Jusqu’au 5 juillet, le Château de Servières accueille Madely Schott pour un « Vénus Tour » absolument incontournable !!! Cette exposition qui restera sans aucun doute dans les annales du Printemps de l’Art Contemporain à Marseille présente un travail remarquable, poétique et engagé qui transmet beaucoup d’émotions.
Son commissariat inspiré et complice est assuré par Martine Robin qui suit avec attention le travail de l’artiste depuis plusieurs saisons. On se souvient notamment des œuvres de Madely Schott exposées pour « Rouvrir le monde – La restitution », en 2023 et de son très bel accrochage de dessins sur papier de soie pour la dernière édition de Pareidolie, le salon international du dessin contemporain de Marseille dont elle était l’artiste invitée.
À l’automne, elle exposait à la Galerie Totem à Amiens dans le cadre des résidences croisées Nord/Sud portées par le Château de Servières, avec le soutien du Frac Picardie.C’est à cette occasion qu’elle découvre les Vénus paléolithiques au Musée de Picardie, point de départ de ce « Vénus Tour ».
Dans le texte qui accompagne son exposition, elle écrit :
« J’ai immédiatement été captivée leur mystère charnel, le jeu des formes et d’ inversion, le contraste entre le masculin et féminin de ces petites statuettes. Cette rencontre a fait naître un désir alors encore obscur à l’époque, de poursuivre ce jeu et d’y associer mes recherches autour « d’habiter le trouble », pour reprendre les mots de Donna Harraway ».
L’artiste engage un travail de réappropriation de ces sculptures, souvent lues à travers des perspectives masculines, pour en faire des entités puissantes, ambivalentes, des figures d’émancipation et de soin liées à une « réflexion sur un “nous” au singulier ».
Pour traduire en volume les croquis des Vénus qu’elle imaginait, Madely Schott a investi ces derniers mois la technique de la laine feutrée, cherchant à faire de chaque geste un acte de transmission et de rituel où le travail de la matière devient porteur de récits. La laine feutrée, matière souple et enveloppante, permet de conjuguer broderie, dessin à l’aiguille, volumes et textures.
L’exposition s’ouvre sur une arche monumentale, Nous est ébranlement du monde, qui agit comme un seuil. Un bonnet de Marianne revisité en « clitoris phrygien », invite les visiteur·euses à entrer en connexion avec l’univers de l’artiste.
« Vénus Tour » se déploie ensuite en quatre grands tableaux aux titres en forme de slogans poétiques : Nous est en route pour la déroute, Nous est puissance en fugue, Nous est poussière d’étoile, Nous est rigolade du cosmos… Ces titres, repris des dessins préparatoires, balisent une traversée à la fois sensorielle, poétique et politique.
Chaque espace propose une expérience physique et intime. Les visiteur·euses sont invité·es à s’impliquer physiquement : s’asseoir sur une balançoire, plonger la tête dans un nuage de laine, déposer sa colère, écouter ou répondre à un chant, danser, provoquer une tempête ou émettre un signal de fumée… Le dispositif d’exposition, pensé avec soin, soutient cette immersion.
Les titres des œuvres, les éléments sonores ou les broderies inscrites viennent ponctuer le parcours d’indices, d’affirmations ou de questions. L’humour et l’autodérision y côtoient des préoccupations écologiques, féministes et existentielles, sans jamais affaiblir la portée politique du propos. Les œuvres réunies dans Venus Tour forment un ensemble cohérent, sans hiérarchie entre le dessin, le volume ou le costume performatif.
Certaines pièces plus anciennes, comme Totem vient sauver l’humanité ou les Parures BLABLABLA, trouvent naturellement leur place dans le parcours. Elles révèlent une continuité dans les préoccupations de l’artiste, notamment autour du corps, de la voix, du soin, du lien au vivant.
Autour de ces Vénus, au cœur de son exposition marseillaise, Madely Schott montre également ses dessins sur papier de soie, quelques pièces réalisées lors sa résidence à Amiens et un ensemble d’œuvres un peu plus anciennes.
Cette exposition affirme la singularité d’une œuvre en construction, traversée par des engagements artistiques, féministes et écologiques. Un parcours à la fois sensible et lucide, où chaque Vénus devient une complice.
Après les superbes expositions consacrées à Ahram Lee avec « Lécher la peau de la pastèque » en 2022 puis à Mayura Torii avec « Domestique » en 2023, mais aussi à Javiera Tejerina-Risso, Flore Saunois, Gilles Pourtier ou Jeanne Susplugas, Martine Robin prolonge avec ce « Vénus Tour » un travail majeur et essentiel en direction d’artistes du territoire en leur offrant une exceptionnelle visibilité. Au-delà d’un succès public, souhaitons que cette proposition de Madely Schott attire l’attention des institutions, des galeries et des collectionneurs…
À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite de « Vénus Tour » et le texte de Madely Schott qui accompagne l’exposition.
En savoir plus :
Sur le site du Château de Servières
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Sur le site de Madely Schott
« Vénus Tour » de Madely Schott – Regards sur l’exposition
Nous est ébranlement du monde, 2025
Dès l’entrée, une « vénus arche » signale un seuil symbolique. Avant de passer entre ses jambes, un « casque résilience du phœnix » — bonnet de Marianne réinterprété en « clitoris phrygien » — invite les visiteur·euses à le poser sur leur tête pour une renaissance dans l’univers des vénus, pour un « Tohu Bohu, déconstruction en même temps que de recevoir l’énergie de jouissance pour une petite mort qui ouvre le champs des possible »…
Le parcours du « Vénus Tour » commence alors, rythmé par ses « dramas-fuge ».
Nous est en route pour la déroute, 2025
Le premier espace présente trois grandes vénus vertes, qualifiées de « vénus expulsion et régénération ». Figures libératrices des émotions retenues, elles accueillent colères, larmes et peines, évoquées par des motifs d’orage et de foudre. Elles invitent à s’en débarrasser. « D barass t colr », « vid t larm », peut-on lire sur deux de leurs mains qui pendent sur le sol. Celles et ceux qui suivront l’injonction de la troisième verront leurs bouillonnements intérieurs s’évanouir dans un nuage de fumée…
Nous est puissance en fugue, 2025
Sur la droite de ces trois impressionnantes vénus vertes, les visiteur·euses découvre une « Vénus envol et son casque nuage sur balançoire gravée d’un chant humoiseau ».
Dans une atmosphère onirique et cotonneuse, au milieu de nuages éclairés comme des veilleuses, elle semble vouloir s’extraire de la pesanteur. Son cou très allongé rejoint le plafond du Château de Servières. Sur son corps, on peut lire « Nous ê »,« pui(i)s sens » prolongé d’un « en Fuuuuuuu[it ou g?] » montant jusqu’au ciel…
Une branche suspendue, semblable à un trapèze, invite les visiteur·euses à prendre de la hauteur et plonger leur tête dans un nuage de laine. Gravé en doré sur cette branche, un chant humoiseau attend d’être performé par l’artiste… ou par un·e visiteur·euse !
Nous est poussière d’étoile, 2025
Cette vénus rappelle par ses formes généreuses la célèbre statuette en calcaire découverte à Willendorf, en Autriche au début du XXe siècle. Les deux oiseaux brodés sur ses seins incarnent sans doute la liberté et le désir d’émancipation puisque cette figure est une « Vénus émancipatrice »…
Sur son dos, on peut lire l’impérative injonction d’une divinité imaginaire : « ô ma jolie, tu ne vas pas pouvoir tenir ainsi te dandinant dans le rythme solitR et loin des hommes de productivité. Tu sera foudroyée par la folie sévère des limbes »…
Face à elle, suspendu au-dessus d’un cercle doré, son utérus – désigné comme « casque ôde à la folie » – répond : « D’au moins, cette folie j’en aurais vu la naissance et pourrais la jouir quand L me prendra » !!!
Dans un coin sur une petit étagère, une main en feutre esquisse le signe IYL, accompagnée de l’inscription « One Life » !
Nous est rigolade du cosmos, 2025
Le parcours se termine avec cette « vénus explosive » interprétation de celle de Grimaldi dite Polichinelle. Son cordon ombilical, relié à son « casqu’âne » – un bonnet d’âne, inspiré des hum-ânes, motif récurrent dans l’œuvre – a été tranché. Face à un miroir, elle appelle à une « danse impulsive », instinctive et primaire pour résister, « pour se débarrasser de sa carcasse sociale, pour faire émerger des mouvements d’ensauvagement sans esthétique autre que de se connecter à sa dynamite ventrale… ».
Sur un mur, une affiche « stroboscopique » réunit les positions que suggérait la « déessâne » dans un parcours chorégraphique intitulé « Par delà les mots » que Madely avait proposé en 2023 lors des Arts Éphémères au Parc Maison Blanche à Marseille.
Dessins de recherches et BLABLABLA
Dans le travail de Madely Schott, le dessin est prépondérant. L’espace qui ouvre à droite de l’entrée après être passé sous la « vénus arche » réunit les dessins préparatoires à la réalisation des vénus. Ils méritent d’être regardés avec attention avant de retourner dans le « Vénus Tour ».
Ces feuilles sont sous l’étroite surveillance de deux figures féminines à grosses lèvres qui chuchotent un incompréhensible blabla dès que l’on s’en approche. Elles appartiennent à un ensemble de costumes performatifs (BLABLABLA [Parures], 2019) que l’on avait rencontré dans l’exposition « Méraki » à la galerie Art-cade ors d’une performance du duo VOOGT.
Dessins sur papier de soie et Humanimaux perchés
Les espaces de gauche accueillent les dessins sur papier de soie présentés à Paréidolie (Le complexe du homard et En voie de renaissance et régénérescence, 2024), ainsi que les sept dessins aux crayons de couleur sur sachets en papier kraft de la série des « Humanimaux perchés » (2023). L’ensemble est placé sous la garde du Totem vient sauver l’humanité (2019), une figure plus ancienne des hum-ânes.
Du côté de la vie ferrée…
Dans l’espace compliqué tout en longueur qui borde la voie ferrée, Madely Schott et Martine Robin ont rassemblé un ensemble de sculptures, parures et objets fétiches parfois définis comme « objets du folklore ». Certains étaient exposés dans « Et un jour la larme nourricière défia la pesanteur » pour la restitution de la résidence de la saison du dessin Nord/Sud à la galerie Totem d’Amiens. Ces œuvres invitent à « réinventer des rituels qui prennent un caractère de résilience, de protection et de soin en impliquant par exemple des processus de régénérescence larvaire ou de combat pour une révolution végétale ».
Sur la droite, on retrouve le Kimono plantuesque (2022) que l’on avait découvert lors de « Rouvrir le monde – La restitution » au printemps 2023. Réalisé à partir de morceau de vestes d’infirmièr·es récupérées pendant sa résidence au 3bisf, teints au curcuma et à la cire, assemblés avec du fil d’or, cette « parure de protection [était] un appel à venir pratiquer un yoga chantant expérimental pour célébrer l’équinoxe d’automne »… Elle est présentée sur un élégant portant métallique conçu avec SLAU design studio avec du matériel de camping… Ce dispositif est utilisé pour la majorité des pièces de cet espace.
Et il y eut plus de culs d’autruches que de poings levés (2022) est un coussin en tapisserie sur lequel on reconnaît le motif de la « déessâne ». Installé à la hauteur de la tête des visiteur.euses, il est destiné à accueillir colère et émotions négatives à travers la méditation…
Madely ajoute : « Autrement dit quand vaut-il mieux fuir ou affronter le réel ? »
À proximité, Corps de gendarme antiprédateur + Énergie du scarabée d’or (2022) prend la forme d’une tapisserie suspendue au cœur d’une pyramide faite de piquets de tente…
L’artiste ajoute ce commentaire en forme de mode d’emploi : « Protège des prédateurs et ouvre la place à l’énergie solaire et aux coïncidences. Se placer bras et jambes grands ouverts pour capter au maximum la charge magnétique de l’objet ».
Gainage de l’égo (2022) est une œuvre composée d’un métier à tisser, de cheveux de l’artiste, de fil d’or et de papier. Créée à un moment de rupture personnelle et professionnelle, cette pièce apparaît comme un geste de réparation. Elle précise : « Cette ceinture entre mêlée de mes cheveux et de fil d’or permet de renforcer la maîtrise interne de son moi intérieur ».
En face, suspendu dans la niche, Tablier 3, Hommage à H, économiste de l’attention (2024) est un tablier en lin et teint à la waide ou bleu d’Amiens qu’on appelle « pastel des teinturiers » dans le sud. Après s’être initiée à la teinturerie artisanale pendant sa résidence, Madely Schott réalise trois tabliers, parures de travail des usinières, en hommage à trois figures féminines du territoire amiénois. Sur chaque tablier, elle imprime un animal symbole de la transformation et de la régénération : Ici, un trochulus villosus ou veloutée hirsute… Si H est sans doute l’initiale de l’ouvrière à laquelle hommage est rendu, on suppose que l’économiste de l’attention est l’étrange gastéropode poilu représenté sur ce tablier… En effet, Madely écrivait à propos de ce tablier lors de sa résidence en Picardie : « Tracer la lenteur et faire que le temps de l’attention devienne notre valeur économique. Avoir le dos large pour s’enraciner dans l’imaginaire ».
Enfin, une grande broderie sur lin, Flotté pour croisée (2024) semble faire écho au Kimono plantuesque. Elle est sous-titrée : « l’essence pour ne jamais faire s’éteindre l’imaginaire de nos petits monstres assoiffés ». Les corps entremêlés, brodés en bleu, y sont reliés par du fil doré à de petites figures aux langues démesurées.
« Trouver sa matière bleue et laisser s’échapper l’instinct du petit doigt » et « Au bout du fil d’or les créatures assoiffées qui appellent au réveil du Désire primaire » commentait l’artiste lors de la présentation de cette pièce à Amiens…
À propos de « Vénus Tour » par Madely Schott
En réponse à l’invitation pour cette exposition monographique, j’ai souhaité développer un nouveau projet centré sur les Vénus paléolithiques, que j’ai eu le privilège de découvrir au Musée de Picardie lors de ma résidence dans le cadre de la Saison du dessin Nord/ Sud impulsée par le salon du dessin international Paréidolie.
L’interprétation de ces figures féminines a été majoritairement influencée par des perspectives masculines, ainsi, les Vénus, qui pourraient être vues comme des symboles de pouvoir féminin, sont paradoxalement interprétées à travers un prisme patriarcal.
Cette situation met en lumière la tension entre le message invisibilisés que ces sculptures pourraient véhiculer et la manière dont elles sont souvent comprises.
J’ai immédiatement été captivée leur mystère charnel, le jeu des formes et d’ inversion, le contraste entre le masculin et féminin de ces petites statuettes.
Cette rencontre a fait naître un désir alors encore obscur à l’époque, de poursuivre ce jeu et d’y associer mes recherches autour « d’habiter le trouble », pour reprendre les mots de Donna Harraway.
J’ai creusé le sillon et j’ai désiré rendre à leur fécondité sa puissance sémantique pamphlétique.
Les interprétations autour d’une puissance fertile se métamorphosent en une réflexion sur un «nous» au singulier, qui s’émancipe pour se réapproprier soi-même et revenir ainsi à un souffle nouveau.
Dans un premier temps j’ai dessiné un croquis de ces Vénus, gravées de ces « catchphrases » autour de ce « nous ».
– Nous est en route pour la déroute
– Nous est poussière d’étoile
– Nous est rigolade du cosmos …
Elles invoquent un tohu bohu qui pourrait se transformer en une fête pour faire jaillir les ventres extatiques. Imaginer un monde où les vivants s’interconnectent où le lien, le toucher, le sensitif, le tact redeviennent essence vitale.
Dans cette série je les nomme les «dramas-fuge». Elles portent à la fois un état de désespoir sur l’avenir de notre société et en même temps un message résilient, qui invite à la fugue pour s’émanciper vers un nouvel imaginaire.
À partir de ces réflexions, j’ai commencé à m’interroger sur le format, la technique et les matériaux de réalisation.
Mon objectif était de dépasser la simple reproduction pour adopter une approche anthropomorphique et animiste, qui explore le processus de fabrication comme un rituel, mettant en avant l’artisanat. Cela m’a conduit à m’intéresser à la technique ancestrale du feutrage. J’ai donc entrepris une formation d’initiation au feutrage afin d’évaluer la faisabilité de mon projet. Ce matériau, qui offre protection, isolation et insonorisation, véhicule une poétique significative.
Le processus de création implique une série d’actions ritualisées : croiser les fibres, masser, rouler, pour le feutrage au savon, suivi du feutrage à l’aiguille, qui permet de tatouer des motifs et des récits sur mes Vénus. Cette matière soulève également des problématique écologiques et politiques, son exploitation ayant été remplacée par des matériaux polluants à bas coût.
J’ai découvert des initiatives regroupant des éleveurs de moutons et des artisans pour mutualiser les ressources, partager des connaissances et promouvoir la laine locale.
J’ai donc adopté la technique du feutrage pour réaliser mes Vénus en volume.
Mes résidences de création au Château de Servières jusqu’au mois de janvier, puis à la fondation Vacances Bleus depuis le mois de février, m’ont offert un espace de travail adapté à cette mise en œuvre.
Venus tour propose ainsi une installation immersive propice à la déambulation dans un parcours ponctué de quatre tableaux interactifs autour d’une déclinaison de la figure de Vénus.
Par ailleurs un ensemble d’objets et accessoires protecteurs et médit-actifs réalisés en lien avec les différentes thématiques abordées, viendront compléter un corpus de dessins.
Le visiteur pourra créer un lien connectic spécifique à chacune des Venus, en étant invité à déposer ses peines et ses colères, en chantant des cris d’humoiseaux sur une branche gravée de phrases sonores, la tête dans un nuage feutré, en étant relié à la Vénus impudique, en se connectant à l’instinct utérin pour faire le deuil d’un monde productif et embrasser une émancipation solitaire et sa folie sous-jacente, pour être habiter par une danse impulsive et primaire avec la Vénus de Grimaldi dite Polichinelle.…
Texte extrait du dossier de presse.