Abdelkader Benchamma – Fata Bromosa – au MRAC -Sérignan

Jusqu’au 20septembre 2020, le MRAC (Musée régional d’art contemporain Occitanie / Pyrénées-Méditerranée) présente « Fata Bromosa », une proposition d’Abdelkader Benchamma. Pour cette première exposition personnelle dans un musée, l’artiste dévoile une série de dessins et de peintures récentes qui font écho avec sa résidence à la Villa Médicis à l’automne 2018, dans le cadre du premier Prix Occitanie – Médicis . À celles-ci s’ajoute un ensemble d’œuvres anciennes et nouvelles, dont une installation immersive.

Le titre choisi pour cette exposition « Fata Bromosa » (littéralement Fée des brumes ou Brouillard de fée) fait référence à un phénomène optique proche des « Fata Morgana ». À proximité d’îles, la présence à différents niveaux de l’atmosphère de couches d’air où se produisent des variations thermiques plus ou moins brutales entraîne l’apparition de mirages supérieurs et inférieurs. Des images simultanément droites et renversées s’empilent en formant une colonne verticale. Elles peuvent évoquer des falaises, des palais de cristal, des temples ou encore des villes fantômes…

Celles et ceux qui connaissent le travail d’Abdelkader Benchamma ne seront certainement pas étonnés par le choix de ce titre. Il renvoie parfaitement aux univers étranges, inspirés par la littérature, la philosophie, l’astrophysique et l’ésotérisme et avec lesquels il joue sur le doute de ce que l’on croit percevoir…

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 1
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 1

Avec leur architecture singulière et leur lumière éclatante et parfois dorée, les salles au premier étage du MracAbdelkader Benchamma a choisi d’installer « Fata Bromosa » valorisent parfaitement les grands formats qu’il a en partie réalisés in situ.

Comme toujours, il joue parfaitement avec l’espace de l’exposition pour offrir au visiteur une expérience unique. Le regard est happé dans un monde énigmatique où se brouillent les frontières entre le visible et l’invisible, le figuratif et l’abstrait.

Peintures et dessins inspirés des marbres symétriques

Exposition « Fata Bromosa » Abdelkader Benchamma © Mrac Occitanie, Sérignan, 2019. Photographie Aurélien Mole
Exposition « Fata Bromosa » Abdelkader Benchamma © Mrac Occitanie, Sérignan, 2019. Photographie Aurélien Mole

Dans la première salle, Abdelkader Benchamma présente une série de grands formats inspirés des marbres symétriques qu’il a découverts il y a quelques années dans les décors de Sainte Sophie à Istanbul. Pour l’artiste, ces panneaux créent « des formes étranges qui paraissent dans un espace entre la figuration et l’abstraction ». Plusieurs dessins de grands formats ont été produits après cette expérience à Sainte Sophie. On se souvient en particulier de Paréidolie #1 et #2 qui avait été montrés en 2014 dans « Le soleil comme une plaque d’argent mat » au Carré Sainte-Anne à Montpellier.

Abdelkader Benchamma - Paréidolie O, 2014
Abdelkader Benchamma – Paréidolie O, 2014. Feutres et marqueurs noirs sur papier, 400 x 300 cm, 2014. Crédit Gregoire Edouard. Exposition Le soleil comme une plaque d’argent mat. Commissariat Numa Hambursin, 2014 – Carré Sainte-Anne, Montpellier.

Par la suite, Benchamma a lu « Dissemblance et Figuration » de Georges Didi-Huberman, ouvrage dans lequel l’historien d’art, ancien pensionnaire de la Villa Médicis, analyse entre autres la signification symbolique des faux marbres dans la peinture de Fra Angelico.
La résidence d’Abdelkader Benchamma à la Villa Médicis, dans le cadre du Prix Occitanie – Médicis, a été l’occasion de reprendre et de prolonger cette réflexion sur les marbres symétriques. Ce fut notamment le cas avec la rencontre de l’historien d’art Cyril Gerbron, pensionnaire de l’Académie de France à Rome en 2017-2018 et auteur d’une thèse intitulée Liturgie et mémoire dans l’œuvre de Fra Angelico.

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 1
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 1

Ces échanges et ces analyses conduisent l’artiste à imaginer les marbres symétriques comme des pré-tests de Rorscharch, « une sorte de matière presque hallucinatoire qui fait entrer le croyant dans un état spécial où lui-même allait reconstituer ou recréer des images à partir de formes abstraites ». Une manière de faire apparaître l’irreprésentable et l’invisible ou de figurer l’infigurable…

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 1
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 1

Sur papier ou peints directement sur le mur, les grands formats exposés dans cette salle renvoient à ces questions autour des marbres symétriques et des faux marbres, au « moment où l’on bascule vers des interprétations visuelles ».

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 1
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 1

Esquissés d’abord au crayon, en même temps main droite et main gauche, ces dessins parlent aussi de la symétrie du corps, symétrie que Benchamma qualifie d’impossible. L’artiste utilise ensuite des feutres enrichis en cuivre, en zinc, en aluminium qui rappellent la matière du marbre et son origine métamorphique…

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 1 Détail
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 1 Détail
Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan

Abdelkader Benchamma à propos des faux marbres symétriques – Fata Bromosa au MRAC à Sérignan

Œuvres anciennes et nouvelles autour des notions de miracles et de prodiges

La séquence suivante rassemble dans deux espaces des dessins inspirés de mythes et de légendes trouvés sur internet, dans des gravures, plus rarement dans des souvenirs plus intimes.

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 2
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 2

Parmi les œuvres nouvelles et autobiographiques, on découvre un grand triptyque sur papier construit à partir d’une carte postale ancienne. Elle reproduit un marabout, cénotaphe à coupole d’un sage ou d’un saint homme qui fait l’objet d’un culte populaire en Afrique du Nord.

Abdelkader Benchamma à propos de son triptyque – Fata Bromosa au MRAC à Sérignan

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 2 (détail)
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 2 (détail)

Pour l’artiste, cette image évoque un souvenir très personnel en compagnie de sa mère. Benchamma fait un lien entre ce lieu « à la fois vide et très “habité” » et les temples shintoïstes visités lors de séjours au Japon qui peuvent se résumer à quatre cordes suspendues dans l’espace.

Dans un univers instable où s’entrecroisent tourbillons, remous, accumulations et fragmentations géologiques, la petite carte postale du Marabout est accompagnée ici et là par des réserves rectangulaires ou quelques traits esquissent des éléments de sanctuaires shinto. Une de ces images où Benchamma représente une branche d’arbre torturée aux formes calligraphiques est reproduite dans un dessin encadré sur le mur de gauche.

Un peu plus loin, un autre dessin qui semble lié à ce triptyque conduit vers l’espace suivant. On y distingue dans l’ombre d’un jardin, la silhouette de deux coupoles dont une est surmontée par une croix…

Dans la deuxième partie de cette séquence, on retrouve une vaste fresque à l’encre de chine sur laquelle sont accrochées des œuvres encadrées (dessins, peintures, vidéo, gravures, faux documents…) qui semblent reliées entre elles par les éléments du dessin mural.

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 3
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 3

Dans cette œuvre très proche de celle présentée au Frac Paca dans l’exposition « Un autre monde /// dans notre monde » par Jean-François Sanz, Abdelkader Benchamma reprend l’imagerie des phénomènes ou « rumeurs » célestes.

Exposition « Fata Bromosa » Abdelkader Benchamma © Mrac Occitanie, Sérignan, 2019. Photographie Aurélien Mole
Exposition « Fata Bromosa » Abdelkader Benchamma © Mrac Occitanie, Sérignan, 2019. Photographie Aurélien Mole

Il interroge le regardeur sur la manière dont elles ont été représentées, transformées, interprétées. Le point de départ est une illustration trouvée sur internet qui montre un « ghost airship », la perception hallucinatoire d’un dirigeable. Il est question ici de l’angoisse liée au progrès, mais aussi du mythe ancestral des apparitions célestes. On retrouve l’évocation du mirage qu’incarne le titre de l’exposition.

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan

Abdelkader Benchamma à propos de Engramme – Fata Bromosa au MRAC à Sérignan

Cette installation s’appelait Sédiments au Frac Paca. Au Mrac, elle prend le titre d’Engramme, nom de l’exposition à la Galerie Templon au printemps dernier où une autre version de cette fresque était présentée. Il n’est pas inutile de préciser qu’en neurophysiologie, l’engramme est la trace biologique de la mémoire dans le cerveau…

Abdelkader Benchamma - Fata Bormosa au MRAC à Sérignan - Vue de l'exposition Salle 3
Abdelkader Benchamma – Fata Bormosa au MRAC à Sérignan – Vue de l’exposition Salle 3

Sur la droite de cette œuvre murale, on découvre un étrange diptyque intitulé Book of Miracles. À propos de cette pièce, le site ArtCatalyse notait dans sa recension de l’exposition à la Galerie Templon : « Book of Miracles est le fruit d’une recherche de l’artiste sur la représentation figurée et les interdits dans les arts de l’Islam. À l’instar du Livre des Miracles qui illustre des phénomènes naturels et célestes depuis la création du monde jusqu’à l’Apocalypse, l’artiste s’est inspiré d’une image de propagande religieuse circulant sur le web, où des arbres déformés semblent proclamer “Il n’y a qu’un seul dieu».

Face à Engramme, l’accrochage aligne 8 photogravures de Gustave Doré, retravaillées à l’encre par Abdelkader Benchamma. Elles appartiennent à sa série Le Rayon bleu. Les gravures sont extraites du Paradis perdu et de la Divine Comédie. En intervenant sur ces estampes, l’artiste suggère que derrière la mise en scène de ces mythologies, il y a peut-être un autre décor qui en cache pourquoi encore une autre scénographie… On avait pu voir quelques images de cette série dans l’exposition au Carré Sainte-Anne en 2014 et au moins trois d’entre elles sont entrées dans les collections du MRAC en 2016.

Abdelkader Benchamma à propos de Rayon bleu – Fata Bromosa au MRAC à Sérignan

Tapis et pavement cosmatesque…

Exposition « Fata Bromosa » Abdelkader Benchamma © Mrac Occitanie, Sérignan, 2019. Photographie Aurélien Mole
Exposition « Fata Bromosa » Abdelkader Benchamma © Mrac Occitanie, Sérignan, 2019. Photographie Aurélien Mole

Plongée dans la pénombre, une troisième séquence propose au visiteur un espace immersif dans lequel on pénètre après avoir quitté ses chaussures ou enfiler des protections…


Au sol, on découvre un dessin monumental qui déborde sur les murs. S’y accumulent des fragments de l’installation que Benchamma avait produite pour le Collège des Bernardins auxquels ce sont ajoutés des éléments inspirés de la cosmatesque, cet art du pavement en mosaïque de marbre qui font écho aux marbres symétriques de la première partie. On y distingue aussi l’évocation de tapis de prière…

Abdelkader Benchamma à propos de son installation – Fata Bromosa au MRAC à Sérignan

Comme le soulignent les commissaires, dans cette installation immersive, Benchamma « convoque ici une autre relation physique au dessin avec toujours en filigrane cette interrogation entre les images et nos régimes de croyance ».

Pour l’exposition à la galerie Templon, le communiqué de presse se terminait par une citation de Georges Didi-Huberman extraite de L’image survivante (2002), un ouvrage auquel Benchamma s’était intéressé. Elle nous semble pouvoir aussi s’appliquer à ce qu’il nous montre au Mrac et certainement à une large partie de son travail :

« Nous ne sommes pas devant l’image comme devant une chose dont on saurait tracer les frontières exactes. Une image est le résultat de mouvements provisoirement sédimentés ou cristallisés en elle. Ces mouvements la traversent de part en part, ont chacun une trajectoire. Partant de loin et continuant au-delà d’elle. Ils nous obligent à la penser comme un moment énergétique ou dynamique. »

Si dans le parcours de visite « Fata Bromosa » apparaît comme une prolongation de « La mesure du monde », Sandra Patron, ancienne directrice du Mrac, aujourd’hui à la tête du CAPC à Bordeaux et co-commissaire tient à préciser : « “La mesure du monde” est née des échanges avec Abdelkader Benchamma sur des problématiques qui au-delà du dessin s’intéressent aux systèmes de représentations du monde que ce soit la cosmogonie, la psychanalyse ou la spiritualité. L’exposition collective imaginée dans un deuxième temps, si elle n’est pas une réponse au travail d’Abdelkader Benchamma, est toute de même une tentative de dialogue avec celui-ci ».

« Fata Bromosa » est évidemment une exposition incontournable !

À lire, ci-dessous, le texte de présentation du projet extrait du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site du MRAC
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Abdelkader Benchamma sur le site de la Galerie Templon et sur celui de la Galerie Chantiers BoîteNoire  

Abdelkader Benchamma « Fata Bromosa » : Présentation par Sandra Patron & Clément Nouet

Pour sa première exposition personnelle dans un musée français, Abdelkader Benchamma investit trois salles du Mrac Occitanie dans une installation immersive qui opère un réseau d’échos et de résonances avec sa résidence à la Villa Médicis, réalisée à l’automne 2018 dans le cadre du premier Prix Occitanie – Médicis.

Depuis une dizaine d’années, Abdelkader Benchamma s’est fait connaitre en développant une pratique virtuose du dessin, dans une conception élargie qui se déploie à l’échelle des lieux qui l’accueillent. Inspirés autant par la littérature et l’astrophysique que par la philosophie et l’ésotérisme, les dessins d’Abdelkader Benchamma donnent formes à l’informel, créant le doute sur la réalité de nos perceptions. Des univers instables, faits de tourbillons, de collisions et de sédimentation, évoquent tour à tour un vortex, une grotte en transformation ou un cosmos que l’on tenterait de déchiffrer à la manière d’un test de Rorschach. L’exposition devient le terrain de matières en tension, empruntant au champ de la physique son lexique et son réseau de forces : mouvement, conflit, résolution, évaporation, solidification, disparition.

Un des enjeux de son travail semble alors de rendre le visible invisible, le figuratif abstrait et l’évidence énigmatique. Mais ce qui frappe de prime abord dans son travail, c’est la puissance avec laquelle il convoque le spectateur, sa rétine, son corps et ses émotions. Ce travail nous happe littéralement, l’oscillation du dessin devient partie intégrante de notre relation à elle, alors même que, bousculés, emportés, on ne sait si nous sommes plongés dans l’infiniment grand ou l’infiniment petit. Ce trouble est matériellement rejoué par l’artiste dans un rapport très spécifique à l’espace d’exposition. Il est en cela inspiré par la théorie de la genèse des formes d’Albert le Grand au XIIIe siècle, dans laquelle le philosophe fait le postulat que les formes ne se contentent pas d’habiter un lieu mais qu’elles sont produites par lui. C’est dans le lieu que se manifeste la puissance de la matière, son appétit à se déterminer comme forme. Les dessins muraux d’Abdelkader Benchamma jouent avec cette puissance, ce génie du lieu et dans la mesure où ils sont amenés à disparaitre à l’issue de l’exposition, ils créent également une analogie avec le caractère fugace et insaisissable de l’existant.

Dès lors, on ne peut s’étonner que le séjour romain de l’artiste à la Villa Médicis fut particulièrement prolifique et inspirant pour lui. À Rome, Abdelkader Benchamma est fasciné par la variété et la richesse des décors des églises, et notamment par l’utilisation de certains marbres, qui par un jeu de mise en symétrie de veinures, créent des formes abstraites qui sont néanmoins chargées symboliquement et spirituellement. C’est le moment où il se plonge dans la lecture de l’oeuvre d’un ancien pensionnaire de la Villa Médicis, Georges Didi-Huberman (1984-86). Dans son ouvrage « Dissemblance et Figuration », l’historien philosophe analyse la peinture de l’artiste italien du Quattrocento Fra Angelico, et particulièrement son utilisation des faux marbres. Ces figures indéterminées et abstraites qui se dévoilent dans certaines fresques de Fra Angelico seraient une manière pour l’artiste de faire apparaître l’irreprésentable et l’invisible. Le divin se dévoile par des stigmates, autant de taches et de traces que Fra Angelico appose à la surface même des faux marbres.

Figurer sans représenter, voilà ce qui semble être l’ambition que ce sont donnés certains peintres de la Renaissance, dont s’est inspiré Abdelkader Benchamma : que le dessin devienne l’empreinte d’un au-delà, qu’il soit une émanation de la nature, mais une nature autre, intérieure et infigurable.

Le titre de l’exposition, Fata Bromosa, (littéralement Fée des brumes) renvoie de manière lacunaire à ce brouillage de la perception cher à Fra Angelico. Le terme évoque un phénomène optique observé par les navigateurs au Moyen-Âge et se matérialise par une superposition de mirages qui donne l’impression d’un brouillard aux bords lumineux. Les images observées sont ainsi amplifiées et déformées de manière spectaculaire, des formes étranges deviennent perceptibles au niveau de l’horizon.

Au Mrac Occitanie, Abdelkader Benchamma convoque tous ces enjeux et établit un dialogue entre pièces récentes et nouvelles productions, toutes reconfigurées à l’échelle du lieu. Dans un premier espace, l’artiste réalise une série de peintures sur papier inspirées par ces marbres symétriques. Pour l’artiste, ces formes qui apparaissent dans ces compositions ne sont ni plus ni moins que l’ancêtre du test de Rorschach, mais appliqué à un espace dévoué à la croyance qui plongeait le croyant dans un état réceptif, où des perceptions altérées pourraient survenir. Dans un rapport jubilatoire à la matière qui lui est coutumier, Abdelkader Benchamma crée ses dessins dans une grande variété de techniques et de médiums : la bombe aérosol côtoie le feutre délicat, et les peintures à base de cuivre, d’argent ou d’aluminium créent un jeu de correspondances avec les matériaux utilisés par les alchimistes du Moyen-Âge. Dans un deuxième espace plus intime, l’artiste propose un ensemble d’œuvres anciennes et nouvelles autour de la notion de miracles et de prodiges. Ces dessins, inspirés des mythes et légendes trouvés dans des gravures anciennes mais aussi sur internet, nous interrogent sur ces images symboliques qui ont façonné un imaginaire collectif qui tend à disparaître. Leurs persistances et leurs survivances se déclinent aujourd’hui sous d’autres formes, particulièrement sur internet, où elles donnent lieu à de nombreuses rumeurs et théories du complot. Dans un dernier espace, Abdelkader Benchamma propose un dessin monumental au sol, débordant sur les murs, oscillant entre une installation d’étranges tapis et une constellation de mosaïques, tel un paysage minéral en ruine. Jouant sur la révélation des formes et des images des lieux de cultes, il convoque ici une autre relation physique au dessin, plus immersive, avec toujours en filigrane cette interrogation sur le rapport entre les images et nos régimes de croyance.

Sandra Patron & Clément Nouet, commissaires de l’exposition.

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