Pierre Malphettes – L’horizon des particules à Vidéochroniques – Marseille

Jusqu’au 13 juillet 2019, Vidéochroniques présente une magistrale exposition de Pierre Malphettes. « L’horizon des particules » rassemble 25 œuvres, dont plusieurs inédites ont été produites pour l’exposition et réalisées in situ…

Pour évoquer ce projet captivant, les mots et les images se bousculent. On pourrait parler de suspension, d’absorption, d’arrêts sur image, d’équilibre instable mais aussi d’une évidente et étonnante simplicité…

À propos de « L’horizon des particules »

On renvoie nos lecteurs à la « Petite visite subjective d’une exposition de Pierre Malphettes » que Patrick Raynaud signe pour l’exposition. Ce texte reproduit ci-dessous accompagne la fiche de salle. On ne saurait mieux faire…

Quelques mots sur la mise en espace irréprochable que Pierre Malphettes à imaginé avec la complicité d’Édouard Monnet, directeur de Vidéochroniques.

L’accrochage dans la grande salle est construit autour de La météorite, 2010, une imposante fonte d’aluminium en suspension, immobilisée par la tension de quatre sangles orangés.

Pierre Malphettes – L’horizon des particules à Vidéochroniques – Photo Vidéochroniques
L’horizon des particules à Vidéochroniques – Photo Vidéochroniques

Tout semble s’articuler à partir de cette pièce qui oriente le regard et la circulation…

Sur les murs, sept dessins réalisés par absorption de l’encre de marqueurs créent un univers captivant où se succèdent amas de tâches, soleils noirs, éclipse, file et nébuleuse de points

Le visuel choisi pour l’exposition prend alors tout son sens.

Pierre Malphettes – L’horizon des particules - Vidéochroniques - Marseille
L’horizon des particules – Vidéochroniques – Marseille

Ces œuvres évoquent un peu les peintures à l’encre noire sur des fonds de feuilles d’or blanc de Jean-Michel Othoniel que l’on avait découvertes à l’occasion de ses Géométries Amoureuses au CRAC à Sète en 2017

Pierre Malphettes - Les forêts optiques #6, 2019 – L’horizon des particules à Vidéochroniques
Les forêts optiques #6, 2019 – L’horizon des particules à Vidéochroniques

Cette série est interrompue par Les forêts optiques #6, 2019, un dessin au crayon à l’huile, où on retrouve le regard de Pierre Malphettes du côté de l’Op Art et du paysage vu du côté de 7 Clous et de Pareidolie. Cette rupture est troublante, voir même perturbante, mais elle « secoue » le visiteur et évite son absorption totale par les trous noirs… en lui proposant une alternative ici forestière et plus loin maritime.

Deux néons trouvent de toute évidence leurs justes places. La fumée blanche, 2010 s’élève dans l’alcôve au fond de la salle en compagnie d’une Cascade #2, 2018 au crayon de couleur.

Une ligne de crête, 2012 occupe idéalement l’espace magnétique de la Fosse.

On retrouve le même orangé que celui des sangles de La météorite dans le lien qui soutient le sac de sable percé avec lequel l’artiste a tracé une évidente galaxie spiralée (Grains de sable spiralés, 2019). Elle ne pouvait être dessinée ailleurs que là ou elle est.

En écho avec cette trace, un Petit amas de 2018 conduit discrètement le regard vers la petite salle. L’accrochage s’y organise autour de deux pièces magistrales créées in situ :

Volcans, fleuves et deltas, 2019 est une installation qui pourrait imposer à elle seule un passage par Vidéochroniques.

Titre à venir, 2019 est une œuvre tout aussi fascinante qui ordonne au visiteur de s’asseoir ou de s’agenouiller au sol et de laisser son regard divaguer…

Aux murs, on retrouve six dessins à l’encre sur papier dont un captivant 196 tâches ordonnées, plus 4 points involontaires, 2018 ou encore un délicieux Série de points – petit carré, moins un (petit beurre), 2018

Ils sont accompagnés par quatre encres de chine (Les vagues optiques #1, 2019 et trois Études de vague de 2018) et par un dessin au crayon de couleur et aquarelle (Cascade #1, 2018) que l’on avait vu lors de Pareidolie 2018.

Un seul regret : Les reflets et effets de miroirs sur plusieurs dessins et tout particulièrement sur ceux qui sont accrochés face à l’entrée de Vidéochroniques.

Pierre Malphettes - Éclipse, 2018 – L’horizon des particules à Vidéochroniques
Éclipse, 2018 – L’horizon des particules à Vidéochroniques

À propos de Pierre Malphettes et de son travail

Installé à Marseille depuis 1998, Pierre Malphettes est un artiste discret.
L’atelier A lui a très récemment consacré un portrait disponible sur Arte Creative. On peut y voir l’élaboration de plusieurs pièces présentées dans « L’horizon des particules ».

En 2004, dans un entretien avec Sandra Patron, il évoquait son travail. La lecture de ce texte reste pertinente et elle offre quelques repères utiles pour regarder « L’horizon des particules » :

« La façon dont les sciences modernes décrivent le monde, a été pour moi une vraie découverte. Des notions, telles que la matière qui est en perpétuel mouvement, l’entropie, les mouvements d’une particule, la flèche du temps, ont changé le regard que j’avais sur les éléments et les objets qui m’entourent au quotidien. Ce sont des théories ouvertes, où le doute a sa place, des interprétations capables à tout moment d’intégrer de nouveaux éléments et d’accepter que ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui. L’homme a une place insignifiante dans cette vision du monde, mais la physique quantique l’intègre néanmoins comme élément déterminant de ses observations.

Ces théories constituent dans mon travail une sorte de toile de fond. Je m’intéresse plus à ce qu’elles évoquent, à l’imaginaire et à la poésie qui en découle. J’observe ce qui m’entoure, je le contemple avec naïveté et j’essaie de m’y coller […].

Mon travail n’est pas univoque, il ne se définit pas non plus par une démarche. Chaque œuvre a sa propre histoire, son propre cheminement. La poésie est quelque chose vers lequel je vais de plus en plus, mais je ne définis pas mon travail comme étant quelque chose d’uniquement poétique. Dans mes œuvres, j’ai ce besoin de tout montrer, et quand j’en parle, j’ai besoin de tout décrire. Le mécanisme est le même ».

L’an dernier, Pierre Malphettes était l’artiste invité de Pareidolie. Sa très belle installation face aux bassins du port était malheureusement troublée par nombreux reflets et miroitements.

Paréidolie 2018 - Pierre Malphettes, artiste invité de Pareidolie 2018
Pierre Malphettes, artiste invité de Pareidolie 2018

Certains gardent en mémoire « Op’Art Landscape Party » que Patrick Raynaud avait accueilli chez lui à Marseille début 2018. D’autres se souviennent de « Blanc néon », une exposition personnelle aux Cryptoportiques à Arles en 2012 ou de « Sculptures terrestres et atmosphériques » au Frac Paca à Marseille en 2009.

On se rappelle aussi de ses participations à « La convergence des antipodes », l’exposition inaugurale de Mécènes du Sud Montpellier-Sète en 2017, à « Archi-Sculpture » à la Villa Datris en 2015 ou encore à « Pop-up », une proposition d’Astérides à la Friche de la Belle de Mai en 2014. En 2015, Un arbre, un rocher, une source était une des pièces contemporaines remarquables de « Lieux saints partagés » au Mucem.

Merci à Lucie Tournayre et à Virginie Hervieu pour leur accueil cordial et les informations riches et précises qu’elles ont su nous offrir sur le travail de l’artiste.

« L’horizon des particules » restera très certainement une des expositions majeures du Printemps de l’Art Contemporain 2019 à Marseille.
Au-delà du 13 juillet, cette proposition incontournable devrait à nouveau être visible pendant Art-O-Rama 2019.

À lire ci-dessous « Petite visite subjective d’une exposition de Pierre Malphettes » le texte de Patrick Raynaud qui accompagne « L’horizon des particules ».

En savoir plus :
Sur le site de Vidéochroniques
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Pierre Malphettes sur documentsdartistes.org
Le texte de l’entretien de Pierre Malphettes avec Sandra Patron

Bien sûr, Pierre Malphettes s’intéresse au monde, à la marche du monde, à l’état de la planète, de son pays, de sa ville, de son quartier. Bien sûr nous nous intéressons tous aux gens, aux siens, à soi, voire parfois à l’entre-soi. On sait qu’on fait l’histoire, au jour le jour, la petite et la grande. Les scientifiques font l’histoire des sciences, les sportifs celle des sports, les artistes l’histoire de l’art, mais ces histoires se mélangent entre elles, heureusement. Et il est bien normal que l’histoire de l’art veuille jouer son rôle dans l’actualité, dans la société, les comportements des individus, des groupes et des politiques… Beaucoup d’artistes (et de “curators”) s’y emploient aujourd’hui de façon directe. Mais d’autres approches sont possibles. Malevitch et les suprématistes, n’ont-ils pas accompagné la révolution d’Octobre plus pertinemment que le réalisme socialiste ?… Et l’Op Art (dont Pierre Malphettes aujourd’hui s’approprie et perturbe parfois les codes) n’accompagnait-il pas aussi, avec le situationnisme ou le lettrisme, les mouvements sociétaux des années 1960 ?

Bien sûr, Pierre Malphettes s’intéresse à l’art d’aujourd’hui, d’hier, de demain, cette grande histoire des arts, trop peu enseignée, trop peu connue, et qui aide pourtant à comprendre l’essentiel de l’esprit humain. À l’échelle de la mémoire de l’humanité, l’oeuvre d’art est la dernière trace à s’effacer : que saurait-on de l’âge des cavernes, de l’Égypte ou de la Grèce antiques voire du Moyen Âge sans le geste des artistes ? Qui connaitrait Cro-Magnon sans l’empreinte de sa main, ou les politiciens antiques si Phidias ou Praxitèle n’en avaient pas “tiré” le portrait en marbre ? Et le monde avait bien oublié ce petit Toutankamon de Pharaon avant qu’Howard Carter n’en exhume du sable le somptueux tombeau d’art et d’or… Extrait du sable. De la poussière. De la poussière du désert que surplombe la poussière d’étoiles, les météores, les météorites, les galaxies, les trous noirs. Cette dimension-là se retrouve dans l’exposition de Pierre Malphettes à Vidéochroniques. L’infiniment petit, l’infiniment grand, cette échelle-là est celle de son travail actuel, si l’on sait y voir.

Pour donner à voir, Pierre Malphettes se livre ici à des expérimentations, dans la galerie même, met au point des process venus d’intuitions pas toujours évidentes : qui aurait cru qu’un sac de sable percé d’un trou et lancé à telle vitesse dessinerait au sol une galaxie spiralée ? Changez le diamètre du trou et la vitesse du lancer et vous récoltez plutôt le chaos. Cette pièce immobile exprime pourtant le mouvement qui l’a créée, que l’esprit reconstitue et comprend. Un expérimentateur scientifique aurait-il procédé autrement ?

Dans Volcans, fleuves et deltas différentes poussières de marbre, matériau ô combien lié à l’histoire de l’art, reforment quand elles s’écoulent, mêlées d’eau, des reliefs colorés évoquant les cratères dont elles sont issues (soulèvement de la chaîne hercynienne, dépôts calcaires privés de l’eau des profondeurs), des ruisseaux et des sources, des érosions et des concrétions comme des paysages miniatures animés… Est-ce une expérimentation géologique ?

Ailleurs, des percements effectués dans le verre retenant des stratifications de sables colorés où Pierre Malphettes avait réussi à faire cohabiter matière naturelle granuleuse et patterns “hard edge” créent des effondrements souterrains, des cônes d’éboulements, la skyline d’une chaîne de montagne lambda dont apparaissent les dessous en couches alternées. Une coupe dans la matière qui rappelle, certes, dans son principe, les artefacts en bouteille des artisanats, mais évoque surtout les coupes géographiques et géologiques de la terre, illustrant ce que l’on sait du monde en train de se faire, quand les carrotages du sous-sol nous en révèlent la matérialité, mais aussi l’histoire dans les matières qu’ils remontent, venues du fond des temps et encore parfois porteuses de vie.

Profondeurs et sommets, failles qui les relient et les séparent, tectonique, la silhouette de ces montagnes évoque celle qu’une pièce de Pierre Malphettes avait déjà produite il y a quelques années : un néon blanc au trait anguleux, indécis mais précis, sur des portants
métalliques et dans un désordre des fils électriques, intitulé La ligne de crête… Cette dernière surplombe et illumine la belle salle grise et semi-enterrée du lieu d’exposition, où l’on croit respirer, paradoxalement, le parfum de la terre profonde.

Tandis que plus loin un faisceau de tubes au néon élève du sol vers le ciel un panache de fumées blanches. Toujours cet aller et retour entre ce qui échappe à la pesanteur et ce qui s’y abîme, ce qui s’élève et ce qui tombe, selon les périodes et les humeurs : d’aucuns pourraient y trouver les indices d’un questionnement mystique. Mais le regard premier de l’homme sur le ciel, de l’enfant sur les étoiles filantes suffisent à justifier ces évocations du monde.

Car juste à côté c’est une “étoile filante”, une météorite de fonte massive, venue évidemment du fin fond de l’univers qui atterrit dans la galerie. Des sangles solidement accrochées ont réussi à stopper sa chute, qui aurait immanquablement creusé sous nos pieds un cratère immense, transformant le Panier en trou béant … La plus grande météorite du monde, à Hoba, est aussi le plus gros morceau de fer existant : 60 tonnes, record Guiness tombé du ciel, celle de Cape York que l’on peut toucher au Musée d’Histoire Naturelle de New York, n’en pèse que la moitié, mais quelle émotion sous la main que de tâter la fraîcheur imaginaire de l’espace intersidéral… Celle de l’exposition est en fonte d’aluminium, plus petite et moins lourde mais suffisamment pour exiger de la galerie qui l’expose une carrure particulière, une résistance que l’on perçoit dans la tension maximum des sangles qui la soutiennent, d’une immobilité absolue et le cerveau perçoit “en creux”, pour ainsi dire, l’énorme force de la gravité contrariée. Car on se trouve là, dans cet entre-deux, dans cet équilibre instable, celui qui est sensé ne durer qu’une fraction de seconde et qui ici s’éternise. La mouvance de l’univers se trouve là, entre ces murs, arrêtée dans sa course, suspendue dans le temps.

Pierre Malphettes arrête au bouchon le sable qui s’écoulait de sa pièce. On pense au sabliers peints près des crânes humains dans les multiples tableaux de vanités. Comme il fige sur papier le battement des vagues, stoppées net dans leur entêtement par le dessin minutieux où le temps de l’homme le dispute à celui des éléments et le vainc un instant.
Ailleurs, dans d’autres dessins et d’autres arrangements avec les matériaux et les fluides, le papier buvard absorbe toute l’encre qu’il trouve dans le marqueur et produit une tache profonde, ourlée de clair, ressemblant à celle du trou noir apparu après combien de millions d’années-lumière sur les écrans des astrophysiciens. Taches noires qui s’organisent dans l’espace de la feuille comme des objets spatiaux, parfois pris de tentations géométriques et que chacun décrypte à l’aide de son propre imaginaire.

Amas d’étoiles ou de galaxies. Arrêts sur image d’un univers en perpétuel mouvement. Objets fractals, reproductions des mêmes effets à des milliards de kilomètres, d’années, d’années-lumière, du buvard au trou noir, du sable à la voie lactée, de la poussière à la montagne, des ions de l’eau à ceux du néon lumineux ou de la couche glacée de la crête de la montagne… Certes, comme disait l’humoriste, tout est dans tout et inversement. Et nous sommes là, quelque part, poussière de poussière, poussière d’étoile, vérifiant que notre trace, à l’échelle de l’histoire du monde restera infinitésimale, et à l’échelle de l’univers, bien entendu, négligeable, mais néanmoins réelle, comme des atomes du pudding de Noël de la Reine Mary se retrouvent par addition et mélanges successifs, chaque année, dans celui de la reine d’Angleterre, près de 10 siècles plus tard…

Car c’est avec cette même simplicité, cette même économie de moyens remarquable que Pierre Malphettes nous fait toucher du doigt la grande histoire du monde, pourvu que l’on veuille bien faire l’effort d’y consentir, pourvu que notre esprit prenne sa part d’imaginaire et de fiction dans ces paysages recréés et dans ces histoires naturelles qui se déroulent, en temps réel, sous et devant nos yeux de promeneurs.

Patrick Raynaud, 9 mai 2019

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