Gerard & Kelly – Ruines à Carré d’Art


Jusqu’au 26 mars 2023, Carré d’Art présente la première exposition de Gerard & Kelly dans un musée. « Ruines » rassemble des films, des installations, des œuvres sur papier et des performances. Construite avec beaucoup de rigueur, cette proposition est une des plus intéressantes que l’on peut voir cet automne dans la région.

Dans un entretien pour le catalogue, Brennan Gerard qualifie « Ruines » comme « un aperçu de notre travail sur un peu plus d’une décennie [qui] explore des enjeux de relations et d’intimité à travers la sculpture, le film et l’installation » et non comme une rétrospective.

Depuis 2003, Gerard & Kelly, duo formé par Brennan Gerard et Ryan Kelly, poursuivent une enquête sur les ruines du modernisme pour y découvrir des chorégraphies cachées et des expériences sociales radicales.

À Nîmes, le face-à-face entre la Maison Carré et le bâtiment de Norman Foster est au cœur du projet imaginé pour Carré d’Art.

Dans la conversation déjà citée, Ryan Kelly souligne : « C’est une vue déconcertante, parce que l’architecture du musée est à la fois un palimpseste et une ruine. J’ai l’impression que pour penser l’exposition nous revenons sans cesse à cette vue ». Puis il ajoute : « De ce fait, les archives, l’histoire, les formes abstraites, la temporalité, le récit sont autant de sujets qui flottent sur l’exposition »… Cependant, les deux artistes interrogent l’architecture de verre de Norman Foster avec discrétion et subtilité dans une proposition qui est liée « à ce site de manière discursive, mais aussi phénoménologique », pour reprendre le propos de Brennan Gerard.

Relay, 2018

En haut de l’imposant atrium de Carré d’Art, Gerard & Kelly ont installé Relay (2018), une pièce composée de bandes verticales multicolores en vinyle qui sont appliquées sur les fenêtres au dernier étage.

En fonction de la position du soleil et des conditions météorologiques, cet étrange cadran solaire change sans arrêt. De multiples halos de lumière apparaissent, se déplacent, s’agrandissent, disparaissent et viennent se réfléchir sur l’architecture de verre de Carré d’Art. Ces réverbérations font écho aux reflets produits par les néons de Glenn Ligon qui se propagent sur les parois vitrées au premier étage du musée dans « Post noir » et dont certains semblent flotter au-dessus de l’escalier monumental.

Gerard & Kelly – Ruines à Carré d’Art – Photo © Martin Argyroglo @martinargyroglo

L’exposition de Gerard & Kelly commence et se termine avec Relay. Face aux toits de la ville, au dernier étage de Carré d’Art, les visiteur·euse·s comprennent alors le sens des couleurs de cette installation, créée en 2018 pour l’exposition Clockwork au centre culturel Pioneer Works de Brooklyn. Elles correspondent à celles des costumes que portaient les danseurs et les danseuses du projet Modern Living.

Le parcours de « Ruines » s’organise volontairement en séquences non chronologiques dont on perçoit peu à peu l’articulation, après avoir fait au moins un aller-retour dans l’exposition.

Ce choix délibéré de Gerard & Kelly est probablement aussi imposé par la dimension des projections et la taille des espaces non modulables à Carré d’Art.

Panorama, 2021

La première salle présente une installation, montrée pour la première fois, avec la projection sur un vaste écran incurvé du film Panorama (2021). Tourné en novembre 2020, sous la rotonde vide de la Bourse de Commerce, ce court métrage de 22 minutes propose une réflexion sur la « ruine » de la fresque peinte à la gloire du colonialisme français qui orne la coupole depuis 1889.

Le site de la Marian Goodman Gallery présente ainsi cette réalisation :

« [Panorama] suit le rêve fiévreux de trois personnages : Mémoire, Avenir et Allégorie, interprétés par Soa de Muse, récemment vue dans Drag Race France, aux côtés de Germain Louvet et Guillaume Diop du Ballet de l’Opéra de Paris. (…) Sur une musique de Julius Eastman, les performeur·euse·s entraînent le spectateur dans des arcs turbulents de chorégraphie créés en grande partie en réponse au contenu de la frise à 360 degrés qui orne la rotonde de la fin du XIXe siècle. À un moment donné, Memory commente des scènes du récit colonialiste qui s’étend au-dessus d’elle, observant des images telles que “un léopard, une carrière, un chef indien se protégeant le visage, deux enfants indigènes se tenant la main [et une] mère” ».

Décrite par les artistes comme « un hybride entre un film de danse et un essai cinématographique », Panorama est aussi une interrogation sur l’intervention architecturale de Tadao Ando, quelques mois avant l’exposition inaugurale de la Collection Pinault.

Gerard & Kelly – Panorama, 2021 – Ruines à Carré d’Art

Dans leur opposition aux représentations du pouvoir, les trois interprètes de Panorama interrogent l’histoire du lieu et les questions de classe, de race, de genre et de sexualité qu’il provoque.

La courbe de l’écran fait écho à la courbure du cylindre de Tadao Ando. Elle répond aussi à l’arrondi du canapé Monte Carlo créé par Eileen Gray en 1929. Posée sur une confortable moquette, une édition contemporaine de cet emblématique sofa accueille les spectateur·ice·s.

L’équilibre parfait de cette salle offre au film de Gerard & Kelly d’exceptionnelles conditions de projection qui captivent immédiatement celles et ceux qui pénètrent dans l’espace…

Sauf à être familier avec la démarche artistique de Gerard & Kelly et notamment avec leur projet Modern Living, les œuvres rassemblées dans la seconde salle peuvent être déroutantes… Avant de les découvrir, il peut être utile de passer directement dans l’espace suivant pour voir la projection de Schindler/Glass (2017)…

Schindler/Glass, 2017

Schindler/Glass est une pièce maitresse du projet Modern Living développé aux États-Unis de 2016 à 2018 dans et avec trois résidences emblématiques d’architectes modernistes, la Schindler House de Rudolf Schindler et les maisons de verre de Philip Johnson et Mies van der Rohe. Depuis leur installation en France, Gerard & Kelly ont poursuivi ce travail autour de l’Appartement-Atelier de Le Corbusier à Paris, de la villa Savoye à Poissy) et de la Cité Radieuse à Marseille.

Dans un échange avec Lou Forster, publié sur le site de l’INHA dans le cadre d’un séminaire du programme Chorégraphies, Brennan Gerard revient sur les origines et les enjeux de Modern Living :

« Il me semble que Modern Living est une extension de nos projets précédents, Timelining (2014) et Reusable Parts/Endless Love (2011), dans lesquels nous traitions de la question du couple. Aborder la maison était une suite logique. Cela correspondait, aussi, à un moment, où nous étions, nous-mêmes, à la recherche d’un lieu où habiter. Nous avons réalisé à quel point l’architecture était structurée de manière hétéronormative et ne pouvait accueillir la manière dont nous vivons et travaillons avec Ryan. C’est à peu près à ce moment-là que nous avons découvert la Schindler House à Los Angeles. Elle avait été construite au cours des années 1920 pour deux jeunes couples qui avaient décidé de vivre dans ce qui s’apparente à une Commune. Chaque membre y possédait un espace propre où il ou elle travaillait, tandis que les tâches domestiques étaient réparties de manière égalitaire. Cette manière de vivre qui résonnait si fortement avec nos propres aspirations, nous a poussés à nous intéresser à d’autres maisons, et d’autres expérimentations modernistes où les architectes cherchent des réponses formelles (les murs en verre, le plan libre) pour rendre possible nos relations les plus intimes ».

Ryan Kelly ajoutait :

« Le design de l’espace influence notre manière de vivre avec les autres. Dans des espaces proto-queer comme la Schindler House on perçoit très clairement comment la question de la reproduction n’est plus au centre de l’espace domestique, et que la relation entre l’intérieur et l’extérieur se trouve redessinée. À partir des années 1990, les études queer se sont intéressées à l’espace public : boîtes de nuit, bars gays, rues, docks, toilettes publiques, etc., tandis que l’espace domestique se trouvait, le plus souvent, décrit de manière négative comme un “placard”. Il nous a semblé que des formes moins normatives de sexualité transforment aussi la maison, et qu’il fallait revendiquer le “home” comme un espace de production de subjectivité queer, et tracer une généalogie de ces autres manières d’habiter ».

Gerard & Kelly – Schindler-Glass, 2017 – Ruines à Carré d’Art

Le projet Modern Living s’est organisé comme une enquête sur les liens entre l’architecture moderne, la construction sociale de la vie domestique et l’identité homosexuelle sous toutes ses formes. Pour les danseurs du L.A Dance Project, Gerard & Kelly ont imaginé des chorégraphies qui ont été performées en 2016 dans la R.M. Schindler House à West Hollywood puis dans la Glass house de Philip Johnson à New Canaan (Connecticut) où l’architecte a vécu pendant plus de quatre décennies avec son partenaire, David Whitney. En 2017, les danseurs ont investi Farnsworth House, près de Chicago, une maison conçue par Mies van der Rohe pour Edith Farnsworth. Médecin réputée et célibataire, elle avait commandé cette maison de verre d’une seule pièce qu’elle a fini par trouver l’espace invivable avant de se quereller avec l’architecte.

Pour Gerard & Kelly, ces lieux sont envisagés « comme des ruines » à partir du moment où plus personne n’y habite. Dans les expériences live proposées par Modern Living, les spectateurs étaient entièrement libres de se déplacer. Ces évènements uniques ne pouvaient se reproduire ni être transposés.

À l’intersection du film d’architecture et de danse, Schindler/Glass témoigne de ces performances en faisant « se rejoindre deux lieux, la Schindler House et la maison de verre, dans l’espace virtuel du film ». Cette œuvre, acquise auprès des artistes en 2021, fait partie des collections de Carré d’Art.

Schindler/Glass, 2017. Vidéo HD sur deux canaux, couleur, son, 35 minutes
Avec L.A. Dance Project | Stephanie Amurao, Anthony Bryant, Aaron Carr, Julia Eichten, Morgan Lugo, Nathan Makolandra, Robbie Moore, Rachelle Rafailedes, Lilja Ruriksdottir Musique, SOPHIE, Lucky Dragons. Direction de la photographie, Javier Bosques, Alex Salinas-Albrecht Montage, Kate Abernathy, Abigail Collins. Costumes, Stacey Berman. Post production, Harbor Picture Company

Projeté sur deux écrans, Schindler/Glass utilise avec brio, élégance et à-propos les possibilités de ce dispositif. La complexité et la richesse des enchainements chorégraphiques et du montage de cette œuvre de 35 minutes sont impossibles à résumer en quelques paragraphes. Si faire l’expérience de Schindler/Glass est incontournable, cela reste pratiquement indescriptible. Rares sont ceux qui s’y sont risqués. Néanmoins, on pourra consulter avec intérêt l’essai très documenté publié par The Avery Review (Modern Lives, Modern Loves: Gerard & Kelly’s Schindler/Glass)

Comme pour Panorama, Gerard & Kelly ont porté un soin particulier à la mise en espace de leur œuvre et au confort de leurs spectateur·ice·s. Face aux deux écrans, des tabourets conçus par Charlotte Perriand (LC9 Tabouret, 1929) et Le Corbusier (LC14 Tabouret Cabanon, 1952 et LC14 Tabouret Nantes Rezé, 1952) les attendent sur une épaisse moquette bleu nuit.

Sur la passerelle entre les deux galeries consacrées aux expositions temporaires, les neufs bandes colorées de Relay apparaissent comme des échos fantomatiques des performeurs du L.A Dance Project qui se synchronisent et se désynchronisent, se séparent et s’éloignent, reviennent et se regroupent dans Schindler/Glass.

Modern Living : une archéologie

Après avoir fait l’expérience de Schindler/Glass on peut revenir dans le vaste espace lumineux, entre les deux salles de projection. Les pièces qui y sont exposées prendront alors toutes leurs significations. Pour Gerard & Kelly, cette présentation a été imaginée comme un site archéologique où l’on peut découvrir des recherches et des fragments de leurs interventions pour le projet Modern Living.

La mise en espace s’articule autour de trois paravents (The family is a system of regeneration I, II et III, 2018) qui ont les mêmes dimensions et qui sont construits avec les mêmes matériaux que ceux de la Schindler House. Les diagrammes qui y sont peints représentent les partitions pour la performance chorégraphique de 2016. On retrouve les 9 couleurs des costumes des danseurs et de Relay.

Gerard & Kelly – The family is a system of regeneration I,II et III, 2018. Peinture acrylique et graphite sur toile, cèdre rouge occidental, 366 x 190 cm – Ruines à Carré d’Art

Le titre est extrait des paroles scandées lors de la performance : « The home is a mathematical equation/ The family is a system of regeneration/ Relationships like clockwork… »

Gerard & Kelly – Score Drawings, 2016-en cours – Ruines à Carré d’Art

Quatre tables exposent des dessins et des partitions de la série Score Drawings (2016-en cours) représentent les chorégraphies conçues par Gerard & Kelly pour la Glass House, la Schindler House et la Villa Savoye…

James Welling – 5097, 2016 et documents sur la Glass House de Philip Johnson – Ruines à Carré d’Art

L’ensemble est complété par une photographie de James Welling et un plan de la maison de Philip Johnson reproduit sur verre sablé qui est posé sur une page de livre déchiré.

Après la projection de Panorama, la première œuvre que l’on découvre en entrant dans cette salle, est une photographie de la performance imaginée par Gerard & Kelly pour la Farnsworth House, une maison conçue par Mies van der Rohe pour Edith Farnsworth, près de Chicago.

Elle est presque cachée par un imposant rideau composé par l’assemblage de chemises de nuit transparentes de couleur bleue. Cette pièce de 2018, intitulée Untitled (for Edith), fait écho aux relations complexes et tumultueuses entre l’architecte et sa cliente Edith Farnsworth, une femme célibataire, poète, mécène et médecin réputée.

Elle racontait qu’habiter dans cette « cage de verre » ne lui permettait même pas de « mettre un cintre dans ma maison » sans en briser l’esthétique… « C’était comme vivre dans une radiographie ». Les rideaux étaient une question très controversée. La boîte de verre qui semble flotter au-dessus du sol a fait de Farnsworth House une des réalisations les plus célèbres et emblématiques du modernisme. Mais, sa propriétaire trouvait l’espace invivable. La relation tendue et très médiatisée entre Edith Farnsworth et Mies van der Rohe les conduisirent devant les tribunaux…

Placées dans le diagonale de cette grande salle, deux sculptures en cuivre sont pour Ryan Kelly considérées comme la clé de leur recherche.
Elles sont, explique-t-il, « la représentation de l’intimité qui peut exister dans un « binôme », enlacés ou l’un à côté de l’autre ». Puis il ajoute : « Au cœur de nos recherche dans les maisons, il y a les relations qui y sont hébergées».

Le cuivre poli de ces sculptures est embossé avec deux lignes de braille qui reproduisent des fragments de souvenirs pour l’une de Brennan Gerard et pour l’autre de Ryan Kelly.

Gerard & Kelly – Affiches, 2022 – Ruines à Carré d’Art

Sur le mur de droite, trois affiches, imprimées dans les trois couleurs fondamentales RVB, annoncent la projection prochaine au cinéma le Sémaphore de Bright Hours, dernier film de Gerard & Kelly qui prolonge le projet Modern Living. L’aventure entre l’architecte Le Corbusier et la danseuse américaine Joséphine Baker lors d’une croisière en 1929 en est le point de départ de cette fiction tourné à la Cité Radieuse de Marseille…

Ten Thousand Recollections, 2022

Dans la petite salle, qui ouvre au fond de l’espace conscré à Schindler/Glass, Gerard & Kelly présente une installation (Ten Thousand Recollections, 2022) qu’ils présentent comme leur « réponse à la Maison Carrée »..

Celle-ci leur est inspirée par Thomas Jefferson qui avant d’être le troisième président des États-Unis de 1801 à 1809 fut ambassadeur en France de 1785 à 1789. Passionné d’architecture, il serait «  tombé fou amoureux » de la Maison Carrée lors d’un voyage à Nîmes. De retour aux États-Unis, gouverneur de Virginie, il fait construire à Richmond, capitale de l’état, un des capitoles les plus connus d’Amérique qui ressemble étrangement au temple nîmois.

Au centre de leur installation, Gerard & Kelly expose une maquette, telle que celle commandée par Jefferson. On remarque que l’essentiel de ce modèle est composé de cigarettes de la marque Virginia Slims auxquelles s’ajoutent papier à rouler, filtres et tabac en vrac… Elle est posée sur des paquets de cigarettes. L’esclavage a permis à la Virginie d’établir sa prospérité sur les plantations et le commerce du tabac.

Gerard & Kelly en collaboration avec Elsa MH Mäki – Ten Thousand Recollections, 2022 – Ruines à Carré d’Art

Propriété de Philip Morris, les cigarettes « VS » avec le slogan « You’ve come a long way, baby / T’en as fait du chemin, chérie » s’adressaient dans les années 1970/80 aux femmes. La stratégie marketing s’articulait selon Wikipédia autour des « valeurs d’émancipation féminine et de liberté, mais aussi de minceur (“slim”) et d’élégance »… Des publicités récentes n’ont, semble-t-il, pas négligé la communauté LGBT et notamment les lesbiennes et les bisexuelles avec des portraits plus androgynes et sexuellement ambigus.

Devant cette maquette, sur un paquet de Virginia Slims vide, est posé un briquet vintage « Nîmes Olympique », protégé par une cloche en verre. On peut lire cette citation de Walter Benjamin, scotchée sur la table : « There is no document of civilization which is not at the same time a document of barbarism / Il n’existe aucun témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie », phrase extraite de l’essai sur Eduard Fuchs et inscrite sur la tombe de Benjamin…

Sous la table où sont présentés maquette et briquet, les dalles du sol ont été soulevées, laissant apparaître le plancher technique de Carré d’Art… Gerard & Kelly proposent une investigation archéologique et une invitation à méditer sur la ruine du bâtiment de Norman Foster et sur celle du musée… On reste dubitatif sur l’origine des quelques mégots que l’on y découvre…

Gerard & Kelly en collaboration avec Elsa MH Mäki – Ten Thousand Recollections, 2022 – Ruines à Carré d’Art

Autour de cet ensemble sont accrochées les pages d’une édition murale sur vinyle intitulée Le Capitole qui commence ainsi :

« Nous sommes à Nîmes. Le bâtiment où vous vous tenez a été érigé en 1991. L’architecte Norman Foster a conçu ce musée pour faire face à la Maison Carrée, un monument romain du 1er siècle ».

Elle s’achève comme cela :

« En 1861, à l’aube de la guerre de Sécession, la Confédération s’approprie le Capitole de l’État de Virginie pour en faire son quartier général. Siège des esclavagistes de la nation, le bâtiment conçu pour consacrer les idéaux de la civilisation occidentale devint ce que Jefferson craignait : un  » monument à notre Barbarie” ».

La dernière illustration de cette édition est extraite de la performance State of (2019) qui met en scène trois danseurs autour du drapeau américain, de l’hymne américain et d’une barre de pôle dance pour interroger les symboles du nationalisme. State of sera remis en scène pour le finissage de l’exposition en mars 2023 avec la Maison Carrée en arrière-plan.

« Ruines » s’inscrit dans une programmation qui depuis plusieurs années s’intéresse régulièrement à la performance et à la danse contemporaine. On se souvient des expositions consacrées à Anne Imhof en 2014, au magistral « A Differtent way to move – Minimal Art and Post-modern Dance » en 2017 et plus récemment aux propositions de Tarik Kiswanson (2020) ou de Emmanuelle Huynh et Jocelyn Cotencin (2021).

Celles et ceux qui portent intérêt aux prolongements chorégraphiques et performatifs de ce qui s’est construit au tournant des années 70 à New York trouveront de nombreux échos dans le travail de Gerard & Kelly. Aux influences de la danse minimaliste, ils combinent avec lucidité et discernement critique institutionnelle et théorie queer… Dans l’entretien déjà cité avec Lou Forster, Brennan Gerard souligne :

« (…) Nous avons travaillé avec Simone Forti, et une génération d’artistes qui créaient des outils pour générer des œuvres à partir de leurs corps et de l’espace. Mais cet héritage de Simone Forti, Yvonne Rainer, ou Yoko Ono, n’est pas seulement formel, il correspond aussi à une manière de vivre. Par exemple, les Dance Constructions de Forti étaient performées dans le loft dans lequel Yoko Ono habitait. Cette interpénétration du public et du privé était constitutive de leur manière de faire. En regard des années 1960, je pense que notre contribution consiste à montrer en quoi ces intersections propres à certaines pratiques chorégraphiques sont un lieu où se produisent des subjectivités queer ».

Malgré les contraintes imposées par l’architecture rigide de Norman Foster, Gerard & Kelly ont réussi à construire un projet passionnant qui impose un passage par Carré d’Art.

Un catalogue coédité par Mousse accompagne l’exposition, avec un essai de l’historienne de l’art Miwon Kwon et une conversation entre Lou Forster et les artistes. Parution prévu pour le début du mois de décembre.

En savoir plus :
Sur le site de Carré d’Art
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Sur le site de Gerard & Kelly
Gerard & Kelly sur le site de la Marian Goodman Gallery
À lire l’entretien de Gerard & Kelly avec Lou Forster sur le site choregraphie.hypotheses.org
À lire « I Remember » : Gerard & Kelly, un texte de David Everitt Howe, curateur à Pioneer Works
À lire « Modern Lives, Modern Loves: Gerard & Kelly’s Schindler/Glass » un essai de Mimi Cheng dans The Avery Review

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