Jusqu’au 8 janvier 2023, le Mrac Occitanie propose, comme chaque année, un nouvel accrochage de ses collections.
« La vie dans l’espace » dont le commissariat avait été confié l’an dernier à Jill Gasparina avait essayé de renouveler l’exercice. Une scénographie spectaculaire et séduisante jouait beaucoup, parfois un peu trop, de la polysémie des œuvres pour construire un discours qui n’évitait pas toujours le poncif…
Pour son premier accrochage des collections, Clément Nouet, directeur du Mrac Occitanie, choisit de revenir à une présentation plus sobre. Centrée sur les nouvelles acquisitions, elle souhaite les faire dialoguer avec des œuvres d’artistes de générations différentes de la collection historique et du dépôt au musée par le Cnap (Centre national des arts plastiques) depuis mai 2016.
Ni chronologique, ni thématique, mais profondément respectueux des œuvres et des démarches artistiques, le parcours suggère quelques « rapprochements formels, stylistiques ou poétiques » tout en laissant une large place au visiteur.
Les lignes qui suivent, accordent un regard particulier aux acquisitions récentes et notamment à celles d’artistes du territoire auxquels le Mrac Occitanie a été attentif pendant la crise sanitaire.
Dans la première salle plongée dans la pénombre, le regard est immédiatement captivé par Fosse #1 (2018), une des deux pièces d’Anne-Charlotte Finel qui sont entrées dans le fonds du musée en 2020. On se souvient de la forte présence des vidéos qu’elle avait exposées dans « La mesure du monde » en 2019/2020.
On retrouve ici ses images « au grain puissant et aux couleurs altérées, à la limite du noir et blanc » et son étonnante capacité à guetter l’émergence d’un autre monde, à explorer « des zones troubles, des lieux souterrains et indéterminés ».
« Je réalise mes vidéos la nuit, à l’aube, au crépuscule ou à l’heure bleue », écrit-elle…
À propos de Fosse #1, son site souligne :
« Des algues flottent lentement dans les eaux d’une source sombre. Filmées de nuit, elles apparaissent fluorescentes comme tirées d’un film de science-fiction. La provenance de l’eau de la Fosse Dionne reste encore mystérieuse à ce jour. Un écosystème singulier y prospère, les cavités sont inexplorées ».
En face, deux gravures d’Andrea Büttner de sa série Phone Etching (2015) attirent, elles aussi, irrésistiblement l’attention du visiteur. On avait découvert le travail d’Andrea Büttner à l’occasion d’une exposition personnelle, curatée par Céline Kopp, que le Mrac avait accueillie en 2016/2017. Certain·e·s se souviennent peut-être de Alle Bilder, sa singulière installation dans le cabinet d’arts graphiques, pensée comme une rétrospective « faite à la photocopieuse »… On pouvait alors y voir une copie en noir et blanc d’une œuvre des Phone etchings qui reproduisent des traces de doigts laissées sur l’écran de son l’iPhone.
À l’occasion de « La Pergola » – accrochage des collections 2017/2018, une gravure dans les tons bistre de cette série avait été exposée.
On retrouve avec intérêt ces deux nouvelles estampes des Phone etchings, entrées dans les collections en 2020(achat et don de l’artiste). Présentées ici dans l’obscurité, éclairées par des projecteurs cadreurs avec un léger halo, elles donnent la curieuse sensation d’émettre de la lumière comme les écrans des téléphones portables…
Formellement, l’intention du commissaire est de faire dialoguer les estampes de Büttner avec la toile Théâtre d’été, (1961) de Jean Messagier. Les larges gestes en lignes courbes et dynamiques du peintre paraissent en effet pouvoir faire écho aux empreintes laissées sur un écran d’iPhone. Toutefois, l’expression lyrique de Messagier semble avoir peu en commun avec les réflexions sur les relations l’homme et sa technologie de la plasticienne allemande…
Par ailleurs, la lumière froide avec laquelle ce Théâtre d’été est éclairé trahit les tonalités chaudes du tableau. Ce qui ne manquera pas de troubler les vieux habitués du musée où l’œuvre a été longtemps présentée entre 2006 et 2012 puis en 2014/2015…
On peut formuler la même remarque à propos de l’éclairage des trois peintures sur bois de Jimmie Durham. Elles semblent flotter au-dessus de leur cimaise et prennent ainsi une allure presque spectrale… Une telle scénographie aurait sans doute exigé l’emploi de projecteurs avec une lumière plus équilibrée. Ici aussi, celles et ceux qui ont découvert ces œuvres dans La Promenade, une balade dans le dépôt long du Cnap en 2016/2017 seront certainement décontenancés.
Voisine de la Cabane de Buren, la salle suivante rassemble des œuvres sur papier que l’on avait vues dans la « La Pergola », l’accrochage des collections 2017/2018. Si elles partagent le même support, chaque série utilise une technique différente : l’acrylique et la bombe aérosol pour les trois « dessins » de Renée Levi (Tohu-Bohu, 2004), l’héliogravure pour les 17 gravures de Markus Raetz (Ombre, 2007) et l’impression jet d’encre pour la fascinante série Penas (2012) de Francisco Tropa.
Dans la salle suivante (salle 3), le commissaire a souhaité présenter des artistes de génération différentes autour de la notion de « corps dans l’espace ».
L’accrochage met particulièrement en valeur la très belle installation photographique de Masaki Nakayama. Exposée dans « La mesure du monde » en 2019/2020, l’œuvre a été ensuite acquise auprès de la Galerie Christophe Gaillard en 2020. Dans Body scale, circle triangle square (1977), l’artiste inscrit son corps à travers la photographie dans la continuité d’un cercle, d’un carré et d’un triangle en acier.
Après avoir rappelé que ces trois formes représentent l’univers dans la philosophie zen, le cartel précise :
« L’utilisation des trois formes géométriques primaires rattache l’artiste à la tradition, mais trouve aussi des résonances avec le Land Art. Le corps donne ici la mesure de l’espace et du monde. Son inscription se fait à la fois dans l’espace urbain (le corps prend appui sur l’architecture et la complète) et dans le cadre de l’image (il épouse et prolonge la figure géométrique). L’homme dessine la forme, il fait corps avec la géométrie. Il est instrument de mesure et une partie du Grand Tout ».
Ce regard sur le corps par l’artiste japonais vient télescoper de manière surprenante et inattendue l’installation vidéo Hundredweight (2003) de John Wood et Paul Harrison présentée ici dans une originale tour hexagonale.
John Wood & Paul Harrison Hundredweight, 2003 – Accrochage des collection 2022 au Mrac Occitanie
Filmé en plan fixe, vu de haut, au centre d’un white cube, John Wood interprète trente-six performances dérisoires, proches du gag et du nonsense à l’anglaise. Entre échec manifeste et réussite aléatoire, elles font écho à quelques grands noms de la peinture abstraite et conceptuelle…
Sur la droite, le rapprochement entre le Quadrillage de liteaux de bois, 1970 de Daniel Dezeuze et les motifs géométriques de la toile Sculpture for Yellow and Red, 2014 de Farah Atassi fait particulièrement sens…
À l’inverse, les tableaux d’Yves Bélorgey (Quartier Bungladesh, Erevan, Arménie, Décembre 2011 – Février 2012) et d’Emmanuel Van der Meulen (Quadrum, 2017) paraissent plus esseulés…
C’est avec beaucoup de plaisir et d’émotion que l’on retrouve l’installation Eigenschatten I-VI, 2013 d’Ulla von Brandenburg (salle 5). Elle avait été un des points d’orgue de « L’hier de demain », la magistrale exposition présentée au Mrac Occitanie, au printemps 2019. L’œuvre est entrée dans les collections à l’issue de celle-ci.
Eigenschatten qui signifie littéralement « ombre propre » est composée d’un ensemble d’objets simples (bâtons, cerceaux, chaise…) et d’un costume de berger suspendus au plafond par des cordes comme dans les coulisses d’un théâtre. Au mur, six tentures portent les empreintes fantomatiques de ces objets, obtenues par décoloration à la chlorine, une technique proche de celle du photogramme. Le cartel précise :
« L’artiste fait référence à l’allégorie de la caverne de Platon dans laquelle des hommes enchaînés font face à des ombres symbolisant le monde des apparences. Ce récit traduit l’idée que nous sommes prisonniers de nos jugements, de nos croyances. L’artiste lie cette allégorie au théâtre. Quel rôle jouons-nous ? Quelles sont nos positions à travers ces rôles ? »
L’allégorie de la caverne évoquée par l’installation d’Ulla von Brandenburg conduit naturellement le visiteur vers l’espace suivant…
En effet, la grande salle, au fond du bâtiment (salle 7), est plongée dans une semi-pénombre. Cet éclairage permet au commissaire d’interroger les relations singulières entre arts plastiques et cinématographiques. La plupart des œuvres exposées ont des rapports assez directs avec le monde du 7e art. C’est sans doute un des espaces les plus cohérents du parcours.
Face à l’entrée, un néon de Pierre Bismuth (The Future Is Coming Soon, 2011) révèle ce qui nous attend. On connaît les activités, entre autres, de scénariste et de réalisateur de l’artiste qui s’amuse, dans la série Coming Soon, avec ce slogan typique à l’industrie du cinéma et à ses bandes-annonces…
Sur la gauche, une toile d’Anne-Lise Coste (Pasolini, 2010) mêle aérographe et gesso pour réinterroger, semble-t-il, l’assassinat du cinéaste italien en 1975 à Ostie… Cette œuvre achetée à l’artiste fait partie des nouvelles acquisitions exposées dans cet accrochage.
Elle précède un collage de Bernard Rancillac (Un film de, 1995), réalisé à partir d’affiches de films.
L’accrochage s’articule ensuite autour de 01:22:38/01:23:08 (2018-2020), une œuvre monumentale de Sylvain Fraysse, produite et acquise par le Mrac Occitanie en 2020.
Son titre, composé de deux timecodes, indique le début et la fin des 30 secondes du légendaire regard-caméra de l’actrice Harriet Andersson dans Un été avec Monika, un film réalisé par Ingmar Bergman en 1952.
Entre 2018 et 2020, Sylvain Fraysse a entrepris de reproduire les 721 images de cette séquence, photogramme par photogramme, en les gravant à la pointe sèche sur des plaques de Plexiglas de 5 x 6,7 cm. Elles ont ensuite été imprimées en 30 planches de 50 x 65 cm par l’atelier René Tazé à Paris. Chacune restitue une seconde du plan tourné par cinéastes suédois.
On lira avec intérêt le texte de Mary Baldo, publiée par la revue Offshore en octobre 2019, sur l’origine, les enjeux et la réalisation de cette œuvre de Sylvain Fraysse. L’autrice y propose également un regard analytique sur le personnage de Monika, sur la réception du film de Bergman et en particulier sur cette séquence. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas ce célèbre plan, on trouve assez facilement des extraits d’Un été avec Monika sur internet, comme ici.
Face aux gravures de Sylvain Fraysse, Clément Nouet a opportunément choisi un tableau d’Isabelle Cornaro (Reproductions (Amplification, #2), 2018). Cette œuvre est une déclinaison sur toile inspirée d’une série qui avait fait l’objet d’une installation spectaculaire au premier étage du Mrac Occitanie dans le cadre de « Blue Spill ».
Ces peintures au spray, au format 16/9e, réalisées en projetant les pigments à même le support, sont à la fois des reproductions et des agrandissements d’images de ses films avec lesquelles Isabelle Cornaro déconstruit l’image animée…
Suspendu aux poutres de la salle, avec en arrière-plan la pièce de Sylvain Fraysse, un écran diffuse Hofu Orrore (2018), une animation qui avait été produite pour « Blue Spill », en collaboration avec Hugo de Faucompret. Dans ce qu’elle qualifie de « collage », elle multiplie les citations à des films. Le cartel mentionne entre autres des scènes de Mario Bava, de Faux-semblants (1989) de David Cronenberg, de Perfect Blue (1999), film d’animation de Satoshi Kon, de The Store (1983), film documentaire de Frederick Wiseman et de Peeping Tom (Le Voyeur) (1960), de Michael Powell…
L’accrochage se termine dans cette salle avec cinq des dix dessins au feutre de Matt Mullican (Sans titre, 1974) déposés par le Cnap au musée. Cette série date de ses débuts à une époque où il hésitait entre devenir artiste ou auteur de comics. Elle ne s’intègre pas très bien à l’univers cinématographique évoqué par les autres œuvres, sauf à les considérer comme l’amorce d’un éventuel scénario. Par ailleurs, elle n’est pas très bien éclairée. En dehors des effets de miroir et de reflets gênants, on a la désagréable surprise de voir son ombre recouvrir les dessins à mesure que l’on s’en approche.
La dernière séquence du parcours (salle 6) multiplie les dialogues subtils entre une installation de Nicolas Daubanes, une sculpture et une encre de Guillaume Leblon et deux dessins de Côme Mosta-Heirt.
À plusieurs occasions, on a pu voir ici et là, sous le titre Ergonomie de la révolte, des briques empoignées par les ouvriers au moment de leur fabrication à la Briqueterie de Nagen, lors d’une résidence de Nicolas Daubanes en 2017/2018.
L’artiste avait alors demandé aux ouvriers de faire un geste « contre nature » dans une production ou l’objectif et de ne laisser sans aucune trace apparente.
Le titre est sans équivoque… Faut-il ajouter comme le fait le cartel : « La position que la main prend naturellement sur la brique donne la sensation d’une ergonomie parfaite pour transformer l’élément de construction en projectile » ?
En 2020, 100 de ces briques sont entrées dans les collections du Mrac Occitanie.
Dans l’attente d’une prochaine insurrection, elles sont sagement posées sur des étagères…
En face, sur la Pile encrée (2012), Guillaume Leblon entasse en équilibre des blocs de pierre et de bois dont les volumes parallélépipédiques pourraient être des formes agrandies des briques de Nicolas Daubanes… Le dessin qui les accompagne (Michèle, 2012) montre une évidente parenté avec cette sculpture.
Le cartel donne la clé de cette « filiation » :
« Cette image [ Michèle ] a été réalisée grâce à une méthode inventée par l’artiste, renouvelant la technique d’impression de la lithographie. Collectionnant des pierres de différentes tailles et d’origines géologiques diverses, il les encre, les soulève à l’aide d’un système de poulies et les dépose comme un tampon encreur sur la feuille de papier. Chaque bloc devient ensuite un élément d’une sculpture, empilement de pierres de la même forme générale que le dessin : Pile encrée.
(…) Il est question de temps et de mémoire dans ces deux œuvres intimement liées : la sculpture, processus de création, conserve les traces des encres déposées et l’image en deux dimensions révèle l’empreinte grandeur nature de chaque pierre sur le papier ».
Le grand dessin au fusain de Côme Mosta-Heirt (Sans titre (pendant de la sculpture S.A.M.I.A two), 1977) fait écho à la pratique de Guillaume Leblon. En effet, le cartel précise : « Ses dessins ne sont pas des études préparatoires en vue de la création de sculptures, mais des œuvres autonomes créées à partir de ses sculptures et dont ils sont les pendants »…
Formellement, les lignes horizontales de sa composition ne rappellent-elles pas les étagères de l’installation de Nicolas Daubanes ?
Le deuxième dessin de Côme Mosta-Heirt par son titre (Haro artistes, 2005) pourrait être entendu comme un cri de révolte, un appel à l’insurrection adressé aux artistes… On aura compris que, s’il est entendu, des projectiles sont à leur disposition !
Inutile de préciser que ce premier accrochage des collections par Clément Nouet mérite attention. Il complète parfaitement les trois autres expositions temporaires au Mrac Occitanie dont il assure également le commissariat : « La mémoire en filigrane » de Anne et Patrick Poirier, « My Prehistoric Past » de Laurent Le Deunff et l’installation de Valérie du Chéné et Régis Pinault dans le cabinet d’arts graphiques…
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