Jusqu’au 20 septembre 2020, le MRAC (Musée régional d’art contemporain Occitanie/Pyrénées-Méditerranée) présente « La mesure du monde », un des projets les plus intéressants que l’on pouvait voir dans la région en ce début d’année. On souhaite que la période de confinement s’achève avant le finissage de cette remarquable exposition sous le commissariat de Sandra Patron et Clément Nouet.
« La mesure du monde » rassemble des œuvres de : Dove Allouche, Marie Cool & Fabio Balducci, Caroline Corbasson, Attila Csörgo, Edith Dekyndt, Hugo Deverchère, Julien Discrit, Roberto Evangelista, Anne-Charlotte Finel, Mark Geffriaud, Joan Jonas, Pierre Malphettes, Masaki Nakayama, Otobong Nkanga, Elisa Pône, Linda Sanchez, Stéphane Sautour, Daniel Steegmann Mangrané, Batia Suter, Francisco Tropa, Keiji Uematsu, Capucine Vandebrouck, Adrien Vescovi, Maya Watanabe, Lois Weinberger.
Le texte d’intention des commissaires précise : « La mesure du monde s’attache à dresser un inventaire sensible et poétique du monde et de ses lois physiques. Prendre la mesure du monde, de ses reliefs, de sa texture, de ses flux et contre flux, opérer un temps de pause et d’immersion dans le paysage ».
Sans aucun doute, ce projet concrétise l’ambition de nous inviter à regarder comment à travers des « pratiques protéiformes (…) comme modalités d’enregistrement du monde, les artistes de l’exposition nous donnent à voir le merveilleux caché dans les replis de ses lois physiques et matérielles ».
Pour les deux commissaires, « l’exposition repose sur notre attention individuelle et collective à ce qui constitue notre monde visible et invisible, à la mutation permanente de toutes choses et de tout être vivant. Mais une fois que cet inventaire est fait, demeure le mystère de sa présence, et de là surgit l’émotion que l’exposition appelle de ses vœux : une émotion qui naît à la fois de l’étude de ses mécanismes, mais également de ce qui, précisément, se refuse à toute étude rationnelle »…
Le parcours de « La mesure du monde » s’articule en deux parties. Le premier volet se déploie au rez-de-chaussée dans la pénombre avec une remarquable mise en espace.
L’exposition se poursuit à l’étage dans la grande salle de l’extension. La lumière du nord éclaire un accrochage souvent passionnant et qui valorise à quelques exception parfaitement les œuvres exposées…
À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite accompagné de commentaires par les artistes présents lors du vernissage et des textes issus du guide de l’exposition téléchargeable sur le site du MRAC et la présentation du projet par les commissaires.
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« La mesure du monde » – Rez-de-chaussée (1)
Une cimaise segmente la vaste salle d’exposition du rez-de-chaussée. Un premier espace regroupe autour d’une magistrale installation de Pierre Malphettes (Volcans, fleuves et deltas, 2019) que l’on avait découverte l’an dernier chez Vidéochroniques à Marseille, des œuvres de Stéphane Sautour, Caroline Corbasson, Batia Suter et Élisa Pône. La deuxième partie plongée dans la pénombre propose une déambulation captivante avec des propositions de Linda Sanchez, Stéphane Sautour, Anne-Charlotte Finel, Francisco Tropa, Hugo Deverchère, Maya Watanabe, Julien Discrit et Mark Geffriaud.
Pierre Malphettes -Stéphane Sautour et Caroline Corbasson – La mesure du monde au MRAC – Sérignan Pierre Malphettes – Batia Suter et Elisa Pône – La mesure du monde au MRAC – Sérignan
Ce premier ensemble où dominent les nuances de gris immerge d’emblée le visiteur au cœur de l’exposition. Si Volcans, fleuves et deltas attire immédiatement le regard et l’attention, la qualité et la cohérence de l’accrochage permettent aux diverses propositions plastiques de se mettre en valeur l’une l’autre et d’engager des échanges captivants avec le regardeur.
Pierre Malphettes
Volcans, fleuves et deltas, 2019
Poussières de marbre, eau, pompe à eau, acier, bois, géotextile et bassine, dimensions variables, (plateau : 300×150×65 cm).
Le travail de Pierre Malphettes débute par l’observation d’un phénomène ou d’un processus naturel qu’il reconstitue à une petite échelle, dans une économie de moyens et paradoxalement avec des outils du monde industriel. Le titre de l’œuvre fait référence à un paysage en construction qui évolue grâce à l’apport de matières. Sans ce processus d’écoulement d’eau et de poudre de marbre, ce relief disparaîtrait. L’artiste lui-même n’a pas une réelle maîtrise sur son œuvre, mais de cette impermanence recherchée se dégage une poésie qu’il admire dans la nature et dans les lois de l’univers.
« Pierre Malphettes nous fait toucher du doigt la grande histoire du monde, pourvu que l’on veuille bien faire l’effort d’y consentir, pourvu que notre esprit prenne sa part d’imaginaire et de fiction dans ces paysages recréés et dans ces histoires naturelles qui se déroulent, en temps réel, sous et devant nos yeux de promeneurs. » (Patrick Raynaud).
Stéphane Sautour
Everything is a field or a maze, 2018-2019
Graphite sur papier coréen et Polaroid Fukushima 017. 164×137 cm chaque.
Les œuvres de Stéphane Sautour participent à la construction de la perception d’une nouvelle réalité technologique et d’un environnement en perpétuelle modification.
Everything is a field or a maze a été produite dans le cadre du projet « Call it anything » du centre culturel F93 poursuivant un ensemble d’initiatives ayant toutes pour point commun la catastrophe de Fukushima.
« L’ensemble des dessins est composé de surfaces de gris colorés, recouvertes de papiers fixés à l’aide d’adhésifs, peuplé de Polaroïds réalisés lors de balades dans la région de Fukushima (Japon), et de dessins (au graphite) de paysages martiens faits à partir d’images collectées par le robot “Opportunity”. Ce dispositif doit être compris comme une sorte de time line ou de cosmogramme. C’est-à-dire un assemblage de matières et d’images permettant d’“embrasser facilement d’un seul coup d’œil”, ou bien offrant de la totalité qu’elles cherchent à exprimer : des vues partielles, mobiles, connectées à d’autres. Cette proposition tente de faire le récit de ce que nous sommes à partir de la catastrophe, mais aussi d’entamer le récit ou les récits de ce que nous pourrions devenir. » (Stéphane Sautour)
Caroline Corbasson
Field, 2017
Poussière du désert d’Atacama observée au microscope électronique (MNHN).
Tirages au charbon direct sur papier, 182×290 cm.
Caroline Corbasson est une exploratrice de l’univers, à la croisée des sciences et de l’art. Elle pose son regard sur le cosmos, les paysages et sur la matière.
Lors d’un voyage dans le désert d’Atacama au Chili, elle a rencontré des chercheurs de l’observatoire astronomique Carro Paranal, situé à 2 600 m d’altitude, au milieu d’un paysage aride à la physionomie proche d’une autre planète. À son retour, elle propose un ensemble de tirages photographiques au charbon des poussières prélevées dans ce désert, réalisées à l’aide de microscopes ultra-puissants. Le charbon révèle l’effet de matière des grains de poussière. Les images évoquent une constellation d’ombres, de trous noirs et autres cavités rocheuses. L’absence d’échelle invite à construire ses propres images mentales.
Batia Suter
Hexamiles (extract), 2019
Installation in situ, 12 impressions sur papier, 113×90 cm chaque.
Batia Suter développe un travail basé sur l’appropriation d’images d’archives à travers des animations photographiques, des montages d’images et des livres d’artiste. Le plus souvent in situ, ses images entrent en résonance avec le lieu d’exposition. L’artiste les replace de manière intuitive dans de nouveaux contextes, construit des histoires, élabore de véritables poèmes visuels sur lesquels chacun peut projeter sa propre narration.
Le titre Hexamiles fait référence à l’hexamètre, un schéma métrique d’écriture poétique antique utilisé notamment dans l’Odyssée d’Homère. Ces 12 images font partie d’une série de 30 réalisées l’été 2019 dans le cadre d’une exposition au barrage de Mauvoisin en Suisse. Elles représentent des territoires isolés, alternant vues romantiques et menaçantes et créent simultanément des sensations de majesté et de désorientation. Les différents environnements géologiques et biologiques se fondent, dans une étonnante alchimie, en paysages composites et oniriques dans une sorte de voyage aventureux.
Elisa Pône
Rocking Spectrum orange/yellow, 2015
Rocking Spectrum yellow/green, 2015
Rocking Spectrum green/blue, 2015
Mèches pyrotechniques colorées et plexiglas, 16×100×5 cm chaque.
« Elisa Pône a toujours aimé jouer avec le feu. […]. Réalité complexe et fugace, la flamme représente “l’ultra-vivant, l’intime, l’universel ” et la valorisation des contraires. […]. “Mes tableaux ne sont que les cendres de mon art ”. […]. Elle s’est servie de la mèche brûlante de fumigènes colorés qu’elle dispose dans plusieurs boîtes de plexiglas, reprenant l’ordre des couleurs du spectre lumineux : rouge-orange, jaune-vert, etc. Une fois les produits consumés, les réceptacles sont alors marqués par les fumées colorées dégagées. Le titre de l’œuvre Rocking Spectrum fait aussi écho à la série des Color Spectrum d’Olafur Eliasson (2005) qui cherche à explorer et à faire sentir au spectateur la nature et le comportement des couleurs. » (Valentine Meyer)
« La mesure du monde » – Rez-de-chaussée (2)
La seconde partie de l’espace d’exposition est plongé dans la pénombre. Ce choix offre d’excellentes conditions aux vidéoprojections des œuvres qui y sont exposées. Les sculptures et installations sont éclairées avec beaucoup de soin et d’élégance. L’ensemble crée un univers captivant et immersif qui joue avec adresse des perspectives, des correspondances comme des oppositions entre les différentes pièces qui sont présentées. Cette remarquable mise en scène propose une déambulation fascinante, surprenante et poétique où chacun est libre de construire ses propres récits. Le discours n’est jamais bavard. Chaque œuvre semble être à sa juste place, dans l’attente d’un dialogue avec le visiteur.
La vidéo de Linda Sanchez qui faisait l’ouverture de « Par hasard » à la Friche la Belle de Mai cet hiver à Marseille fait une heureuse transition avec l’espace précédent. Les deux résonateurs de Stéphane Sautour produisent d’étranges vibrations en résonance avec le corps des visiteurs et le bâtiment. Ils construisent un lien subtil avec les deux vidéos d’Anne-Charlotte Finel. Cachée derrière ses Jardins, la Danaé de Francisco Tropa interpelle, interroge et intrigue. Cette installation rappelle inévitablement l’extraordinaire exposition que lui avait consacré le Mrac au début du mandant de Sandra Patron. Comme toutes les œuvres de Tropa, celle-ci multiplie à l’infini les interprétations possibles… On avait pu voir le film de Hugo Deverchère dans d’assez mauvaises conditions à l’occasion dans le cadre de Chroniques, Biennale des imaginaires numériques en décembre 2018 à la Friche. Sa présentation ici est une vraie redécouverte avec un dispositif qui est enfin à la dimension de son travail. Sur sa droite, une étonnante salle de projection très étroite montre une vidéo insolite et fascinante de Maya Watanabe.
Un peu plus loin, posé contre de mur, on découvre trois moulages de Julien Discrit, sculptures auto-générées dans la résine.
On revient vers l’entrée de la salle avec deux pièces de Mark Geffriaud qui interrogent la représentation du temps.
Linda Sanchez
11752 mètres et des poussières…, 2014
Vidéo couleur sonore, 71 min
Les œuvres de Linda Sanchez découlent de procédures d’observation qui s’apparentent à une pratique de laboratoire. Son travail dépasse la pure expérimentation pour produire des œuvres à la beauté formelle.
11 752 mètres et des poussières est une vidéo qui suit, pendant soixante et onze minutes, le trajet d’une goutte d’eau, filmée en gros plan sur une surface plane. La bande-son et le reflet du ciel indiquent que la prise de vue a été faite en extérieur – plus précisément sur le toit d’un château d’eau. Le dispositif permettant de faire bouger la goutte est invisible. Celle-ci semble animée d’une vie propre. Elle absorbe les autres gouttelettes les unes après les autres, s’arrête, repart dans des mouvements imprévisibles. L’artiste explique que les conditions de tournage furent analogues à celles d’un documentaire animalier, à la poursuite d’une matière instable, se transformant au contact de son environnement.
Stéphane Sautour
Konstructio Puhäänellinen, 2017
Résonateurs carbone, amplificateur, analyseur de fréquences et Capteur piezo. Dimensions variables
Stéphane Sautour s’intéresse aux rapports de l’homme à l’univers, à son environnement intellectuel, technologique et scientifique. Produite au sein de l’association de culture scientifique et technique F93, dans laquelle s’investit Stéphane Sautour, l’œuvre Konstructio Puhäänellinen ré-emploie le principe du résonateur d’Helmholtz inventé à la fin du XIXe siècle, pour l’étude des sons complexes. Elle est constituée de deux résonateurs équipés d’un vibrateur et alimentés par les champs magnétiques générés d’une part par l’architecture du lieu, d’autre part, par le mouvement des visiteurs. L’interaction de la machine avec son environnement construit un mode de relations par contact grâce aux vibrations des coques en carbone qui produisent des sons de fréquences basses, voire très basses, qui ont pour effet de faire résonner le corps du spectateur.
Anne-Charlotte Finel
La crue, 2016
Musique Luc Kheradmand. Vidéo HD couleur, 6 min 32 sec.
Dans ses vidéos, Anne-Charlotte Finel semble guetter l’apparition d’un autre monde. Elle filme lorsque la lumière se raréfie, pratiquement à l’aveugle, au crépuscule, ou à la nuit.
Luc Kheradmand, musicien associé de longue date à son travail, crée des nappes sonores qui viennent souligner le trouble et la rêverie que procurent ses vidéos silencieuses.
« La narration est absente, métamorphosée en propositions hypnotiques en boucles subtiles et quasi monocolores. L’artiste s’attache en effet aux détails et excelle par exemple dans son appréhension de l’eau, qu’elle filme en un vortex inquiétant dans La crue ou en rideaux dans Mur. Il s’agit là d’une eau représentée comme on représenterait une peau, traversée par des ombres, avec ses aspérités comme ses velléités, notamment à vouloir toujours s’échapper et à fuir. Difficile de dire si l’eau est ralentie ou si c’est la légère neige qui recouvre toutes les images qui lui donne ce caractère particulièrement gracieux, comme s’il s’agissait d’une mousseline qu’on n’en finit pas de froisser. Dès lors, des phénomènes d’inversion éclosent et il devient difficile de décrire nettement ce que l’on voit, de savoir si nous sommes face à des élévations ou à des chutes perpétuelles. » (Camille Paulhan)
Jardins, 2017
Musique Luc Kheradmand. Vidéo HD couleur, 6 min 16 sec.
Jardins nous propose un temps de contemplation ponctué de mouvements soudains, mêlant le vrai au faux. Une « jungle » se déploie dans les sous-sols du métro. Des plantes artificielles et naturelles se mêlent créant un diorama. Les végétaux ne connaissent pas la lumière du jour et le vent. Ils sont animés par le passage des trains, des éclairages changeants et des reflets.
« L’artiste se place au plus près de ses sujets et les examine. Entourés d’une vibrante obscurité, les motifs végétaux et minéraux s’élèvent vaguement comme des ornements stylisés Art Nouveau. Anne-Charlotte Finel ne déguise pas son outil de travail, bien au contraire, elle manipule sa caméra HD de telle manière à provoquer des erreurs optiques qui confèrent aux pixels une qualité de matériau supplémentaire et subtilité de l’objet filmé. » (Chloé Fricout)
Francisco Tropa
Danaé, 2017
Laiton, acier inoxydable, 26 objets en bronze (cailloux, graines, coquillages, noyaux de fruits), eau, pompe à eau, tube en latex, sérigraphie sur verre et acier peint, dimensions variables.
Francisco Tropa développe dans son travail un univers autonome et élabore une mythologie originelle et personnelle qui évoque de multiples représentations du monde, qui vont de la Grèce antique aux idéaux modernistes.
Dans la pièce éponyme, l’artiste interprète le récit mythologique de Danaé que Zeus féconda sous la forme d’une pluie d’or et qui incarne ainsi une terre rendue fertile. L’œuvre, dans laquelle l’eau joue un rôle essentiel prend la forme d’un dispositif alambiqué d’où la figure humaine est absente. Un robinet fait couler de l’eau dans une concavité, symbole de fécondation. Elle jaillit à l’autre bout du parcours dans un cycle immuable, se déversant au passage sur un ensemble de graines, noyaux et coquillages en bronze, fruits de cette fertilisation.
Hugo Deverchère
Cosmorama, 2017
Vidéo 4K, son, 21 min. Production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains 2017. Avec le soutien de Neuflize OBC.
Le travail d’Hugo Deverchère est mu par une logique d’ordre presque scientifique.
La vidéo Cosmorama, imaginée comme un voyage mêlant le proche et le lointain, des paysages terrestres et le cosmos, rend visible et audible une strate inaccessible du spectre lumineux.
Tourné aux abords d’un observatoire, dans un désert de lave où la Nasa a testé ses véhicules martiens et dans une forêt qui témoigne de l’état de notre continent il y a 50 millions d’années, le film utilise un procédé d’imagerie infrarouge avec lequel les astronomes observent des objets du « ciel profond » situés en dehors de notre galaxie (planètes, nébuleuses, trous noirs).
Des sonorités imperceptibles, de la transposition du rayonnement de corps célestes dans le domaine audible s’associent à la captation des vibrations qui traversent les éléments filmés. Les échelles spatiales et temporelles sont perturbées. Le film interroge nos perceptions et nos représentations et tente de réintroduire les notions d’incertitude et d’étonnement dans notre rapport au monde.
Maya Watanabe
Stasis, 2018
Installation vidéo, 9 min.
Maya Watanabe explore ce qui est instable, aux frontières du seuil de la perception grâce au medium vidéo.
Dans un rythme lent, la caméra frôle le sol d’un mystérieux paysage, entre lac enneigé et lac salé. Alternant plans nets et plans flous, le regardeur est en attente d’indices. La bande-son joue elle aussi de l’évocation. Un œil d’animal apparaît et la lecture des images en est bouleversée. Le spectateur comprend que cette surface est la peau d’un poisson qui semble mort. Tout à coup, résonne un bruit de glace qui craque, suivi d’un mouvement et d’un bruit de respiration inquiétant, digne d’un film de science-fiction.
Stasis est une expérience, dirigée par un scientifique, et filmée dans l’ancien théâtre anatomique d’Amsterdam, dans laquelle les conditions sont créées afin d’assister à la préservation cryogénique d’une carpe crucienne. Cet état de biostase – appelé aussi « arrêt réversible de la vie » – allie tolérance au froid et résistance à l’absence d’oxygène. Suspension du temps, Stasis, nous dévoile un être oscillant entre la vie et la mort, véritable résistance et défi à la mortalité.
Julien Discrit
Pensées 2B, 3B, 1A, 2018
Série « Pensées ». Résine et mousse polyuréthane et peinture acrylique, 145×91,2×9 cm, 147×91,6×9 cm, 147,3×92×10 cm.
Géographe de formation, Julien Discrit interroge la mise en image du monde à travers différents médiums. Les représentations qu’il propose sont souvent décalées ou fragmentaires. Il supprime les repères habituels pour obliger le regardeur à faire l’expérience du doute.
La série des « Pensées » est composée de moulages en résine résultant du lent écoulement de l’eau à travers un lit de silice afin d’obtenir des sillons aléatoires et non intentionnels. Les formes délicates et les lignes tracées apparaissent comme une sculpture auto-générée. L’œuvre se situe entre miniature et maquette. Cette série est issue de la découverte par l’artiste d’un procédé expérimental élaboré par des chercheurs de l’université de Toulouse, consistant à créer des sillons dans un support par le biais de l’érosion de ce dernier. L’artiste s’intéresse aux continuités et discontinuités qui caractérisent le rapport des humains à la nature.
Mark Geffriaud
Arrière Grand, 2015
Techniques mixtes, dimensions variables.
Par le biais d’installations, de sculptures, de films et de performances, Mark Geffriaud joue avec les multiples représentations du temps.
Arrière Grand exploite un moteur de Super Polaris, monture de télescope utilisée en photographie astronomique pour suivre la course d’une étoile dans le ciel. L’artiste l’a aligné entre deux étoiles diamétralement opposées de part et d’autre de la Terre. Pour rester aligné sur ce segment, le moteur tourne à la même vitesse que la terre, en sens inverse. Un journal, lui-même outil de représentation du monde et version la plus simple d’une longue vue, est insérée dans le bras de la monture. Sa position change sous nos yeux pour compenser la rotation de la Terre mais conserve en réalité le même axe dans l’espace. Ce glissement de point de vue entre l’objet qui nous est donné à voir et ce qu’il permet de voir renvoie à la difficulté que nous avons de nous représenter le temps et de faire l’expérience de sa construction.
Projectile #7 Half Past, 2014-2015
Bois, métal, livre et pierre 80×160×188 cm.
Les préoccupations de Mark Geffriaud centrées sur la mesure et les représentations du temps l’ont amené à développer la série des « Projectiles » dont est issue Projectile #7 Half Past.
Un « projectile » représente pour l’artiste une extension de soi, un outil de projection de nos propres attentes aussi bien dans le sens d’un lancer que d’une anticipation. L’installation prend la forme d’un paysage abstrait et minimal à l’échelle incertaine inspiré des instruments et observatoires astronomiques archaïques. Le dispositif s’apparente à première vue à une vitrine muséale qui, en créant les conditions d’une observation, questionne les conventions du regard et de la représentation. Les différents éléments, à la fois outils de mesure et de projection, semblent nous inviter à porter un regard sur nos propres perspectives.
« La mesure du Monde » – Étage
Le deuxième volet de « La mesure du Monde » se développe à l’étage dans la grande salle de l’extension inaugurée en 2016. Dans la lumière du nord, l’accrochage propose de très belles perspectives et suggère des associations tout aussi productives. Cependant, la densité de la mise en espace exige du spectateur un peu d’effort pour fixer son regard sur chaque œuvre exposée. Le risque du papillonnage n’est pas improbable…
Le très vaste panorama en 7 panneaux de Capucine Vandebrouck (NaCI, 2015) s’impose dès que l’on arrive à l’étage. Il construit des interactions subtiles et sensibles avec la très belle pièce de Pierre Malphettes (L’écoulement du sable 11-19, 2019) crée l’an dernier pour « L’horizon des particules » chez Vidéochroniques et dont le Mrac produit une nouvelle itération pour l’exposition.
Au centre de la salle, trois tableaux de tissus d’Adrien Vescovi (Land VI, VII et VIII, 2019) organisent la circulation du visiteur dans l’espace. Pour la première fois posées au sol, ces tentures deviennent tapis. Elles ont également été produites par Le Mrac pour « La mesure du Monde ».
Sur le mur à droite en entrant, on découvre successivement le triptyque photographique d’Otobong Nkanga (Sans-titre (Alterscape I, II et III), 2005), un film 16 mm transféré sur DVD de Roberto Evangelista (Mater dolorosa, in memoriam II, 1978) qui souffre un peu de ses conditions d’exposition et quatre pièces de Dove Allouche de sa série Mycota réalisée au Cirva à Marseille.
D’autres œuvres de cet ensemble étaient également exposées dans « Par hasard » cet hiver à la Friche.
Un peu plus loin, à droite de l’ouverture, trois photographies de Keiji Uematsu (Standing board, 1976) dialoguent à distance avec Body scale, circle triangle square, 1977 de Masaki Nakayama qui attirent irrémédiablement l’œil du visiteur et qui construisent aussi de surprenants échanges formels avec les tableaux au sol d’Adrien Vescovi…
Les rebonds entre ces œuvres laissent un peu « de côté » les deux vidéos placées à contre-jour de Joan Jonas (Wind, 1968) et de Marie Cool & Fabio Balducci dont Sans titre (feuille de papier (A4), lumières), 2008 qui mérite pourtant attention. À l’inverse, Slow Object 04, 1997 une œuvre majeure d’Edith Dekyndt est projetée sur un pan de mur, face à la lumière extérieure et ne bénéficie pas elle aussi de conditions optimales pour être appréciée. C’est le seul reproche que l’on peut faire à cet accrochage.
L’invraisemblable installation d’Attila Csörgő (Untitled (1 tetrahedron + 1 cube + 1 octahedron = 1 icosahedron), 1999) est sans aucun doute une des œuvres les plus surprenantes et originales de « La mesure du Monde »…
Le parcours se termine avec une autre vidéo d’Edith Dekyndt (A is hotter than B, 2005). Les volutes d’encre noire qui s’échappent des doigts de l’artiste conduisent naturellement et avec une attention émouvante à « Fata Bromosa », la magistrale proposition d’Abdelkader Benchamma.
Capucine Vandebrouck
NaCI, 2015
Bois, peinture et sel cristallisé, 7 panneaux, 1293×183×10 cm.
À travers ses sculptures et installations, l’artiste s’inspire de phénomènes naturels et de recherches scientifiques pour tenter de « rendre visible l’invisible ». L’eau, le feu, la cristallisation ou la lumière sont autant de nourritures poétiques pour l’artiste. Elle expérimente ces divers matériaux et joue avec leurs états au point de créer un trouble sur leur nature.
Dans NaCI (symbole du chlorure de sodium), elle utilise la cristallisation du sel pour construire un paysage dont la maitrise aléatoire est propre à l’expérimentation de ce procédé fragile et instable.
Pierre Malphettes
L’écoulement du sable 11-19, 2019
Sables, verre, bois, bouchons en liège, 90×50×230 cm.
Pierre Malphettes se livre à une seconde expérimentation autour de l’écoulement du sable en utilisant cette fois-ci des matériaux naturels. Sa sculpture-sablier, qui est aussi un dessin, est une évocation des peintures géométriques en noir et blanc aux effets optiques de Bridget Riley, artiste de l’Op’Art. Le mouvement est ici bien réel puisque l’écoulement du sable, maîtrisé par l’artiste, a permis la création du dessin dans l’aquarium de verre. Les stratifications de sables colorés dessinent des effondrements souterrains, des cônes d’éboulements et une ligne de crêtes. L’artiste démiurge, créateur d’un univers miniature, entre nature et artifice, défie l’échelle géologique de notre planète, proposant ainsi une nouvelle cosmogonie.
« Une coupe dans la matière […] qui évoque les coupes géographiques et géologiques de la Terre, illustrant ce que l’on sait du monde en train de se faire, quand les carottages du soussol nous en révèlent la matérialité, mais aussi l’histoire dans les matières qu’ils remontent, venues du fond des temps et encore parfois porteuses de vie. » (Patrick Raynaud)
Otobong Nkanga
Sans-titre (Alterscape I, II et III), 2005
C-print sur papier photographique contrecollé sur Dibond, 3 photographies, 50×67 cm chaque.
À travers la performance, la peinture, le dessin, la photographie, la sculpture, l’installation et la vidéo, Otobong Nkanga interroge la notion de territoire et la valeur accordée aux ressources naturelles. Elle évoque des récits sur l’exploitation de la Terre par l’homme à la recherche des strates historiques et des liens qui unissent Afrique et Occident, en dévoilant les traumatismes sur les corps et les paysages.
« Ce que j’entends par la notion de Terre ne s’arrête pas au sol, aux territoires ou à la planète ; je le lie à la connectivité et aux conflits qui nous attachent aux espaces que nous occupons, et à la façon dont l’humain tente de trouver des solutions, à travers des gestes simples consistant à innover ou à réparer », explique l’artiste.
Cette manière de relier la terre au geste de l’Homme se retrouve également dans ce triptyque photographique. L’artiste démiurge fait corps avec sa sculpture, une maquette de paysage. Elle donne à voir la main de l’homme à l’origine des métamorphoses des territoires. Une Terre fragile inexorablement liée à l’Homme.
Roberto Evangelista
Mater dolorosa, in memoriam II (Da criação e sobrevivência das formas) [De la création et de la survivance des formes], 1978
Traduction et sous titrage en français : Louidgi Beltrame et Elfi Turpin. Film 16 mm transféré sur DVD, couleur, son, 11 min
L’œuvre engagée de Roberto Evangelista dénonce le colonialisme portugais au Brésil. Empreinte d’une forte préoccupation écologique, elle fait allusion notamment à la dévastation continue de la forêt amazonienne. Mater dolorosa, in memoriam II est un essai poétique filmé avec des membres de la tribu Tukano qui vivent près du lac Arara, proche du fleuve Amazone. Sous la forme d’un conte chamanique, Roberto Evangelista construit une pensée cosmogonique qui raconte comment l’univers tire son origine d’une géométrie parfaite. L’artiste recherche un système de mesure, « sans influence, sans étrangers ni colonisateurs », dit-il.
Ces figures qui ont une origine naturelle (le soleil, le nombril, l’œil) se retrouvent dans les formes fabriquées par l’Homme (les huttes indigènes, les bols, les galettes). Le cercle, le carré et le triangle ne font qu’un avec la Terre et les hommes. Le titre en latin évoque l’évangélisation des Indiens en créant une analogie avec la terre souffrante, écho aux massacres des peuples et de leurs territoires.
Dove Allouche
Aspergillus nidulans (Emericella) MYC6 #17 CZ
Penicillium chrysogenum MYC 30 MA #22
Aspergillus penicilloides 5226 CZ #40
Phaeosphaeria juncophila R39 CZ #11, 2015-2016
Verre soufflé, tirage photographique et bois peint, 48×48×5,50 cm chaque.
Dove Allouche est influencé par les notions de temps et d’espace. Il expérimente divers procédés de reproduction. Mycota est la série réalisée au Cirva, Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts Plastiques à Marseille, au cours de sa résidence entre 2015 et 2016.
Ce travail sur le champignon est le fruit des recherches de l’artiste autour des sciences de la vie. Grâce au soutien du Centre de recherche sur la conservation des collections à Paris, il s’est intéressé à la détérioration de supports papier à vocation patrimoniale. Il a mis en culture des moisissures avant de les photographier. Une cive de verre soufflée a été apposée aux images des champignons. L’artiste met en relation le geste du verrier soufflant à la canne et celui du microbiologiste ensemençant à la pipette. L’image et le verre soufflé posé sur la photographie se rapprochent du dessin, voire de la sculpture. Le point central entraîne un effet de loupe et de distorsion de l’image et crée un paysage, une géographie.
Keiji Uematsu
Standing board, 1976
Tirages argentiques, 40×50,5 cm chaque
L’artiste Keiji Uematsu se passionne pour les différentes lois physiques qui régissent notre univers, leurs interactions, leur point d’équilibre et leurs relations à l’environnement. Ses séries de photographies des années 1970 et plus particulièrement, Grasping, Standing, Seeing, Measuring, illustrent des performances, des expériences photographiées dans la nature, sur une plage en plein soleil. Ces titres d’œuvres, « Saisir », « Être debout », « Regarder » et « Mesurer », sont les actions qu’il expérimente et qui constituent son vocabulaire. Le corps de l’artiste ainsi que son ombre y sont considérés comme des outils de « mesure ». Ce triptyque est une variation sur la taille de l’ombre de l’artiste tenant une planche à bout de bras qui s’apparente à un mètre étalon mesurant l’envergure de ses bras. Le jeu visuel met en scène cet objet (qui apparaît et disparaît) évoquant une toile blanche, surface de projection sur laquelle le portrait de l’artiste se révèle et s’inscrit. Ces photographies sont la matérialisation de la gravité, impalpable et invisible, tant recherchée par l’artiste.
Adrien Vescovi
Land VI, 2019
Coton, teinture minérale, 350×450 cm
Land VII, 2019
Coton, teinture minérale, 450×450 cm
Land VIII, 2019
Coton, teinture minérale, 150×500cm.
Adrien Vescovi réinvestit la question de la toile libre et d’une peinture pensée à une échelle architecturale. L’artiste déploie une pratique in situ avec une réflexion sur la particularité du site. Des toiles froissées rythment l’espace selon des jeux de formes et d’expérimentations de couleurs. Tel un alchimiste, l’artiste réalise ses propres mélanges à partir de décoctions de minéraux à l’aide de matières premières provenant du Vaucluse, du Roussillon, de Bourgogne mais aussi d’Italie (Noir de Rome) et du Maroc (région du moyen Atlas).
Pour les œuvres présentées au Mrac, il en a mélangé certaines pour obtenir des nuances et développer une palette plus importante pour teindre ses tissus. Par un procédé se rapprochant de celui du tie and dye, il développe les principes actifs d’une substance. Il crée ainsi de véritables « jus de paysages », témoignant des différentes géographies qu’il explore. Entre convocation de gestes vernaculaires ancestraux et évocation du lieu d’exposition, l’artiste approfondit un esprit arts & crafts.
Joan Jonas
Wind, 1968
Film 16 mm numérisé, noir et blanc, durée 5 min 37 sec.
« Wind présente un groupe de personnes emmitouflées pratiquant divers mouvements individuels et collectifs sur une plage enneigée et battue par le vent. […]. Ces gestes, entre cérémonie et chorégraphie, sont rendus malaisés par la lutte contre les éléments naturels et saccadés par les sauts de la pellicule. Ils font apparaître les protagonistes dans une relation mécanique, voire marionnettique à l’espace, comme des pingouins sur la banquise. Une impression irréelle et burlesque, renforcée par l’usage de masques qui opèrent une réification de ces corps sans visage aux prises avec les intempéries. […]. [L’artiste] développe un travail libre, expérimental et désintéressé, fondé sur la décision, l’énergie et l’expérience plutôt que sur la recherche d’une forme définie. Un territoire mouvant de l’expérimentation artistique qui a libéré la créativité dans la deuxième moitié du XXe siècle. » (Guillaume Desanges)
Marie Cool & Fabio Balducci
Sans titre (feuille de papier (A4), lumières), 2008
Vidéo HD, couleur, muet, 1 min 16 sec.
Cette vidéo du duo d’artistes Marie Cool & Fabio Balducci qui collabore depuis 1995 est une occasion de réfléchir à la beauté des gestes simples, précis, élégants et répétés, avec une attention extrême, dans l’espace d’exposition. Ils relèvent de la redécouverte des conditions physiques de l’environnement (l’espace, le temps, la lumière) par l’expérience. En déplaçant une feuille de papier en fonction des projections de spots de lumières sur le mur plat qui devient un espace d’exécution plus que de monstration, des formes sont produites.
Selon Guillaume Désanges, « les objets conditionnés industriellement sont ainsi reconditionnés par un ordre physique et matériel, qui opère comme une mesure (au sens de “se mesurer à”) de ces lois mécaniques. Mais, et c’est là qu’affleure le poétique, il s’agit toujours de pratiquer une mesure sans résultat ou une évaluation sans norme, si ce n’est celle, contingente, du présent. En bref, une mesure pour mesure. »
Masaki Nakayama
Body scale, circle triangle square, 1977
Photographie et acier, environ 175×175×30 cm chaque.
Masaki Nakayama crée des installations basées sur des photographies dans lesquelles l’enregistrement du corps devient partie intégrante de chaque séquence. Inconnu en Occident, il est l’un des représentants de la photographie conceptuelle japonaise des années 70.
Dans sa série Body Scale, Masaki Nakayama inscrit son corps dans la continuité du cercle, du carré et du triangle d’acier. Ces trois formes représentent l’univers dans la philosophie zen. L’utilisation des trois formes géométriques primaires rattache l’artiste à la tradition mais trouve aussi des résonances avec le Land Art. Le corps donne ici la mesure de l’espace et du monde. Son inscription se fait à la fois dans l’espace urbain (le corps prend appui sur l’architecture et la complète) et dans le cadre de l’image (il épouse et prolonge la figure géométrique). L’homme dessine la forme, il fait corps avec la géométrie. Il est instrument de mesure et une partie du Grand Tout.
Edith Dekyndt
Slow Object 04, 1997
Vidéo couleur, 6 min 5 sec.
L’œuvre d’Édith Dekyndt capte des faits physiques et nous conduit à prendre conscience de la marche du monde. En focalisant l’attention sur une action minimale toujours en relation avec des éléments ou des phénomènes naturels, l’artiste incite à découvrir le caractère fabuleux des mécanismes de la vie.
Slow Object 04 est une vidéo qui appartient à une série commencée en 1997, dont le propos se focalise sur la lente mobilité de divers éléments. La vidéo en cadrage serré montre la main de l’artiste jouant avec un élastique rebondissant au ralenti dans un aquarium. Comme en état d’apesanteur, l’objet se déforme légèrement. Cette manipulation invite à regarder le monde comme on le ferait avec un objet nouveau, avec cette recherche d’une innocence sans cesse renouvelée d’explorer le monde pour l’analyser.
Attila Csörgő
Untitled (1 tetrahedron + 1 cube + 1 octahedron = 1 icosahedron), 1999
Baguette en bois, ficelle, poulie, cadre en fer et moteur électrique. 180×110×80 cm
À travers ses installations, Attila Csörgő explore et tente de rendre tangibles les lois de la physique, de la géométrie et des mathématiques. Il livre une approche poétique de la complexité du monde et des structures du cosmos. L’apparente fragilité de ses dispositifs à mi-chemin entre bricolage et expérimentation scientifique ne dissimule rien de leur grande complexité technique.
Appartenant à la série Platonic Love, Untitled (1 tetrahedron + 1 cube + 1 octahedron = 1 icosahedron) fait référence aux « Solides de Platon ». Le tétraèdre, le cube et l’octaèdre, symbolisant les éléments physiques : le feu, la terre et l’air se transforment en un icosaèdre, symbole de l’eau puis reprennent lentement leur état initial.
Lois Weinberger
Holding the Earth, 2010. (Photographie Paris Tsitsos)
Photographie couleur, 60×90 cm.
Fils de paysans, Lois Weinberger convoque dans son travail agriculture, botanique, réflexion sociétale et engagement politique. Depuis les années 1970, il poursuit une recherche autour des rapports de l’Homme avec la nature, attirant notre regard sur les plantes rudérales, sur la « mauvaise herbe » surgissant des décombres.
Faisant du vivant son médium, il s’attache à établir un contact empathique et protecteur avec la terre comme dans cette photographie extraite de l’installation Debris Field. Celle-ci résulte de six années de fouilles pratiquées par l’artiste sous le plancher et dans le grenier de la maison de ses parents à Stams dans le Tyrol autrichien, véritables cachettes à déchets. Au-delà de ce travail archéologique ardu et minutieux qui lui a permis de trouver deux mille objets datés du XIVe au XIXe siècle, c’est une recherche personnelle sur les traces de ses ancêtres et de l’histoire du territoire de la ferme familiale qui fut liée à l’activité de la riche abbaye de la ville.
Edith Dekyndt
A is hotter than B, 2005
Vidéo, couleur, non sonore, 5 min 52 sec.
Edith Dekyndt réalise des vidéos, des photographies, des installations d’objets, des environnements et des pièces sonores. Plutôt qu’à la forme finale de ses œuvres, elle s’intéresse au processus qui fera naître une forme, un moment, une action. Par le biais de son travail, Edith Dekyndt révèle ce qui est habituellement invisible, impalpable ou éphémère.
A is hotter than B est une vidéo qui montre la dissolution d’un cube d’encre noire congelée dans de l’eau qui se désagrège entre les doigts de l’artiste. Le dessin du mouvement du fluide coloré évolue en fonction de la température de l’eau : lorsqu’elle est froide, l’encre se délaye peu et les formes sont compactes, lorsqu’elle se réchauffe, l’encre se disperse davantage. L’œuvre s’inspire du monde physique et invite à la contemplation.
« La mesure du monde » : Présentation par Sandra Patron et Clément Nouet
L’exposition collective, La mesure du monde s’attache à dresser un inventaire sensible et poétique du monde et de ses lois physiques. Prendre la mesure du monde, de ses reliefs, de sa texture, de ses flux et contre flux, opérer un temps de pause et d’immersion dans le paysage, s’attacher au «détail du monde» pour reprendre le titre du très beau livre de Romain Bertrand*, telles sont les intuitions qui ont présidé à l’élaboration de cette nouvelle exposition du Mrac Occitanie.
Au travers de pratiques protéiformes, qui convoquent le dessin, la peinture, la vidéo, la sculpture ou l’installation comme modalités d’enregistrement du monde, les artistes de l’exposition nous donnent à voir le merveilleux caché dans les replis de ses lois physiques et matérielles. Dans un rapport direct et empirique avec l’objet de leur étude, leurs œuvres proposent un regard minutieux et empathique, qui relève tout à la fois d’une immersion sensible (enregistrer le paysage, son échelle, ses mouvements), d’une pratique expérimentale (jouer avec/détourner les lois physiques) et/ou d’une approche conceptuelle (enregistrer ses composantes par la mise en place d’outils d’enregistrement et de protocoles inspirés des sciences et des mathématiques).
Qu’ils utilisent l’enregistrement, l’inventaire ou le rituel chamanique, la nature et ses composantes sont un terrain d’expérimentations qui propose des liens intimes et de proximité avec le monde. Ce rapport à la nature fait souvent la part égale à l’infini et à l’infinitésimal, au battement d’aile du papillon tout autant qu’aux forces telluriques, mais il peut également opérer un focus microscopique sur un phénomène macroscopique ou l’inverse, dans une tentative de renouveler le regard que nous posons sur les choses. Ces expérimentations passent souvent par une mise à l’épreuve des matériaux ou des phénomènes naturels observés et les étirent aux limites de leurs possibilités, parfois jusqu’à la déliquescence même de l’œuvre.
En expérimentant des matériaux formels rudimentaires ou les dernières technologies de pointe, les artistes mettent souvent en jeu le corps humain dans les œuvres exposées, que celui-ci soit clairement présent ou fortement suggéré, permettant de placer le sujet dans un réseau de forces au sein d’un système vivant, fait de connexions et de déconnexions, d’assemblages et de désassemblages. Car, prendre la mesure du monde, tâter son pouls jusqu’aux confins de l’univers, est-ce rêver d’un monde à notre mesure, nous qui en sommes une des composantes ? Plus que le monde en lui-même, c’est notre regard sur le monde que l’exposition explore, un regard fait de projections narratives et de déterminismes historiques et culturels. Par-delà la diversité de leur approche et de leurs pratiques, tous les artistes de l’exposition tendent à capter un monde en perpétuel mouvement dont les changements d’états constants, entre ordre et chaos, agiraient comme une métaphore de notre relation au monde.
L’exposition repose sur notre attention individuelle et collective à ce qui constitue notre monde visible et invisible, à la mutation permanente de toutes choses et de tout être vivant. Mais une fois que cet inventaire est fait, demeure le mystère de sa présence, et de là surgit l’émotion que l’exposition appelle de ses vœux : une émotion qui nait à la fois de l’étude de ses mécanismes mais également de ce qui, précisément, se refuse à toute étude rationnelle.
* « Le détail du monde, l’art perdu de la description du monde », Romain Bertrand, collection Seuil, 2019