Jusqu’au 28 septembre prochain, le MO.CO. Panacée accueille Jean-Marie Appriou. Avec une grande attention portée aux espaces, l’artiste propose un voyage singulier et fascinant vers « La cinquième essence ». À travers les quatre éléments – l’eau, la terre, l’air et le feu -, ses sculptures et quelques gravures nous amènent vers l’éther, cette matière invisible et immatérielle qu’il décrit comme « cette sorte de quintessence que l’on essaie de trouver dans le travail artistique, une connexion avec un indicible qui nous porte vers une pensée, vers autre chose que la matière ». Après avoir rappelé que l’eau, la terre et l’air se combinent dans sa pratique autour du feu (céramique, fonderie, verre), il précise : « la sculpture, ce n’est pas simplement de la matière, elle porte un message… »
Dans un entretien avec Numa Hambursin, co-commissaire de l’exposition avec Caroline Chabrand, Jean-Marie Appriou explique avoir été attentif au lieu et à son histoire, qu’il perçoit comme « un endroit de déambulation et de réflexion ». Il ajoute : « J’ai voulu travailler sur l’alchimie, sur les éléments et sur cette cinquième essence, car ce furent des questions étudiées en ces murs » qui ont abrité l’école de médecine puis l’école de pharmacie. Il dit avoir pensé l’exposition « comme un fleuve, une déambulation circulaire ». Il mentionne également L’Incal, la bande dessinée de science-fiction scénarisée par Alejandro Jodorowsky et dessinée par Mœbius, dont l’intrigue est construite autour de notions d’alchimie. Dans cette série, publiée entre 1981 et 1988, les deux derniers volumes portent le titre « La cinquième essence ».
Le voyage que nous propose Jean-Marie Appriou se déroule en cinq étapes – l’eau, la terre, l’air, l’ether et le feu, chaque espace de La Panacée entrant en résonance avec un élément. Cette traversée, à la fois sensorielle et symbolique, invite à explorer un univers en transformation, peuplé de formes entre lambeaux de rêves et fragments d’un cérémonial.
Certaines œuvres, comme les trois Caves of Time (2018) présentées dès le début, sont pour l’artiste « des éléments de passage vers d’autres imaginaires, des éléments poreux ». Appriou évoque « un jeu de création de potentielles histoires à travers les œuvres qui dialoguent entre elles »…
Jean-Marie Appriou s’impose aujourd’hui comme un des sculpteurs majeurs de sa génération.
Dans la région, on se souvient de sa présence en 2022 à la Fondation Vincent van Gogh Arles dans « Souffler de son souffle » où son Sonneur (2021), produit pour l’exposition ouvrait le parcours en compagnie de deux toiles libres de Vivian Suter. L’année suivante, il clôturait « Van Gogh et les Étoiles » avec Nebula Watcher (2024) qui représentait Van Gogh en astronaute ou psychonaute, immergé dans le ciel ou dans ses pensées – une œuvre proche de The Keeper (Gravity), qui conclut « La cinquième essence ». On a aussi pu voir ses sculptures à la Villa Datris dans « Bêtes de scène » et « Faire corps », ainsi qu’à Marseille à plusieurs reprises.
On se souvient également de son serpent en fonte d’aluminium et de ses papillons de nuit en verre dans la mémorable exposition « Possédé·e·s » à la Panacée qui avait fortement marqué l’automne 2020 et le premier confinement à Montpellier. À cette occasion, Pedro Morais écrivait dans le catalogue : « Il y a du romantisme chez Appriou, une croyance dans la capacité des artistes à proposer des mondes parallèles, proche de William Blake. Agissant en alchimiste, il croit en la possibilité de donner forme et pouvoir à l’intuition, aux sursauts émotionnels, au frisson érotique, avec des bouts de terre ou de métal. Chez Jean-Marie Appriou, le désordre halluciné du monde habite la matière ».
Parmi les nombreuses expositions personnelles de Jean-Marie Appriou ces dernières années, « La cinquième essence » restera certainement comme un moment d’exception.
L’expérience qu’elle propose impose de toute évidence un passage par La Panacée.
Un catalogue accompagnera l’exposition, réunissant des textes de Donatien Grau, de Caroline Chabrand et un entretien entre l’artiste et Numa Hambursin.
Deux tiers des œuvres ont été produites avec le soutien du MO.CO. Les autres proviennent de prêts de la Fondation Vuitton, Jan Kaps, et des galeries Massimo De Carlo, Perrotin et Eva Presenhuber. L’exposition bénéficie également du mécénat de la galerie Perrotin et de TANK Shanghai, qui accueillera « La cinquième essence » en novembre 2025.
À lire, ci-dessous, quelques regards sur le parcours de l’exposition. Les commentaires reprennent largement les propos tenus par Jean-Marie Appriou lors de la visite de presse. Celles et ceux qui n’ont pas encore découvert l’exposition et qui projettent de passer à La Panacée, préféreront sans doute éviter cette lecture avant leur visite…
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Jean-Marie Appriou sur les sites des galeries Perrotin, Massimo De Carlo et Eva Presenhuber.
Jean-Marie Appriou – « La cinquième essence » : Regards sur l’exposition
Le parcours commence avec des lucioles que l’on retrouve dans toutes les coursives. Elles renvoient à l’élément Feu, qui clôt l’exposition dans le patio. Réalisées en bronze patiné et en verre phosphorescent, elles se chargent à la lumière du soleil et s’illuminent la nuit, acquérant leur propre présence. Elles évoquent peut-être la transmutation de la matière et rappellent les recherches sur le phosphore qui ont pu exister à La Panacée.
Eau
La première aile de l’ancien Collège royal de médecine est consacrée à l’Eau, un élément récurrent dans la pratique de Jean-Marie Appriou, qui a grandi près de l’océan, à Brest et pour qui la mer est quelque chose de primordial.
Le voyage débute avec The Vessel of Life (2025), un bateau en aluminium appuyé sur ses rames, comme suspendu dans l’air. Un personnage de bronze, tourné vers l’horizon, nous engage à le suivre. « La barque est un sujet récurrent dans mon travail », précise l’artiste. « Elles sont inspirées des barques solaires que les Égyptiens mettaient dans les tombes pour accompagner le défunt dans sa course dans l’au-delà ». À l’invitation d’Art D’Égypte, il avait présenté en novembre dernier une première et impressionnante version de cette œuvre sur le plateau de Gizeh devant les pyramides. Réalisée avec deux tonnes d’argile du Nil, cette sculpture éphémère était destinée à disparaître, elle devait, selon l’artiste, « repartir au désert ». Elle ressurgit aujourd’hui à Montpellier, produite avec le soutien du MO.CO., qui a contribué à la réalisation de deux tiers des 52 œuvres exposées.
Dans la première salle, ce vaisseau nous embarque pour une navigation où il faut faire face aux déferlantes (Ressac, 2025). Sans doute doit-on aussi être attentif aux mystères et aux enchantements que recèlent deux grottes (The Cave of Time (Mythologique) et The Cave of Time (Mystique), 2018).
Parmi les stalactites et les stalagmites, des mains apparaissent. Pour Appriou, elles rendent hommage « aux premiers artistes qui peignaient dans les grottes préhistoriques ». Ces cavernes constituent aussi des points de passage vers « des univers parallèles de l’artiste, entre histoire des arts, mythes fondateurs et science-fiction ».
Au fond de ce premier espace, The Lighthouse Watcher (2025), gardien du phare qui pourrait être celui d’Alexandrie, semble nous guider vers la terre. Il faut sans doute laisser sur tribord cette balise verte pour entrer dans le port.
Dans la seconde salle, une troisième grotte (The Cave of Time (Tectonique), 2018) sépare deux reliefs. À droite, Event Horizon (Primordial Vessel), un grand bas-relief en aluminium était présent l’automne dernier dans l’exposition « Exonaut horizon » chez Perrotin à Paris.
On y voit une barque où des « exonauts » aux corps de chrysalides semblent rejoindre la rive. Autour d’eux, des coquillages et un chou romanesco, allégories de l’indéfiniment grand dans l’infiniment petit, des formes dans les formes, témoignent de la fascination de l’artiste pour le nombre d’or, le corps des nombres complexes et plus largement pour l’alchimie des nombres…
La partie supérieure du relief a été sculptée en argile à l’atelier avant un tirage en fonte d’aluminium. À la fonderie, celui a été moulé dans du sable pour obtenir un tirage en négatif. La superposition fait apparaître une ligne d’horizon et un reflet abstrait dans l’eau.
Pour Appriou, ce relief « pose aussi des questions de sculpture : le plein, le vide, l’espace entre les entre les corps et comment on utilise tout le processus de la fonderie pour révéler une pensée de la sculpture »…
En face, dans un second bas-relief de même facture, produit pour l’exposition, deux silhouettes en relief et un masque en négatif paraissent confirmer l’accostage vers un rivage accueillant. L’artiste commente : « C’est un peu comme si ces personnages arrivent sur un bout de rocher, commencent à faire société et à s’organiser… En commençant par l’eau, on parle aussi de l’origine de la vie. Nous avons tous été des poissons à une époque, on a évolué après être sortis de l’eau. Il y a ici l’idée du passage de l’eau à la terre. C’est pour ça que la suite du parcours se construit autour de l’élément Terre ».
Cette transition se prolonge avec Ascendant Goemon (2025), dans la dernière salle de la première aile. Cette sculpture, évoquant un rosier issu d’algues marines, résume pour Appriou une « généalogie du monde végétal ». Il explique : « Tous les arbres sur terre ont commencé à être des algues. La végétation trouve son origine dans les océans avant de coloniser les terres émergées avec des mousses, des lichens, des fougères puis des arbres ». La rose, figure centrale de la pièce, symbolise cette « quintessence », une des fleurs les plus symboliques et sacrées dans nos sociétés.
L’œuvre est accompagnée d’un scarabée, référence au dieu égyptien Khépri, symbole de la renaissance du Soleil. La pelote que ce bousier sacré fait rouler jusqu’à son terrier était associée par les anciens Égyptiens à la course du soleil et aux cycles cosmiques… Ici, il nourrit la plante et ouvre la voie vers la suite du parcours.
Terre
« Cette œuvre de 2018, Crossing the Parallel Worlds, que la Fondation Louis Vuitton a acquise, évoque la terre nourricière, l’agriculture, la sédentarité et la formation des sociétés. Le maïs y joue un rôle central : c’est une plante essentielle dans de nombreuses civilisations, parfois même sacralisée. Il y a aussi un souvenir personnel : enfant, je courais avec mes frères dans des champs de maïs, on passait d’un “monde” à un autre, on se perdait, on n’avait pour repère que le son, et non la vue ».
« Pour moi, la terre représente aussi l’organisation sociale : l’agriculture a permis aux sociétés de se sédentariser, de se structurer et de se développer, comme en Mésopotamie. Avec cette œuvre, j’ai voulu construire une sorte de champ, presque comme un paravent. Le fait de pouvoir la présenter ici à nouveau, en lien avec d’autres pièces récentes, permet de la remettre en perspective et de créer un dialogue. »
« Les Mitoses solaires, produites pour l’exposition, prolongent cette réflexion. Il s’agit de grands tournesols dont les visages apparaissent comme des germinations, des formes issues d’une mitose. Nous avons tous été une cellule qui se divise : une devient deux, puis quatre, puis huit, et ainsi de suite, jusqu’à former nos corps. Cette figure de la division, du dédoublement, est récurrente dans le travail de Jean-Marie : elle interroge l’origine, la vie, et cette mystérieuse impulsion première qui fait qu’une cellule se divise et que la vie prend forme. »
Dans la deuxième salle consacrée à la Terre, Jean-Marie Appriou poursuit la réflexion entamée dans la première. Il évoque la manière dont les humains font société, mais cette fois à travers des personnages dont les yeux sont recouverts de disques, comme les pièces que les Grecs ou les Romains plaçaient sur les yeux des morts pour le passage vers l’au-delà.
Dans The Breath of the Suns, on perçoit cette idée d’un souffle ou d’une force qui a couché le maïs, évoquant à la fois la moisson et un possible cataclysme. cette œuvre dialogue avec d’autres figures, dont les lunettes à double focale rappellent les instruments d’observation spatiale.
Avec The Orphans of the Sun (Equinox) et The Orphans of the Sun (Eclipse), ces disques deviennent aussi des lunettes, suggérant que ces figures pourraient observer une éclipse, un essai nucléaire ou un autre phénomène lumineux extrême.
L’artiste explique son intérêt pour la recherche scientifique, notamment l’astronomie contemporaine : les télescopes Hubble et James Webb qui découvrent régulièrement de nouvelles exoplanètes, et la quête des origines de la vie sur Terre, possiblement née dans une « soupe primitive » ou près de cheminées hydrothermales au fond des océans. Pour lui, ces questions sont étroitement liées à la recherche artistique.
Appriou se nourrit à la fois de références à l’Égypte ancienne, à la sculpture de la Renaissance italienne et aux avancées spatiales actuelles. Il voit dans la contemplation du ciel une manière d’interroger notre propre existence. Autrefois, l’horizon à explorer était celui de l’océan ; aujourd’hui, il s’étend vers l’espace. Ce geste de lever la tête vers le ciel amorce la transition vers la partie consacrée à l’élément Air.
Dans la coursive, au niveau de la fontaine du patio, Jean-Marie Appriou évoque l’idée d’un mélange des éléments, qui finit par se produire naturellement dans le parcours. Il s’intéresse à la salamandre, un animal considéré comme magique au Moyen Âge : ces amphibiens, qui dormaient parfois dans les bûches, s’éveillaient soudainement lorsque celles-ci étaient mises au feu, donnant l’impression qu’elles naissaient des flammes. La salamandre se trouvait ainsi à la frontière entre l’eau et le feu, presque comme une créature mythologique.
C’est dans cet esprit qu’il a imaginé ces figures comme des cariatides, soutenant le grand coquillage Volcanic Shell, semblable à un bénitier.
Il a également souhaité placer les lucioles – en bronze patiné et verre soufflé phosphorescent – devant la première vitre à l’entrée, puis ici, face à la seconde baie vitrée donnant sur la fontaine.
Lorsque les salles d’exposition sont fermées, les personnes installées dans le patio peuvent encore apercevoir ces lucioles qui scintillent dans la nuit. Elles semblent alors vivre de manière autonome, dans un univers propre.
Air
Dans la grande salle, Jean-Marie Appriou a choisi d’évoquer l’élément Air à travers le thème du zodiaque. Il rappelle que, depuis des millénaires, l’humanité observe le ciel depuis la Terre : nos ancêtres traçaient déjà des formes dans les étoiles – la ceinture d’Orion, la Grande Ourse… – alors même que ces astres sont séparés par des millions, voire des milliards de kilomètres. Ces constellations, pourtant, ont nourri l’imaginaire et structuré différentes cultures.

L’exposition étant appelée à voyager et partir pour Shanghai à l’automne, l’artiste a souhaité associer six signes du zodiaque occidental et six du zodiaque chinois. Ainsi, on retrouve par exemple le coq, signe de l’astrologie asiatique qui côtoie le Lion. Il a choisi de représenter une lionne, affirmant vouloir « prendre la liberté » de réinterpréter ces figures : « Il y a déjà assez de lions dans le monde, c’était intéressant de proposer une lionne ».
« Chaque signe devient ici une forme sculpturale libre et l’ensemble est à la fois un bestiaire et une horloge cosmique. Pour chacune de ces figures, des éléments en bronze proposent une sorte de clé de lecture ou de mystère pour aller encore ailleurs…
Ainsi, le crabe porte une petite barque inspirée de la mythologie égyptienne : dans la tradition grecque, le tropique du Cancer, ou “porte du cancer”, était considéré comme le passage par lequel l’âme rejoignait le corps du nouveau-né.
Le dragon cache une perle ; le taureau, quant à lui, est figuré sous les traits d’une vache inspirée des représentations égyptiennes, qui portent habituellement le disque solaire entre les cornes — ici remplacé par une lune. Quand on entre dans la salle, c’est un peu abstrait. On découvre que l’intérieur de cette vache révèle un espace constellé d’étoiles, évoquant la Voie lactée…
Chaque figure annonce un moment du cycle cosmique. Le coq, placé en face de l’entrée, symbolise le matin et marque le début de la journée ».
Ces constellations, rappelle l’artiste, sont des constructions humaines. C’est pourquoi il a placé au centre de la salle Mitosis (Cellular Being), un de ses exonautes. « Il incarne ce point de vue terrestre, ce regard porté vers le ciel qui a permis à l’humanité de se repérer dans les océans, d’explorer l’espace et de comprendre la place de la Terre dans l’univers. Galilée avait déjà saisi que la Terre n’était pas le centre, amorçant ainsi la “révolution copernicienne” ».
Pour ces sculptures, il a travaillé à partir d’éléments en verre soufflé réalisés avec un verrier : chaque œil, de taille différente, a servi de point de départ. Autour de ces yeux, l’artiste a modelé l’argile, donnant forme et proportion aux animaux.
Ether
Pour représenter l’élément Ether, Jean-Marie Appriou s’est interrogé sur la manière de matérialiser quelque chose d’invisible. Pour cela, il propose neuf bas-reliefs, les premières pièces entièrement réalisées en verre dans son atelier parisien, en utilisant la technique de la pâte de verre : un verre massif, coulé dans des moules.
Leurs formes s’inspirent du processus de mitose évoqué plus tôt dans l’exposition : elles apparaissent comme des cristaux en croissance, ou comme des phytoplanctons, témoignant de l’histoire de la vie et de l’infiniment petit où l’ADN était déjà présent.
L’artiste emploie souvent la figure de la tête, perçue ici comme un « œuf cosmique » qui se divise progressivement : en deux, en quatre, en huit… Sur ces reliefs, les mentons se démultiplient, traduisant cette idée de division cellulaire.
L’envers de chaque pièce est creux : grâce à la lumière, ces vides prennent l’apparence de volumes, créant un effet d’illusion. Du côté gauche, la lumière révèle des formes, tandis qu’à droite, elle laisse planer le mystère.
Pour Appriou, cette manière d’associer le vide et le plein par la transparence du verre permet d’évoquer l’Ether : un élément intangible, qui relie toutes choses, à l’image de la lumière. Il s’agit ainsi, dit-il, de « matérialiser la lumière » dans la sculpture.
Face à ces sculptures, il propose quatre gravures. « Ces quatre aquatintes ont été réalisées en 2019 pour une exposition au Consortium à Dijon. Elles ont été imprimées sur la plus grande presse de France, installée dans un atelier en Bourgogne, à partir de grandes plaques de cuivre d’un mètre sur deux. Pour évoquer l’Ether, je tenais à proposer un “print” ». Il explique que les dessins sont réalisés dans un sens, puis imprimés en miroir ; un procédé qui participe déjà à cette idée de renversement et de passage d’un monde à un autre.
« Ces figures semblent flotter entre l’eau et le ciel. Ces personnages qui sont à la fois dans l’eau et sous l’eau. Ils traversent un monde où les flamants roses font penser à des dinosaures. Certaines scènes évoquent une incantation à la lune, avec des corps qui plongent dans l’eau ; d’autres rappellent les anges du Caravage, descendants dans un éclair pour insuffler la vie dans les océans, au milieu des calamars ».
Appriou souligne que notre ADN est très proche de celui de nombreux animaux marins, mais que le poulpe apparaît comme une branche parallèle et mystérieuse, presque arrivée « en différé ». Il y a là une forme d’énigme et de fascination qu’il aime explorer dans son travail.
Le parcours se termine avec The Keeper (Gravity). Jean-Marie Appriou explique qu’enfant, il rêvait de devenir égyptologue - une fascination qui continue de nourrir son travail. Pour The Keeper (Gravity), il a imaginé une figure semblant faire un pas dans le vide, émergeant d’une demi-pyramide. Cette pyramide reprend la forme des pyramides nubiennes, plus anciennes encore que celles de Gizeh.
La petite tête, motif récurrent dans l’exposition, est réalisée en plâtre, un matériau qu’il apprécie particulièrement, à la fois fragile et délicat. Ici, il l’a insérée à chaud dans une sphère de verre, lui donnant l’apparence d’un objet flottant. Bien qu’elle ait la taille d’une olive, l’effet loupe du verre lui confère la dimension d’un œuf ou d’un kiwi.
Appriou insiste sur l’importance du jeu d’échelle : « sculpter à une taille minuscule, puis découvrir des détails agrandis grâce à l’optique. Ce rapport entre micro et macro fait écho à notre façon de regarder l’univers, comme lorsqu’on observe les exoplanètes à travers des lentilles ou des télescopes ».
Il rappelle que le verre, malgré toutes ses performances optiques actuelles, reste de la silice fondue, du sable porté à très haute température. Les Égyptiens, incapables de le fabriquer, utilisaient le « verre lybique », formé naturellement lorsque la foudre frappait le désert et transformait le sable. Pour lui, le verre conserve une dimension magique, presque alchimique : « c’est parce que les molécules y sont parfaitement ordonnées que la lumière peut le traverser et nous permettre de voir à travers ». Il imagine qu’un jour, en alignant des particules de façon encore plus précise, nous pourrons peut-être « voir à travers tout ». Une perspective qu’il trouve fascinante.
Feu
Dans le patio, le feu clôt le parcours et symbolise l’énergie de la transformation. Il est l’élément qui fond, transmute, consume la cire et transforme le métal. Il est au cœur de la fonte, étape « alchimique » où la matière passe d’un état à un autre…
Pour Appriou, le feu n’est pas seulement un outil technique : il porte une énergie créatrice.
Un grand bénitier en fonte, aux formes hybrides, installé dans la fontaine, agit comme un repère lumineux. Des lucioles en verre phosphorescent, dispersées tout au long du parcours, prolongent cette présence lumineuse quand le centre d’art est fermé. Pour l’artiste, elles relient le terrestre et le céleste, la fête et la contemplation.
Avec le feu, Appriou veut mettre en avant le pouvoir du regard partagé. Regarder ensemble, c’est créer du lien. Le feu est alors plus qu’un simple élément : il devient une expérience commune et un espace d’attention collectif…