de performance new-yorkaise qui accompagne et soutient le travail d’Yvonne Rainer depuis les années 2000 ». Arlène Berceliot-Courtin.
Salle 4 :

« La salle dédiée à la programmation cinéma présente l’ensemble des films réalisés par Yvonne Rainer entre le début des années 1970 et le milieu des années 1990. Ces œuvres, projetées successivement tout au long de la semaine, sont toutes sous-titrées en français – une première rendue possible grâce à la volonté du Crac Occitanie et de son équipe d’adopter une approche inclusive, permettant à tous les publics d’accéder à ce travail.
On y projette aussi l’intégralité de JJ (dont un extrait est visible dans la première salle) ainsi qu’un film de Greg Bordowitz, proche d’Yvonne Rainer, Fast Trip, Long Drop. Ce dernier, à la fois poème et journal visuel, évoque son expérience personnelle : son coming out, qu’il rejoue avec ses parents dans leur propre cuisine, puis l’annonce de sa séropositivité et son engagement aux débuts d’Act Up. Le film met aussi en lumière la manière dont les médias américains, à l’époque de l’administration Reagan, ont nié ou minimisé la crise du sida.
Ancien étudiant du programme post-graduate du Whitney Museum, où il a rencontré Yvonne Rainer, Greg Bordowitz a repris certains des principes de son cinéma pour les intégrer à sa propre démarche. Son film, à la fois intime et politique, témoigne d’une époque et d’une communauté marquées par la maladie. Dans une séquence, il invite son amie Yvonne Rainer dans un parc pour échanger sur l’amitié, les familles choisies et la capacité à se reconstruire dans un contexte de fragilité et de résistance ». Arlène Berceliot-Courtin.

« Mes films peuvent être décrits comme des fictions autobiographiques, des confessions mensongères, des récits sapés, des documentaires minés des dissertations non savantes des divertissements dialogiques.
Bien que mes sujets varient d’un film à l’autre je peux également généraliser leurs intentions et leurs objectifs : représenter la réalité sociale dans tout son développement inégal et s’inscrire dans les domaines de l’activisme, de l’articulation et du comportement; créer des arrangements cinématographiques capables d’accommoder l’ambiguïté et la contradiction sans exclure la possibilité de prendre des positions politiques spécifiques: enregistrer la complicité, la protestation, l’acquiescement avec et contre les forces sociales dominantes parfois dans un seul plan ou une seule scène – d’une manière qui ne donne pas un message de désespoir ; créer des juxtapositions incongrues de modes d’expression et de conventions régissant la cohérence picturale et narrative, de sorte que le spectateur ou la spectatrice s’efforce de saisir le sens du film plutôt que de se perdre dans une expérience par procuration ou dans des condensés autoritaires de ce qu’il en est ». Yvonne Rainer Feelings Are Facts, A Life, MIT Press 2006
Les films d’Yvonne Rainer ont été récemment restaurés en 4K par le Museum of Modern Art de New York et le Celeste Bartos Fund for Film Preservation, avec l’aimable autorisation de Zeitgeist Films en association avec Kino Lorber.

Rétrospective des films d’Yvonne Rainer – programmation :
Lundi et Jeudi
12 h 30 : Lives of Performers, 1972 (90 min)
Examen brutal et révélateur des alliances amoureuses, Lives of Performers explore le dilemme d’un homme qui ne peut choisir entre deux femmes et les fait souffrir toutes les deux. Initialement tiré d’un spectacle de danse chorégraphié par Yvonne Rainer.
14 h : Film About a Woman Who…, 1974 (105 min)
Ce film phare d’Yvonne Rainer est une méditation sur l’ambivalence qui joue avec les clichés et les conventions du « Soap Opera » tout en racontant l’histoire d’une femme dont l’insatisfaction sexuelle masque une colère immense.
15 h 45 : Kristina Talking Pictures, 1976 (90 min)
Yvonne Rainer poursuit sa réflexion sur les contradictions entre les personnages publics et privés avec l’histoire d’une dompteuse de lions de Budapest qui vient à New York pour devenir chorégraphe.
17 h 15 : Privilege , 1990 (103 min)
Ce sixième long-métrage est un film subversif sur la ménopause. À partir d’un sujet jusqu’alors quasiment invisible au cinéma, Yvonne Rainer a créé une œuvre pleine d’esprit et particulièrement osée sur l’identité sexuelle et les inégalités économiques liées à la race, au genre et à la classe sociale.
Mercredi et Vendredi
12 h 30 : Journeys from Berlin/1977, 1980 (125 min)
Afin d’explorer les ramifications du terrorisme, Yvonne Rainer a recours à une séance de thérapie prolongée – au cours de laquelle une Américaine s’entretient avec une série de psychiatres – pour évoquer les expériences quotidiennes du pouvoir et de la répression.
14 h 35 : The Man Who Envled Women, 1985 (125 min)
Autour d’un thème familier – la rupture d’un mariage – Yvonne Rainer construit un récit honnête, gracieux et terriblement drôle d’un coureur de jupons satisfait de lui-même, Jack Deller, l’homme « qui en sait presque trop sur les femmes »
16 h 40 : MURDER and murder, 1996 (113 min)
MURDER and murder est une histoire d’amour entre Mildred, lesbienne de toujours, et Doris, amoureuse d’une femme pour la première fois. Une réflexion sans concession sur le vieillissement au féminin, le lesbianisme et le cancer du sein dans une culture qui glorifie la jeunesse et les relations hétérosexuelles
Samedi
14h : Lives of Performers (90 min)
15 h 30 : Film About a Woman Who (105 min)
17 h 15 : JJ de Pauline L. Boulba, Aminata Labor, Lucie Brux (71 )
JJ est un documentaire revenant sur la vie de l’autrice, critique de danse, performeuse et militante lesbienne, Jill Johnston. Ce film collectif rassemble des témoignages enregistrés dans le cadre d’une enquête menée à New York au printemps 2022. Figure incontournable de l’avant-garde new-yorkaise, Jill Johnston a écrit dans les années 1960 et 1970 de nombreuses critiques publiées dans l’hebdomadaire The Village Voice. Elle y documente et analyse les concerts de danse des membres du Judson Dance Theater, parmi lesquels les premières chorégraphies d’Yvonne Rainer. Ce film s’accompagne d’une pièce chorégraphique et d’un livre publié aux éditions Brook intitulé JJ, Tartine-moi qui réunit des textes choisis et traduits pour la première fois de l’anglais.
Dimanche
14h : Fast Trip, Long Drop de Gregg Bordowitz, 1993 (55 min)
À travers l’annonce de sa séropositivité, Gregg Bordowitz analyse notre rapport à la mort, à la maladie, au système médical nord-américain mais aussi à l’inaction du gouvernement de Ronald Reagan face à l’ampleur de l’épidémie du sida. Au coeur de ce journal visuel entrecroisant critique des médias, activisme et mise en scène d’archives, il invite Yvonne Rainer. Dans un parc à Manhattan, ils évoquent le récent diagnostic de son cancer du sein, leur amitié ainsi que la possibilité d’une famille choisie. L’impact cumulatif de ces événements remet en question son sentiment d’identité, mais aussi la façon dont il comprend son propre diagnostic et les relations entre la/ les maladie/s et l’histoire tant individuelle que collective.
15h : Privilege (103 min)
17h : MURDER and murder (113 min)

Salle 8 :

À travers cette installation, Paul Maheke s’interroge sur l’expérience d’être affecté·x·e, entendu·x·e, reconnu·x·e. L’œuvre se compose d’une bande sonore et d’un lit sérigraphié sur lequel l’artiste invite à s’abandonner à l’écoute et à la méditation collective. Imaginée spécialement pour l’exposition, à la croisée de la confession, du récit personnel et de l’histoire collective, l’installation propose de replacer, voire de réhabiliter la vulnérabilité comme une véritable stratégie d’émancipation. La forme du lit conçue sur mesure par Paul Maheke rappelle également son utilisation par Yvonne Rainer dans les années 1960. Une plateforme sémantiquement riche évoquant à la fois le sommeil, le repos, l’éveil, le rêve, la sexualité, la maladie, la mort. (Guide de visite)
« Cette salle est occupée par Paul Maheke avec In spite of my own desire to see you disappear (2024), une installation immersive repensée avec le Crac pour cet espace après une première présentation à Toronto. Paul Maheke, ancien résident de la Villa Albertine aux États-Unis et actuellement en résidence à la Villa Médicis à Rome, y poursuit sa réflexion sur la mémoire corporelle, la vulnérabilité et la décolonisation du regard.
L’installation invite à une expérience de partage et de lenteur : le public est invité à s’asseoir ou à s’allonger sur ce grand matelas disposés dans la salle, à habiter un temps commun, à écouter et à regarder. La vidéo, accompagnée d’un environnement sonore créé en collaboration avec des proches de l’artiste, puise dans des fragments de son journal intime. Texte, voix et musique se superposent dans une atmosphère suspendue, où les mots deviennent presque palpables.
Au-delà de la projection, l’installation fonctionne comme un espace d’attention partagée. Elle engage une réflexion sur la fragilité — émotionnelle, physique, politique — au cœur du travail de Maheke. Depuis plusieurs années, son œuvre interroge la construction du corps dans l’histoire coloniale et postcoloniale, et la manière dont il conserve, malgré la domination et l’effacement, une mémoire vive, une archive en mouvement.
Connu surtout pour ses performances, Paul Maheke revendique ici la continuité entre le dessin, le geste et la présence physique. Les dessins visibles sur ce lit — esquisses, notations, tracés presque chorégraphiques — témoignent de ce rapport direct au corps comme lieu de mémoire et d’expérience. Le corps, chez lui, n’est pas seulement une forme, mais un espace politique à reconquérir, un territoire à décoloniser.
In spite of my own desire to see you disappear propose ainsi une expérience intime et collective, où la vulnérabilité devient un mode d’être au monde, un état partagé plutôt qu’une faiblesse. En transformant la salle en lieu de repos et d’écoute, Paul Maheke replace l’attention, la respiration et la relation au centre de l’expérience artistique ». Arlène Berceliot-Courtin.

After Many a Summer Dies the Swan: Hybrid recourt à la « juxtaposition radicale » empruntée à l’écrivaine Susan Sontag. Pour cela, Yvonne Rainer combine une nouvelle chorégraphie à des textes d’Oskar Kokoschka, Adolf Loos, Arnold Schoenberg et Ludwig Wittgenstein. Par le recours au collage et à la superposition d’images d’archives, de chorégraphies filmées et de citations, son objectif est à la fois de décontenancer le public et d’interroger la résonance de l’avant-garde aujourd’hui. « Certains diront qu’elle est révolue depuis longtemps. Quoi qu’il en soit, son concept continue d’inspirer et de motiver nombre d’entre nous, car il nous incite, selon les mots du dramaturge et metteur en scène Richard Foreman, à « résister au présent ». » (Yvonne Rainer)
Depuis plus de vingt ans, Yvonne Rainer remet en question son travail, celui initié dans les années 1960, mais aussi celui imaginé au début des années 2000, alors même qu’elle abandonne le cinéma pour retourner vers la danse. Il s’agit ici de sa seule œuvre vidéo en tant que telle (hors du format cinéma). À ce titre, elle concentre toutes ses préoccupations : une forte mobilisation de l’attention du public ; une déconstruction de son approche minimaliste de la danse et une interrogation vis-à-vis de la résonance de l’avant-garde à l’aube du XXIe siècle. (Guide de visite)
« Ici, j’ai souhaité présenter, en regard avec l’installation de Paul Maheke, After Many a Summer Dies the Swan : Hybrid (2002), la seule œuvre vidéo réalisée par Yvonne Rainer au début des années 2000. C’est une pièce très importante, parce qu’elle marque son retour à la danse après presque trois décennies consacrées au cinéma. À ce moment-là, elle en avait un peu assez de la production lourde que représente un long métrage — les financements, les équipes, la logistique — et elle revient vers un format plus direct, plus maniable, qui lui permet de renouer avec le mouvement et la scène.
Cette vidéo existe à la fois comme œuvre autonome — celle que vous voyez ici — et comme support de performance : elle est projetée sur scène, et Yvonne Rainer y développe une chorégraphie écrite en dialogue avec les images. On est donc dans une hybridation entre la vidéo, la danse et la performance, ce qui correspond bien à la manière dont elle a toujours travaillé, en brouillant les frontières entre disciplines.

Visuellement, on retrouve toute une esthétique vidéo du début des années 2000 — une image un peu brute, des incrustations, un montage très rythmique — mais c’est surtout un manifeste. Rainer y interroge la notion même d’avant-garde. Elle a toujours été associée à ce mot, depuis ses débuts dans le Judson Dance Theater dans les années 1960, et on continue de lui demander : « L’avant-garde existe-t-elle encore ? ». Cette œuvre répond à cette question à sa manière, en déplaçant le problème.
Elle construit un collage très libre où se mêlent des extraits de textes d’Adolf Loos et de Ludwig Wittgenstein, des images de répétitions, des captations de représentation. Pour ce montage, elle s’inspire directement de Susan Sontag, et de sa méthode de « juxtaposition radicale » — cette idée qu’associer des éléments qui, a priori, n’ont rien à voir, peut ouvrir de nouveaux chemins de pensée ». Arlène Berceliot-Courtin.
Salle 9





Yvonne Rainer – Five Easy Pieces, vidéo, 48 minutes, 1966-69. Hand Movie, 1966, 8mm transféré en vidéo, 5 min, n&b, silencieux Caméra : William Davis – Volleyball, 1967, 16mm transféré en vidéo, 10 min, n&b, silencieux Caméra : Bud Wirtschafter – Rhode Island Red, 1968, 16mm transféré en vidéo, 10 min, n&b, silencieux Caméra : Roy Levin – Trio Film, 1968, 16mm transféré en vidéo, 13 min, n&b, silencieux Caméra : Phill Niblock – Line, 1969, 16mm transféré en vidéo, 10 min, n&b, silencieux Caméra : Phill Niblock.
Le premier court-métrage, Hand Movie est filmé à sa demande alors qu’un ami lui rend visite à l’hôpital. On n’y voit que sa main dont elle explore les possibilités gestuelles en bougeant le poignet et les doigts. Ce film est comme un salut, en même temps qu’il reprend l’esthétique minimaliste qui est la sienne sur le plan chorégraphique : celle du geste « ordinaire ».
Dans Line, une jeune femme vue de dos dessine une ligne sur un mur puis se retourne vers le spectateur.
Volley Ball est un gros plan sur un ballon qui traverse l’espace du studio et de l’écran, poussé par les jambes d’un interprète.
Trio Film est une variante de Trio A (1966), pièce chorégraphique centrale pour Rainer qui synthétise sa démarche axée sur le potentiel du corps : un couple nu assis sur un canapé, interagit avec une sphère – un ballon d’exercice – qui gravite dans l’espace de l’écran.
Rhode Island Red montre une « assemblée » de poules filmées en plongée. L’agitation ne cesse de saturer l’écran. Une force de vie qui se retrouve toujours au premier plan chez Rainer.
« Dans la dernière ou la première salle du parcours, selon le sens que l’on choisi d’emprunter, Five Easy Pieces (1966-1969) est une série de courts films emblématiques du travail d’Yvonne Rainer à la fin des années 1960.
Parmi eux, on trouve Hand Movie — sans doute le plus célèbre — tourné en 1966. L’histoire de ce film est assez singulière. À ce moment-là, Yvonne Rainer est hospitalisée pour un grave problème d’estomac. Elle ne peut pas danser, ni se déplacer. Son ami William Davis vient lui rendre visite et, sur son lit d’hôpital, elle lui propose de filmer sa main. Elle conçoit, depuis son lit, une véritable « danse de la main », une chorégraphie minimale, réalisée uniquement par les doigts, le poignet, les articulations. Le film dure quelques minutes, cadré de très près, sur un fond neutre, sans montage apparent.
Elle a souvent expliqué que Five Easy Pieces n’était pas à prendre « trop au sérieux » — c’est des essais chorégraphiques, mais qui résument beaucoup de choses de sa recherche à l’époque. Rainer explore ici la possibilité de danser avec un fragment de corps, de déplacer la chorégraphie hors de la scène, de la ramener à un geste, à un souffle, à une micro-mobilité. Dans un autre des films de la série, Volleyball, elle filme l’angle formé par le mur et le sol où rebondit un ballon. Ce simple geste de cadrage, ce choix d’un angle, résonne avec les préoccupations de l’art minimal de la même époque : comment un espace réduit, presque insignifiant, peut devenir un lieu d’expérience perceptive. C’était alors mettre à distance et les flux corporels et les pensées corporelles pour aller vers une œuvre qui serait uniquement une pensée. C’est de cela dont elle se détache en 1966 pour quitter toutes les influences de l’art minimal et aller vers une vision beaucoup plus incarnée et beaucoup plus située ». Arlène Berceliot-Courtin.

Misremembered évoque autant la danse que la mémoire de celle-ci. Pour ce faire, Nick Mauss joue avec la ligne des corps et des objets qu’il fait apparaître à travers la technique de la peinture sur verre inversé. L’artiste interroge les limites entre peinture, performance, danse, sculpture, afin de mieux interroger les normes du récit de l’art, sa catégorisation sous les labels d’arts appliqués, d’arts visuels ou de performance et l’importance accordée à l’avant-garde. Il a par ailleurs travaillé à reconsidérer le ballet moderniste en tant que forme artistique interdisciplinaire, étonnamment queer, précédant les expérimentations qui marqueront l’art et la performance des années 1960.
Il explore l’interprète en tant que personnage à part entière. Plus récemment, il a participé à la reprise de Parts of Some Sextets (qui en raison de sa complexité n’avait pas été présentée depuis 1966), une danse fondamentale du répertoire d’Yvonne Rainer réalisée en collaboration avec Emily Coates dans le cadre d’une commande de la biennale Performa, en 2019. Il a également dirigé l’ouvrage Remembering a Dance : Parts of Some Sextets, 1965/2019 revenant sur cet évènement historique. (Guide de visite)
« En face, on découvre l’œuvre de Nick Mauss, Misremembered (2024). Nick Mauss est un artiste américain, à la fois peintre, danseur, performeur, curateur et éditeur — un profil volontairement hybride, qui remet sans cesse en question les catégories que la critique ou que le milieu de l’art aime positionner sur les artistes.
Le titre, Misremembered — « mal souvenu » ou « souvenir altéré » — évoque à la fois la mémoire et l’oubli d’une danse et sa trace, de la persistance du geste dans le temps. L’œuvre prend la forme d’un grand miroir peint selon la technique de la peinture inversée sur verre, un procédé où l’artiste travaille à rebours, sur la face arrière du support. Ici, le miroir devient à la fois surface de projection, espace pictural et métaphore de la mémoire corporelle.
Mauss y inscrit des lignes, des silhouettes, des fragments de mouvements, comme des souvenirs de danse saisis au vol. Le miroir, objet central de l’histoire de la danse — celui qui réfléchit, qui corrige, qui façonne le regard du danseur ou de la danseuse — est ici brouillé, déplacé. La peinture vient perturber sa fonction de reflet, y introduisant de l’opacité et du trouble.
L’œuvre s’inscrit dans la continuité de la recherche de Nick Mauss sur la danse moderniste et ses figures oubliées. On se souvient notamment de son exposition Transmission au Whitney Museum, dans laquelle il revisitait l’histoire du ballet moderniste à travers une perspective queer.
Avec Misremembered, il poursuit cette réflexion. Comment raconter l’art, comment on normalise l’art et son histoire, comment en faisant référence à d’autres figures, à des figures un peu oubliées, on peut retracer un autre récit ». Arlène Berceliot-Courtin.

Yvonne Rainer: Work 1999-2022 est un portrait revenant sur le travail chorégraphique initié par Yvonne Rainer depuis son retour à la danse au début des années 2000 jusqu’à la recréation de Parts of Some Sextets en 2022. Performa est une organisation artistique américaine à but non lucratif connue pour sa Biennale Performa, un festival d’art performatif qui se déroule tous les deux ans dans divers lieux et institutions de New York. Performa a été fondée en 2004 par l’historienne de l’art et curatrice Rose Lee Goldberg. L’organisation commande de nouvelles œuvres et organise des tournées des performances initiées lors de la biennale. Elle soutient le travail de la chorégraphe et cinéaste Yvonne Rainer et notamment à travers un projet d’histoire orale coordonné par Charles Aubin qui revient sur le renouveau de la carrière chorégraphique d’Yvonne Rainer après les années 2000 et complète ainsi son archive conservée au Getty Research Institute. (Guide de visite)




« Alors ici, vous voyez un extrait du projet Yvonne Rainer: Work 1999-2022, qui revient sur tout le travail chorégraphique qu’elle a développé depuis son retour à la danse au début des années 2000, jusqu’à la recréation de Parts of Some Sextets en 2022.
C’est un projet initié par Performa, connue pour sa biennale d’art performatif, qui se tient tous les deux ans dans différents lieux de New York, et qui commande régulièrement de nouvelles œuvres à des artistes. Performa qui est l’exécuteur testamentaire d’Yvonne Rainer, a soutenu son travail en produisant certaines de ses pièces et en accompagnant un projet d’histoire orale mené par Charles Aubin, qui revient sur cette période de reprise chorégraphique après les années 2000 et qui complète les archives conservées par le Getty Research Institute à Los Angeles.
La recréation de Parts of Some Sextets permet de voir comment reprendre une danse quand la moitié de la partition a disparu, quand énormément de matériaux n’existent plus dans la mémoire de la danseuse ou de la chorégraphe. Comment est-il possible en fait de faire de la refaire vivre ? De réfléchir à l’archive et comment la garder vivante ? » Arlène Berceliot-Courtin.

