Jusqu’au 5 mai 2024, le Musée Fabre présente « Toni Grand, morceaux d’une chose possible » une remarquable exposition qui rend enfin un hommage très attendu au sculpteur Toni Grand. L’ambition affirmée du projet était de proposer une (re)découverte de cet acteur majeur de la sculpture contemporaine, figure un peu oubliée, dont le travail a été trop peu montré ces dernières années.
Cet objectif est pleinement atteint. Nul doute que cette proposition comblera celles et ceux qui connaissent le travail de Toni Grand en leur offrant une relecture passionnante de l’œuvre. « Toni Grand, morceaux d’une chose possible » étonnera et captivera très certainement les amateurs·rices d’art contemporain et nombre de jeunes artistes qui ignoreraient son travail…
En réunissant près de soixante-dix œuvres, le parcours de l’exposition s’inscrit dans une superbe scénographie à la fois sobre et très élégante imaginée par le Studio Matters qui avait notamment signé pour le Musée Fabre la conception des expositions « Bacon/Nauman », « Picasso, Donner à voir ». Pour « Toni Grand, morceaux d’une chose possible », Floriane Pic et Joris Lipsch ont pris le parti de « structurer l’espace avec seulement deux cimaises, dont une grande en courbe, sans rupture franche » avec la volonté de « créer de grands espaces rassemblant les œuvres dans la plus grande liberté ». Les deux scénographes confient avoir été inspirés par « des photographies, mémoire d’un atelier jonché de grandes œuvres au sol, parfois posées contre le mur, parfois superposées… »
Le parcours s’articule en quatre séquences qui s’enchaînent avec fluidité. Elles reviennent sur les moments qui ont marqué la carrière de Toni Grand.
• Du bricolage sans importance
• Le double-jeu de la sculpture
• Le vivant et le fossilisé…
• Dénaturer l’art – Couleur, géométrie, éléments industriels
Ponctué de quelques citations éclairantes du sculpteur et de grands tirages photographiques particulièrement bien choisis dont plusieurs portraits de François Lagarde, l’accrochage, très bien construit, respecte au mieux l’esprit avec lequel Toni Grand avait souhaité de montrer ses œuvres.
Une très intéressante sélection de dessins, sans aucun rapport avec l’œuvre sculptée, jalonnent les quatre sections du parcours et illustrent l’étonnante créativité de l’artiste.
Chaque séquence est introduite par un texte qui rappelle le contexte dans lequel les œuvres exposées ont été réalisées et qui souligne les matériaux et les espaces auxquels Toni Grand avait choisi de se confronter. Certaines œuvres clés sont accompagnées d’un cartel développé qui ajoute quelques repères utiles.
L’accrochage joue habilement avec quelques changements de rythme, en évitant toutefois toute perspective théâtrale.
L’exposition bénéficie, comme toujours au musée Fabre, d’une mise en lumière précise et rigoureuse qui valorise parfaitement les sculptures de Toni Grand.
« Toni Grand, morceaux d’une chose possible » s’imposait avec évidence et à plusieurs titres comme un projet incontournable au Musée Fabre.
Né en 1935 à Gallargues dans le Gard, Toni Grand rencontre Claude Viallat à l’école élémentaire avec lequel il restera en relation. Après un bref passage par l’École des Beaux-Arts de Montpellier, il rejoint l’ENSBA de Paris où il se forme dans différents ateliers. Son travail est très vite exposé, notamment à la Biennale de Paris de 1967 où il présente un ensemble de Prélèvements, dont l’une des pièces était intitulée Morceau d’une chose possible…
Compagnon de route du mouvement Supports/Surfaces au début des années 1970, il participe à la dernière exposition du groupe à Nice, en juin 1971. S’il a toujours voulu manifester ses distances avec Supports/Surfaces (« Je ne suis que tangent au groupe »), Toni Grand a toutefois été marqué par l’importance que le mouvement accordait aux éléments matériels de la peinture.
Le Musée Fabre a consacré de nombreuses expositions aux acteurs et aux artistes liés au mouvement Supports/Surfaces, depuis les rétrospectives Claude Viallat, Vincent Bioulès, ou encore François Rouan en passant par les multiples propositions au « fil des collections » comme en témoigne actuellement l’exposition « Christian Jaccard, une collection » et le souvenir des projets dédiés à Dominique Gauthier, André-Pierre Arnal, Stéphane Bordarier, Pierre Buraglio, Daniel Dezeuze, Alain Clément…
La perspective d’une importante exposition Toni Grand à Montpellier ne pouvait plus attendre. En effet, le sculpteur n’a pas connu de rétrospective depuis celle de 2013 au MAMCO de Genève et la dernière exposition d’envergure en France remonte à l’hommage qui lui avait été rendu au [mac] musée d’art contemporain de Marseille, en 2007, deux ans après sa mort.
À gauche : Toni Grand, Nature et artefact, Mamco Genève 2013. À droite : Toni Grand [mac] Marseille © Musées de Marseille
Sous le commissaire général de Michel Hilaire, directeur du musée Fabre, Olivier Kaeppelin, écrivain et critique d’art et Maud Marron-Wojewodzki, responsable des collections modernes et contemporaines du musée Fabre assurent le commissaire scientifique de « Toni Grand, morceaux d’une chose possible ».
L’exposition est accompagnée par une excellente et indispensable monographie de 200 pages publiée aux éditions Snoeck. Sous la direction de Maud Marron-Wojewodzki et Olivier Kaeppelin, l’ouvrage reproduit les œuvres exposées et rassemble cinq essais passionnants qui enrichissent notablement la visite de l’exposition : « Le silence de Toni Grand », par Déborah Laks, docteure en histoire de l’art, chargée de recherche au CNRS ; « Oubli, calme, surprise, disait Toni Grand » par Olivier Kaeppelin, écrivain, commissaire d’exposition ; « Toni Grand, l’œuvre en présence » par Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice du patrimoine, responsable des collections modernes et contemporaines au musée Fabre ; « de la Réparation aux Points de suspension » par Alfred Pacquement, conservateur général honoraire du patrimoine ; « Les grandes œuvres font le vide autour d’elles » par Eric Fabre, collectionneur.
La monographie réunit également des entretiens de Toni Grand avec Bernard Ceysson, Yves Michaud, Catherine David, Alfred Pacquement et Dominique David, une sélection de textes sur Toni Grand de Yves Michaud, Dominique Bozo, Richard Deacon. Elle est complétée par une importante chronologie établie par Barbara Gaviria et une très riche bibliographie.
Cette publication est à la mémoire d’Amélie Grand, Michel Enrici, Didier Larnac et Patrick Saytour.
Julia Grand, Marie-Caroline Allaire-Matte et l’Association Toni Grand ont apporté une participation active à la réalisation de l’ouvrage et à la conception de l’exposition.
Les œuvres exposées ont été prêtées par Collection départementale d’art contemporain de la Seine–Saint-Denis de Bobigny, le CAPC, musée d’Art contemporain de Bordeaux, le Frac Pays de la Loire, le Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine, Frac Sud, Frac Occitanie Montpellier, le [mac] musée d’Art contemporain de Marseille, l’Association Mémoires d’éléphants de Nantes, le Musée d’arts de Nantes, Carré d’Art, musée d’Art contemporain de Nîmes, le Centre Pompidou, Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, le Centre national des arts plastiques, la Collection Quasar de Saint-André-de-Cubzac, le musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, es Abattoirs, musée-Frac Occitanie Toulouse, le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, les collectionneurs et galeristes Loïc Bénétière, François Ceysson, Béatrice et Christian Chomel, Françoise Cologan, Isabelle Enrici, Éric Fabre, Julia Grand et Claude Viallat et des prêteurs particuliers qui ont souhaité rester anonymes.
La visite de « Toni Grand, morceaux d’une chose possible » est naturellement incontournable.
À lire, ci-dessous, la présentation des quatre séquences de « Toni Grand, morceaux d’une chose possible » et quelques repères biographiques extraits du dossier de presse.
En savoir plus :
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Nombreuses informations sur Toni Grand à consulter sur le site One Arty Minute
Les œuvres de Toni Grand dans les collections publiques d’art contemporain en France sur Videomuseum
« Toni Grand, morceaux d’une chose possible » – Parcours de l’exposition
« Du bricolage sans importance »
S’inscrivant dans le registre d’une sculpture minimale, Toni Grand débute sa carrière dans les années 1960 par des structures en plomb, en polyester et en acier suspendues dans l’espace. Puis, à partir de 1967, et jusqu’en 1975, il travaille exclusivement le bois, installé dès lors dans son atelier au Mas du Mouton, à Mouriès, près d’Arles. Il y élabore une lecture déconstructive de la sculpture traditionnelle, à l’instar de la mise à nu des éléments picturaux orchestrée par les membres du groupe Supports/Surfaces, né dans le Midi de la France, et partie prenante du contexte intellectuel et artistique issu de Mai 68. Toni Grand fréquente les figures de ce mouvement, Claude Viallat notamment, qu’il connaît depuis l’enfance, et participe avec eux à la dernière exposition du groupe, au Théâtre municipal de Nice, en juin 1971.
Toni Grand – Sec, brut, débit entier – glissé – collé, 1970-1975, bois, colle, colorant (rouge de pujols), 170 x 40 x 24 cm, Bruxelles, Collection Éric Fabre.
Toni Grand – Vert, équarri, refente partielle, 1970-1975, bois, 153 x 43 x 23 cm, Bruxelles, Collection Éric Fabre.
Toni Grand – Sec, une refente entière – collé avec entretoises plus une refente entière – collé avec entretoises – équarri, 1975, trois éléments : 291 × 12 × 11 cm, 292 × 32 x 22 cm et 208 × 9 × 15 cm, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole, inv. 2002.19.1
Toni Grand travaille alors à partir de chutes de bois prélevées dans le petit bois qui jouxte sa propriété. Bien que caractérisée par une économie de moyens et un dépouillement certain, sa sculpture n’en est pas moins virtuose du fait de sa maîtrise technique du bois (refentes parallèles, écorçages, équarrissages, torsion et collage), créant des lignes courbes et sensuelles, d’une grande légèreté. Les œuvres de cette période, nommées d’après la matière utilisée et les actions opérées sur elles, conservent l’idée et l’énergie d’un mouvement naturel, tout en créant des tensions entre la brutalité du matériau et la complexité des techniques employées. Dotées d’une forte dimension critique et politique, ses œuvres s’opposent aux objets de consommation courante en ce qu’elles échappent à notre désir de manipulation, voire même à notre compréhension. Il s’agit davantage d’une pratique proche du bricolage, au sens où Claude Lévi-Strauss l’évoquait dans La pensée sauvage, en 1962, portées par le désir de l’artiste de recommencer l’art sur de nouveaux fondements, de « repartir à zéro ».
Le double-jeu de la sculpture
La sensation de présence qu’offrent les sculptures de Toni Grand existe non seulement visuellement mais également physiquement, entretenant une forte et insondable relation au corps. En 1976, lors d’une exposition à la galerie Albert Baronian à Bruxelles, l’artiste présente pour la première fois des sculptures de bois flottés enrobés de résine, posées au sol et toujours regroupées par deux : elles ont la force de corps saisis dans leur immobilité. La résine vient recouvrir l’objet, entre opacité et transparence. L’association de celle-ci avec le bois sublime les contrastes des deux matériaux, à la fois dur et mou, creux et plein, lisse et brut, exacerbant les tensions entre la surface et le noyau, tel un affrontement de forces incompatibles.
À partir des années 1980, et notamment en 1982 dans le cadre de sa participation à la Biennale de Venise, aux côtés de Simon Hantaï, pour le pavillon français, Toni Grand conçoit un certain nombre de colonnes doubles, à partir de troncs d’arbre sciés en deux. Mêlées à de la résine, les colonnes entament un dialogue muet tout en renouvelant de manière inédite les règles de la sculpture. Jouant sur l’opposition des matières, le demi-tronc est moulé en stratifié polyester : l’artiste obtient une matrice qu’il accole à son double de bois préalablement évidé, créant une forme de corps à corps qui se déploie jusque dans le rapport crée avec le spectateur. La référence à la colonne n’est en effet pas étrangère à l’échelle humaine, qu’entretient tout particulièrement le travail de Toni Grand, y introduisant par ailleurs des effets d’instabilité. Dans cette optique, l’artiste ne cesse d’explorer les différentes voies entre verticalité et horizontalité, entre maintien et anéantissement, entre monument et ruine, entre attirance et répulsion. De la légèreté du bois, l’œuvre de Toni Grand devient de plus en plus massive et impossible à saisir.
Le vivant et le fossilisé…
Dès la fin des années 1970, Toni Grand explore de nouveaux matériaux, tel le polyester stratifié, la pierre, l’os, et la résine, dans laquelle il fige également des poissons, qu’il qualifie de « premier degré du réel », reliant ainsi la forme de la sculpture aux problématiques de l’organique et du vivant, alliant l’artificiel au naturel, le construit au fluide : « Les poissons, ce sont des morceaux du monde. C’est une autre partie du monde réel qui est convoquée. C’est un matériau sans valeur, sans détail ni histoire. Mais je reconnais que c’est incongru de faire entrer des matériaux comme le poisson dans la sculpture. C’est la première fois qu’on met au même niveau le poisson et la pierre ». Poissons, squelette bovin, os de chevaux, sont autant de prélèvements d’un paysage et des cultures de Camargue qui ont nourri le vécu et l’imaginaire de l’artiste et qui participent, pour reprendre l’expression de l’historien de l’art Dominique Bozo, d’une « pesanteur qui adhère à la terre ».
L’assemblage et le modelage de résines synthétiques, jouant sur les effets de transparence et de lumière, révèlent la matière organique qu’elles enrobent. Toni Grand utilise du polyester qu’il peut modeler librement, s’intéressant à la viscosité du matériau qui instaure une forme imprécise, proche de l’image qu’elle contient. Les matériaux organiques se mêlent au minéral et aux matières artificielles, dans une forme de fossilisation du vivant, et interrogent le spectateur sur ce qui est dissimulé et ce qui est visible. Telle une momification, la résine, évocation dérangeante d’un aspect quasi-charnel, semble devenir la peau de la sculpture tout en mettant en lumière la recherche et l’importance du mouvement chez l’artiste, qui tente d’évoquer, à travers ses œuvres, « un moment de décomposition qui dure ».
Dénaturer l’art.
Couleur, géométrie, éléments industriels
À partir de 1987, Toni Grand renoue avec des formes géométriques, le cube, le triangle, ou le parallélépipède qui présentent des inclusions de poissons. L’œuvre est comme dessinée, formant une structure cubique ou linéaire grâce aux corps des anguilles, enrobées dans la résine. Elle semble aller à l’encontre du mouvement naturel et témoigne plus globalement d’une indifférence affichée vis-à-vis des lois qui gouvernent la nature qui semble entrer dans une relation paradoxale avec la beauté mathématique dont l’artiste revendique la dimension d’artifice.
Parallèlement au recours à la géométrie, Toni Grand s’intéresse à la couleur, à la fois comme maquillage, enrobage, et dématérialisation du bois, qu’elle pénètre ou reste en surface. Ainsi que l’artiste le souligne lui-même, « la couleur ruine, on s’attend à trouver les choses en bonne santé, mais il y a un désarroi, une fuite, une dissolution ; ça fout le camp dans la main ».
Au cours des années 1990, au terme des expérimentations sur l’organique et le synthétique, Toni Grand renoue avec le bois, matériau de prédilection de ses débuts. Le bois est découpé à la scie à ruban en fines lamelles, mises bout à bout, en boucles fermées. Par le recours à des outils industriels, il poursuit sa tentative de dénaturalisation du matériau. Toni Grand choisi de démêler la tension entre l’artisanat et l’industrie : avec Genie Superlift Advantage, il assemble un lève-charge à un amas de bois sculpté peint enchevêtré, empruntant certains aspects au ready-made duchampien. Le bois est travaillé selon ses méthodes et ses techniques propres, formant un nuage, tandis que le monte-charge élève la sculpture, et se confond avec elle. Cette voie esquissée à la fin de la vie du sculpteur, mort prématurément, laisse deviner les nouvelles recherches et développements qu’auraient pu connaître son art au tournant du XXIe siècle.
Repères biographiques
1935 : Naissance d’Antoine Grand à Grand-Gallargues (Gard).
Son père Maurice Grand, exploitant agricole, et sa mère Augusta Warnery, qui le surnomme affectueusement Toni, ont trois enfants : Jean-Marc,Toni, et Marcel.
Toni passe son enfance en Camargue, région à laquelle il reste très attaché toute sa vie.
1942-1953 : Études à Aigues-Vives, à la maison Armengaud, établissement qui accueille des enfants de toute origine sociale depuis la Seconde Guerre mondiale. On y délivre un enseignement d’avant-garde. Toni Grand, qui s’y rend à cheval, y rencontre Claude Viallat. Cette pédagogie leur apprend une certaine idée de la liberté.
Adolescent, Toni Grand fabrique des objets en bois et en fer, matériau qu’il apprend à manier à la forge de Christian Genoyer, un de ses amis de Lunel.
1954-1955 : Obtient son baccalauréat et fait une année d’études de philosophie à la faculté de lettres modernes à Montpellier.
Cette brève formation littéraire développe chez lui une grande curiosité intellectuelle et un intérêt particulier pour la philosophie.
Obtient le diplôme de maître berger à la bergerie nationale de Rambouillet.
1956-1957 : Suit l’enseignement à l’École des beaux-arts de la ville de Montpellier.
1957 : Rencontre de Lyliane Vasseur, sa future femme, au restaurant étudiant de l’Assemblée générale.
Les présentations sont faites par Jean Chapot, camarade de Lyliane, qui lui dit :
« Tu vois ce garçon, là-bas ? […]
– Le bouclé ?
– Le bouclé, c’est un drôle de type, je suis allé dans son mas en Camargue […], il vit là avec les chevaux et les taureaux, une forge, une guitare, il joue du flamenco, il ne parle pas beaucoup, je te le présente ? »
Homme discret, la musique est pour Toni Grand un moyen d’expression. Les airs espagnols et notamment les soleares du (mot soléa, solitude), font partie de son répertoire à la guitare.
1958-1960 : Pratique de la sculpture en Algérie, dont la taille directe.
Vingt-sept mois de service militaire au sud du Constantinois. Demande à quitter les commandos qui appliquaient la torture et dans lesquels il est, dans un premier temps, intégré. Le séjour algérien est une expérience éprouvante, un grand mutisme planera autour de cette période de sa vie.
1960 : Retour en France avec son cheval Tout seul, anglo-arabe bai brun.
Installation au mas de Baraquet, près de Paradou : « Dedans, il y avait tout cassé […] Tout était blanc. Au premier, il y avait une salle de bain magique, qui donnait sur les rochers, elle sentait les pins, la lavande […], plus loin un atelier. Il vivait là, avec sa chienne, comme un prince avec très peu de moyens, mais des étagères bourrées de livres ».
1961 : Mariage avec Lyliane Vasseur qui devient Amélie Grand.
Installation au Mas du Mouton, ancien moulin à huile, à Mouriès.
1962 : Naissance de leur fille, Julia.
Partage sa vie entre la Provence et Paris où il est assistant dans l’atelier de la sculptrice hongroise Marta Pan (1923-2008).
Au Mas du Mouton, la journée débute à cinq heures du matin avec une promenade en voiture en haut des Alpilles ou du côté de la Camargue pour s’imprégner, en silence, de la beauté de la naissance du jour.
1965 : Aménagement de son atelier au sein de son mas et premières expositions collectives.
La visite du lieu, aux murs blanchis à la chaux, se fait toujours en silence.
Travaille le plomb, le polyester, l’acier inoxydable et la fonte d’aluminium.
1967 : Participation avec les Prélèvements, à la Ve Biennale de Paris et au Salon de la jeune sculpture, une année plus tard.
Ces sculptures aux formes abstraites en résine révèlent sa curiosité pour ce matériau.
1968 : Visite l’exposition « L’art du réel aux USA – 1948-1968 » au Grand Palais. Il y découvre le travail des artistes Américains (Robert Morris, Kenneth Noland, Donald Judd, Sol Lewitt, Moris Louis, David Smith, Carl Andre, Tony Smith, John McCracken).
1969 : Rencontre à Nice avec quelques membres du futur groupe Supports/Surfaces dont Bernard Pagès, Patrick Saytour et André Valensi.
Premier poste comme enseignant à Paris, à l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA).
Réalisation de maquettes architecturales en fil de fer. La plupart de ces villes filigranées en miniature sont détruites.
1970-1971 : Durant ces deux étés, expérimentation de dessins au ripolin noir (peinture industrielle) et goudron sur du papier Ingres. Les feuilles sont sculptées au cutter.
1971 : Participe à l’exposition du groupe Supports/Surfaces au théâtre municipal de Nice (15-20 juin).
« Je ne suis que tangent au groupe. […] À l’époque, j’avais des amis proches, Saytour, Viallat, Valensi, Pagès. Tous des gars du Sud, comme moi. Nous avions de longues conversations. J’ai été invité à participer à une exposition avec eux. La dernière. »
Le 14 juin, signature avec Noël Dolla, Patrick Saytour, Claude Viallat et André Valensi d’une lettre marquant la rupture avec le groupe.
Malgré cette distanciation, l’importance que Supports/Surfaces porte aux éléments matériels de la peinture laisse ses traces chez l’artiste : le bois – le cyprès, le platane, les arbres aux bois tendres prélevés dans le petit bois qui jouxte sa propriété – devient son support de prédilection jusqu’en 1975.
Ainsi, le vocabulaire quotidien du menuisier – équarrir, sécher, refendre, etc. – est transposé dans les titres des oeuvres du sculpteur.
1974 : Première exposition personnelle à la galerie Éric Fabre à Paris (3 mai – 2 juin).
1975 : Exposition personnelle à la galerie Le Flux, Perpignan (6 juin – 30 juin)
Participation à plusieurs expositions collectives en France et Outre-Atlantique.
1976 : Toni Grand intègre comme enseignant l’École d’art et d’architecture de Marseille et clôt son enseignement à l’ENSBA à Paris.
La pédagogie lui permet de questionner sa propre production. À cette époque, il termine la grande série de lignes courbes fermées comme des sortes de boucles bouclées, de sculptures qui « tournent en rond ».
Exposition personnelle à Bruxelles, à la galerie Albert Baronian (14 septembre – 30 octobre).
Toni Grand réintroduit la résine et expose, pour la première fois, des morceaux de bois recouverts entièrement de cette matière teintée de graphite.
La résine présente des dangers pour la santé : le mélange avec le durcisseur produit des vapeurs de colle nocives pour les voies respiratoires.
Voyage à New York.
1977 : Exposition personnelle à la galerie Athanor, Marseille (20 avril – 21 mai)
Participation à plusieurs expositions collectives à Milan, Bologne et, à la FIAC à Paris.
1979 : Voyage au Japon à l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Kom Wi de Tokyo. Visite le marché de la ville où les poissonniers débitent les thons.
Février 1979 : Participation à l’exposition collective de l’Université Toulouse-Le Mirail.
Exposition personnelle à la galerie Éric Fabre, Paris (3 mai – 2 juin).
1980 : Exécution pour la première fois de pièces qui prennent la forme de colonnes.
1981 : Exposition Toni Grand au cloître Saint-Trophime à Arles. Toni Grand conçoit un ensemble d’oeuvres de seize tonnes, premières pièces métalliques présentées depuis l’exposition « Supports/Surfaces » de 1971.
Après l’obtention d’une bourse, séjour d’un an aux États-Unis.
À son retour, Toni Grand est invité par Dominique Bozo pour représenter l’art français à la Biennale de Venise avec le peintre Simon Hantaï.
1982 : Biennale de Venise. Toni Grand expose dix « colonnes » (« cinq sculptures, chacune double »).
1983 : Expositions personnelles à l’ARCA, Marseille, et au musée Sainte-Croix de Poitiers, « Toni Grand, sculptures : 1982-1983 » (juin-juillet-août)
1984 : Entre 1984 et 1986, la pierre apparaît dans son oeuvre. La logistique matérielle dans l’atelier est complexe et nécessite de grues, tracteurs, poulies, poids et contrepoids pour transporter et ensuite recouvrir la pierre.
Participation à l’exposition « An international survey of recent painting and sculpture », au MoMA, New York, (17 mai – 19 août)
1985 : Réalisation de Cheval majeur [Hommage à Duchamp-Villon], oeuvre pour laquelle Toni Grand utilise des ossements de cheval enveloppés de résine ambrée. Il revisite le thème de la sculpture équestre et fait écho au travail de Bruce Nauman, Maurizio Cattelan ou encore Damien Hirst.
Réalisation la même année du trophée pour la course camarguaise qui ouvre la Feria de Pentecôte à Nîmes.
Participation à des expositions collectives en Espagne et en France.
1986 : Exposition « Toni Grand » (3 juin – 24 août) au Centre Georges-Pompidou.
Enseignement à l’École des beaux-arts de Nîmes.
Grand Prix national de sculpture.
1987 : Tournant dans son oeuvre. Brisée par son propriétaire La Réparation (1974) est restaurée avec une anguille recouverte de résine.
Le sculpteur récupère ces poissons auprès des pêcheurs, autour de son lieu de vie, au sud des Alpilles ou autour de la ville d’Arles.
Enseignement à l’ENSBA. Il y reste jusqu’en 1993.
1989 : Édition de son premier livre d’artiste, Dragon’s Blood qu’il réalise en collaboration avec l’écrivain John Yau.
L’oeuvre Sans titre, 3.09.89 inaugure une nouvelle période de son art avec l’emploi d’objets manufacturés (tréteaux). Ce travail préfigure les installations de sa dernière période.
Exposition personnelle au musée Rodin, Paris (27 juin – 17 septembre)
1990 : Le poisson devient une unité de mesure qui va se déployer de différentes manières, du cube isolé à la multiplication de cette forme géométrique dans l’espace.
La présentation de l’oeuvre de Toni Grand à l’étranger se poursuit à la XLIVe Biennale de Venise, à la Fondation Peggy Guggenheim, Venise (27 mai – 30 décembre) puis à Düsseldorf dans « Autour de 1968, utopies concrètes dans l’art et la société », Kunsthalle (27 mai – 8 juillet).
Remontée de l’Amazone, le plus grand fleuve de la Guyane française.
1991 : Utilisation d’outils industriels tels que des vérins hydrauliques avec des anguilles et des bouteilles de gaz pour Genies Industries, Washington.
Exposition personnelle au musée des Beaux-Arts de Nantes (14 juin – 15 septembre). Il y expose pour la première fois les dessins exécutés dans les années 1970-1971 associés à une sculpture de vingt-trois mètres de longueur (détruite à la fin de l’exposition) et à des bandes adhésives collées sur les murs.
Toni Grand et John Yau réalisent à quatre mains Flee Advice, exemplaire manuscrit unique.
Parution de Chroniques, ouvrage qui associe son travail aux poèmes en prose de Claude Minière. Une résine teintée de rouge vif, versée sur l’ensemble des feuilles, sert de reliure.
1992 : Légion d’honneur. Comme pour toutes les distinctions qui lui sont proposées, il ne se la fait jamais remettre.
1993 : Exposition au musée d’Art moderne de Céret. Pour l’inauguration du nouveau bâtiment est exposée Du simple au double, oeuvre monumentale composée de dix-sept éléments.
Pour son exposition « Toni Grand : Sandwich dans le train » à la galerie Alain Veinstein est publié un texte de sa main : Bas étage n°5, Carnets de la galerie Alain Veinstein, mai 1993, Paris, Châtillon-sur-Bagneux.
1994 : Responsable jusqu’en 2000 du post-diplôme à l’École des beaux-arts de Marseille.
Vers 1996 : Toni Grand quitte le Mas du Mouton et s’installe au Mas de la Reyne où il n’a pas d’atelier. Avant le déménagement, il détruit les oeuvres stockées dans la remise agricole du Mas du Mouton « pour n’avoir plus à y penser ».
1997 : Participation à l’exposition du 20e anniversaire du Centre Georges-Pompidou et du 50e anniversaire du musée national d’Art moderne, « Made in France 1947-1997 – 50 ans de création en France » (30 janvier – 24 mars).
1998 : Exposition personnelle à l’École des beaux-arts au Mans.
1999 : Médaille de Chevalier du Mérite.
2000 : Présentation de ses dernières sculptures à Chicago pour l’exposition « Toni Grand at the Renaissance Society » (12 novembre – 24 décembre).
L’utilisation d’objets industriels pour l’oeuvre exposée Genie Superlift Advantage, le rapproche du ready-made : sur un lève-charge, l’artiste renoue avec les lignes courbes en bois fermées qu’il y dispose comme un nuage.
2001 : Exposition personnelle à la galerie Arlogos, Paris, France.
Officier des arts et des Lettres.
2005 : Son état de santé se dégrade, les effets du formol et de la résine sont néfastes.
Le 29 novembre, Toni Grand décède à Mouriès. Il y est enterré près des cyprès, endroit qu’il aurait indiqué à Michel Enrici lors de leur dernière rencontre au Mas de la Reyne ainsi : « C’est le tombeau de la famille. Quand je mourrai, il suffira de me mettre dans une brouette et de me porter de l’autre côté. »
2013-2014 : Rétrospective au MAMCO de Genève, « Toni Grand, Nature et Artefact » (16 octobre – 12 janvier). Le succès de cette manifestation encourage l’idée de la réalisation d’un catalogue raisonné.
2015 : Dix années après la disparition de l’artiste, sur l’impulsion d’Amélie Grand, de Julia Grand et de Didier Larnac, naissance de l’Association Toni Grand, dédiée à la valorisation de l’oeuvre du sculpteur.
2018 : Sortie du disque d’Amélie Grand avec la chanson « Les yeux gris », portrait de Toni Grand (Studio sous les étoiles).
2021 : « Pas de deux avec Toni », Katinka Bock, Printemps de Septembre, Les Jacobins, Toulouse (17 septembre – 17 octobre).