Pour sa onzième édition, Paréidolie 2024, le salon international du dessin contemporain de Marseille, accueillait 16 galeristes, les artistes et structures invités et bien entendu les collectionneurs et le public dans une ambiance toujours aussi chaleureuse et conviviale du 30 aout au 1er septembre au Château de Servières…
Pas de grands bouleversements dans l’organisation matérielle du salon. Les espaces d’exposition sont sensiblement les mêmes depuis plusieurs années. Certaines galeries, fidèles à Paréidolie, retrouvent invariablement les mêmes endroits.
Les accrochages toujours très sobres, un peu trop sages et sans surprise, montraient peu d’audace… à l’exception toutefois des projets invités. La densité des œuvres présentées était souvent très (trop) importante à tel point que quelquefois le regard pouvait papillonner sans réussir à se poser…
Pour cette édition, le comité artistique était présidé par Catherine David, historienne d’art et commissaire d’expositions qui succède à Jean de Loisy. On y retrouvait comme en 2022 et 2023 Nicolas Daubanes, Thierry Forien, Josée Gensollen, Laurent Godin, Pascal Neveux, Marine Pagés, Michèle Sylvander et Gérard Traquandi.
On remerciera une nouvelle fois l’équipe organisatrice (Françoise Aubert, Martine Robin, Michèle Sylvander) pour son exceptionnel savoir-faire, son accueil et sa disponibilité.
Paréidolie 2024 : Du côté des invités…
Comme les années précédentes, l’artiste invitée et la structure qui bénéficiait d’une carte blanche ouvraient le parcours du salon.
Madely Schott – Artiste invitée
C’est avec beaucoup de plaisir que l’on retrouvait le travail de Madely Schott sur papier de soie que l’on avait découvert à l’occasion de l’exposition « Rouvrir le monde – La restitution » au Château de Servières. Une superbe série de 12 dessins sur papier de soie noir restituaient alors un voyage infini dans les jardins d’Haïti avec une dizaine de résident·e·s d’un EHPAD du 4e arrondissement de Marseille. On y avait croisé « des hum-abeilles guerrières chercheuses d’eau, des humânes dansant dans le cosmos, des hum-larvaires en renaissance » dont on reconnaît ici certaines de leurs cousin·es… Chaque feuille constitue un fragment interdépendant, remplaçable, qui peut s’associer à d’autres dans un développement sans fin pour proposer un voyage infini…
Dans son portfolio, on peut lire à propos d’un projet en cours depuis 2022 « Otium ou Ode à l’inutile » auquel appartiennent ses dessins infinis : « J’expérimente la construction d’un for intérieur en abordant la création d’un corpus d’œuvres insufflant un processus de création méditatif. Les dessins proposent un exil. C’est une première étape intime pour construire un univers en errance, se transporter en dehors de nos propres limites physiques. C’est aussi une recherche esthétique pour faire jaillir des abimes, une beauté apaisante, un calme dans le néant. J’imagine des corps en mutation, où le règne du négocium de notre société s’effacent pour respirer autrement et développer une nouvelle empathie avec les différentes formes du vivant.
Qu’il s’agisse de la peur d’une fin de vie ou d’une fin du monde, ici l’imaginaire devient arme de résistance pour emporter nos esprits vers un ailleurs où les corps renaissent en dehors de leurs limites. Le geste devient salvateur. Je défie le temps en transportant la concentration dans un instant où l’imaginaire se tisse pas à pas et devient mon réel. Des visions de l’après, dans une cosmogonie utopique ou l’humain fusionne avec le vivant. »
Son accrochage pour Pareidolie 2024 a été l’occasion de montrer « Le complexe du homard », une nouvelle série sur papier bleu…
Dans le cadre des résidences croisées Nord/Sud, Madely Schott est invitée par la Galerie Totem à présenter son travail à Amiens à partir du 4 octobre.
Carte blanche à La Compagnie – Grégory Le Lay & Dalila Mahdjoub
Sous le commissariat de Paul-Emmanuel Odin, La Compagnie, lieu historique de l’art contemporain à Marseille, installée depuis 1990 à Belsunce, présentait un hommage à Gregory Le Lay qui se développait sur tout un mur. Trois courtes animations de Dalila Mahdjoub, réalisées à partir de dessins vectoriels et de photographies, étaient diffusées dans deux colonnes « périscope », l’une à l’entrée du salon, l’autre dans le hall à côté du bar.
C’était sans doute un des moments les plus forts de Pareidolie 2024, malheureusement desservi par ce lieu de passage où il n’était pas facile de prendre le temps qu’exigeaient ces deux propositions.
On reproduit ici les textes qui accompagnaient l’accrochage au Château de Servières.
Gregory Le Lay
Gregory Le Lay a laissé une œuvre où le dessin est prépondérant, une œuvre où foisonne des rencontres ambigües, des interactions entre des objets sonores, des éléments visuels, des traces graphiques, des individus, des animaux. Gregory Le Lay n’a cessé de créer des rapports atypiques entre des mondes différents. Les expériences sont des formes vivantes. Il s’intéressait à ce qu’il y a en-dessous des choses, à l’aléatoire, au conditionnement du vivant. Son humour pataphysique éclatait partout.
Il mobilisait différents médiums, assemblage, dessins, objets, sons, dans un jeu dynamique avec l’architecture. Ses expositions entrainaient le visiteur dans une relation organique avec les signes. Il proposait des croisements de formes qui aboutissaient à des scénarios aux lectures multiples, qui nous font questionner notre perception.
En 2018, il crée avec sa compagne Géraldine Martin, la galerie/atelier « BRUI » (Ponta Delgada, Açores). Un espace où il a développé son travail et invité des artistes européens pour des expositions et collaborations ponctuelles. Le lieu propose également des ateliers autour de l’image, de l’édition et des techniques d’impression (monotype, linogravure).
« BRUI » continue de s’approvisionner régulièrement en une sélection de livres d’artistes, de gravures, de graphezine et d’objets insolites.
Dalila Mahdjoub
Dalila Mahdjoub reste au plus près d’une économie du geste pour parler de l’histoire coloniale (notamment celle de la France et l’Algérie) dont elle fait littéralement « tomber » le langage en un geste plastique de renversement des rapports de domination. La compagnie a présenté son travail dans plusieurs grandes expositions : « La maison, le monde » (2014), « 143 rue du désert » (2019) et dans « Ils ont fait de nous du cinéma » qui a marqué le PAC Printemps de l’Art Contemporain 2024.
« Dalila Mahjoub empoigne la mémoire coloniale à pleines mains, en évitant le double écueil de la victimisation doloriste et du ressentiment, mais sans rien concéder à la volonté d’en exhiber la violence constitutive. Ses dispositifs sont frontaux, facilement lisibles, voire bruts, mais partout ils filtrent et médiatisent le regard, partout, ils mettent au jour ces filtres déformants qui biaisent les blancs jugements. (…) Elle incrimine en douceur, elle montre l’histoire comme si c’était elle qui nous regardait et nous demandait si on ne se sent pas un peu coupable de notre position de surplomb, jusqu’a déconstruire cette bienveillance qui, au fond, confine au paternalisme. A travers une histoire choisie de la photo et du cinéma, Dalila Mahjoub rappelle que tout rapport de domination se forme dans un jeu de regards qui en constitue le cadre de lecture, un rapport de forces visuel et idéologique dont le panoptique d’un côté ou la performance fugitive de l’autre constituent des expressions esthétiques paradigmatiques. II s’agit alors avec elle de faire œuvre de résistance ». Florian Gaieté.
Dalila Mahdjoub développe depuis « 143 rue du désert » un art de la miniature en animations. Ces animations dans leur lenteur, leur délicatesse extrême, n’en détiennent pas moins une puissance de fulguration dont le contenu est résolument politique.
• « Romilla », durée 1′ 14″, 2019.
Le petit papier jauni que mon père avait rempli en 1967 en vue d’un regroupement familial me devient archive-œuvre comme unique trace de l’existence brève de Romilla, notre sœur aînée, âgée d’environ 3 mois quand elle a disparue quelques jours avant l’arrivée de notre mère en France.
• « M. H. », durée 0’58 », 2019.
Je compose avec les 23 lettres de la page 300 de Soumission de Michel Houellebecq.
• « La Main de Leila », durée 1’04 », 2019.
Alors que Leila attendait son tour à la préfecture au service des étrangers, tenant précieusement son ticket dans le creux de sa main, un mot-résidu s’accroche au petit bout de papier…
Ces 3 animations ont été montrées pour une première fois, lors de l’exposition « 143 rue du désert » à La Compagnie.
https://documentsdartistes.org/artistes/mahdjoub/
Département des Objets Perdus
Avant d’accéder aux présentation des galeries, il fallait passé par le Département des Objets Perdus qui avait fait un passage remarqué lors du Festival Marcel Longchamp l’an dernier.
On découvrait donc cette nouvelle proposition temporaire mais avérée de : Sara Lucas Agutoli, Agathe Alberti-Bock, Vincent Bonnet, Guillaume Clermont, Luc Jeand’heur et leurs invité.e.s.
Cette aventure qualifiée de « Same same but different » était ainsi décrite par leurs acteurs : « Inspiré des traditions carnavalesques, du commerce de foire et autres pratiques occultes moyenâgeuses, notre office courtois – aussi chic que populaire – reprend donc du service. Pour le meilleur comme pour le pire »…
Madison Bycroft pour les 20 ans des Mécènes du Sud
Paréidolie 2024, comme Art-o-rama et Polyptyque, invitait les Mécènes du Sud dans le cadre de leur programme « 20 ans ça se fête ! ».
Bénédicte Chevalier avait choisi d’exposer l’univers baroque de Madison Bycroft dans l’espace compliqué tout en longueur qui borde la voie ferrée. Elle proposait un accrochage très réussi avec un grand dessin à la craie d’un fond sous-marin et une série inédite de dessins sur céramique.
Déja – Diplômés : Étudiants et jeunes artistes de l’Ecole(s) du Sud
Un des rares accrochages audacieux et certainement un des plus réussis de Pareidolie 2024. Il entremêlait une sélection d’œuvres de Jaguar Anaël Martin (Aix-en-Provence), Kaki Weiss (Marseille), Louise Plasterie (Avignon), Sarah Lacueille (Monaco), Pablo Mathias Gonzales Moro (Nice) et Titouan Makeeff (Toulon). Toutes et tous sont des étudiants et/ou de jeunes diplômés issus des six écoles du Réseau de l’École (s) du Sud.
Paréidolie 2024 : Du côté des galeries…
Les impressions qui suivent, nécessairement arbitraires, portent un regard sur quelques propositions qui ont accroché mon attention lors d’un passage, inévitablement trop rapide, dans la cohue des collectionneurs le vendredi matin.
Peu de surprises et de coup de cœur pour cette édition 2024 de Pareidolie.
Galerie 22,48 m²
Une exception toutefois pour la Galerie 22,48 m² qui proposait un accrochage à la fois très dense et d’une étonnante lisibilité avec des feuilles de Cécile Beau, Jean-Baptiste Caron, Fabrice Cazenave, Anouck Durand-Gasselin, Vincent Mauger, Eva Medin, Adrien Rousseau et Mayura Torii.
On y a particulièrement apprécié les œuvres de la série « Souffle » (2010) de Jean-Baptiste Caron où la poudre de graphite s’organise en constellations par le souffle de l’artiste.
On a retrouvé aussi avec intérêt plusieurs dessins de Mayura Torii dont on pouvait également visiter pendant le salon la magistrale exposition « Suspendue » dans un appartement au-dessus du Vieux-Port que proposait le Code à changer.
Eva Medin exposait plusieurs feuilles de sa nouvelle série « Le monde après la pluie », inspirée des trois romans de Philippe Curval parus entre 1976 et 1983 dans lesquels il imaginait une Union européenne sans étrangers, aux frontières infranchissables…
Un mur entier était consacré à la très belle série des « Néréïdes » de Cécile Beau.
Galerie 8 +4
Dans l’accrochage toujours aussi riche, dense et éclectique de Galerie 8 +4, on a découvert avec plaisir de magnifiques dessins et encres de Claude Parent dont certains étaient peut-être présentés au printemps dans l’exposition « Claude Parent – Transgression(S)/Transmission » que les Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Beziers avaient accueillie à l’occasion de la première édition du Prix Claude Parent pour l’architecture transgressive proposée par Claude Parent Archives et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier.
Comme l’an dernier, les œuvres des Sœurs Chevalme attiraient l’attention de nombreux amateurs et collectionneurs. On pouvait également voir une œuvre récente de Philippe Favier de sa série « Réveillez vo’ cueurs endormis » (2024). Dans un coffret de bois, une impression jet d’encre d’une gravure ornithologique rehaussée du XIXe siècle est mise en scène avec un habillage de plumes, de plomb, de bagues à moineau, de fils de laiton, de clous et de vis… Entre reliquaire précieux et documents scientifiques soigneusement archivés, Philippe Favier joue de notre perception, de notre mémoire et de notre imagination…
Dilecta
Chez Dilecta, ce n’est pas le focus consacré à Claire Vaudey qui a retenu notre attention, mais le travail de Caroline Corbasson que l’on a pu apprécier cet été dans « Van Gogh et les Étoiles » à la Fondation Vinvent van Gogh Arles et par le passé dans « La mesure du Monde » au Mrac à Sérignan ou encore dans le mémorable « Crash Test » qui Nicolas Bourriaud avait présenté en 2018 à Montpellier.
Elle expose ici sa série « Dust to Dust » dont les dessins sont réalisés à partir de poussière collectée lors de ses voyages en zones désertiques. Placés sur la feuille de papier, ces grains de poussière sont recouverts de poudre de graphite et sont ensuite retirés pour laisser que des traces, évoquant l’infini de l’univers et de la Voie lactée…
Galerie Bernard Jordan
Chez Bernard Jordan, on a retrouvé avec beaucoup de plaisir des dessins de Marine Pagès issus des Memento Mori (2023-24) et de sa série « HeyPfiouHmmPafSnifArghBofAieHeuWhaouGrrrEuhHiii ». On avait assez longuement écrit sur ces œuvres à l’occasion de « Spéculaire », le duo avec Nicolas Daubanes que Marie-Caroline Allaire-Matte avait organisé au printemps à la galerie AL/MA de Montpellier.
Stella Rouskova Gallery
Retrouvailles également à la Stella Rouskova Gallery de Gènes avec Jeanne Susplugas et Emmanuel Régent qui participaient en compagnie de Jean-François Guillon et Linda Carrara à une exposition intitulée « Après-coup » pour la première participation de la galerie génoise à Pareidolie…
Jeanne Susplugas – Stella Rouskova Gallery – Pareidolie 2024 – Photo : Stella Rouskova Gallery
Issu d’un concept de Jacques Lacan, il s’agissait pour Stella Rouskova « d’une réorganisation, d’une réinscription d’événements passés ravivés à l’occasion de circonstances ultérieures par leurs remémorations. Le contexte historique et subjectif postérieur leur donne une signification nouvelle »…
On en retiendra la découverte du travail de Linda Carrara et de Réduction du paquet d’ondes, l’étrange sismographe à dessiner de Jean-François Guillon. Pour cette installation constituée du dispositif posé sur des meubles et objets trouvés dans le lieu d’exposition, ici juste une chaise, l’artiste explique : « Réduction du paquet d’ondes est inspirée de la physique quantique : un dispositif poétique qui permet de visualiser le passage des particules, la chaise nous parle de ce qui la traverse… »
Galerie Florence Loewy
Chez Florence Loewy, la sélection de dessins sur papier journaux de Romain Bobichon, extraits d’une série intitulée Pyjama Papers attirait le regard et interpellait de nombreux visiteur·euses…
Galerie Nadja Vilenne
Parmi les diverses propositions présentées par la galerie de Liège, on a retenu le travail de Sandrine Morgante, une jeune artiste belge dont les dessins au format d’affiche « sont la retranscription visuelle de dialogues issus d’interviews, d’enregistrements audio, de pensées nocturnes, ou de souvenirs de conversations spontanées »…
Plusieurs prix ont été remis à l’occasion de cette 11e éditon de Pareidolie.
Le prix Pebeo a récompensé l’artiste canadien Kris Knight, représenté par la Galerie Alain Gutharc.
Le prix The Drawer a été décerné à Caroline Tschumi, représentée par la Galerie Laurent Godin.
Comme chaque années, Paréidolie 2024 inaugure La Saison du Dessin qui prolonge le salon avec des projets curatoriaux et des temps d’exposition longs sur le dessin dans une trentaine de lieux partenaires à Marseille et sur tout l’arc méditerranéen, de Nice à Perpignan, jusqu’à fin décembre.
On reviendra prochainement sur plusieurs de ces expositions.
En savoir plus :
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