Mimosa Echard – « Sluggy me » à la Collection Lambert – Avignon


Jusqu’au 26 septembre 2021, Mimosa Echard présente « Sluggy me », une installation inédite et spécialement conçue pour les 600 m2 au premier étage de l’hôtel de Montfaucon à la Collection Lambert. Dans ce vaste espace en « L », débarrassé des cimaises qui occultaient les fenêtres côté sud, Mimosa Echard construit une proposition dérangeante et plurivoque qui joue avec les matières et la lumière.

Pour « Sluggy me », elle combine un peu plus d’une dizaine de toiles avec un ensemble de céramiques. Toutes ces œuvres, produites pour l’exposition à l’exception d’une lampe suspendue au plafond, sont accrochées ou posées au sol devant les fenêtres de l’ancien hôtel particulier… D’incessants jeux de transparences et d’ombres métamorphosent subtilement leur perception, selon de l’heure du jour et l’ensoleillement du moment.

Dans le bref texte qui introduit « Sluggy me », Mimosa Echard offre quelques clés de lecture à la trame narrative sur laquelle est construit son accrochage :

« La rivière de L.A. coule en arrière-plan. On ne la voit jamais à la télé-réalité. L’eau doit être toxique. Dans chaque épisode, sept riches femmes au foyer tentent de vous vendre les citrons de leur verger. La publicité est la domestication plus ou moins violente de l’attention. Je n’ai pas acheté un seul citron depuis. C’est une longue tragédie, qui sort par petites giclées. Pendant ce temps, l’atmosphère change passivement, il pleut, des choses explosent. Il n’y a pas de sang, tout est recouvert d’une fine pellicule de bave.

Et si le psychologue faisait une fixation sur la salive dans la bouche de ses patients ? D’ailleurs, qui mieux que lui saura si elle est contaminée ? »

Les commentaires audio qui accompagnent un unique cartel pour toutes les œuvres sont un peu plus explicites et notamment celui destiné à la visite des « fripons »…

Commentaire audio des Fripons

On l’aura compris, le titre de l’exposition renvoie à la limace (Slug), animal hermaphrodite, visqueux et luisant qui semble exercer une certaine fascination sur l’artiste…

On découvre à la lecture de son texte, mais surtout à l’écoute du bref commentaire (pour adulte) que l’univers de la télé-réalité et plus particulièrement la série The real housewives of Beverly Hills constitue le « fil rouge » de l’exposition imaginée par Mimosa Echard.

Commentaire audio pour adultes

Dans un entretien avec Marion Vignal pour le magazine Marie Claire, l’artiste donne quelques précisions après avoir précisé qu’elle avait eu le sentiment d’assister à « un théâtre absurde où sept femmes évoluent dans la violence d’un capitalisme extrême » :

« Ce qui m’intéresse, c’est l’étrange relation au réalisme du corps, à la chirurgie esthétique et à l’idée d’un produit final, explique-t-elle. L’idée de la limace qui digère, c’est aussi le reflet de l’écosystème d’une émission de télé comme celle-ci, avec tout ce qu’elle transmet aux spectatrices et spectateurs qui vont intégrer ces images. Dans mon travail, il y a toujours une trame narrative, non lisible au premier abord, une sorte d’histoire souterraine qui est l’écriture de l’exposition. »

Les téléspectateur·rice·s assidu·e·s de The real housewives of Beverly Hills auront certainement compris l’allusion de Mimosa Echard au citron et sa présence dans l’exposition à travers les céramiques qui portent le titre générique de Lemons, 2021 et des frais fruits (Real Lemons) qui ont traîné dans le jardin de l’hôtel de Montfaucon.

Pour les autres, on peut rappeler qu’une des protagonistes de la série, Yolanda Foster, ancien mannequin et ex-femme de Mohamed Hadid, célèbre promoteur immobilier, fait la promotion de ses cures détox citron, agrume auquel elle voue une véritable passion et qu’elle est très fière de ses vergers de citronniers…

Mimosa EchardThe Garden et Sluggy me, 2021. Peinture acrylique, tissu, graines de gardénia, jus de baies, encre, gloss acrylique sur châssis – Vue de l’exposition « Sluggy me » à la Collection Lambert – Avignon

À l’exception de la toile qui ouvre l’exposition (The Garden) et de celle qui termine presque le parcours (Sluggy Me), dans la plupart des tableaux c’est un rose rouge aux teintes parfois sanguines qui dominent.

Mimosa EchardFreaky Fire, Clanger, Carlton, Carlton 2 et Décolleté, 2021 . Peinture acrylique, tissu, graines de gardénia, jus de baies, encre, gloss acrylique sur châssis – Vue de l’exposition « Sluggy me » à la Collection Lambert – Avignon

La couleur rose est souvent fréquente dans les toiles de Mimosa Echard. Dans son article pour Marie Claire, Marion Vignal souligne :

« Mimosa adore le rose pour tout ce qu’il évoque dans son ambiguïté. Comme Mike Kelley, elle voit la couleur rose comme une couleur “hermaphrodite”, associée au mouvement gay, aux petites filles, aux hippies, à l’esthétique psychédélique. Pour sa série de toiles inspirée des Real housewives of Beverly Hills, c’est un rose rouge sanguin qu’elle a réalisé en broyant des framboises et des mûres, “façon smoothie”, en référence au mode de vie de ces Américaines ».

Ces toiles font explicitement référence à des personnages ou à des événements de la série par leur titre, mais aussi par l’iconographie qui parfois transparaît entre les couches de peintures acryliques, de tissus, de graines de gardénia, de jus de baies, d’encres ou encore de gloss…

Au-delà du regard critique et corrosif sur le peinturlurage des Real Housewives, il se dégage des images de Mimosa Echard l’expression équivoque d’une intimité qui se dérobe. Un érotisme ambigu et une relation sensuelle à la nature s’accompagnent d’une troublante interrogation sur nos rapports ambivalents au sexe et à l’environnement…

En accrochant ses toiles devant les ouvertures, Mimosa Echard semble vouloir nous monter ce qui pourrait se cacher derrière les multiples couches de peintures et de matières… Mais la lumière changeante brouille un peu ces éventuelles découvertes.

Placées à l’articulation des deux salles, deux œuvres tranchent par leurs nuances argentées.

Sap (Slip), 2021 reprend un dispositif inauguré lors Numbs, son exposition personnelle à la Galerie Chantal Crousel au printemps dernier… Accrochée par une barrette aux perles qui constituent le corps d’une lampe, une photographie montre des jeunes femmes qui paraissent choisir des slips dans une boutique… Quel sens donner à cette image ?

Mimosa EchardSap (Slip), 2021. Perles en verre, tirage photographique, barrette, bracelet, système électrique – Vue de l’exposition « Sluggy me » à la Collection Lambert – Avignon

On retrouve les tonalités nacrées et le motif des perles dans Brandi, 2021. Faut-il relier les deux pièces ? Quel intérêt singulier Mimosa Echard accorde-t-elle à Brandi Glanville particulièrement présente dans les saisons 3 à 5 de The Real Housewives of Beverly Hills ?

En fin de parcours, deux tableaux échappent au dispositif d’accrochage « en transparence »…

Monitors présente une mosaïque d’éléments rectangulaires qui pourraient évoquer, comme le titre le suggère, les écrans d’une salle de montage ou de surveillance…

Ce motif est très présent dans l’ensemble des toiles. Mais ici, il s’organise dans une géométrie plus régulière. La matière semble être posée sur des morceaux de tissus dont l’adhérence à la toile du châssis paraît incertaine…

Dans La Blessure, partiellement isolée de l’exposition par une demi-cimaise, un rouge sang domine dans une composition très organique où les multiples déchirures des rectangles de voilages pourraient annoncer la desquamation de la couche picturale…
« Ça palpite d’une vie qui n’est plus » confie-t-elle à Roxana Azimi qui en a fait le titre de son portrait pour M le magazine du Monde du 6 août dernier…

Avant de quitter « Sluggy me », un fanzine posé sur le sol est à la disposition du visiteur. Derrière une couverture florale, on découvre un sketch théâtral, imaginée par Aodhan Madden et inspirée de l’exposition… Certains y trouveront sans doute un regard différent et des révélations sur « Sluggy me ». L’artiste australien avait écrit un poème et composé une musique Numbs chez Chantal Crousel.

Mimosa Echard réussit avec talent à déjouer les nombreux pièges des espaces au premier étage de l’hôtel de Montfaucon et à utiliser avec brio la lumière complexe et changeante qui baigne ces deux salles en « L ».

Bien entendu, il faut absolument faire l’expérience de « Sluggy me » avant la fin de cet été.

Commissariat de Stéphane Ibars, directeur artistique délégué de la Collection Lambert.

On a évoqué plusieurs fois ici le travail singulier de Mimosa Echard et notamment sa participation à l’édition 2020 du Festival Viva Villa ! « Les vies minuscules » .

On se souvient également de « A/B », sa série de tableaux-collectes que l’on avait pu voir à la Friche dans « Par hasard » et au Mrac à Sérignan dans le dernier accrochage des collections signé par Sandra Patron et aujourd’hui dans « La vie dans l’espace ».
Une très étrange installation Sans titre ouvrait l’an dernier la section Métamorphoses et devenir monstre de « Street Trash : L’effet spécial de la sculpture », exposition imaginée par Amandine Guruceaga et Benjamin Marianne pour la Friche la Belle de Mai.

On se rappelle aussi de sa collaboration avec Michel Blazy pour Kombucha — pataugeoire (2017) présenté par Victorine Grataloup et Diane Turquety chez Mécènes du sud Montpellier-Sète ou encore de sa présence dans « Pré-capital — Formes populaires et rurales dans l’art contemporain » à La Panacée en 2017 et dans « La Saga II » à la Double V Gallery à Marseille.
Et bien entendu, on ne peut oublier sa remarquable installation Océans (Pyjama) en vitrauphanie sur la façade du MO.CO. Hôtel des collections pour son inauguration en 2019…

On attend avec intérêt, « Sporal », sa prochaine exposition au Palais de Tokyo, au printemps 2022, avec un commissariat de Daria de Beauvais. Depuis sa résidence à la villa Kujoyama, en 2019, Mimosa Echard travaille sur les myxomycètes, des organismes unicellulaires popularisés en France sous le nom de « blob ». On devrait y découvrir un jeu vidéo écrit avec Andrea, une développeuse très impliquée dans la communauté des gameuses transgenres. Dans un entretien pour Manifesto XXI, l’artiste confiait « Toutes les deux, on a toujours beaucoup discuté de sexe, et on a eu envie de faire un jeu vidéo à partir des myxomycètes. Dans ce jeu, on s’inspire de cet organisme monocellulaire qui a 720 types sexuels différents. Soit 720 manières d’entrer dans une relation sexuelle avec d’autres organismes. Le jeu vidéo s’articulera autour de questions liées au genre et à la sexualité. Le jeu existera en tant que tel et sera présenté au Palais de Tokyo en 2022 »….

Commissariat de Stéphane Ibars, directeur artistique délégué de la Collection Lambert.

Avec en exergue une citation du roman Les Guérillères de Monique Wittig, on lira ci-dessous la présentation du projet extraite des documents de presse.

En savoir plus :
Sur le site de la Collection Lambert
Suivre l’actualité de la Collection Lambert sur Facebook et Instagram
Sur le site de Mimosa Echard
Mimosa Echard sur Instagram
Mimosa Echard sur le site de la Galerie Chantal Crousel
Lire son interview dans Manifesto XXI
A lire « Ça palpite d’une vie qui n’est plus » : l’art du vivant de la plasticienne Mimosa Echard, un portrait par Roxana Azimi pour M le magazine du Monde
Le regard de Laure Jaumouillé sur « Numbs » dans Point Contemporain

Mimosa Echard à propos de son travail

​Mimosa Echard à la Collection Lambert : Présentation du projet

Elles disent que la déesse Eristikos a une tête d’épingle et des yeux jaunes.
Elles disent que ce qu’aime la déesse Eristikos, ce sont les parfums.
Pour l’honorer on porte à même la peau des vêtements faits d’herbes odorantes.
On les enflamme la nuit venue en mettant le feu à chaque brin.
Elles sont disposées en cercle, leurs vêtements dans l’obscurité sont incandescents.
Monique Wittig, Les Guérillères.

(…)

Peau de mouton, noyaux de cerises, perles en verre, paillettes, fleurs de châtaigniers, fleurs de Clitoria ternatea, coupures de journaux, écharpe synthétique, lycra, laque, acrylique, gloss – les éléments qui composent les œuvres de de Mimosa Échard se frottent, s’absorbent, se dissolvent, se mêlent, luttent, vivent et meurent en un seul et même instant suspendu, si bien que les agencements imaginés par l’artiste semblent n’apparaître que dans un des états possibles de leur vie sensible, capturés dans de véritables aires de transition. Ces associations de matières, de substances ou de potions prélevées à même des mondes que le temps et l’espace semblaient avoir séparés à jamais dans nos esprits résonnent avec le Statement de Lawrence Weiner qui accueille le visiteur depuis la cour de l’Hôtel de Caumont — PLOMB FER-BLANC ET MERCURE RÔTI À POINT.

À la vue de ses œuvres, il naît en nous quelque chose qui relève d’un désir étrange pour ce spectacle sophistiqué(1) où l’organique, l’artificiel et le sauvage s’imbriquent en des formes hybrides et troublantes, où une vision du monde aussi effrayante qu’élégante s’offre à nous.

Sorcellerie, syncrétisme New Age, Do it yourself punk et cyber-résistance sont autant de compagnons de routes de ces contes enchâssés qui révèlent une obsession quasi érotique pour la catastrophe engendrée par le cauchemar climatisé et s’imposent avec une jubilation inouïe comme les contestations mythiques et réelles de l’espace où nous vivons(2).

Stéphane Ibars

(1) J.G Ballard, La foire aux atrocités.
(2) Michel Foucault, Les hétérotopies.

Repères biographiques

Mimosa Echard (née en 1986) est diplômée de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris en 2010. Elle a exposé son travail dans des lieux de renommée internationale : l’ACCA-Australian center for Contemporary Art, Melbourne (2020), le Musée d’Art Moderne de Paris (2019) ; Dortmunder Kunstverein, (2019) ; Platform-L Contemporary Art Center, Séoul (2018) ; Palais de Tokyo, Paris (2019, 2017) ; Cell Project Space Gallery, Londres (2017). Ses oeuvres figurent entre autres dans les collections du CNAP, du Musée d’Art Moderne de Paris, de la Fondation Vuitton, de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, de la Fondation Samdani Art, de la Fondation Ettore Fico, de l’IAC Villeurbanne/Rhône-Alpes, du FRAC Corse, et du Frac Île-de-France. L’artiste vit et travaille à Paris.

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