Regards sur l’accrochage des collections 2019/2020 au Mrac


La réouverture mi juin du MRAC offre l’occasion de revenir sur l’accrochage des collections en place depuis le 25 mai 2019 et qui reste visible jusqu’au 30 août prochain.

Les expositions « Fata Bromosa » d’Abdelkader Benchamma et « La mesure du monde » sont prolongées jusqu’au 20 septembre 2020. Ces deux propositions exceptionnelles ont fait l’objet de chroniques et de longs comptes-rendus de visite accompagnés de commentaires de certains artistes. On les trouvera ici et .

Chaque année le Mrac renouvelle l’accrochage de sa collection avec une sélection d’œuvres historiques, de nouvelles acquisitions et des pièces déposées par le Cnap (Centre national des arts plastiques, Paris) depuis 2016.

Pour son dernier exercice du genre, avant son départ pour le CAPC de Bordeaux, Sandra Patron, directrice du Mrac de 2014 jusqu’au mois de septembre dernier, a choisi de construire cet accrochage avec des œuvres de :

Wilfrid Almendra, Christian Bonnefoi, Daniel Buren, Io Burgard, Isabelle Cornaro, Robert Crumb, Nick Devereux, Daniel Dezeuze, Mimosa Echard, Dominique Figarella, John Giorno, Lubaina Himid, Fabrice Hyber, Alison Knowles, Jan Kopp, Bertrand Lavier, Philippe Mayaux, Jean Messagier, Joan Mitchell, Nicolas Momein, François Morellet, Olivier Mosset, Côme Mosta-Heirt, Raymond Pettibon, Bernard Rancillac, Simon Starling, Roland Topor, Gérard Traquandi, Claude Viallat.

On a souvent souligné les mises en espace toujours justes et inspirés de Sandra Patron dans le cadre de la présentation des collections comme pour les remarquables expositions temporaires dont elle a assuré les commissariats lors de son passage à Sérignan.

Sandra Patron au MRAC 2017
Sandra Patron au MRAC 2017

Une fois de plus, elle montre pour son dernier accrochage des collections, son approche sensible, inventive et profondément respectueuse des œuvres et des démarches artistiques. L’exposition présentée ici traduit aussi son attachement et sa complicité avec les artistes, son sens de l’enrichissement du fonds conservé et les relations étroites qu’elle a su entretenir et construire entre les expositions temporaires accueillies et la collection. On n’oubliera pas de rappeler également combien son regard affûté lui a permis de faire du Mrac un lieu d’observation singulier, accessible et ouvert sur les mouvements du monde.

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 4 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 4 – Photo Aurélien Mole

L’accrochage des collections s’articule largement sur les nouvelles acquisitions et en particulier sur celles qui sont liées aux expositions présentées en 2018. On retrouve ainsi au centre du parcours, dans la salle 4, des œuvres d’Isabelle Cornaro produites par le Mrac dans le cadre de l’exposition « Blue Spill ».

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 4 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 4 – Photo Aurélien Mole

Elles construisent un dialogue subtil avec deux peintures de Lubaina Himid de sa série intitulée Kanga qui ont été acquises en 2018 à la suite de « Gifts to Kings ».

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 4 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 4 – Photo Aurélien Mole

Trois photographies de Simon Starling rappellent « À l’ombre du pin tordu », le très beau projet que le musée avait accueilli à l’hiver 2017/2018.

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 4 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 4 – Photo Aurélien Mole

Ces images font un écho subtil avec la fenêtre de Daniel Buren, comme les œuvres de Lubaina Himid renvoient discrètement aux sérigraphies d’Alison Knowles

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 4 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 4 – Photo Aurélien Mole

Deux vidéos d’Isabelle Cornaro apparaissent un peu comme un furtif fil rouge dans le parcours.

Isabelle Cornaro - Choses, 2014 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Isabelle Cornaro – Choses, 2014 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Dans la première salle, Choses (2014) où la peinture qui se répand sur divers objets, interroge des œuvres historiques de la collection (Parasol n° 98, 2003 de Claude Viallat, Dos vue de profil, 2002 de Christian Bonnefoi ou encore Quadrillage de liteaux de bois, 1970 de Daniel Dezeuze), mais aussi des acquisitions plus récentes comme Terre – Plein 2, 2018 de Nicolas Momein.

Ce dernier a trouvé sa juste place sur la droite d’une des fenêtres de Buren

Nicolas Momein - Terre - Plein 2, 2018 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Nicolas Momein – Terre – Plein 2, 2018 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Les d’éléments organiques et objets figés dans la résine de A/B23, 2016 de Mimosa Echard entretiennent un face à face singulier avec les Choses d’Isabelle Cornaro mais un voisinage pertinent avec les liteaux de bois de Daniel Dezeuze

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 1 - Photo Aurélien Mole 02
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 1 – Photo Aurélien Mole 02

La seconde vidéo d’Isabelle Cornaro (Subterranean, 2017), installée dans la salle 6, joue de l’ambiguïté des objets et d’une certaine forme de trompe-l’œil avec le magistral diptyque de Dominique Figarella (Qui est ?, 2004 de la série des « Masques »)…

Un dessin et une sculpture d’Io Burgard, acquisitions de 2018, complètent avec un peu d’embarras l’accrochage de cette salle.

Dans la seconde salle qui communique avec la Cabane de Daniel Buren, un coin peint en jaune accueille deux œuvres de Bertrand Lavier, dépôt du CNAP, qui appartiennent à son chantier des Walt Disney Productions. Le film Le Musée imaginaire de Walt Disney par Bertrand Lavier, 2017, et la sculpture en 3D (Walt Disney Productions, 1947-1995, 2015) constituent d’étonnantes, décapantes et salutaires réflexions sur l’art et sa représentation…

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 2 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 2 – Photo Aurélien Mole

L’installation est introduite par un étrange tableau de Philippe Mayaux (Laisse ici toutes tes espérances, 1994) et complétée par une sérigraphie de Bertrand Lavier (Bleu de France Tripette et Renaud Bleu de France Sericol, 1998) entrée dans les collections par don en 2015.


On retrouve également un des « Poem Paintings » de John Giorno (Chacun est une déception totale, 2005), dépôt du CNAP régulièrement accroché dans ces salles…

Parmi les nouvelles acquisitions exposées, un regard particulier mérite d’être accordé à l’installation de Nick Devereux en collaboration avec Wilfrid Almendra (In the Round, 2018) qui occupe une grande partie de la salle 5.

Elle est judicieusement accompagnée par un grand dessin au fusain de Nick Devereux (All nowhere gone III, 2011), dépôt du CNAP.

Nick Devereux, All nowhere gone III, 2011
Nick Devereux, All nowhere gone III, 2011

La grande salle, au fond du bâtiment (salle 7), propose trois œuvres importantes sélectionnées parmi les 170 du Fonds national d’art contemporain en dépôt pour une durée de cinq ans au musée : les deux lithographies originales sur plaque de Joan Mitchell (Champs, 1991), deux Géométrees branchage (1982) de François Morellet et Les Mesnuls 2, un des résinotypes noirs de Gérard Traquandi.

  • Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 7 - Photo Aurélien Mole
  • Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 7 - Photo Aurélien Mole
  • Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 7 - Photo Aurélien Mole
  • Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 7 - Photo Aurélien Mole

Le dialogue formel des deux épreuves de Morellet avec la pièce Sans jambage, 2005 de Côme Mosta-Heirt est particulièrement réussi. Un dessin du même artiste (Sans titre (pendant de la sculpture S.A.M.I.A two), 1977) fait un remarquable pendant au résinotype de Traquandi
Un tableau de Jean Messagier (La famille de Charles IV piquée par les guêpes, 1990), pièce historique de la collection complète l’ensemble…

Le cabinet graphique recèle quelques pépites et notamment un ensemble de sept dessins à l’encre et au typex de Robert Crumb qui ne laissera pas indifférents ceux qui étaient jeunes, rebelles et amateurs de musique à la fin des années 1960 et au début des années 1970.

Cabinet d’arts Graphiques – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Ces planches de Crumb résonnent évidemment avec le Life is a Killer, 2008 de John Giorno mais aussi avec les toiles d’Art Keller où la lecture des bulles s’impose à tout visiteur du musée…

À noter également la présentation de lithographies de Raymond Pettibon et celles superbes d’Olivier Mosset, mais aussi les collages de Jan Kopp et celui en grand format de Bernard Rancillac

  • Olivier Mosset - Pink, Green, 2003 - Yellow, Green, 2003 - Violet, Blue, 2003 - Red, Pink, 2003 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
  • Raymond Pettibon - Sans titre, 2005 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
  • Bernard Rancillac - Un film de, 1995 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020

Inutile de préciser que ce dernier accrochage des collections par Sandra Patron est incontournable…

À lire, ci-dessous, salle par salle, les cartels des œuvres exposées.


En savoir plus :
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Salle 1 : Christian Bonnefoi, Daniel Dezeuze, Mimosa Echard, Nicolas Momein, Isabelle Cornaro, Claude Viallat

Christian Bonnefoi – Dos vue de profil, 2002.
Collage de papier de soie peint sur papier de soie, 250×120 cm.

Christian Bonnefoi, Dos vue de profil, 2002
Christian Bonnefoi, Dos vue de profil, 2002

Pour Christian Bonnefoi, le tableau ne se restreint pas à une surface délimitée par un cadre. L’artiste, avec le même matériau, produit ici à la fois un support et une surface. Le collage est le moyen de créer cette surface, un patchwork de nombreux papiers de soie juxtaposés, aux formes abstraites et anatomiques, évoquant les œuvres cubistes de Pablo Picasso. L’œuvre, épinglée au mur, est libérée de la fixation classique du tableau. Par ce choix d’un matériau transparent, évanescent et souple, imprégné de colle et de peinture, la forme se révèle alors tel un surgissement. La perméabilité du support et de la surface permet la vision simultanée du recto et du verso. L’artiste situe l’origine de sa démarche artistique lors de la découverte des Nus de dos d’Henri Matisse en 1970 à Paris au Grand Palais. « Je me rends compte que je travaille depuis trente ans à essayer de voir la face du Dos de Matisse ».

Daniel Dezeuze – Quadrillage de liteaux de bois, 1970.
Bois peints, 402×402 cm.
Don de l’artiste.

Daniel Dezeuze – Quadrillage de liteaux de bois, 1970 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Daniel Dezeuze, est un membre fondateur du groupe Supports/Surfaces. Il s’agit d’un mouvement qui s’est fait connaître en 1969 par l’exposition fondatrice « La peinture en question ». Avec Claude Viallat, Noël Dolla ou Vincent Bioulès, ils y affirment que l’objet de la peinture c’est la peinture elle-même et non son sujet. L’importance est donnée aux matériaux et aux gestes créatifs, tandis que la toile est mise à nu pour découvrir le châssis. L’artiste supprime la surface plane de la toile pour interroger le châssis, dans des œuvres structurées à partir de grilles géométriques. Les matériaux utilisés dans son travail sont principalement déformables, légers, se transportent aisément et peuvent s’enrouler ou se dérouler sur le sol. Ainsi, les pièces se déploient dans l’espace, interrogeant le lieu dans lequel elles s’inscrivent : extensibles, présentées ouvertes ou fermées, bois roulés en forme de grille ou d’échelle… Les lamelles assemblées ajourées de vides répétitifs, jouent avec la surface du mur blanc.

Mimosa Echard – A/B23, 2016.
Techniques mixtes (fougères, billes d’argile, lichen, clitoria, compléments alimentaires Boots and Schaebens pour la peau, la fertilité, la lactation et la tranquillité, emballages, pavot, tresse de cheveux synthétiques, gélules d’échinacée, achillée millefeuille, algues, pétales de rose, coquilles d’oeuf, mue de serpent, ormeau, débris de voiture, sac en plastique, faux cils, bourdon, millepertuis, kombucha, scotch, pog, faux ongles, hanneton, champignon Phallus indusiatus, Eucommia, Stachys byzantina, chrysanthème, Helichrysum italicum, cire dépilatoire, résine époxy, plexiglas : liste non exhaustive), 180×200 cm.

Mimosa Echard – A/B23, 2016 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

« A/B23 est issue d’une série de 10 peintures, chacune unique, composées d’éléments organiques et synthétiques figés dans la résine. Ce sont des « éléments actifs dont les principes s’opposent : les calmants et les excitants, les aides à la fertilité et les contraceptifs, les choses vivantes et mortes, les champignons phallus et les fleurs clitoriae, la cire dépilatoire et les compléments qui font pousser les cheveux et la peau, les faux ongles intacts et les vrais ongles rongés, la levure pour contrebalancer les effets néfastes de l’ingestion de débris de carrosserie, l’echinacea pour lutter contre le rhume et les emballages dont la fabrication polluante contribue à enrichir notre atmosphère de substances irritantes. […] Pas d’idéologie du bien-être ici, et pas de thérapie possible : seulement l’expérience tourbillonnante des sensations, des émotions et des pensées qui se contredisent. […] nous voilà renvoyés à deux idées parfaitement opposées de ce qu’est la composition, un geste formel d’un côté, une pratique conceptuelle de l’autre. » (Jill Gasparina)

Nicolas Momein – Terre – Plein 2, 2018.
Élastomère polyuréthane et époxy, 203×270 cm.
Acquisition 2018.

Nicolas Momein - Terre - Plein 2, 2018 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Nicolas Momein – Terre – Plein 2, 2018 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Nicolas Momein s’inspire des pratiques de l’artisanat et de l’agriculture. Il crée des formes en utilisant des matériaux impliquant des gestes et des techniques peu considérés : crin, laine, bulgomme… Issues de cette approche originale et renouvelée de la peinture, les œuvres créées évoquent des sortes d’objets de design déchus, plus poétiques et dénués de fonction. Débutée en 2016, la série Terre – Plein (2018) explore les déclinaisons monochromes et picturales de la matière élastomère (caoutchouc synthétique). L’artiste conçoit ainsi des œuvres de grand format aux formes juvéniles et aux couleurs vives qui, si elles peuvent s’accrocher au mur et se faire passer pour des peintures, sont pourtant produites au sol comme des sculptures, coulées à plat. La résine noire, qui n’est pas sans évoquer la pâte à modeler de notre enfance, sert donc à retenir la matière liquide mais devient aussi une forme à part entière. On retrouve fréquemment le contact de deux matières au rendu opposé dans l’œuvre de Nicolas Momein, comme c’est le cas ici avec d’un côté la résine rugueuse conservant l’empreinte des doigts de l’artiste et, de l’autre côté, l’aspect lisse et brillant de l’élastomère industriel.

Isabelle Cornaro – Choses, 2014.
Film 16 mm tranféré sur support digital, 2’26’’, en boucle.
Don de l’artiste. Acquisition 2018.

Isabelle Cornaro explore le rapport entre l’objet et son image, l’original et sa copie. Son travail relève d’une pratique du collage, associant aussi bien des images et des objets de la culture savante que ceux de la culture populaire. Elle souligne ainsi l’influence de ces objets, toujours historiquement et culturellement déterminés, sur notre perception du monde. On les retrouve collectés puis mis en scène par l’artiste dans ses peintures et ses sculptures, mais aussi dans ses films où elle utilise des techniques cinématiques proches du cinéma expérimental des années 1960 (montages syncopés ou lents travellings qui glissent à la surface d’objets). Comme d’autres films de l’artiste, Choses est marqué par une utilisation saturée des couleurs, presque criardes, et une distorsion des échelles. On y contemple la peinture, sortie du plan bidimensionnel de la toile : libre de se répandre sur divers objets, elle altère leur couleur et leur texture dans un mouvement hypnotique et sensuel, jusqu’à un recouvrement total. Mais la caméra est fixe, c’est bien la peinture qui est en action et qui se substitue au cinéma. Ces objets familiers deviennent alors simultanément séduisants et repoussants, tendant vers l’abstraction.

Claude Viallat – Parasol n°98, 2003.
Acrylique sur toile parasol imprimé fleurs, 205 cm de diamètre.
Don de l’artiste.

Claude Viallat, Parasol n°98, 2003
Claude Viallat, Parasol n°98, 2003

La peinture de Claude Viallat se développe telle un questionnement incessant sur l’acte de peindre dans ses inscriptions esthétiques, historiques et anthropologiques. Avec Daniel Dezeuze et Patrick Saytour (eux aussi membres du groupe Supports/Surfaces), ils réfléchissent à la déconstruction du tableau, dans des directions différentes mais néanmoins complémentaires : si Daniel Dezeuze travaille le châssis, Claude Viallat s’oriente vers une toute autre voie. Décidant d’abandonner le châssis au profit de la toile libre et de la couleur, il choisit ses supports parmi son stock de bâches, de vieilles tentes de camping, des stores, des tapis, des tauds de marché… Il opte ici pour une toile de parasol, dont on distingue les sections en transparence et dont l’aspect usé transforme la couleur qui y est apposée.

Depuis 1966, il adopte un procédé à base d’empreintes : une forme neutre (parfois assimilée à un osselet ou à un haricot), ni naturelle, ni géométrique, détermine la composition de l’oeuvre et met en avant l’utilisation de la couleur. De cette méthode émanent d’infinies variations (auxquelles participent différents supports), où se fabrique la peinture dans un constant renouvellement.

Salle 2 : Philippe Mayaux, Bertrand Lavier, John Giorno

Philippe Mayaux – Laisse ici toutes tes espérances, 1994.
Huile, acrylique et gommettes sur carton et toile, 37×26 cm.

Philippe Mayaux - Laisse ici toutes tes espérances, 1994 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Philippe Mayaux – Laisse ici toutes tes espérances, 1994 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

L’esthétique de Philippe Mayaux est celle de l’hybridation, du mélange incongru entre différents médiums et différentes atmosphères. L’émotion du spectateur est alimentée par le réel pouvoir d’étrangeté des peintures et des objets produits par l’artiste, mais aussi par sa vision poétique, singulière et sans concession du monde qui nous entoure. L’humour et la dérision sont bien présents et engendrent l’incertitude : Mayaux cherche à mettre en péril notre compréhension habituelle des images. Dans Laisse ici toutes tes espérances, on décèle l’influence de la bande-dessinée à laquelle Mayaux se destinait avant de se diriger vers la peinture : les traits lisses et les lignes claires s’approchent d’une illustration presque naïve, décorative et empreinte de kitsch, déclinant différents motifs. S’y ajoute la forte présence de la couleur rose qui permet à l’artiste d’incarner véritablement les mains représentées. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’oeuvre est simpliste : en s’approchant, elle se révèle être d’une grande minutie, ce qui peut sembler paradoxal au vu de l’évidence des formes.

Bertrand Lavier – Walt Disney Productions, 1947-1995, 2015.
Résine, 162×86×60 cm.
Dépôt du Centre national des arts plastiques, Paris.

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 2 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 2 – Photo Aurélien Mole

Le Musée imaginaire de Walt Disney par Bertrand Lavier, 2017.
Vidéo, 6’13’’. Serge Aboukrat Éditions. Modélisation 3D et mise en scène : v-i-n-c-e-n-t (Vincent Lecoq).

En 1984, Bertrand Lavier commence le chantier des Walt Disney Productions. Il part d’une histoire parue dans le Journal de Mickey dans laquelle la célèbre souris visite un musée d’art moderne. Les oeuvres, reproduites de manière caricaturale, sont des peintures abstraites et des sculptures biomorphiques. Ces oeuvres de fiction issues du musée imaginaire de Mickey inspirent l’artiste. De ce processus de réappropriation résultent des oeuvres présentées dans l’espace réel du musée. Cette boucle entre fiction et réalité invite avec humour à s’interroger sur la représentation de l’art au sein de la société. À partir du dessin de la bande dessinée, Bertrand Lavier a fait concevoir par ordinateur cette sculpture réelle en trois dimensions, évoquant les sculptures biomorphiques de Jean Arp. Elle est réalisée dans la couleur «bleu génie» du film Aladin de Walt Disney. On la retrouve également dans le musée imaginaire de Bertrand Lavier, que le film éponyme permet d’explorer virtuellement.

Bertrand Lavier – Bleu de France Tripette et Renaud Bleu de France Sericol, 1998.
Sérigraphie sur papier vélin BFK rives 300 grammes, 63×92 cm.
Donation Jean Hommais.

Bertrand Lavier – Bleu de France Tripette et Renaud Bleu de France Sericol, 1998 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Depuis la fin des années 1960, Bertrand Lavier s’est affirmé comme l’une des figures incontournables du postmodernisme. Son travail met radicalement en déroute les catégories artistiques traditionnelles. Il interroge les rapports de l’art et du quotidien ainsi que la nature de l’oeuvre d’art exposant des objets empruntés à la vie courante, modifiés ou hybridés de façon à ce que leur statut même s’en trouve mis en question. Cette sérigraphie reprend le procédé de l’oeuvre Rouge géranium par Duco et Ripolin, réalisée par l’artiste en 1974 : on peut y voir deux surfaces de peinture dans deux teintes voisines. Ces peintures sont une démonstration simple et efficace de la différence de nuance entre deux coloris qui portent pourtant un nom identique. Bertrand Lavier pointe le fait qu’une couleur précisément définie par son nom n’a pas d’identité constante chez les fabricants d’encres de sérigraphie : elle est indéfinissable. Il illustre ainsi l’incohérence, l’imperfection de la norme et questionne la capacité du langage à traduire le réel. La réalité, et ici les couleurs, sont affaire de subjectivité.

John Giorno – Chacun est une déception totale, 2005.
Impression numérique sur polyester, 90×215 cm.

John Giorno, Chacun est une déception totale, 2005
John Giorno, Chacun est une déception totale, 2005

Dépôt du Centre national des arts plastiques, Paris. Figure incontournable de l’art et de la littérature depuis les années 60, le poète américain John Giorno jongle avec les mots et les registres, maniant tout aussi bien l’humour que l’ironie. Dans le cadre de ses « Poem Paintings », prolongeant ses recherches, il bascule sur la surface de la toile son écriture courte, spontanée et percutante. Le poème, déplacé hors de la page, est confronté à de nouveaux contextes. Cette poésie visuelle, qui fait résonner l’acidité du verbe à des couleurs stridentes, devient à son tour espace pictural. L’écriture se fait alors dessin et le mot, image.

Salle 4 : Isabelle Cornaro, Lubaina Himid, Alison Knowles, Simon Starling

Isabelle Cornaro – Reproduction (Amplification, #2), 2018.
Peinture acrylique pulvérisée sur toile, 180×300 cm.
Acquisition 2018.

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 4 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 4 – Photo Aurélien Mole

Comme l’indique le titre, Isabelle Cornaro pose la question suivante : la peinture est-elle une reproduction de la réalité ? De même que pour ses sculptures, l’artiste joue sur les apparences : si cette peinture semble abstraite, ce sont en réalité bien des objets qui sont représentés. À partir de ses films, Isabelle Cornaro produit des photogrammes qu’elle interprète en peinture, en conservant les proportions 16/9 de l’image filmique. L’artiste déconstruit l’image animée pour produire une série d’images fixes, qu’elle réalise en projetant des pigments à même le support. En résultent un rendu sensible et une séduction immédiate. Le spray crée un flou, une absence de focus qui décompose et dévitalise l’image, qui la rend quasi abstraite, évoquant le pointillisme cher aux impressionnistes mais aussi la pixellisation des images numériques.

Isabelle Cornaro – Untitled (P #8), 2018.
Peinture acrylique pulvérisée sur bois, objets, 35,5×220×45,5 cm.
Isabelle Cornaro – Untitled (P #9), 2018.
Peinture acrylique pulvérisée sur bois, objets, 70×120×23 cm.
Dons de l’artiste. Acquisitions 2018.

Abstraites et conceptuelles, les installations d’Isabelle Cornaro placent le spectateur dans l’incertitude sur le statut de ce qu’il voit : s’agit-il d’une oeuvre ou d’un socle ? d’une sculpture ou d’une peinture ? Car c’est bien la même technique de peinture en spray que l’artiste utilise pour recouvrir ces monolithes énigmatiques, mais aussi pour Reproduction (Amplification, #2), toile présentée dans cette salle. Les objets chinés renvoient à une culture populaire qui se saisit de l’iconographie du luxe pour produire des objets accessibles à tous. Les fausses pierres sprayées et les pampilles issues du film Subterranean (présenté dans la salle suivante) sont installées sur les socles telles des natures mortes.

Œuvres produites dans le cadre de l’exposition Blue Spill au Mrac à Sérignan.

Lubaina Himid – Only Give And Never Let Things Be Taken Away (Kanga)*, 2016.
Lubaina Himid –
Smooth The Way for More Serious Export (Kanga)**, 2016.
Acrylique et crayon sur papier, 72×102 cm chaque.
Acquisitions 2018.

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 4 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 4 – Photo Aurélien Mole

L’oeuvre de Lubaina Himid questionne l’identité de la diaspora africaine et son invisibilité dans le champ social, politique et artistique. L’artiste aborde des thèmes tels que l’esclavage, le colonialisme et la représentation des africains dans l’histoire de la peinture européenne. Pour cela, elle se réapproprie cette peinture et la combine avec des aspects de l’histoire de l’Afrique. Ces deux peintures appartiennent à la série intitulée Kanga, un terme qui désigne les vêtements de tous les jours portés par les femmes et parfois les hommes, en Afrique de l’Est et à Zanzibar. Cette pièce rectangulaire de coton à motifs et aux couleurs vives, se compose d’une partie centrale, d’une bordure le long des quatre côtés et d’une phrase inscrite véhiculant un message (proverbe, prière, devise…). Cette production textile du XIXe siècle s’est développée dans le nord de l’Angleterre, une industrie basée sur le coton provenant des plantations du sud des États-Unis récoltées par les esclaves. Les Kangas peints de Lubaina Himid mettent en scène des aphorismes créés par l’artiste ou prélevés de slogans existants utilisés lors des mouvements en faveur de l’abolition de l’esclavage et de la défense des droits civiques.

*Donne uniquement et ne laisse jamais les choses être emportées.
**Ouvre la voie à une exportation plus sérieuse.

Alison Knowles – Leone d’oro, 1978.
Sérigraphie sur papier, 18 planches, 56×56 cm chaque.
Dépôt du Centre national des arts plastiques, Paris.

Alison Knowles – Leone d’oro, 1978 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Artiste parmi les membres fondateurs du mouvement Fluxus, connue pour ses oeuvres sonores, ses performances et ses publications, Alison Knowles nourrit son travail de multiples collaborations. Parallèlement, elle développe une pratique des arts graphiques et publie notamment plusieurs éditions à tirages limités à partir de matériaux trouvés et manipulés. Leone d’oro est un assemblage de 18 épreuves sérigraphiées réalisées à partir d’une étiquette de cagette d’oranges de la marque « Leone d’Oro », de chaussures brulées échouées sur les rivages de la baie de Naples et d’objets hétéroclites provenant de la même plage. L’ensemble prend la forme d’une déclinaison de manipulations à partir du logo de l’étiquette retravaillé grâce à des changements d’échelle, associé à des photographies ou empreintes des objets.

Simon Starling – À l’ombre du pin tordu, 2018.
Photographie argentique sur gélatine type LE/ virée au sélénium, 125×154,5 cm.
Don de l’artiste. Acquisition 2018.

Simon Starling – À l’ombre du pin tordu, 2018 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Simon Starling se plaît à explorer la transformation des formes à travers les époques et les lieux. À l’ombre du pin tordu, n’y fait pas exception : l’œuvre évoque aussi bien les pins utilisés comme motif décoratif dans le théâtre Nô japonais que les pins visibles aux abords des plages d’Occitanie. Dans le théâtre Nô, le pin symbolise l’échelle qui permet de passer du monde des vivants au monde des morts, mais aussi une connexion avec les esprits. Sur cette image, on observe un pin situé près de Sérignan, photographié à l’occasion de l’exposition personnelle de l’artiste « À l’ombre du pin tordu » (Mrac, 2017), une exposition qui évoquait la mémoire et le souvenir. L’artiste élabore donc un télescopage entre des cultures et des géographies différentes, rassemblées dans une même image. Les troncs tordus figurent également les histoires qui s’entremêlent à l’origine de ses œuvres.

Simon Starling – Project for a Rift Valley Crossing.
A canoe built with magnesium extracted from Dead Sea water and used on the 30th of November 2016 in an attempted crossing of the Dead Sea from Israel to Jordan, 2015-16.
Photographies argentiques sur gélatine type LE / virées au sélénium, 103×126 cm chaque.
Acquisition 2018.

Les œuvres de Simon Starling s’articulent autour de transformations et d’hybridations. Il tisse des liens entre des temps et des espaces souvent éloignés, s’ancrant dans des réalités concrètes, généralement méconnues. Puissamment poétiques, ses œuvres sont hantées par le passé qui continue d’exister dans le présent. Son travail privilégie l’activité, le « pendant » du geste artistique, et pas uniquement la finalité de l’œuvre exposée. L’objet final devient alors l’indice d’une narration, une « manifestation physique d’un processus de pensée » (Simon Starling). Project for a Rift Valley Crossing se base sur l’histoire de Frank Kirk, ingénieur aéronautique britannique : dans les années 80, il fabriquait des cadres de vélo très légers en magnésium produit à partir d’eau de mer. Reproduisant ces méthodes, Simon Starling projetait de créer un bateau et de l’utiliser sur la mer ayant servi à le fabriquer. 1900 litres d’eau de la Mer Morte (située dans la Rift Valley, entre la Jordanie, Israël et la Cisjordanie) furent nécessaires pour concevoir le canoë de 90 kg. Géopolitiquement risquée et complexe, la traversée débuta le 29 novembre 2016 (depuis Ein Gedi en Israël vers la Jordanie) mais fut interrompue pour cause d’intempéries. La photographie a permis néanmoins d’enregistrer cette performance inaboutie.

Salle 5 : Wilfrid Almendra, Nick Devereux

Nick Devereux en collaboration avec Wilfrid Almendra – In the Round, 2018.
Installation, techniques mixtes (bois, plastique, verre, silicone, tulle, fusain sur papier), dimensions variables.
Acquisition 2018.

Première collaboration des deux artistes, In the Round associe différents matériaux : vêtements, tissus, bois, verre et objets de récupération. À la fois un atelier, un espace de travail et d’expérimentation, cette installation immersive articule des notions communes aux pratiques respectives des deux artistes, telles que la perspective, la fragilité, la transparence.
À l’issue de ce dialogue, les sculptures de Devereux acquièrent un nouveau statut. Initialement considérées par l’artiste comme des études pour ses dessins, elles quittent l’atelier pour rejoindre l’espace expérimental d’In the Round, présentées sur des socles imaginés par Wilfrid Almendra. La sculpture et le dessin deviennent les motifs d’une unique œuvre hybride, englobés dans une structure de bois et de tulle qui reproduit visuellement la technique du sfumato (modelé vaporeux utilisé en peinture).

Nick Devereux – All nowhere gone III, 2011.
Fusain sur papier, 133×205 cm.
Dépôt du Centre national des arts plastiques, Paris.

Nick Devereux, All nowhere gone III, 2011
Nick Devereux, All nowhere gone III, 2011

Dans son travail, Nick Devereux rejoue l’iconographie de sujets classiques de l’histoire de la peinture. Pour le dessin All Nowhere gone III, l’artiste a ainsi fusionné deux toiles baroques détruites à Dresde en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale : L’Apollon et Marsyas de Giovanni Battista Langetti et Le Martyre de Saint Érasme de Nicolas Poussin. Cette œuvre d’une grande force plastique, à la lisière entre figuration et abstraction, est trompeuse, tant le classicisme perçu au premier coup d’œil est déjoué par un regard plus attentif. En effet, dans son processus de travail, l’artiste réalise d’abord dans l’atelier de petites sculptures non figuratives, qui sont ensuite dessinées et intégrées dans la composition finale. Les sujets mythologiques ou religieux sont alors évacuéspar l’artiste qui transforme les satyres et angelots en animaux, les figures en fantômes aux postures étranges, accoutrés avec des rebuts de textile et d’ustensiles de cuisine, le tout sous un clair-obscur théâtral.

Salle 6 : Isabelle Cornaro, Io Burgard, Dominique Figarella

Isabelle Cornaro – Subterranean, 2017.
Film 16 mm transféré sur support digital, 1’15’’, en boucle.
Don de l’artiste. Acquisition 2018.

Isabelle Cornaro explore le rapport entre l’objet et son image, l’original et sa copie, ainsi que notre vaine obsession de posséder des objets séduisants mais sans valeur. Collectés puis mis en scène par l’artiste dans ses peintures et ses sculptures, ils se retrouvent aussi dans ses films, dans lesquels elle utilise des techniques cinématiques proches du cinéma expérimental des années 1960, afin de reconstruire l’acte de regarder.

Dans Subterranean, les couleurs vives ont une forte présence, comme dans le film Choses présenté dans la première salle. Selon le même processus, elles viennent altérer les objets montrés en gros plan. Ici s’ajoutent des fragments de corps, autres supports de projection de la couleur une projection lumineuse mais aussi une projection réelle de pigments liquides, qui n’est pas sans rappeler les peintures au spray de l’artiste). De même, on retrouve le motif ambivalent des breloques en plastique semblables à celles de la sculpture Untitled (P #9) dans la salle précédente : si elles symbolisent un certain luxe, leur aspect est pourtant factice. Isabelle Cornaro interroge ainsi notre perception de ces objets, qui, même sans valeur, prennent une dimension sublimée au travers de la peinture rouge sang, entre séduction et répulsion.

Dominique Figarella – Qui est ?, 2004.
Tirage numérique, peinture sur aluminium, 200×220×2 cm.

Dominique Figarella, Qui est , 2004
Dominique Figarella, Qui est , 2004

Au début des années 90, Dominique Figarella s’est engagé dans une pratique de la peinture à la fois savante et ludique employant dans ses tableaux des objets insolites tels que ballons, sparadraps et chewing-gums. Dans ses œuvres les plus récentes, il introduit la photographie comme matériau pictural. Le tableau, photographié en cours d’élaboration, accueille sur sa surface cette même photographie appliquée, déformée, qui vient souligner les processus de construction. Issu de la série des « Masques », ce diptyque fonctionne en trompe-l’œil. Deux châssis placés côte à côte sont recouverts d’une tache-coulure de peinture. S’y ajoute une image produite mécaniquement, c’est-à-dire une photographie, prise au moment de la réalisation du tableau. Ainsi, pour l’artiste, il s’agit tout autant de documenter son travail que de produire un discours sur l’essence de la peinture, entre abstraction et figuration.

Io Burgard – Toc Toc, 2018.
Encre et gouache sur papier, 100×70 cm.
Io Burgard – Banc de la fortune, 2018.
Plâtre, métal, ampoule et fil électrique, 190×175×42 cm.
Acquisitions 2018.

Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac - Vue de la Salle 6 - Photo Aurélien Mole
Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac – Vue de la Salle 6 – Photo Aurélien Mole

Pour Io Burgard, le dessin est un espace où l’imagination ne connaît pas de limites. La sculpture permet une matérialisation concrète de cet imaginaire. Le passage entre les deux media est crucial : il s’agit de faire sortir ces fantasmes du papier pour les faire exister dans le monde réel. La fiction s’invite alors dans le champ du possible. Ici, c’est la Fortune qui s’incarne dans cette sculpture, sous la forme d’une assise. De part et d’autre, des mains en bas-relief tiennent un fil auquel une ampoule est suspendue. L’individu qui s’en remet à la fortune attend la chance ou attend simplement quelque chose. C’est ce qu’offre le banc, le temps de l’attente. Il évoque aussi l’idée de s’en remettre à quelque chose, de se reposer sur quelque chose, avec la posture assise.

Io Burgard, Toc Toc, 2018
Io Burgard, Toc Toc, 2018

Toc toc renvoie au héros de la nouvelle La Bête dans la jungle d’Henri James (1903). Persuadé d’être promis à un destin exceptionnel, il passe à côté de sa vie et de l’amour, espérant cette bête qu’il ne rencontrera jamais. Dans cette étude pour un mural réalisé au musée par l’artiste en 2018, la forme noire liée au personnage schématise la projection du fantasme tout autant que l’incarnation de la vision attendue.

Salle 7 : Jean Messagier, Joan Mitchell, François Morellet, Côme Mosta-Heirt, Gérard Traquandi

Jean Messagier – La famille de Charles IV piquée par les guêpes, 1990.
Huile sur toile, 204×295 cm.

Jean Messagier - La famille de Charles IV piquée par les guêpes, 1990 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Jean Messagier – La famille de Charles IV piquée par les guêpes, 1990 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Les premiers tableaux de Jean Messagier sont figuratifs mais très vite il peint des évocations de paysages en oubliant les conventions pour ne garder que la lumière. Dès le début des années 60, il donne de l’ampleur et de la vigueur à ses toiles, que l’on peut qualifier d’abstraction lyrique. Ce courant de l’abstraction se concentre sur l’expression directe de l’émotion individuelle de l’artiste. À partir des années 70, Jean Messagier revient partiellement à la représentation en dessinant des formes figuratives par enlèvement de matière dans ses peintures, à la manière d’un graveur. C’est le cas dans La famille de Charles IV piquée par les guêpes, qui s’inspire de l’œuvre de Francisco de Goya peinte en 1800 et représentant la famille royale de Charles IV d’Espagne. Les décorations portées par les hommes, symbolisées par les étoiles, et l’épée de Charles IV permettent d’identifier une partie des membres de la famille royale. Avec humour, Jean Messagier réinvente cette scène où les personnages étaient statiques : il y ajoute des guêpes, figurées par des paillettes, et imagine une composition dynamique, où les figures laissent place à l’abstraction, à ses mouvements ainsi qu’à la couleur.

Joan Mitchell – Champs, 1991.
Lithographie originale sur plaque en six couleurs, 152×101,5 cm.
Joan Mitchell – Champs, 1991.
Lithographie sur plaques, 152×101,5 cm.
Dépôts du Centre national des arts plastiques, Paris.

Joan Mitchell – Champs, 1991 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Le travail de Joan Mitchell n’est ni narratif, ni descriptif, ni allégorique. Champs renvoie au sentiment de la nature et au rapport retrouvé avec elle. Ces œuvres permettent au spectateur de s’immerger dans de vastes surfaces colorées. Les touches lisibles se confrontent par juxtaposition et surimposition et laissent transparaître des éclats de couleurs vives et franches donnant vie à ces paysages. Les couleurs transmettent également une vision intime et très personnelle forgée dès l’enfance par un système de correspondance entre le langage et les couleurs. Peu à peu, l’artiste introduit des couleurs plus symboliques et expressives, plus intérieures, en plaçant à côté des couleurs de la nature des noirs, des rouges ou des gris et laisse une place importante au blanc.

François Morellet – Géométree branchage première version, 1982.
François Morellet –
Géométree branchage deuxième version, 1982.
Épreuve gélatino-argentique, adhésifs, 39,8×45,8 cm chaque.
Dépôts du Centre national des arts plastiques, Paris.

François Morellet - Géométree branchage première et deuxième version, 1982 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
François Morellet – Géométree branchage première et deuxième version, 1982 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Pendant soixante ans, François Morellet a développé un programme alliant les figures simples de la géométrie (droites, angles, plans), les matériaux (toiles, grillages, néons) et les supports (toiles, murs, architectures, paysage). Les trames et le hasard, inscrits dans des principes préétablis, déterminent sa démarche, entre abstraction et dérision. Pour la série Géométrees, le titre fusionne avec humour la géométrie et les trees (mot qui désigne en anglais les arbres). La forme des branches rectilignes et leurs ramifications en « y » constituent la matrice de l’œuvre et définissent son élaboration. Une fois les brindilles photographiées, un réseau de lignes adhésives reprenant leurs obliques est superposé au tirage.

Côme Mosta-Heirt – Sans jambage, 2005.
Bois peint, 16 éléments, dimensions variables.

Côme Mosta-Heirt – Sans jambage, 2005 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Historien d’art de formation, Côme Mosta-Heirt consacre une grande partie de son œuvre à l’élaboration d’entrelacs intitulés jambages et structures. Celles-ci s’apparentent à des branches, à des ramifications, qui lui permettent de créer de multiples compositions. À l’attention précise des matériaux utilisés s’ajoute un travail de peinture lent et minutieux, appliquée sur le bois poli, dont l’aspect foncé et lumineux résulte du recouvrement méthodique de plusieurs couches de bleu, d’ocre et de rouge, créant un jeu de superpositions. Côme Mosta-Heirt laisse la libre interprétation symbolique de son œuvre, oscillant entre la force toute végétale et la signification du terme jambage emprunté à la construction, signifiant un élément venant soutenir une poutre. La disposition de ces formes modulaires dans l’espace, régie par une forme d’automatisme, vise à interroger la question des catégories admises de la peinture, de la sculpture et du dessin. Ces structures forment un tableau dans l’espace qu’elles remodèlent.

Côme Mosta-Heirt – Sans titre (pendant de la sculpture S.A.M.I.A two), 1977.
Fusain gras sur papier marouflé sur toile, 217×151 cm.
Don de l’artiste.

Côme Mosta-Heirt se considère comme « peintre dans l’espace ». Sa pratique se caractérise par une interaction marquée entre ses sculptures et ses dessins, tandis qu’il explore également l’art vidéo.
Pour lui, la sculpture est un dessin dans l’espace. Ses dessins ne sont pas des études préparatoires en vue de la création de sculptures, mais des oeuvres autonomes créées à partir de ses sculptures et dont ils sont les pendants. En ce sens, ils correspondent à des représentations mentales de l’espace et offrent à l’artiste la possibilité d’une distanciation avec son travail de sculpteur. Ici, l’oeuvre est rythmée horizontalement par les lignes bleues réalisées au crayon gras. S’y ajoute un rythme vertical créé par les déclinaisons d’un motif dessiné au fusain, obtenu par la répétition du même geste de la main de l’artiste. Lors de sa rencontre avec les lignes de crayon gras, ce geste se trouve dévié et donc altéré dans sa répétition.

Gérard Traquandi – Les Mesnuls 2, de la série : Résino-pigments type – 2009/2011, 2003.
Résinotype noir et blanc contrecollé sur aluminium, 237×193 cm.
Dépôt du Centre national des arts plastiques, Paris.

Gérard Traquandi – Les Mesnuls 2, de la série : Résino-pigments type – 2009/2011, 2003 – Accrochage des collections 2019- 2020 au Mrac

Gérard Traquandi réalise des résinotypes noirs. Cette technique du XIXe siècle consiste à mettre en mémoire une image dans de la gélatine puis à la révéler en apportant des pigments au pinceau à la surface de l’épreuve. La matité des pigments accentue la profondeur veloutée des noirs et des blancs. Par ces interventions manuelles, c’est la relation entre les deux moments de la prise de vue et du tirage qui est en question dans ses compositions où le motif envahit la surface sans arrière-plan. Le procédé détermine la prise de vue et l’artiste choisit souvent des compositions de type all-over. Dans les Mesnuls, la photographie, par sa texture, joue de ses liens et affinités avec la peinture.

Cabinet d’arts graphiques :

Robert Crumb
Fête du tapage, 1998.
Encre et typex sur papier, 52×44,5 cm.
Astique, Baveux, Beirut, non daté.
Encre et typex sur papier, 52×44,5 cm.
Fourchette, main droite, gant de boxe, …, non daté.
Encre et typex sur papier, 52×44,5 cm.
Poumon d’acier, non daté.
Encre et typex sur papier, 52×44,5 cm.
Cinq morts au premier rang …, non daté.
Encre et typex sur papier, 35,5×28 cm.
Handicapé de la clef de fa, non daté.
Encre sur papier, 52×44,5 cm.
R. Crumb’s Music Sampler, 2004.
Encre et typex sur papier, 44,5×56 cm.

Robert Crumb. Poumon d'acier, non daté
Robert Crumb. Poumon d’acier, non daté

Robert Crumb exerce une grande influence sur plusieurs générations d’artistes qui dépasse les frontières de la seule bande dessinée indépendante. Il s’est attaché à sans cesse faire évoluer son style, caractérisé par une grande présence de hachures et de détails, proche du rendu de la gravure. Dans sa jeunesse, il appartient aux mouvements de la contre-culture américaine et dépeint un monde malade par un humour désespéré. Au fur et à mesure de sa carrière, il se consacre à une représentation parodique de lui-même, dans laquelle il projette ses fantasmes et ses angoisses. Robert Crumb montre par le dessin un amour hors du commun pour la musique américaine des années 1920-1930 (jazz, blues, country). Il reconstitue l’histoire de cet art par ses recherches dessinées et sa collection de disques 78 tours.

John Giorno – Life is a Killer, 2008.
Mine de plomb sur papier de récupération, 72×72 cm.
Dépôt du Centre national des arts plastiques, Paris.

John Giorno - Life is a Killer, 2008
John Giorno – Life is a Killer, 2008

Figure culte de l’underground new yorkais des années 1960 et du mouvement littéraire de la Beat Generation, John Giorno est reconnu comme l’un des poètes les plus influents de sa génération. Désirant que la poésie surgisse à tout moment dans la vie quotidienne de chacun et être accessible à tous, il n’a cessé de faire déborder son oeuvre du livre. Fondateur du label Giorno Poetry System, il édite de nombreux albums entre 1965 et la fin des années 1980, notamment les premiers enregistrements de William Burroughs, Philip Glass, John Cage, Merce Cunningham, Andy Warhol. Il crée aussi, en 1968, « Dial-A-Poem », le premier service poétique par téléphone, proposant une poésie, souvent politique et radicale, lue par des artistes et des poètes comme Patti Smith et Allen Ginsberg entre autres.

Tel un slogan poétique, le dessin Life is a Killer s’inscrit dans l’ensemble des « Poem Paintings ». Le poème, libéré de la page, est confronté à de nouveaux contextes. L’artiste bascule sur la surface de la toile son écriture courte, spontanée et percutante. Il jongle avec les mots et les registres, maniant tout aussi bien l’humour que l’ironie. Cette poésie visuelle, qui fait résonner l’acidité du verbe à un fort contraste coloré, devient à son tour espace pictural. L’écriture se fait alors dessin et le mot, image. Cet aphorisme fataliste se détache sur un fond noir semblant s’effacer, véritable métaphore du temps qui passe.

Art Keller – Les Héros du mystère – Être artiste – Univers ordonné – Progrès incessant – Nous sommes aveugles – Passé immuable – Examen visuel – Qualité latente – Discours des raisons – Perspectives rétroactives – Caractère d’ouverture – Discours institutionnalisé – Pornographe*, 1996.
Acrylique sur toile, ensemble de douze peintures, dimensions variables.
Dépôts du Centre national des arts plastiques, Paris.

Art Keller - Les Héros du mystère, etc, 1996 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Art Keller – Les Héros du mystère, etc, 1996 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Les œuvres d’Art Keller proviennent toutes de la collection de Yoon Ja Choi & Paul Devautour. Une localisation immédiatement révélatrice de l’existence fictionnelle du personnage puisque la collection tout entière rassemble des noms d’artistes plutôt insolites. Yoon Ja Choi & Paul Devautour affirment avoir cessé toute production artistique personnelle en 1985. Depuis, ils préfèrent se définir comme des « opérateurs en art » dont le rôle est de promouvoir les artistes qu’ils représentent, tout en assurant la gestion et le développement d’une collection qu’ils n’ont de cesse d’enrichir eux-mêmes au gré de ses différentes présentations publiques.

Le travail d’Art Keller matérialise l’idée que l’art contemporain dégénère en un discours critique qui supplante l’œuvre elle-même. En effet, l’apparente banalité des vignettes de bande dessinée (ici Le magicien Mandrake) est contrebalancée par les commentaires critiques empruntés aux magazines d’art spécialisés. C’est le contre-pied à la remarque prophétique de l’historien d’art américain Clément Greenberg annonçant qu’un jour les cartels auront plus d’importance et d’impact que les œuvres elles-mêmes.

* L’ordre des titres donne le sens de lecture de la série.

Jan Kopp – Dessin pour No Paraderan, 2004.
Collage, papier journal, encre et crayon de couleur sur papier, 26×34,5 cm chaque.
Dépôt du Centre national des arts plastiques, Paris.

Jan Kopp mène depuis quelques années une réflexion sur l’espace public considérant la ville comme lieu possible d’interventions artistiques. Ses oeuvres participatives invitent à élaborer et/ou à expérimenter à plusieurs. Ce qui récemment l’a amené à s’intéresser à des questions de transmission et de déformation de l’information dans une série d’installations, de performances et de vidéos. Dessin pour No Paraderan appartient à une série de dessins réalisés pour la scénographie de No Paraderan, spectacle librement inspiré du ballet Parade conçu par Jean Cocteau pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev, au Théâtre du Châtelet à Paris en 1917. Cette Parade présentait des numéros dans la rue pour attirer les passants dans le théâtre où ils ne se décidaient pas à entrer. Marco Berrettini, réalisateur de No Paraderan transpose le thème original de ce ballet (attraction et incitation au divertissement dans une période où la guerre s’éternise) en soirée de gala, mais vue des coulisses. Si les Ballets russes proposaient une parade aux événements sociaux des années 20, les danseurs de Berrettini se révoltent face à la menace qui pèse sur le monde du spectacle des années 2000.

Olivier Mosset – Pink, Green, 2003 – Yellow, Green, 2003 – Violet, Blue, 2003 – Red, Pink, 2003.
Lithographie sur papier BFK Rives, 78×78 cm chaque.
Dépôts du Centre national des arts plastiques, Paris.

Olivier Mosset - Pink, Green, 2003 - Yellow, Green, 2003 - Violet, Blue, 2003 - Red, Pink, 2003 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Olivier Mosset – Pink, Green, 2003 – Yellow, Green, 2003 – Violet, Blue, 2003 – Red, Pink, 2003 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Depuis plus de cinquante ans, Olivier Mosset poursuit une recherche sur le devenir de la peinture à travers l’abstraction géométrique et le monochrome. Son œuvre se veut dès le départ radicale. En 1964-65, ses toutes premières œuvres évoluent du blanc intégral à l’inscription d’un A, première lettre de l’alphabet, degré zéro de la composition et du message. En 1966-1967, c’est la forme choisie qui devient signature : un cercle noir de 15,5 cm de diamètre et de 3,25 cm d’épaisseur, peint au centre d’un carré d’1 m sur 1 m. Il participe en 1967 à la formation du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni), dont le but est de démonter la sacralisation de la personnalité, de remettre en question le geste de l’artiste, sa trace, sa signature. D’ailleurs, en 1972, Olivier Mosset utilise le motif de Buren pour réaliser une toile de 200 cm x 200 cm avec des bandes verticales grises et blanches, il brouille les pistes selon les principes même d’anonymat du groupe. Selon lui, la figure conçue par l’un d’eux appartient à tous. Le cercle laisse la place aux rayures, marques de pinceau et bandes neutres choisies par les autres membres du groupe. L’usage de bandes traitées en oblique interroge les variations sur le châssis carré et l’inscription de la forme dans ce format. À partir de 1977, il peint des toiles monochromes. Il poursuit depuis une peinture extrêmement cohérente autour des questions de neutralité, d’appropriation et de répétition comme en témoigne cette série de lithographies bicolores.

Raymond Pettibon – Sans titre, 2005.*
Lithographie sur papier BFK Rives, 76×56,5 cm et 56,5×76 cm chaque.
Dépôts du Centre national des arts plastiques, Paris.

Raymond Pettibon - Sans titre, 2005 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Raymond Pettibon – Sans titre, 2005 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Pettibon est l’une des figures majeures de l’art contemporain américain. Puisant ses fondements dans la culture punk-rock californienne de la fin des années 1970-80 et dans l’esthétique do it yourself des couvertures d’albums, bandes dessinées et fanzines qui ont caractérisé ce mouvement, Raymond Pettibon est parvenu à imposer un style personnel. Il réalise d’ailleurs les illustrations des vinyles et des flyers de groupes aussi légendaires que Black Flag ou Sonic Youth. Par le biais d’interactions entre textes et images comme dans Sans titre (Don’t look back…), citation empruntée au joueur de baseball Satchel Paige, Pettibon expose les pans déséquilibrés de la société américaine sur fond de réflexions historiques, d’aspirations émotionnelles, d’humour poétique et de critiques acerbes.
Ses dessins renvoient à des histoires connues ou oubliées en privilégiant l’expressivité des couleurs, des lignes et des signes.

* Don’t look back … : Ne te retourne pas, le passé te gagne … peut-être
My Hotfoot … : L’allumette dans ma chaussure prit feu et enflamma la jambe droite de mon pantalon, brûla ma boule gauche qui pendait, fit roussir la droite et mes deux cuisses, j’ai failli mourir. Les effets que j’ai ressentis persistent encore.
Scissors cut Paper … : Les ciseaux coupent le papier la pierre écrase les ciseaux le papier couvre la pierre.
Under the Big Top … : Sous le chapiteau, la conversation fit le tour de la table. À qui le tour ? Tous les points de vue doivent être entendus.
Its scent on my Brush … : Son odeur sur mon pinceau est sans équivoque – et depuis l’épine du porc-épic avec laquelle j’écris … Ce dessin, chaque point et chaque hachure, évoquent l’endroit même où nos chemins se sont croisés pour la première fois. Le papier et l’encre aussi …

Bernard Rancillac – Un film de, 1995.
Collage sur panneau bois, 91×220 cm.

Bernard Rancillac - Un film de, 1995 - Mrac Sérignan - Accrochage des collections 2019-2020
Bernard Rancillac – Un film de, 1995 – Mrac Sérignan – Accrochage des collections 2019-2020

Grand peintre coloriste, Bernard Rancillac est un des artistes fondateurs de la Figuration narrative, qu’on a l’habitude de présenter comme le « Pop art français ». Ce mouvement engagé est en réalité très différent de son contemporain américain : la politisation des artistes français est très forte, et ceux-ci s’intéressent peu aux techniques de reproduction mécanique de l’œuvre. Influencé formellement par les images des médias de masse, la quadrichromie de la bande dessinée, de l’affiche, des magazines, Rancillac traduit la cruauté du monde et le drame humain en les dissimulant sous des apparences faussement légères et joyeuses dans l’objectif avoué de « rendre vivable l’invivable ». Dans Un film de, collage d’affiches de films, deux constantes de la « société du spectacle » se mélangent : les femmes et la violence. Le titre est inscrit sur le tableau, il est partie constituante de l’œuvre. Sa nature évasive souligne en creux l’idéologie destructrice dans le cinéma ; l’action et la violence de typologie masculine s’y oppose à ce qui serait la nature féminine, soumission et tendresse, dressant une opposition stigmatisante des genres.

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